N°. V. Anonym [Jean Rousset de Missy / Nicolas de Guedeville] Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Hannah Bakanitsch Mitarbeiter Lilith Burger Mitarbeiter Elisabeth Hobisch Herausgeber Veronika Mussner Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 27.04.2018 o:mws.6412 Anonym: Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye. La Haye: Henri Scheurleer, 1715, 33-40 Le Censeur ou Caractères des Mœurs de la Haye 1 005 1715 [1714] Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Liebe Amore Love Amor Amour Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Italy 12.83333,42.83333 Netherlands The Hague The Hague 4.29861,52.07667 Spain -4.0,40.0 France 2.0,46.0 Portugal -8.13057,39.6945

N°. V.

Le Lundi 9. d’Avril 1714.

La jalousie est l’un des plus grands maux ; & celui qui souvent fait le moins de pitié aux personnes qui en font le sujet, quoi qu’ordinairement elle leur cause autant de chagrin qu’à ceux qui en sont possédez. Voila mon Texte, Alidore ; vous êtes celui de mes Lecteurs que j’ai aujourd’hui en vûe ; en un mot vous êtes l’Original que je vai copier.

Nouveau débarqué dans ce Païs, je passai devant votre Hotel. Les singularitez que j’y remarquai me donnérent envie de m’informer quel en étoit le Locataire. Voici ce qu’on m’en dit, le Portrait vous ressemble-t-il ? L’Italie, l’Espagne, le Portugal, fourniroient à peine un Homme aussi jaloux que le Maître de ce Palais, me dit Damon votre Ami ; Cès fenêtres faites autrefois pour la récréation de ceux qui habiteroient dans cès chambres, Alidore les a condamnées : chaque Volèt a sa Serrure, & les Clefs en sont gardées avec soin dans son Cofre fort ; s’il a eu l’indulgence de n’en pas faire autant à celles du second Etage, les Vîtres en sont du moins Cadenacées, & il n’est permis à personne de les ouvrir, ne croïez pas, ajoûta Damon, qu’Alidore préne tant de précaution contre le mauvais air, il craint bien davantage la masculine espéce.

Une jeune Personne, la plus aimable de la Province, dont il a fait, dirai-je son Epouse, ou son Esclave, depuis quelques années, lui fait commettre toutes ces impertinences. Comme si la fidélité conjugale ne pouvoit se trouver unië à tous les charmes d’une beauté acomplie, Alidore garde sa Corine à vûë, & tremble non seulement qu’elle voïe, mais même qu’elle soit vûë d’un seul homme.

Corine dans cette espéce de Cloître, est sans doute heureuse, répondis-je à Damon ? Adorée de ce vigilant Epoux, son sort ne peut être qu’envié de plus d’une Femme à qui l’on ne donne souvent plus de liberté que parce qu’on les aime moins.

Vous vous trompez, Monsieur, reprit promtement mon Conducteur. Alidore jaloux, n’est pas Alidore Amant. La ja-lousie naît toûjours avec l’Amour, mais celui-ci en mourant laisse souvent l’autre dans toute sa vigueur. Je n’oserois dire qu’Alidore ait de la haine pour Corine, mais comme un cœur ne peut être à deux à la fois, je puis assurer qu’il ne l’aime pas, puis qu’il se livre tout entier à la jeune Polide, à qui il sacrifie sans raison tous les charmes de son aimable & infortunée Epouse.

Cessez, Damon, m’écriai-je, cessez ; je n’en ai entendu que trop. Hâtons-nous de nous éloigner d’une Maison où l’on respire un air si corompu. Je reconnois l’Homme à ce que vous venez de me raconter d’Alidore. Injuste, il est toûjours prêt à condamner dans autrui, ce qu’il aime à se permettre à lui-même. Alidore jaloux d’une chaste Epouse, & Alidore Adultére : Quel afreux contraste ! comment peut-on penser que la Raison guide un Etre si monstrueux.

Mais à quoi bon déclamer ? Raisonnons, Alidore ; connoissiez-vous Corine quand vous l’avez épousée ? Ignoriez-vous que ses traits plus vifs, avant que vos mauvaises humeurs les eussent ternis, ne pouvoient être vûs sans être adorez ? N’en avez-vous pas fait vous-même l’expérience avec plaisir ? Si Corine étoit vertueuse, quand, encore plus aimable qu’aujourd’hui, elle étoit maîtresse de ses faveurs, pourquoi sa Vertu vous devient-elle maintenant suspecte ? Aïez honte, Alidore, d’avoir épousé une Femme, moins pour en être le Mari, que pour être en droit d’en devenir l’impitoïable Tyran !

N’allez pas me dire, qu’aïant pris Corine pour sa beauté, c’étoit plus pour vous satisfaire, que pour vous engager à n’aimer qu’elle. Cès pensées libertines sont bonnes à être débitées aux pieds de votre Polide. Corine est aimable, mais elle n’est pas moins sage ; elle n’a des yeux que pour vous ; c’est votre fureur seule qui fait tout son crime. Revenez à votre bon sens, Alidore, ouvrez les yeux sur les Vertus de cette Epouse, comparez son Amour avec votre indiférence, sa patience avec vos inquiétudes, sa fidélité avec votre passion pour Polide. Soïez équitable au moins une fois en votre vie, & avoüez que Corine innocente mérite toute votre afection, & que vos soupçons sont autant de Crimes : En êtes-vous-là, je vous dirai comme un célébre Comte de Hollande à un Juge inique, qui venoit de réparer une injustice criante, Vous avez réparé le tort, il faut satisfaire à la Justice ofensée ; Ce n’est pas assez d’avoir rendu à votre Epouse ce que vous lui devez, il faut satisfaire à votre conscience déchirée.

Examinons quelle est cette passion, cette jalousie qui posséde toute votre ame ; n’est-ce pas un composé afreux de jugemens téméraires, de soupçons mal fondez, & d’injustices énormes ; ces vices sont comme la base de la jalousie, qui le plus souvent tire son origine d’une parfaite ignorance ; car, comme quelqu’un a fort bien remarqué, dès qu’un Jaloux commence à voir clair, ou sa jalousie cesse, ou elle se change en fureur.

Disons quelque chose de plus fort, Alidore, avoüez que votre état est le plus pitoïable qu’on puisse imaginer. Il n’en est pas de la jalousie comme des autres Passions. La Colére, par éxemple, vous posséde-t-elle, elle vous donne quelque relâche. Il en est de même de l’Envie, de l’Ambition, de l’Amour du plaisir, de l’atachement au Jeu. Mais s’est-on une fois laissé aller à la Jalousie, elle vous poursuit, elle vous talonne sans cesse : Une Feuille d’Arbre vous éfraïe, une Ombre vous donne l’Alarme, le cris d’un Oiseau vous jette dans de sombres réflé-xions, & souvent vous fait prendre des résolutions extrêmes ; le Vent ferme-t-il une Fenêtre, ouvre-t-il une Porte mal fermée, la Jalousie est incontinent à vos trousses, & ne vous laisse jamais dans une assiéte tranquile. Le Sommeil même qui dévroit être l’asile & le refuge des Hommes dans toutes leurs peines & dans tous leurs soins, est pour le Jaloux un nouveau champ d’inquiétudes & de fraïeurs ; j’oserois même avancer, que les Draps mêmes de son lit lui font ombrage. Je ne veux pas salir ma Censure du recit d’un Songe de certain Jaloux à qui Jupiter mit certain Anneau au doigt. Mais concluons de tout ce que je viens de dire, que la situation de votre Ame, Alidore, est la plus triste qui puisse s’imaginer ; & ce qui vous rend encore plus digne de compassion, vous êtes & l’Auteur de vos maux & votre propre Boureau.

Peut-être ma Leçon vous émeut-elle la bile ? Alidore, quelque facheuse que soit la Conversation des gens qui aiment à corriger, il faut cependant toûjours être prêt à se rendre à la Vérité, & à la recevoir de quelque part qu’elle nous vienne. Je vous avouërai même ingénûment, que je me saurois bon gré si je m’apercevois un jour que mes réfléxions vous eussent corrigé. Mais comme la jalousie n’est pas votre seul Crime, permétez-moi de vous dire un mot de vos infames Amours, ou plûtôt du comble de vos Crimes.

Encore ! Vous écriez-vous ! Mais c’est vous que vous devez en acuser. Soïez moins vicieux, Alidore, j’aurai moins à coriger. Polide est adorable à vos yeux, vous lui sacrifié Biens, Repos, Epouse, Conscience, Réputation. Elle doit sans doute être reconnoissante pour de telles victimes. Mais en devez-vous être plus hûreux ? Car enfin, qu’est-ce que cette Polide ? Quel sang coule dans ses veines ? Qu’un sang infame, & je ne pourois nommer la bassesse de son extraction sans vous démasquer plus que je ne me le suis proposé. Ne deviez-vous pas être content d’avoir entretenu avec tant d’éclat la Phrinée de cette Ville, & d’avoir été la cause de sa misérable fin ; ignorez-vous ce que les plus débauchez mêmes disent de l’irrégularité de votre conduite ? Jugez de là ce qu’en pensent les Gens de bien. Mais, excès d’extravagances ! Peu content de vous porter au plus grand crime avec cette Créature, car vous ne pouvez donner à votre infame Commerce, le nom spécieux de Galanterie ; vous osez rendre votre innocente Epouse témoin de vos desordres, & vous faite sa Gardienne de celle qui lui enléve les douceurs qu’elle devroit goûter dans la possession de votre cœur. Que vous avez bon air après cela, de vous ériger en Jaloux ! Quand votre Epouse seroit capable de tomber dans quelque irrégularité, auriez-vous droit de vous en plaindre, ne lui en donnez-vous pas l’exemple. Mais en voila assez, réfléchissez sur ce hideux Portrait, c’est le votre, Alidore. Respectez les sacrez neuds de l’Hymen, estimez un peu plus votre Réputation, rendez justice à la Vertu d’une innocente beauté ; ou resolvez-vous à être pour toûjours l’Horreur des gens-de-bien. Mais au moins, fasse le Ciel que ceux qui imitent votre conduite soient éfraïez de votre état, & assez pour éviter desormais tout ce qui peut les y conduire.

A la Haye,

Chez Henri Scheurleer, sur le

Cingel, près de la Cour, à l’Enseigne d’Erasme. 1714.

N°. V. Le Lundi 9. d’Avril 1714. La jalousie est l’un des plus grands maux ; & celui qui souvent fait le moins de pitié aux personnes qui en font le sujet, quoi qu’ordinairement elle leur cause autant de chagrin qu’à ceux qui en sont possédez. Voila mon Texte, Alidore ; vous êtes celui de mes Lecteurs que j’ai aujourd’hui en vûe ; en un mot vous êtes l’Original que je vai copier. Nouveau débarqué dans ce Païs, je passai devant votre Hotel. Les singularitez que j’y remarquai me donnérent envie de m’informer quel en étoit le Locataire. Voici ce qu’on m’en dit, le Portrait vous ressemble-t-il ? L’Italie, l’Espagne, le Portugal, fourniroient à peine un Homme aussi jaloux que le Maître de ce Palais, me dit Damon votre Ami ; Cès fenêtres faites autrefois pour la récréation de ceux qui habiteroient dans cès chambres, Alidore les a condamnées : chaque Volèt a sa Serrure, & les Clefs en sont gardées avec soin dans son Cofre fort ; s’il a eu l’indulgence de n’en pas faire autant à celles du second Etage, les Vîtres en sont du moins Cadenacées, & il n’est permis à personne de les ouvrir, ne croïez pas, ajoûta Damon, qu’Alidore préne tant de précaution contre le mauvais air, il craint bien davantage la masculine espéce. Une jeune Personne, la plus aimable de la Province, dont il a fait, dirai-je son Epouse, ou son Esclave, depuis quelques années, lui fait commettre toutes ces impertinences. Comme si la fidélité conjugale ne pouvoit se trouver unië à tous les charmes d’une beauté acomplie, Alidore garde sa Corine à vûë, & tremble non seulement qu’elle voïe, mais même qu’elle soit vûë d’un seul homme. Corine dans cette espéce de Cloître, est sans doute heureuse, répondis-je à Damon ? Adorée de ce vigilant Epoux, son sort ne peut être qu’envié de plus d’une Femme à qui l’on ne donne souvent plus de liberté que parce qu’on les aime moins. Vous vous trompez, Monsieur, reprit promtement mon Conducteur. Alidore jaloux, n’est pas Alidore Amant. La ja-lousie naît toûjours avec l’Amour, mais celui-ci en mourant laisse souvent l’autre dans toute sa vigueur. Je n’oserois dire qu’Alidore ait de la haine pour Corine, mais comme un cœur ne peut être à deux à la fois, je puis assurer qu’il ne l’aime pas, puis qu’il se livre tout entier à la jeune Polide, à qui il sacrifie sans raison tous les charmes de son aimable & infortunée Epouse. Cessez, Damon, m’écriai-je, cessez ; je n’en ai entendu que trop. Hâtons-nous de nous éloigner d’une Maison où l’on respire un air si corompu. Je reconnois l’Homme à ce que vous venez de me raconter d’Alidore. Injuste, il est toûjours prêt à condamner dans autrui, ce qu’il aime à se permettre à lui-même. Alidore jaloux d’une chaste Epouse, & Alidore Adultére : Quel afreux contraste ! comment peut-on penser que la Raison guide un Etre si monstrueux. Mais à quoi bon déclamer ? Raisonnons, Alidore ; connoissiez-vous Corine quand vous l’avez épousée ? Ignoriez-vous que ses traits plus vifs, avant que vos mauvaises humeurs les eussent ternis, ne pouvoient être vûs sans être adorez ? N’en avez-vous pas fait vous-même l’expérience avec plaisir ? Si Corine étoit vertueuse, quand, encore plus aimable qu’aujourd’hui, elle étoit maîtresse de ses faveurs, pourquoi sa Vertu vous devient-elle maintenant suspecte ? Aïez honte, Alidore, d’avoir épousé une Femme, moins pour en être le Mari, que pour être en droit d’en devenir l’impitoïable Tyran ! N’allez pas me dire, qu’aïant pris Corine pour sa beauté, c’étoit plus pour vous satisfaire, que pour vous engager à n’aimer qu’elle. Cès pensées libertines sont bonnes à être débitées aux pieds de votre Polide. Corine est aimable, mais elle n’est pas moins sage ; elle n’a des yeux que pour vous ; c’est votre fureur seule qui fait tout son crime. Revenez à votre bon sens, Alidore, ouvrez les yeux sur les Vertus de cette Epouse, comparez son Amour avec votre indiférence, sa patience avec vos inquiétudes, sa fidélité avec votre passion pour Polide. Soïez équitable au moins une fois en votre vie, & avoüez que Corine innocente mérite toute votre afection, & que vos soupçons sont autant de Crimes : En êtes-vous-là, je vous dirai comme un célébre Comte de Hollande à un Juge inique, qui venoit de réparer une injustice criante, Vous avez réparé le tort, il faut satisfaire à la Justice ofensée ; Ce n’est pas assez d’avoir rendu à votre Epouse ce que vous lui devez, il faut satisfaire à votre conscience déchirée. Examinons quelle est cette passion, cette jalousie qui posséde toute votre ame ; n’est-ce pas un composé afreux de jugemens téméraires, de soupçons mal fondez, & d’injustices énormes ; ces vices sont comme la base de la jalousie, qui le plus souvent tire son origine d’une parfaite ignorance ; car, comme quelqu’un a fort bien remarqué, dès qu’un Jaloux commence à voir clair, ou sa jalousie cesse, ou elle se change en fureur. Disons quelque chose de plus fort, Alidore, avoüez que votre état est le plus pitoïable qu’on puisse imaginer. Il n’en est pas de la jalousie comme des autres Passions. La Colére, par éxemple, vous posséde-t-elle, elle vous donne quelque relâche. Il en est de même de l’Envie, de l’Ambition, de l’Amour du plaisir, de l’atachement au Jeu. Mais s’est-on une fois laissé aller à la Jalousie, elle vous poursuit, elle vous talonne sans cesse : Une Feuille d’Arbre vous éfraïe, une Ombre vous donne l’Alarme, le cris d’un Oiseau vous jette dans de sombres réflé-xions, & souvent vous fait prendre des résolutions extrêmes ; le Vent ferme-t-il une Fenêtre, ouvre-t-il une Porte mal fermée, la Jalousie est incontinent à vos trousses, & ne vous laisse jamais dans une assiéte tranquile. Le Sommeil même qui dévroit être l’asile & le refuge des Hommes dans toutes leurs peines & dans tous leurs soins, est pour le Jaloux un nouveau champ d’inquiétudes & de fraïeurs ; j’oserois même avancer, que les Draps mêmes de son lit lui font ombrage. Je ne veux pas salir ma Censure du recit d’un Songe de certain Jaloux à qui Jupiter mit certain Anneau au doigt. Mais concluons de tout ce que je viens de dire, que la situation de votre Ame, Alidore, est la plus triste qui puisse s’imaginer ; & ce qui vous rend encore plus digne de compassion, vous êtes & l’Auteur de vos maux & votre propre Boureau. Peut-être ma Leçon vous émeut-elle la bile ? Alidore, quelque facheuse que soit la Conversation des gens qui aiment à corriger, il faut cependant toûjours être prêt à se rendre à la Vérité, & à la recevoir de quelque part qu’elle nous vienne. Je vous avouërai même ingénûment, que je me saurois bon gré si je m’apercevois un jour que mes réfléxions vous eussent corrigé. Mais comme la jalousie n’est pas votre seul Crime, permétez-moi de vous dire un mot de vos infames Amours, ou plûtôt du comble de vos Crimes. Encore ! Vous écriez-vous ! Mais c’est vous que vous devez en acuser. Soïez moins vicieux, Alidore, j’aurai moins à coriger. Polide est adorable à vos yeux, vous lui sacrifié Biens, Repos, Epouse, Conscience, Réputation. Elle doit sans doute être reconnoissante pour de telles victimes. Mais en devez-vous être plus hûreux ? Car enfin, qu’est-ce que cette Polide ? Quel sang coule dans ses veines ? Qu’un sang infame, & je ne pourois nommer la bassesse de son extraction sans vous démasquer plus que je ne me le suis proposé. Ne deviez-vous pas être content d’avoir entretenu avec tant d’éclat la Phrinée de cette Ville, & d’avoir été la cause de sa misérable fin ; ignorez-vous ce que les plus débauchez mêmes disent de l’irrégularité de votre conduite ? Jugez de là ce qu’en pensent les Gens de bien. Mais, excès d’extravagances ! Peu content de vous porter au plus grand crime avec cette Créature, car vous ne pouvez donner à votre infame Commerce, le nom spécieux de Galanterie ; vous osez rendre votre innocente Epouse témoin de vos desordres, & vous faite sa Gardienne de celle qui lui enléve les douceurs qu’elle devroit goûter dans la possession de votre cœur. Que vous avez bon air après cela, de vous ériger en Jaloux ! Quand votre Epouse seroit capable de tomber dans quelque irrégularité, auriez-vous droit de vous en plaindre, ne lui en donnez-vous pas l’exemple. Mais en voila assez, réfléchissez sur ce hideux Portrait, c’est le votre, Alidore. Respectez les sacrez neuds de l’Hymen, estimez un peu plus votre Réputation, rendez justice à la Vertu d’une innocente beauté ; ou resolvez-vous à être pour toûjours l’Horreur des gens-de-bien. Mais au moins, fasse le Ciel que ceux qui imitent votre conduite soient éfraïez de votre état, & assez pour éviter desormais tout ce qui peut les y conduire. A la Haye, Chez Henri Scheurleer, sur le Cingel, près de la Cour, à l’Enseigne d’Erasme. 1714.