E quibus unus avet quavis aspergere cunctis
Præter eum qui præbet aquam, post hunc quoque.
Souvent vous voyez à une table entourée de Convives, un homme qui déchire tout le monde, excepte celui qui l’abbreuve ; &, dez que le vin l’étourdit, il n’épargne pas meme d’hôte de la maison.
La lettre suivante est pleine d’une heureuse imagination ; &, dans une allegorie juste & suivie, elle unit des objets & des Caracteres, qui paroissent presque incompatibles aux esprits du commun. Comme je crois y connoitre le stile d’un de nos plus beaux génies, je donnerai cette piece sans autre préambule.
Monsieur.
Il y a une espece de gens, qui s’occupe entiérement de l’emploi dénaturé de recueillir certains bruits sourds, qui courent dans le monde, & de leur donner plus de force & d’étendue. Plus ces bruits sont injurieux aux honnestes-gens, & plus ces personnes se font un délice de les répandre au long & au large, avec les additions nécessaires.
L’indiscretion, qui nous porte à nous mêler des affaires d’autrui, peut se défendre par certaines raisons plausibles. Ce peut n’être qu’une curiosité, qui n’est pas mal intentionnée ; ou bien un desir naturel d’être informé des actions de ceux, dont il est de notre intérêt de connoitre le Caractere, parce qu’il faut de nécessité que nous ayons quelque commerce avec eux : il n’est pas impossible même que ce soit une envie raisonnable de profiter des fautes & des égaremens du prochain, & d’éviter les écueils sur maux spirituels de son prochain, déchire le bandage qui les couvroit, les expose à l’air, & y fait naitre la gangrêne par le venin de ses railleries.
Quelque inhumanité, qu’il y ait dans cette conduite, il y en a une autre qui avilit bien d’avantage la dignité de notre nature. C’est peu de répandre par tout les foiblesses, les extravagances, & les crimes des hommes : on se plait à en charger les tableaux, & à suppléer à la vérité par l’invention. On enfante des caracteres afreux, afin de rompre les liens de la charité, & de nous rendre odieux les uns aux autres. C’est par
J’ai réflechi souvent sur cette abominable difformité du cœur humain, avec une profonde tristesse, & avec un desir aussi ardent que sincere d’en découvrir les causes, afin de pouvoir appliquer les remedes convenables à cette maladie de l’ame. Un jour occupé de ces pensées, enséveli dans cette mortifiante méditation, je tombai dans une espece d’extaze : je me crus transporté dans le monde des idées, & j’y vis différentes qualitez de l’esprit humain sous une forme visible, &
écho repétoit quelque chose de tout ces bruits différents, & les rassembloit tous dans un tintamare aussi confus que desagréable. Ce cachos de sons devenoit fatiguant de plus en plus & j’étois sur le point de me boucher les oreilles, quand je vis paroitre un homme habillé en Héraut. On l’appelloit , & il s’avança d’une démarche grave, pour annoncer une fête, qui devoit se donner dans le palais de la Renommée. Il avoit à sa suite trois Nymphes d’une figure très irréguliere. L’une nommée étoit habillée en Vierge, & elle avoit autour de sa tête monstrueuse cent oreilles, qui suffisoient encore à peine à satisfaire à son penchant naturel. L’autre, qui paroissoit d’un âge plus mûr & qu’on nommoit jeune femme : sa bouche étoit armée de cent langues continuellement occupées à répandre autour d’elle les avantures les plus merveilleuses. La troisieme étoit la veuve ; sa tête étoit remplie d’autant d’yeux, qu’en eut autrefois Argus, & elle étoit tellement louche de chaque œil, qu’il étoit impossible de voir, par le secours du quel elle s’instruisoit de chaque sujet, qui donnoit de la matiere à ses malignes Censures. Ces Dames à ce que j’appris, avoient rendu autrefois un important service à la Déesse Renommée, quand au milieu d’une fête qu’elle donnoit elle fut obligée de se cacher dans la foule de ses adorateurs pour échapper aux recherches de la Vérité. Elle fut retrouvée d’abord par
Derriere elles, marchoit d’un petit air étourdi une jeune fille d’une Phisionomie ouverte, mais stupide. Son nom étoit d’argent avec une Cuillere du même metail, & une Lampe dont la lumiere étoit pénétrante, quoiqu’un peu sombre, & bleuatre. Elle s’étoit mise au service de ces trois Dames, parce qu’à cause du nombre de leurs
Cette espece de procession étoit fermée par quelques personnes, couvertes, de la tête jusqu’aux pieds, de grandes robbes, qui m’empechoient de les connoitre. Celle, qui étoit la plus avancée, m’appella tout doucement par mon nom ; &, s’approchant de mon oreille, Je suis bien aize, me dit-elle, de vous voir ici : tenez vous toujours auprez de moi, & remarquez bien chaque particularité de tout ce qui va se passer à nos yeux. La voix de cette personne étoit agréable ; il me sembloit l’avoir entendue quelque part : la persuasion sembloit couler de ses levres, & il me paroissoit impossible de ne se pas soumettre avec plaisir à l’aimable autorité de ses ordres. Je lui obéis ponctuellement, & & <sic> j’appris d’elle le but de tous les Misteres, dont je vais faire mention.
Nous avançions toujours au milieu d’un bruit sourd de Rumeurs trompeuses, qui sembloit s’augmenter à chaque pas, & enfin nous arrivames tous ensemble au temple de la Renommée, devant les autels de laquelle devoit tomber ce jour là une Hécatombe de réputations saines & sans tache. Ce batiment étoit placé sur une éminence : il y avoit mille entrées, & autant de souterrains artistement construits, pour conduire au long & au large des parolles dites à l’oreille : & la salle, où je fus conduit par la procession, étoit voutée comme un théatre d’Opera ; ce qui augmentoit extrémement la force de toutes sortes de sons.
malignité.
A peine se fut-on acquitté de ce devoir mistérieux, que personne, qu’elles devoient réprésenter pendant le sacrifice ; & trompette parlante, qui annonçoit à ces Prêtresses, que leur sacrifice étoit agréable à la Divinité du lieu, & qui leur en promettoit la protection, & les faveurs. Là dessus d’afreuses tenebres s’etendent dans tout le temple ; & il s’y leve une tempête horrible, dont le bruit ressembloit è des soupirs, & à des gémissements images de cire, soufrent une douleur réelle, par les maux, dont ils viennent d’être accablez en effigie. Cette nouvelle les charme : elles la reçoivent, avec de longs éclats de rire ; & elles se félicitent mutuellement de leur pouvoir, & de leur habileté.
Mais la joye, qui semble inonder leur cœur, n’est pas de longue Durée. La Personne, dont je ne m’étois point écarté d’un seul pas, ne pouvant plus supporter un procédé si inhumain, jette la robbe, dont la prudence la couvre souvent, & se fait connoitre tout-à-coup pour la
J’étois ravi d’un changement si inopiné ; j’attendois avec impatience les punitions, qui devoient suivre naturellement des crimes si noirs ; & je donnois carriere à mon imagination sur la nature des supplices, qui pouvoient être infligés aux coupables. Si j’avois été à la place de la
Mais, mes idées n’étoient pas celles de la génie de la honte un de ses ministres, qui le demanda lui-même, afin de pouvoir être sûr de sa prisonniere, dont il craignoit fortement l’évasion. La Vérité y consentit, en partie pour punir cette extravagante, & en partie pour la retirer de ses égaremens. Le Collegue, de pouvoir être enchainé à
Dès que ces sentences furent mises en éxécution, la Déesse chassa les coupables de sa présence, & leur ordonna de se promener par tout le monde, avec leur Hérault de Caractere équivoque nommé
La réalitez, dont elles ne sont que les images. »
Fin du premier Tome.