Cum quibus erat cunque unà, iis sese dedere,
Eorum obsequi studiis, adversus nemini :
Nunquam præponens se aliis. Ita facillimè
Sine invidiâ invenias laudem, & amicos pares.
Ter. Andr. Act. i. Sc. i. 35.
Dacier.Voici la maniere dont il vivoit : Il avoit une complaisance extrême pour les gens avec qui il étoit d’ordinaire, il se donnoit tout à eux, il vouloit tout ce qu’ils vouloient ; il ne contredisoit jamais, & jamais il ne s’estimoit plus que les autres. De cette maniere il n’est pas difficile de s’attirer des louanges sans envie, & de se faire des amis.
On pourroit prévenir une bonne moitié des miseres qui accompagnent cette Vie, si l’on y emploïoit les offices mutuels de la Compassion, de la Bienveillance & de l’Humanité. Il n’y a donc rien qui mérite plus d’être encouragé, soit en nous-mêmes ou dans les autres, que cette disposition d’Esprit que nous appellons ordinairement un bon Naturel, & qui sera le sujet de ce Discours.
Le bon Naturel est plus agréable en Conversation que l’Esprit, & donne au Visage un certain air qui a plus d’attraits que la Beauté. Il met la Vertu dans son plus grand jour, diminue en quelque maniere la laideur du Vice, & rend la Folie & l’Impertinence même suportables.
On ne sauroit avoir aucune Societé dans le Monde sans ce bon Naturel, ou quelque chose qui en ait l’apparence, & qui tienne sa place. De là vient qu’on s’est vû réduit à forger une Humanité artificielle, qu’on exprime par le mot de bonne Education. Du moins, si l’on examine de près l’idée que l’on attache à ce terme, on verra que ce n’est autre chose que la Copie ou le Singe du bon Naturel, ou si l’on veut, l’affabilité, la complaisance &
Ces dehors d’Humanité rendent un Homme les délices du Peuple, lorsqu’ils se trouvent fondez sur la Bonté reelle du cœur ; mais sans elle, ils ressemblent à l’Hypocrisie en fait de Religion, ou à une vaine apparence de Sainteté, qui n’est pas plutôt découverte, qu’elle rend un Homme plus abominable que l’Athéisme.
Le bon Naturel naît d’ordinaire avec nous ; La santé, la prosperité & le bon accueil le suivent par-tout où il se trouve : mais rien n’est capable de le produire là où il ne croît pas de lui même. C’est un des Fruits d’un heureux Temperament que l’Education peut cultiver, mais qu’elle ne ne donne pas.
, C’est la dans la Vie de son Prince imaginaire, qui doit servir de Modèle aux véritables, ne cesse de louer le bon Naturel de son Heros : Il nous dit que cette Humanité nâquit avec lui, & il rapporte divers exemples qu’il en donna dans son enfance, aussi-bien que dans tous les autres périodes de sa Vie. Ce n’est pas tout, il nous le dépeint content & satisfait à son Lit de Mort, de ce que son Ame retourneroit à son Créateur, & que son Corps, réuni à la Mere commune de toutes choses, deviendroit par là utile au Genre Humain. Ce fut aussi pour cette même raison, qu’il laissa un ordre exprès à ses Fils de ne le point mettre dans des Châsses
Un Auteur, capable de se former un si beau Portrait de l’Humanité, ne pouvoit qu’avoir l’Ame remplie de grandes idées, & d’une bienveillance universelle pour le Genre Humain.
, où
D’ailleurs, cet Acte d’un bon Naturel, qui consiste à ne pas relever, & même à pardonner les fautes de son Prochain, ne doit s’exercer qu’entre les Particuliers, & dans le commerce ordinaire de la Vie civile ;
C’est presque une Maxime reçue dans le Monde, que les Gens d’un bon Naturel n’ont pas toujours le plus d’Esprit ; mais elle me paroît très mal fondée. Du moins les plus grands Esprits, que j’ai connus, se distinguent par leur Humanité. Ainsi je croirois que cette opinion doit son origine à deux sources. L’une est que le méchant Naturel passe d’ordinaire pour de l’Esprit. Un trait malin & hardi flate tant de petites Passions dans ceux qui l’entendent, qu’il ne manque presque jamais d’être bien reçu. On en rit d’abord, & l’Auteur du bon Mot, est regardé comme un bel Esprit satirique. De là vient sans doute qu’une infinité de ces agréables Railleurs paroissent si plats, lorsqu’ils se mêlent de faire imprimer leurs Niaiseries ; le Public est plus juste que les Assemblées des Particuliers, où ils brillent, & il fait mieux distinguer le bon Esprit de l’Envie ou de la Malice.
L’autre source, qui me paroît avoir donné lieu à la fausse Idée que je combats, vient peut-être de ce qu’un bon Naturel est disposé à compâtir à ces malheurs ou à ses infirmitez, qu’un autre tourneroit en ridicule, pour obtenir la réputation de bel Esprit. L’Homme d’un méchant Naturel, quoiqu’il n’ait pas des talens superieurs, se donne une plus vaste carriere ; il expose à la vûe de tout le monde ces défauts de la
L.