Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "No. 33", in: Le Monde comme il est (Bastide), Vol.2\003 (1760), S. 25-36, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.3475 [aufgerufen am: ].


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Feuille du Mardi 3 Juin 1760.

Ebene 2► Metatextualität► Suite de la Feuille précédente. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Allgemeine Erzählung► Mademoiselle de * * * redoutoit infiniment cette conversation : en effet il n’en pouvoit rien résulter de bon, du caractere dont étoit celle qu’on vouloit fléchir. Il y a bien des sortes de passion qui prennent le nom d’amour, il n’y en a qu’une seule qui soit réellement de l’amour ; on la reconnoît à la générosité qui l’accompagne : toutes les autres se signalent tôt ou tard par des traits de barbarie lorsqu’elles sont contrariées.

Mademoiselle de * * * me pria d’empêcher que la Barre n’eût cet entretien redoutable. Je le lui promis, & tins [26] parole ; j’obtins encore de lui qu’il nous laisseroit agir seuls. C’étoit une victoire remportée ; mais il falloit toujours s’attendre à voir un esprit aussi bouillant, incapable de docilité dans des circonstances plus importantes. Mademoiselle * * * avoit toujours cette pensée tourmentante : sans se plaire à prévoir un avenir malheureux, elle étoit accablée d’un poids de douleur, qu’à peine je pouvois rendre plus léger en le supportant avec elle : je la voyois pleurer chaque jour, & ses larmes couloient dans mon cœur. Je me mettois à ses genoux, je lui disois tout ce que peut consoler ; mais en me flattant, en me montrant toute la douleur qu’elle trouvoit dans mon amitié, je voyois le plus grand chagrin.

Nous passions des heures ensemble à nous consulter. Il étoit toujours question d’attendrir Madame de * * * ; nous rejettions mille expédiens, & nous en imaginions de nouveaux ; [27] quelques-uns auroient réussi ; mais la Barre gâtoit tout. L’amitié, selon lui, ne marchoit point assez vîte, l’esprit raisonnoit trop sensément, il n’étoit content de rien, ni de personne. Il nous tourmentoit tous, nous outrageoit tous : s’il trouvoit Mademoiselle de * * * un peu triste, il l’accusoit d’avoir changé, & j’éprouvois son ressentiment comme elle. Enfin nous essayâmes tous les moyens sur l’esprit de Madame de  * * *, aucun ne réussit ; & tous lui faisant juger que la passion de la Barre étoit extrême, elle porta la jalousie ou plutôt le ressentiment, jusqu`à lui faire fermer sa maison. Je sçus les ordres qu’elle avoit donnés, & je frémis des suites qu’ils pourroient avoir. Pour les prévenir, je parlai à la Barre ; mais je trouvai un esprit emporté, qui ne connoissoit plus d’amitié ni de raison que dans l’applaudissement à ses fureurs. Je n’ai plus besoin de votre amitié, me dit-il, vous [28] m’avez perdu, si j’avois parlé à cette mégere, je l’aurois ramenée, j’avois seul le droit de l’attendrir, puisque j’en étois aimé ; il n’y avoit pas de plus simple parti à prendre : Vous en avez imaginé d’autres, vous aviez vos raisons ; jouissez de l’effet qu’elles ont produit, & oubliez-moi dans des bras d’où vous m’avez arraché. . . .

Je ne compris rien à tout ce discours : j’en conclus seulement qu’il ne raisonnoit plus, & qu’il falloit avoir pitié de lui. Je lui répondis peu de choses, & le quittai pour aller trouver Mademoiselle de * * * dans une maison où nous étions convenus la veille que nous nous verrions. Je ne la trouvai pas. Je compris que sa mere lui avoit retiré toute la liberté dont elle avoit joui jusqu’alors. L’entrée de sa maison ne m’étoit pas interdite comma à la Barre. Après avoir beaucoup rêvé, je me déterminai à aller chez elle, jugeant bien qu’elle avoit besoin de con-[29]solation. En arrivant à sa porte, je trouvai heureusement un de mes amis qui m’arrêta : pendant que je lui parlois la porte s’ouvrit, je vis les chevaux mis au carrosse, je jugeai que Madame de * * * alloit sortir, & j’espérai que sa fille, qui devoit être accablée, refuseroit de l’accompagner. Pour me donner le tems de laisser partir la voiture, j’entrai dans la maison voisine, dont le Maître étoit mon ami, & venoit d’aller en ville. Je montai dans un appartement, dont les fenêtres étoient placées vis-à-vis celles du cabinet de Mademoiselle de * * *. Dirai-je ce que je vis en portant mes regards sur ce cabinet fatal ? Mademoiselle de * * * étendue dans un fauteuil, tenant une lettre à la main, son mouchoir sur les yeux, & paroissant sangloter. Mon cœur, qui devoit à jamais se pénétrer de tous ses sentimens, devinoit tous ses secrets & tous ses malheurs. Je compris que le bouillant [30] la Barre venoit de lui écrire en termes peu ménagés, & que c’étoit ce qui la mettoit dans cet état. J’allois voler chez elle ; au mépris de toutes les idées que cette démarche pourroit donner à sa barbare mere : heureusement le carrosse sortit au même instant, & j’exécutai mon dessein. Je trouvai cette malheureuse fille prête à s’évanouir. Eh bien, Mademoiselle, qu’est-ce donc, qu’est-il arrivé, ne suis-je plus votre ami, n’avez-vous plus des ressources en moi ? . . . Ah ! Monsieur, je suis désesperée, je suis perdue, laissez-moi mourir, il n’y a plus d’amitié pour moi. . . . Si vous y renoncez, lui dis-je, je suis le plus malheureux des hommes ; mais vous ne me ferez pas cette outrage. . . Helas ! dit-elle, on veut m’y forcer. . . . Je trouvai bien du désespoir dans ces mots : je pris la lettre, & j’y lus cequi <sic> suit.

Ebene 4► Brief/Leserbrief► « Tout ce que le mécontentement, la jalousie, la violence du sang & de [31] l’amour peuvent rassembler contre un objet aimé, je l’éprouve contre vous, & je sens que je n’y opposerois qu’une modération inutile. Je ne me connois plus, & ne reconnois plus en moi rien de ce qui fit le caractere de mes premiers sentimens. Je suis jaloux, & conçois que je dois l’être, j’accuse un ami de m’avoir trompé, je lui impute des desseins, dont le but est de nous désunir. Il connoissoit mon cœur, il sçavoit que je ne lui pardonnerois pas son zele, vos attentions, ses services, le bonheur enfin que mon malheur lui fait auprès de vous ; & je juge qu’en se promettant de m’aigrir contre lui, il espéroit que ma jalousie dégéneroit en outrage pour vous, & vous forceroit enfin à m’en punir, & à m’abandonner. Ce moment est arrivé, je sens que je vais vous perdre ; mais emporté par mon sang qui bouillonne, je n’ai pas la force [32] de m’arrêter. Je vois un abîme profond, & ne puis résister au fatal penchant qui m’y conduit : vous prononcerez sur cela, & vous reglerez ma destinée ; je m’attens à tout, & ne vous prescris rien : vous sçavez combien vous m’avez aimé, vous sçavez combien je vous aime ! considérez tout cela avant que de vous déterminer, & plaignez-moi du-moins en m’immolant ». ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 4

Dialog► Rassurez-vous, dis-je à Mademoiselle de * * * après avoir lû. Nous le ramenerons, c’est un homme malheureux, il faut le plaindre & le traiter comme s’il étoit capable d’entendre la raison ; écrivez-lui par la personne qui vous a remis sa lettre, & promettez de me sacrifier s’il l’exige, après vous avoir lûe avec attention. Ah ! je ne ferai point cela, dit Mademoiselle de * * *, si mon bonheur est dans de pareilles ressources, j’aurai le courage d’être malheureuse. La reconnoissance, re-[33]pris-je, ne me permet pas de vous laisser ces sentimens ; après vous avoir donné un conseil que je vous dois, croyez que je suis capable d’aller plus loin pour votre bien. Non, poursuivit-elle, je ne romprai jamais avec vous, la nature de mes sentimens me les rend sacrés, & la Barre connoîtra un cœur qu’il a osé outrager. . . . Je tombai à ses genoux : jamais je ne l’avois tant aimée ni tant respectée : eh bien, lui dis-je, vous me perdez pour jamais, si vous ne faites ce que je suis forcé d’exiger : je vois que l’intérêt de mes sentimens vous retient ? j’ose vous dire qu’un intérêt plus grand doit vous déterminer : daignez considérer ma destinée, elle est affreuse, & chaque moment va la rendre plus horrible. J’ai toutes les peines de l’amour, & n’aurai jamais aucun de ses plaisirs, toujours vos sentimens seront pour un autre que pour moi, & toujours vos chagrins me déchireront. Un pareil état seroit [34] le comble de l’avilissement, si l’amitié n’ennoblissoit. . . . Il suffit, me dit-elle, vous m’apprenez mon devoir, & vous êtes le maître de m’abandonner ; j’y consens en prévoyant tout ce qui peut m’en arriver ; mais je prévois aussi que l’amour me réserve des tourmens qui m’auront bien-tôt consumée, & je ne veux plus voir dans tout ceci que ma mort, qui sera le plus court & le dernier de mes maux.

Un pareil aveu me força de dissimuler : nous n’en viendrons point-là, lui dis-je, & encore une fois, je pense que la Barre se rendra à vos justes reproches : écrivez-lui, puisque vous ne pouvez lui parler, & daignez me communiquer ensuite sa réponse, je me flate de trouver le moyen de ramener son esprit égaré. ◀Dialog

Elle écrivit, & mon conseil se trouva justifié. Ce fut par la Barre lui-même que j’en fut instruit. Il vint me voir, & me parla avec beaucoup de [35] douleur de son incartade. Si vous vous la reprochez, lui dis-je, il faut la mettre au nombre des maux qui produisent un bien. Vous ne serez plus tenté d’offenser deux êtres par qui vous avez appris à respecter la confiance, & vous leur ferez sentir le plaisir de s’occuper chaque jour de votre bonheur, sans contrainte. Il m’embrassa & me dit tout ce que l’amitié a de plus tendre. Pardonne-moi un écart malheureux ; mon cœur ne t’offensa jamais ; mais mon esprit ne vouloit céder qu’à la violence de mes soupçons : je suis dans un état où toute pensée raisonnable est pur hasard. Il n’y a pas d’instant dans le jour où je n’aie une fievre ardente ; comment ne m’emporterois-je pas quelquefois ? Mon cher ami, tel est l’amour : s’il est rare, comme on le dit, c’est un bonheur pour la société.

Je ne voulois pas qu’il se livrât trop à des réflexions qui ne pouvoient plus [36] le guérir. Je lui montrai toute mon indulgence, toute ma pitié, & nous raisonnâmes ensuite sur la nature des obstacles que Madame de * * * opposoit à son bonheur, pour les lever, s’il étoit possible. La Barre n’imaginoit plus rien, ou du-moins ses propositions n’étoient plus qu’extravagances. La moins folle étoit d’enlever Mademoiselle de * * *. Je lui peignis avec horreur le crime caché sous cet expédient trompeur. A la bonne heure que vous fuïez avec elle si elle y consent, & si vous y êtes jamais réduit ; mais l’enlever, la ravir à elle-même, lui ôter le droit & le plaisir de vous rendre volontairement heureux ? Ce procédé seroit digne de la vengeance céleste, & tôt ou tard vous déploreriez le prix fatal dont sa foiblesse même l’auroit payé. . . . ◀Allgemeine Erzählung ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Metatextualität► La suite à la Feuille prochaine. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1