Zitiervorschlag: Laurent Angliviel de la Beaumelle (Hrsg.): "Amusement XXVIII.", in: La Spectatrice danoise, Vol.1\028 (1748), S. 225-232, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Hobisch, Elisabeth (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.4201 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Amusement XXVIII

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Madame la Spectatrice !

Trouvez-bon que je vous demande place dans une de vos Feüilles pour une piéce, de ma façon. Elle n’a pas encore été imprimée ; & vous savez que tout Rimeur imagine que ses vers méritent la Presse. Moi, je ne suis pas insensible à ce plaisir-la ; & je vous aurai de l’obligation (reconnoissance de Poëte n’est pas peu de chose,) si vous me faites la grace de donner cette bagatelle à votre Imprimeur. Fremdportrait► Pour la lire avec plaisir, il faut ètre un peu au fait de l’Héroine. Mademoiselle la Marquise des M * *, qui fait à présent les délices de tout G * *, est une personne d’un mérite accompli. Une Education assortie à sa qualité cultiva dès l’âge de deux ans les beaux talens qu’elle a recus <sic> de la Nature, dont elle semble avoir été l’enfant gâté. Elle joint à un esprit orné [226] un bon sens très délicat, des lumiéres supérieures à celles des Dames les mieux élevées, une étonnante facilité d’expression. Elle semble avoir dérobé aux hommes leur mérite ; mais ce larcin, il le faut déviner ; car sa modestie ne luí permèt que fort rarement de transpirer. A ces qualités, trop longues à détailler, elle joint les charmes de la figure du monde la plus jolie, j’ai presque dit la plut <sic> jeune ; car c’est une beauté de 19. ans. Elle ignore, ce semble, combien elle est aimable ; sa parure est l’ouvrage d’un moment. Quoiqu’on ne puisse la voir sans l’aimer, j’imagine que personne n’a osé hazarder une déclaration. Quoi qu’elle soit sans fierté, elle a je ne sai quoi dans l’air, qui arrète les soupirs qu’elle fait éclorre. Je suis peut-ètre le premier qui lui ait dit, qu’elle est belle. Son cœur est parfait, à la tendresse près, à la quelle il est, je crois, inaccessible ; ses deux passions sont la Lecture & la Chasse. Elle monte admirablement bien un Cheval, & tire un coup de fusil avec beaucoup de grace & de justesse. Quelqu’un lui fit présent d’un Epervier bien dressé. Cet Epervier étoit ses amours. Mais au bout de trois jours, il tomba malade, & expira. Pour l’en consoler (car elle eut la foiblesse de le pleurer) on l’enterra magnifiquement. On lui immola quelques Corbeaux &c. Je me trouvai à la Campagne où cette scene arriva. On me demanda une Epitaphe. ◀Fremdportrait Je fîs une Epitre ; la voici.

Ebene 4►

L’epervier

Epitre
à Mademoiselle la Marquise des M * *

Des Champs Elysées, ce . . . .

De votre sensibilité

Marquise ! j’aurois les prémices !
[227] Assez heureux pour ètre regretté,
Je pouvrois tirer vanité
D’avoir sçu faire vos délices !
Est-ce une fable ? Est-ce une verité ?
Que mon amour propre est flatté !
Que les destins me sont propices !
Je ne pouvois mourir sous de plus doux auspices ;
Ma mort fait ma félicité.

Elle vous arracha des larmes :

Ah ! que vos soupirs ont de charmes !
Que de Mortels, qui de vous sont épris,
Dont le respect retient les langues trop discrètes,
Voudroient bien d’un semblable prix
Voir païer leurs peines secrètes !

Vous m’aimiés donc : ma foi ! je vous amois aussi :

Vous plaire, étoit tout mon souci ;
Vous amuser, ma seule envie.
Je vous vis ; je sentis joüer
Les ressorts de la sympathie.
Vous me parutes fort jolie ;
Je ne prétends point vous loüer ;
Vous comparer aux Cieux, vous égaler aux Anges,
Seroient pour vous fades loüanges :
Quand on veut ignorer tout ce qu’on a d’appas,
Marquise ! l’encens ne plait pas ;
Mais Vous me plutes fort (soit dit sans vous déplaire)
Plus je Vous lorgnois, plus mon cœur
Me parloit en votre faveur ;
Et, voles vous, je me crois connoisseur.

[228] Peut-ètre ce récit paroitra téméraire ;

Mais je soutiens à mon plus fier censeur,
Qu’un Oiseau pour qui l’on soupire,
Quand on n’a jamais soupiré,
Mériteroit d’ètre adoré,

Et vaut bien au moins un Empire.

Dieux ! avec quel plaisir je passai dans vos mains ?

Je ne regrettai plus ma liberté ravie ;
A vous faire ma cour je consacrai mavie <sic> ;
Je ne vous craignis point ; quoique tous les Humains
Assurent que la femme est une enchanteresse,
Et que par elle on voit sans cesse
Les Héros amollis, les grands cœurs abattus ;
Car aisément je m’apercus,
Que vous suivez des sentiers peu battus ;
Et que de votre séxe évitant les foiblesses
Vous n’en avez que les vertus.

Que d’encourageantes caresses

Par ma mort n’ai-je pas perdu ?
Hélas ! me serois-je attendu
A changer en un jour votre joïe en tristesse ?
Je fis mon essai devant Vous :
Il vous en souviendra peut-ètre,
Mainte Aloüette éprouva mon courroux ;
Et je puis le dire, entre nous,
Mes coups d’essai furent des coups de Maître.

Pour amuser vos précieux loisirs,

Je preparois pour vous mille nouveaux plaisirs ;
[229] Et j’avois arrangé dans ma docte Cervelle
Le plan d’une Chasse nouvelle,
Un plan conforme à vos desirs.
Telle on voit des Germains l’Auguste Souveraine, (*1 )
L’Héroine de l’Univers,
Rivale des vertus & de Rome & d’Athènes,
Faire à son gré joüer mille ressorts divers,
Et de son Cabinèt conduisant une Armée,
Etre l’Ame de tout, prévenir les hazards,
Vaincre une Nation (**2 ) à vaincre accoutumée,
Rendre son premier lustre au thrône des Césars,
Et promettre la Paix à l’Europe allarmée.
Excusés la comparaison,
Avec Vous elle est de saison.

Bref, vous auriez été charmée

De tous les jolis tours que je vous préparois ;
Marquise ! je vous adorois,
Et rien de tel que d’ètre aimée.
Mais qu’il m’en a couté d’avoir fixé les vœux
D’une Nymphe, (tel cœur est un bien précieux)
Dont Pallas & Diane ont fait leur favorite !
On se nuit par trop de mérite.
Que ne m’aimiés vous moins ? J’eusse eu moins d’envieux.

Tandis-qu’aux projèts je me livre,

Tout se ligue à l’envi, Braq, Chien Courant, Limier ;
[230] Le moien qu’un pauvre Epervier
Puisse résister, puisse vivre !
A des Rivaux si dangereux
Envain j’opposai ma Maitresse ;
Mon crime fut d’avoir captivé sa tendresse ;
Ce crime m’eut absous dans des cœurs généreux ;
Mais à leurs yeux il me rendit coupable ;
J’eusse été beaucoup plus heureux,
Si j’avois été moins aimable.

Diane étoit fiére de Vous ;

Mais frémissant déjà d’une perte certaine,
Quoi ? s’écria-t’elle en courroux,
Quoi ? Je ne verrai plus Ismène
L’ornement de mes Bois & la terreur des Loups,
Assassiner avec un Plomb rapide
Le Cerf léger & le Lièvre timide ?
Un vil Faucon fera ses plaisirs les plus doux ?
Que ne peut un transport jaloux ?
Soudain elle m’ôte la vie.
Triste victime de l’Envie,
Je lutte quelque tems ; mais effort superflû !
Je meurs, mon Ame fugitive
Descend à l’Infernale Rive.
Mon Passe-port fut de Vous avoir plû,
A votre nom la Barque s’ouvre,
Et du Ténare fend les eaux,
J’arrive en une plaine ; & dela je découvre
L’ombre de mille & mille Oiseaux.

[231] Je me hate de vous écrire.

Adieux : Plaisir, Neige (*3 ) & Santé.
Voilà les vœux que mon amour m’inspire,
Malgré votre infidélité.
Qu’heureux est l’Epervier que votre cœur desire !
Mais Ciel ! quelle légereté !
Quoi donc ? Chez vous aussi la Mode l’authorise ?
Un Mausolée, & puis, c’est tout ?
Quoi ? Vous imitez Artémise.
Et vous ne sçavez pas l’imiter jusqu’au bout ?
Marquise ! fussiez vous cent fois plus infidelle,
Je trainerai partout une chaîne éternelle,
Et toujours votre Amant, toujours votre captif,
Je me plairai sous votre empire ;
Mais que sert il de vous le dire ?
Le Silence est plus expressif.

Pardon, mon aimable Maîtresse !

Ces vers Vous surprendront ; ils conviennent au mieux ;
Entretient-on une Déesse ?
C’est pour elle qu’est fait le langage des Dieux. ◀Ebene 4 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► On m’a envoïé ces vers, pour que je les admire. Je ne les critiquerai donc point, quoique j’y aïe remarqué quelques défauts ; si le mérite de ces sortes de piéces consiste a faire quelque chose de rien, l’Auteur a très bien réussi. Je souhaite que celle-la plaise autant à mes Lecteurs, qu’elle a dú plaire à la Dame, pour qui elle a été composée. ◀Metatextualität

[232] Metatextualität► Certains critiques, toujours de mauvaise humeur contre les productions d’autrui, parceque personne ne daigne lire leurs ouvrages Narcotiquea, fronderont cette piéce & le jugement que j’en viens de porter. Mais qu’ils me permettent de leur conseiller de ne point répandre leurs remarques par écrit en forme de lettres anonymes. Ils ont si peu de goût, l’esprit si faux, le cœur si bas, & tout cela paroit si clairement dans leurs Libelles furtifs, que j’ose leur répondre de l’indignation de tout Lecteur raisonnable. Pour les bien réfuter, il n’y a qu’à faire imprimer ces ouvrages sans nom, qu’ils envoïent la nuit dans les maisons. Voila la seule vengeance, qu’on doive tirer de ces Messieurs ; mais aussi c’est la vengeance la plus complette ; Ils ont exhalé leur bile contre la nouvelle Cantate, éxécutée le 20. de ce mois en présence de Leurs Majestés. Ils m’envoïerent la veille leur Gazette critique. J’en régalerai le Public. ◀Metatextualität ◀Ebene 2

Ces Feuilles paroitront réguliérement le Mécredi <sic> & le Samedi, & ne débiterout que chez le Sr. Francois Bugnion, Fabricant de Tabac, dans le vieux Strand ◀Ebene 1

1(*) L’Impératrice Reine est la Héroïne de Mlle. des-M * *.

2(**) Cette Piéce fût faite, peu après les Echecs que les François recûrent en Stalie.

3(*) Elle attendoit la Neige, pour la Chasse du Sanglier.