N°. XIV. Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Veronika Mussner Mitarbeiter Barbara Thuswalder Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 27.04.2018 o:mws.6496 Anonym: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye. La Haye: Henri Scheurleer, 1715, 105-112 Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye 1 014 1715 [1714] Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Sitten und Bräuche Costumi Manners and Customs Costumbres Mœurs et coutumes Netherlands The Hague The Hague 4.29861,52.07667 France 2.0,46.0 Netherlands Amsterdam Amsterdam 4.88969,52.37403 Netherlands Groningen Groningen 6.56667,53.21917 France Montpellier Montpellier 3.87723,43.61092

N°. xiv.

Le Lundi 11. de Juin 1714.

Nous ne sommes pas faits pour passer toute notre vie dans une oisive indolence. Il n’y a pas d’Homme qui ne doive s’ocuper, les uns d’une maniére, les autres d’une autre ; notre intérêt, la conservation même de notre santé éxige cela de nous : sans parler de la Loi du Créateur, tu mangeras ton Pain à la sueur de ton Corps, à laquelle il n’est que trop vrai qu’on ne fait pas plus d’atention que si elle n’avoit été prèscrite qu’à notre Pére Adam.

Je réduis à trois espéces les différens objèts de nos ocupations. Les unes sont nécessaires, & il y en a de deux sortes, celles qui ont Dieu, le Prochain, & notre Salut pour objèt, & qui doivent être préférées à toutes les autres ; & celles qui regardent l’estime publique, la conservation de nos biens, ou les moïens d’en aquérir, & la santé. Je mets dans le second rang les ocupations utiles, qui nous conduisent à des conoissances, ou à des talens qui ne sont pas absolument nécessaires, mais qui nous atirent l’afection des Personnes qui ont le plus de goût & de discernement. Enfin, le dernier ordre des Ocupations renferme celles qu’on peut nommer agréables, & qui servent au délassement de l’esprit, qui ne peut être toûjours ocupé ; cette sorte d’ocupation doit être telle qu’on y fasse toûjours régner l’Innocence, & la Modération. Voici de la matiére pour de gros volumes que je vai <sic> renfermer dans les bornes étroites de ce Discours.

Pour ce qui est des ocupations nécessaires, la plûpart des Hommes font semblant de s’y apliquer, du moins ils tâchent de le faire croire aux autres, en tout ce qui a raport à la Divinité, au Prochain, & à l’Ouvrage du Salut. Et quant à ce qui régarde l’aquisition & la conservation des biens, on les aime trop pour ne s’y pas ocuper, même beaucoup plus qu’on ne devroit.

Les ocupations utiles ne sont pas de tous les âges, elles régardent sur tout les jeunes gens ; & c’est à ceux qui sont chargez du soin de leur éducation à voir qu’ils s’y apliquent comme ils le doivent ; comme je réserve cette matiére pour quelques Discours exprès, je dirai seulement en passant que rien ne me paroît plus déplorable que la conduite des Parens & des Maîtres en ceci.

Passons aux ocupations agréables sur lesquels je veux particuliérement m’arrêter. J’ai déja insinué qu’elles doivent être innocentes & modérées. Voïons si nous trouverons cès deux caractéres dans les ocupations qu’on met ici au nombre des agréables & des récréatives.

J’en trouve de cinq sortes, les Promenades, les Visites, les Caffez, les Spectacles, & les Sociétez.

Les premiéres devroient servir ou à réparer une santé afoiblie, ou à conserver celle dont on jouït ; & on ne les fait servir qu’au faste & à l’ostentation, souvent même il s’y passe certaines Sénes qui ne peuvent qu’être très préjudiciables á la santé. Quelle diférence y a-t-il entre être dans sa chambre dans un fauteuil, ou à la promenade assis dans un Carosse dont toutes les glaces sont soigneusement fermées, afin d’observer le Cérémoniel avec scrupule en passant devant le Carosse d’un tel ou d’une telle. Je pose en fait qu’on conduise quelque Etranger au lieu où le beau Monde fait ce qu’on apelle se promener, & qu’on lui demande, en lui montrant ces doubles files de Carosses, que croïez-vous que font ici cès gens-là ? Il répondra, en les passant en revûë, que Crisante vient y faire voir son Equipage, ce Carosse fantasque, cette Livrée neuve, & cette addition de deux Laquais à son modique domestique : ce Comte Allemand couché presque de son long dans un Fiacre, tantôt une Lettre, tantôt une Rape, tantôt une Tabatiére à la main pour tâcher de s’y faire admirer ; la jeune Alix y vient montrer une nouvelle mode qu’elle a travaillé à inventer depuis trois mois ; sa Sœur qui est à côté d’elle vient seulement pour s’y faire voir à ses quatre adorateurs, & pour épier si elle n’en trouvera pas quelqu’un avec quelqu’autre beauté : il est vrai que Cermanto se proméne comme on doit se promener, c’est-à-dire en se servant de ses jambes, & joignant à l’utile de la Promenade l’agréable de la Conversation ; mais notre Etranger ne trouvera-t-il pas ridicule au suprême degré, que Cermanto se fasse suivre par son Carosse, comme s’il vouloit par-là signifier au Public, que s’il se proméne à pié, on doit croire que ce n’est pas par disette de Carosse. Combien le Voorbout ne nous fourniroit-il pas d’Originaux les uns plus risibles que les autres ; mais passons aux Visites.

Nous ne parlons pas ici de ces sortes de Visites sérieuses, qu’on ne rend que pour parler d’affaires, ou pour briguer la faveur d’un Grand, ou pour entretenir celle qu’on a déja aquise. Je me borne à cès Visites qu’on peut apeller de récréation & de passe-tems. Mais comment s’y récrée-t-on, comment y passe-t-on le tems ? Pour l’innocence, on m’acordera qu’elle en est entiérement banie ; Car comme on y parle beaucoup on y dit beaucoup de chose très inutile ; ce seroit encore peu ; mais ne peut-on pas dire que ces conversations même les plus diversifiées sont des espéces de Rondeaux dont la chute est pour l’ordinaire, ou une fine Médisance, ou une flaterie grossiére, & quelque fois une insipide raillerie qui étant relevée cause des animositez & des haines criminelles. Comment ne juge-t-on pas dans ces Visites, les affaires du Prochain sans entendre les Parties ! & comme les Femmes y sont souvent en plus grand nombre, on y parle beaucoup, on y écoute peu, on y raisonne sur rien, on y décide de tout, & en un instant on y prononce vingt Arêts. Mais ce que je trouve encore de condamnable dans cette sorte de récréation, c’est qu’il y a des Gens qui en font leur ocupation principale, & qui y emploïent la plus considérable partie de leur tems. Tems, hélas ! qu’on perd sans ressource, puis qu’on n’en emploïe pas un instant à réfléchir sur soi-même, & qu’on ne s’ocupe que des autres, & même bien plus, puis que ce n’est que de leurs Vices & jamais de leurs Vertus. Je crois que voila un portrait assez au naturel de ce qui se passe dans les Visites, voïons ce qu’on fait aux Caffez.

Il faut d’abord qu’on m’acorde que ce sont autant de rendez-vous de tous les Faineans d’une Ville. Ce seul trait sufiroit pour faire comprendre tout ce que ce peut être, & tout ce qu’on y fait. Les uns y goûtent à long trait le plaisir indicible de répandre dans la chambre des nuées d’une puante fumée. Demandez-leur quelle est l’utilité de cette ocupation, à peine en trouverez-vous un qui puisse vous satisfaire ; c’est la mode de fumer, c’est pourquoi on le fait : Mais comment le fait-on, en étoufant, pour ainsi dire, son Ame, ou du moins tout ce qu’on a d’Homme, je veux dire la Raison, dans la fumée d’une Pipe. Oui, j’ai vû Demiphon tellement extasié dans cette admirable ocupation, qu’il ne pensoit à aucune chose, pas même à sa Pipe, quand une fois il l’avoit à la bouche. Est-ce-là vivre en Homme ? Sorti de cette extase, on prend une Gazette, ou quelqu’une de cès nouvelles Rapsodies de Gazet-tes, & avec une vivacité qu’inspire ou la fumée du Tabac, ou le Caffé, on commence à régler les afaires d’Etat & à traiter la liberté de chimére avec l’une de ces rapsodies, & à prôner l’Union & la Concorde avec l’autre. On prescrit ensuite des Loix aux Souverains, on détrône les uns & fait le Procès aux autres, & tout cela très inutilement, puis qu’on sait que, quoi qu’on dise, quoi qu’on censure, quoi qu’on résolve dans de pareilles Assemblées, les choses n’en iront pas moins leur train.

Il est assez ordinaire de passer du Caffé à l’Opéra, ou à la Comédie, c’est ce qu’on apelle Spectacle.

Je me trouvai ces jours passez dans une Barque, où quatre Personnages, plus vénérables par leurs habits que par leur âge & leur Silence, frondoient terriblement cette sorte de récréation. Le sujèt de leur dispute étoit le Discours d’un Savant pro Comediâ ; contre lequel cès sévéres Moralistes lancérent toutes les foudres du Zèle le plus ardent & le plus mal entendu ; chacun avoit dit son sentiment & porté Arrêt contre l’Oraison & l’Auteur, lors qu’un de ces Messieurs demanda à celui qui étoit vis-à-vis de lui, s’il avoit lû un certain endroit qu’il lui cita. A Dieu ne plaise ! répondit l’autre promtement, car je n’ai jamais eu cette détestable Piéce dans les mains ; la patience m’échapa alors, je tirai le nez de mon manteau où je m’étois tenu envelopé pendant toute cette impertinente Conversation, & entonnant un Or-vatissimi ac. Doctissimi Conviatores, je me mis de la Partie : je tirai l’Oraison de ma poche, nous l’éxaminâmes, & je fis convenir ces quatre violens Critiques, que l’Auteur n’avoit rien dit que de très constant sur le chapitre de la Comédie, qui est très propre non seulement à instruire, mais même à coriger, nous en aportâmes des exemples, & nous tombâmes d’acord que la Comédie ne devenoit criminelle, comme quantité d’autres choses, que par le mauvais usage que les Hommes en font. En efét, me persuadera-t-on que c’est pour passer un moment de récréation, ou dans la vûë de se coriger, que Laurentie assiste tous les jours à la Comédie, où elle a vû jouër vingt fois sa pruderie sans s’en être corrigée. Il est vrai qu’on peut dire & le pour & le contre, par raport à la Comédie, & il ne faut que lire ce qu’en a dit Mr. de la Bruyére : mais, comme je viens de le dire, le mal n’est qu’accidentel à la Comédie, & cela par le mauvais usage des Hommes, qui d’une Récréation en font une ocupation ordinaire.

Mais je ne veux pas finir sans dire un mot des Opéra. Sans vouloir choquer la Musique qu’on y emploïe, il ne faut, à mon avis, qu’avoir assisté deux fois à un Opéra, pour tomber d’accord de ce que Mr. Ménage dit quelque part, que ce fut un Fou qui inventa l’Opéra. Tout y ressent parfaitement un tel inventeur ; le sujèt n’en est ordinairement qu’un Roman mal fagoté, & pour ce qui est de l’éxécution j’en apelle au bon-sens & à la raison. N’est-il pas du dernier ridicule de faire parler en chantant des Personnages souvent irritez jusqu’à la furie, souvent acablez de la plus vive douleur, souvent mourans.

Si dans cès quatre sortes de Divertissemens, ou Récréations, on ne trouve ni l’un ni l’autre des deux caractéres que j’ai indiqué, l’Innocence & la Modération, on les trouvera encore bien moins dans les Sociétez que je renvoïe à un autre Discours.

Avertissement.

On trouve chez H. Scheurleer, Libraire à la Haye, l’incomparable Elixir salutis de Montpellier, qui se fait uniquement par Mr. Jaques Fabre à Groningue, & surpasse de beaucoup en Vertu celui du Docteur Anglois Ant. Dafti, selon le témoignage de plusieurs Personnes qui se sont servis de l’un & de l’autre. Il se vend 24. sous la Bouteille.

Le même Libraire débite à présent une nouvelle Edition de la Morale Chrétienne, par Mr. la Placette, en deux volumes & augmentée de beaucoup par l’Auteur.

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer.

Et à Amsterdam chez Jean Wolters1714.

N°. xiv. Le Lundi 11. de Juin 1714. Nous ne sommes pas faits pour passer toute notre vie dans une oisive indolence. Il n’y a pas d’Homme qui ne doive s’ocuper, les uns d’une maniére, les autres d’une autre ; notre intérêt, la conservation même de notre santé éxige cela de nous : sans parler de la Loi du Créateur, tu mangeras ton Pain à la sueur de ton Corps, à laquelle il n’est que trop vrai qu’on ne fait pas plus d’atention que si elle n’avoit été prèscrite qu’à notre Pére Adam. Je réduis à trois espéces les différens objèts de nos ocupations. Les unes sont nécessaires, & il y en a de deux sortes, celles qui ont Dieu, le Prochain, & notre Salut pour objèt, & qui doivent être préférées à toutes les autres ; & celles qui regardent l’estime publique, la conservation de nos biens, ou les moïens d’en aquérir, & la santé. Je mets dans le second rang les ocupations utiles, qui nous conduisent à des conoissances, ou à des talens qui ne sont pas absolument nécessaires, mais qui nous atirent l’afection des Personnes qui ont le plus de goût & de discernement. Enfin, le dernier ordre des Ocupations renferme celles qu’on peut nommer agréables, & qui servent au délassement de l’esprit, qui ne peut être toûjours ocupé ; cette sorte d’ocupation doit être telle qu’on y fasse toûjours régner l’Innocence, & la Modération. Voici de la matiére pour de gros volumes que je vai <sic> renfermer dans les bornes étroites de ce Discours. Pour ce qui est des ocupations nécessaires, la plûpart des Hommes font semblant de s’y apliquer, du moins ils tâchent de le faire croire aux autres, en tout ce qui a raport à la Divinité, au Prochain, & à l’Ouvrage du Salut. Et quant à ce qui régarde l’aquisition & la conservation des biens, on les aime trop pour ne s’y pas ocuper, même beaucoup plus qu’on ne devroit. Les ocupations utiles ne sont pas de tous les âges, elles régardent sur tout les jeunes gens ; & c’est à ceux qui sont chargez du soin de leur éducation à voir qu’ils s’y apliquent comme ils le doivent ; comme je réserve cette matiére pour quelques Discours exprès, je dirai seulement en passant que rien ne me paroît plus déplorable que la conduite des Parens & des Maîtres en ceci. Passons aux ocupations agréables sur lesquels je veux particuliérement m’arrêter. J’ai déja insinué qu’elles doivent être innocentes & modérées. Voïons si nous trouverons cès deux caractéres dans les ocupations qu’on met ici au nombre des agréables & des récréatives. J’en trouve de cinq sortes, les Promenades, les Visites, les Caffez, les Spectacles, & les Sociétez. Les premiéres devroient servir ou à réparer une santé afoiblie, ou à conserver celle dont on jouït ; & on ne les fait servir qu’au faste & à l’ostentation, souvent même il s’y passe certaines Sénes qui ne peuvent qu’être très préjudiciables á la santé. Quelle diférence y a-t-il entre être dans sa chambre dans un fauteuil, ou à la promenade assis dans un Carosse dont toutes les glaces sont soigneusement fermées, afin d’observer le Cérémoniel avec scrupule en passant devant le Carosse d’un tel ou d’une telle. Je pose en fait qu’on conduise quelque Etranger au lieu où le beau Monde fait ce qu’on apelle se promener, & qu’on lui demande, en lui montrant ces doubles files de Carosses, que croïez-vous que font ici cès gens-là ? Il répondra, en les passant en revûë, que Crisante vient y faire voir son Equipage, ce Carosse fantasque, cette Livrée neuve, & cette addition de deux Laquais à son modique domestique : ce Comte Allemand couché presque de son long dans un Fiacre, tantôt une Lettre, tantôt une Rape, tantôt une Tabatiére à la main pour tâcher de s’y faire admirer ; la jeune Alix y vient montrer une nouvelle mode qu’elle a travaillé à inventer depuis trois mois ; sa Sœur qui est à côté d’elle vient seulement pour s’y faire voir à ses quatre adorateurs, & pour épier si elle n’en trouvera pas quelqu’un avec quelqu’autre beauté : il est vrai que Cermanto se proméne comme on doit se promener, c’est-à-dire en se servant de ses jambes, & joignant à l’utile de la Promenade l’agréable de la Conversation ; mais notre Etranger ne trouvera-t-il pas ridicule au suprême degré, que Cermanto se fasse suivre par son Carosse, comme s’il vouloit par-là signifier au Public, que s’il se proméne à pié, on doit croire que ce n’est pas par disette de Carosse. Combien le Voorbout ne nous fourniroit-il pas d’Originaux les uns plus risibles que les autres ; mais passons aux Visites. Nous ne parlons pas ici de ces sortes de Visites sérieuses, qu’on ne rend que pour parler d’affaires, ou pour briguer la faveur d’un Grand, ou pour entretenir celle qu’on a déja aquise. Je me borne à cès Visites qu’on peut apeller de récréation & de passe-tems. Mais comment s’y récrée-t-on, comment y passe-t-on le tems ? Pour l’innocence, on m’acordera qu’elle en est entiérement banie ; Car comme on y parle beaucoup on y dit beaucoup de chose très inutile ; ce seroit encore peu ; mais ne peut-on pas dire que ces conversations même les plus diversifiées sont des espéces de Rondeaux dont la chute est pour l’ordinaire, ou une fine Médisance, ou une flaterie grossiére, & quelque fois une insipide raillerie qui étant relevée cause des animositez & des haines criminelles. Comment ne juge-t-on pas dans ces Visites, les affaires du Prochain sans entendre les Parties ! & comme les Femmes y sont souvent en plus grand nombre, on y parle beaucoup, on y écoute peu, on y raisonne sur rien, on y décide de tout, & en un instant on y prononce vingt Arêts. Mais ce que je trouve encore de condamnable dans cette sorte de récréation, c’est qu’il y a des Gens qui en font leur ocupation principale, & qui y emploïent la plus considérable partie de leur tems. Tems, hélas ! qu’on perd sans ressource, puis qu’on n’en emploïe pas un instant à réfléchir sur soi-même, & qu’on ne s’ocupe que des autres, & même bien plus, puis que ce n’est que de leurs Vices & jamais de leurs Vertus. Je crois que voila un portrait assez au naturel de ce qui se passe dans les Visites, voïons ce qu’on fait aux Caffez. Il faut d’abord qu’on m’acorde que ce sont autant de rendez-vous de tous les Faineans d’une Ville. Ce seul trait sufiroit pour faire comprendre tout ce que ce peut être, & tout ce qu’on y fait. Les uns y goûtent à long trait le plaisir indicible de répandre dans la chambre des nuées d’une puante fumée. Demandez-leur quelle est l’utilité de cette ocupation, à peine en trouverez-vous un qui puisse vous satisfaire ; c’est la mode de fumer, c’est pourquoi on le fait : Mais comment le fait-on, en étoufant, pour ainsi dire, son Ame, ou du moins tout ce qu’on a d’Homme, je veux dire la Raison, dans la fumée d’une Pipe. Oui, j’ai vû Demiphon tellement extasié dans cette admirable ocupation, qu’il ne pensoit à aucune chose, pas même à sa Pipe, quand une fois il l’avoit à la bouche. Est-ce-là vivre en Homme ? Sorti de cette extase, on prend une Gazette, ou quelqu’une de cès nouvelles Rapsodies de Gazet-tes, & avec une vivacité qu’inspire ou la fumée du Tabac, ou le Caffé, on commence à régler les afaires d’Etat & à traiter la liberté de chimére avec l’une de ces rapsodies, & à prôner l’Union & la Concorde avec l’autre. On prescrit ensuite des Loix aux Souverains, on détrône les uns & fait le Procès aux autres, & tout cela très inutilement, puis qu’on sait que, quoi qu’on dise, quoi qu’on censure, quoi qu’on résolve dans de pareilles Assemblées, les choses n’en iront pas moins leur train. Il est assez ordinaire de passer du Caffé à l’Opéra, ou à la Comédie, c’est ce qu’on apelle Spectacle. Je me trouvai ces jours passez dans une Barque, où quatre Personnages, plus vénérables par leurs habits que par leur âge & leur Silence, frondoient terriblement cette sorte de récréation. Le sujèt de leur dispute étoit le Discours d’un Savant pro Comediâ ; contre lequel cès sévéres Moralistes lancérent toutes les foudres du Zèle le plus ardent & le plus mal entendu ; chacun avoit dit son sentiment & porté Arrêt contre l’Oraison & l’Auteur, lors qu’un de ces Messieurs demanda à celui qui étoit vis-à-vis de lui, s’il avoit lû un certain endroit qu’il lui cita. A Dieu ne plaise ! répondit l’autre promtement, car je n’ai jamais eu cette détestable Piéce dans les mains ; la patience m’échapa alors, je tirai le nez de mon manteau où je m’étois tenu envelopé pendant toute cette impertinente Conversation, & entonnant un Or-vatissimi ac. Doctissimi Conviatores, je me mis de la Partie : je tirai l’Oraison de ma poche, nous l’éxaminâmes, & je fis convenir ces quatre violens Critiques, que l’Auteur n’avoit rien dit que de très constant sur le chapitre de la Comédie, qui est très propre non seulement à instruire, mais même à coriger, nous en aportâmes des exemples, & nous tombâmes d’acord que la Comédie ne devenoit criminelle, comme quantité d’autres choses, que par le mauvais usage que les Hommes en font. En efét, me persuadera-t-on que c’est pour passer un moment de récréation, ou dans la vûë de se coriger, que Laurentie assiste tous les jours à la Comédie, où elle a vû jouër vingt fois sa pruderie sans s’en être corrigée. Il est vrai qu’on peut dire & le pour & le contre, par raport à la Comédie, & il ne faut que lire ce qu’en a dit Mr. de la Bruyére : mais, comme je viens de le dire, le mal n’est qu’accidentel à la Comédie, & cela par le mauvais usage des Hommes, qui d’une Récréation en font une ocupation ordinaire. Mais je ne veux pas finir sans dire un mot des Opéra. Sans vouloir choquer la Musique qu’on y emploïe, il ne faut, à mon avis, qu’avoir assisté deux fois à un Opéra, pour tomber d’accord de ce que Mr. Ménage dit quelque part, que ce fut un Fou qui inventa l’Opéra. Tout y ressent parfaitement un tel inventeur ; le sujèt n’en est ordinairement qu’un Roman mal fagoté, & pour ce qui est de l’éxécution j’en apelle au bon-sens & à la raison. N’est-il pas du dernier ridicule de faire parler en chantant des Personnages souvent irritez jusqu’à la furie, souvent acablez de la plus vive douleur, souvent mourans. Si dans cès quatre sortes de Divertissemens, ou Récréations, on ne trouve ni l’un ni l’autre des deux caractéres que j’ai indiqué, l’Innocence & la Modération, on les trouvera encore bien moins dans les Sociétez que je renvoïe à un autre Discours. Avertissement. On trouve chez H. Scheurleer, Libraire à la Haye, l’incomparable Elixir salutis de Montpellier, qui se fait uniquement par Mr. Jaques Fabre à Groningue, & surpasse de beaucoup en Vertu celui du Docteur Anglois Ant. Dafti, selon le témoignage de plusieurs Personnes qui se sont servis de l’un & de l’autre. Il se vend 24. sous la Bouteille. Le même Libraire débite à présent une nouvelle Edition de la Morale Chrétienne, par Mr. la Placette, en deux volumes & augmentée de beaucoup par l’Auteur. A la Haye, Chez Henri Scheurleer. Et à Amsterdam chez Jean Wolters1714.