Nous nous donnerons bien de garde de nous hâter de porter notre jugement sur une pièce nouvelle, et sur-tout de critiquer le dénoûment. Aujourd’hui les auteurs en ont deux ou trois dans leur porte-feuille, qu’ils essayent tout-à-tour. Si la mort d’un prince qui se poignarde produit un effet désagréable à la première représentation, le public, à la seconde, a le plaisir de levoir vivre, et c’est sur un autre que l’auteur fait tomber sa colère. Autrefois, lorsqu’un journaliste vouloit rendre compte d’une Tragédie et suivre la chaîne de l’action, il pouvoit savoir à quoi s’en tenir ; maintenant les Poëtes semblent se plaire à lui donner le démenti. S’il s’avise de trouver la marche de la pièce un peu traînante, l’auteur retranche de son poëme, tout-à-coup, cinq à six cent vers, supprime tout ce qui sembloit languissant,
Quelques jours après la première représentation, dans le moment où j’étais le plus content de ma critique, où je m’applaudis-pontife triomphant fuir devant le peuple en fureur, lorsque j’entendis le Grand-Prêtre rompre ces sermens qui font un crime de l’amour à la beauté gémissante !
Je restai tout honteux, et m’en allai en sachant très-mauvais gré à l’auteur d’avoir dissipé en un moment mes savantes observations, et encore plus de n’avoir pas fait usage de mon idée foudroyante.
leur dernier mot, et de ne me plus compromettre avec mes souscripteurs. Ils doivent sentir de quelle importance il est pour le Spectateur de ne pas s’écrier sur la mort d’un jeune guerrier, brave, vertueux, et que deux jours après le public a le plaisir de voir rester vivant.
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Monsieur,
J’approche de soixante ans ; j’ai le visage frais, quoiqu’un peu ridé, le front élevé et chauve, l’œil bleu, le sourcil encore noir ; mes cheveux que l’âge a blanchis ne m’ont pas quitté tous, et je les garde par respect pour l’ouvrage de la nature que j’ai craint de défigurer. Quoiqu’un peu babillard, je me mêle de réfléchir. J’ai passé les deux tiers de ma vie dans les cafés, et je me changerai volontiers, si vous l’agréez, d’être votre correspondant pour ce monde subalterne que vous dédaignez.
J’ai cru devoir, avant tout, vous mettre au fait de ma figure. On écoute avec plus de plaisir quand on est en pays de connoissance. Le visage court et l’humeur taciturne du
Je suis fâché qu’étant résolu de vous taire sur votre manière d’être, vous n’ayez pas au moins eu recours au burin de
Mais, revenons aux cafés, à ces asyles que vous prétendez n’être habités que par des troupes de gens oisifs qui déraisonnent avec assurance Ce reproche tombe sur un des discours retranchés de cette édition. ; vous ne craignez pas de les mettre au-dessous de ce monde brillant,
Oui, Monsieur, vous avez mal vu ; vous vous êtes laissé entraîner par un préjugé qu’ont accrédité ces femmes qui, sans cesse environnées de beaux esprits, rendent leur oracle dans un boudoir parfumé, et veulent paroître encourager les talens naissans.
Comment est-il possible que cette scène
Cette politesse frivole et superficielle qu’affichent les merveilleux que vous vantez, voile les défauts sans les corriger, pallit les vices sans en diminuer la noirceur. C’est un vernis mordant qui altère les couleurs, confond les traits, ne laisse aux personnages qu’une ennuyeuse uniformité, et leur être cet air de fraîcheur et de vie qu’un génie créateur leur avoit donné.
Sortez des bosquets d’ ; je veux vous conduire dans les jardins de l’Académie, au Portique, au Lycée. Si quelque nom plus digne de respect se présentoit à ma mémoire, je ne l’ometterois pas.
Tous vos pas, Monsieur, vont être marqués par de nouveaux plaisirs. C’est ici que
N’allez pas vous persuader que nos assemblées ayent dégénéré ; on y voit toujours régner la même chaleur. Si vous n’appercevez parmi nous aucun de ces élus que l’Immortalité introduit dans son sanctuaire, nous n’en sommes que plus heureux. Le front ceint de lauriers, comme les premiers Césars, ils affectoient, à leur exemple, une autorité despotique sur la république littéraire. Nous goûtons toutes les douceurs de la liberté, depuis qu’ils se sont condamnés à un exil volontaire.
C’est dans nos assemblées que l’on pèse le mérite avec une exactitude scrupuleuse. Les cafés sont l’utile creuset où l’or se sépare du cuivre qui l’imite. Dans ces sociétés que je vous ai fait quitter, tous les jugemens sont dictés par une aveugle amitié, ou par une lâche complaisance : le flatteur le plus bas paroît toujours l’esprit le plus sublime. Ici l’on ne trouve bon que ce qui plait ; on distingue la fadeur du sentiment, le sublime
Ici sont rédigés les arrêts que le parterre prononce ; ici sont réformés les jugemens de ce que j’entends nommer, je ne sais trop pourqoui, la bonne compagnie. Éclairés par une longue expérience, inaccessibles à l’adulation, nos sentences sont toujours munies du sceau de la vérité.
Peut-être, monsieur le Spectateur, serez-vous un peu scandalisé des déclamations épisodiques, des criailleries, des invectives qui raniment de temps en temps nos discussions littéraires ; mais au moins vous avouerez que ces hors-d’œuvres ne sont que plaisans. Que pourroient-ils avoir d’avilissant ? Nous n’avons pour spectateurs que nos égaux, sujets aux mêmes infirmités et prompts à les pardonner. Ces combats non sanglans ne servent point à dilater la rate d’un riche vaporeux, et nos champions ne sont pas des coqs toujours prêts à combattre pour égayer la digestion du Trimaleion qui les nourrit.
Oui, Monsieur, ces hommes, que vous prétendez avoir acquis le privilège de déraisonner assidument autour d’une table, con-le col pelé comme le chien de la fable ; on démêle même dans leurs productions la trace de leur esclavage. Les vaudevilles parurent avec les pantins ; le genre larmoyant précéda les vapeurs ; l’anglomanie a produit nos drames. Choisissez celui qu’il vous plaira de nos auteurs les plus fêtés ; je m’oblige, d’après la lecture d’un de ses ouvrages, à déterminer le caractère de la connoisseuse qui le prône, le genre de son esprit, l’étendue de ses idées, le degré de sensibilité de ses nerfs ; j’irai jusqu’à vous nommer le fils d’Esculape qui veille au soutiens de sa frêle santé.
Ce seroit peu pour nous de moissonner les lauriers littéraires : il est une autre espèce de gloire que nous essayons de mériter par des spéculations aussi graves qu’utiles. Prenez place à mes côtés, vénéreable Mentor, écoutez cet homme sage et pénétrant ; voyez avec quelle circonspection il règle le sort de
Suivez-moi, Monsieur ; pénétrez sous mes auspices dans le sanctuaire de la philosophie ; écoutez nos adeptes analyser le systême de la nature, vous faire toucher au doigt les différens anneaux de la chaine des êtres. La place que l’homme doit y tenir sera bientôt déterminée ; il va cesser d’être un problème. La production de ses pensées n’est plus un mystère ; son cerveau s’ouvre ; son ame est prise sur le fait. Pourriez-vous refuser d’en croire l’éloquent dissertateur que vous voyez assis sur le tabouret sacré que
Non, sans doute, il n’est point d’asyle plus digne du sage. Une liqueur active et bien-faisante réveille ses sens, fait fermenter ses idées sans altérer sa raison. Une communication libre, des entretiens dictés par la franchise, développement ses facultés. Si l’amour de la vérité produit quelquefois le choc des opinions opposées, semblable au frottement de deux cailloux, il fait jaillir des feux plus vifs et plus purs ; le flambeau de la vérité s’allume, et il répand la lumière au loin.
Amans de la vertu, ici vous apprendrez à la connoître mieux que dans les jardins d’
En traversant, il y a quelques jours, les boulevards, je rencontrai un homme, jeune encore, qui s’approcha de moi et me demanda l’aumône. Quoi ! lui dis-je en l’observant, à l’âge où vous êtes, ne pouvez-vous pas gagner votre vie ? Je la gagne bien, me répond-il. A quel métier ? lui répliquai-je, assez surpris de sa réponse. En m’exposant, répartit ce malheureux, au mépris et à la dureté des riches.
Premièrement, monsieur, à l’égard du mépris que les hommes ont pour moi, je vous avoue que je le leur rends bien. La seule différence qu’il y a entr’eux et celui qui vous parle, c’est qu’ils me le font voir, et que moi j’ai l’honnêteté de leur cacher le mien. Pour l’indigence, il est vrai que j’en ai les apparences, mais j’ai à-peu-près tout ce qui m’est nécessaire.
Comment peux-tu exciter la compassion, et obtenir quelques secours, n’ayant ni blessures ni maladies ?
Si, pour rendre les hommes compatissans et généreux, il n’avoit fallu que leur paroître estropié ou infirme, je n’aurois pas été embarrassé de jouer mon rôle ; mais il y a tant de mauvais acteurs dans ce genre, que j’ai cru devoir enprendreun <sic> autre. Je vous avouerai même que j’ai commencé par celui-là.
Etonné de la facilité avec laquelle ce misérable s’énonçoit, je lui demandai s’il avoit fait des études danss a <sic> jeunesse. Oui, Monsieur, m’a-t-il répondu ; j’ai appris beaucoup de choses assez inutiles : je pourrois me vanter d’avoir été toujours distingué parmi mes camarades de collège. Hélas ! que diroient-ils s’ils voyoient leur empereur mendier dans les rues ? Mes parens se félicitoient de s’être ruinés pour me faire apprendre le latin. Ils avoient arrangé dans leur têtes que je serois prêtre, puis curé ; et alors ils ne devoient plus manquer de rien. Une créature séduisante s’offrit à ma vue ; je l’aimai, et ce fatal amour fit évanouir toutes leurs espérences. Ils ne furent pas long-temps les témoins de mes égaremens ; la douleur les conduisit au tombeau et moi j’errai long-temps sur la terre . . . . Mais reprit-il, en s’interrompant, il seroit trop long de vous contrer toutes mes avantures.
Oui, Monsieur, j’en ai dont je ne puis jamais tirer un sou et qui me renvoient brutalement : d’autres, plus honnêtes, m’assurent n’avoir pas de quoi me satisfaire, et me souhai-
Ainsi, suivant les apparences, tu seras toute ta vie un vil mendiant. Un vil mendiant ! répartit le drôle qui m’écoutoit ; comme vous avilissez l’état de tous les hommes ! Ignorez-vous que la terre n’est plus habitée que par des mendians, depuis que les vagabonds ne la parcourent plus ? Les rois, eux-mêmes, ne mendient-ils pas quelquefois des secours à leurs alliés ? Leurs palais ne sont-ils pas quétant de nouveaux amans.
Je ne parle pas seulement de ces beautés ambulantes qui voudroient à chaque pas rencontre les regards de l’opulence, mais de ces grandes et magnifiques dames, qui, sous le voile de la décence, savent assez adroitement faire valoir les présens de la nature, et qui mettent autant d’intelligence que de grace dans la distribution de leurs faveurs.
Ne pourroit-on pas aussi compter au nombre de ces adroites quêteuses, celles qui mettent un impôt sur la folie des joueurs qu’elles rassemblent chez elles, et leur font acheter l’entrée d’une maison dont ils payent au moins la dépense ?
Egayé par son idée, je lui dis : Mais si, par hazard, séparé de la société, j’en étois le spectateur, pourrois-tu me soutenir que