No. 46 Jean-François de Bastide Moralische Wochenschriften Hannah Bakanitsch Editor Michaela Fischer Editor Elisabeth Hobisch Editor Veronika Mussner Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 12.04.2016 o:mws.4275 Jean-François de Bastide: Le Monde comme il est. Tome Second. Amsterdam und Paris: Bauche und Duchesne und Cellot 1760, 181-192, Le Monde comme il est (Bastide) 2 016 1760 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Liebe Amore Love Amor Amour Männerbild Immagine di Uomini Image of Men Imagen de Hombres Image de l'homme Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme France Paris Paris 2.3488,48.85341 France 2.0,46.0

Feuille du Jeudi 3 Juillet 1760.

Si j’en crois certain bruit parvenu jusqu’à moi, l’histoire qu’on va lire dans la lettre qui suit, est plus récente que l’Auteur ne veut le faire croire. Je pourrois m’en assurer, mais il suffit qu’elle soit arrivée, soit dans un tems, soit dans un autre, pour appartenir au Monde comme il est, & je crois que c’est assez de révéler certains mysteres, sans y ajouter la date des tems. Je n’abuserai point de l’indiscrétion de l’histoire, de peur de devenir méchant sans le vouloir. Je supprime tout le préambule de la lettre.

Dorimond avoit les qualités aimables de la jeunesse, & les vertus soli-des de l’âge mûr. Il réunissoit tous les avantages qui peuvent faire une sorte de supériorité dans le Monde. naissance <sic>, titres, fortune, grandeur d’ame, générosité sans faste, politesse sans fausseté, considération sans hauteur, tendresse sans folle jalousie, amitié sans légereté, sçavoir sans pédantisme, esprit sans frivolité : Dorimond étoit digne de toute sorte de louanges, & ne pouvoit être bien loué que par les sentimens.

Araminte avoit été jeune sans folie, belle sans vanité, tendre sans foiblesse. Elle étoit devenue un honnête homme dans un âge où presque toutes les personnes de son sexe deviennent de malhonnêtes femmes, ou des femmes insupportables. Araminte enfin étoit l’image de Dorimond.

Zirphile étoit jeune & jolie, avoit beaucoup d’esprit, unissoit les talens aux graces, & les connoissances solides aux idées agréables : mais elle étoit libertine & coquette.

Moncade étoit un jeune fat, vicieux, caustique, tracassier, ingrat, volage, superficiel, suffisant, tel enfin qu’on auroit peine à le croire, si quelquefois il ne naissoit de pareils monstres : Mais il avoit l’avantage d’une jolie figure, & sçavoit répandre sur sa personne un certain prestige par le jeu adroit de ses défauts : il plaisoit par-là à ces femmes qui n’ont pas ou le tems ou l’esprit de bien juger, & de faire un bon choix.

Zirphile & Moncade sembloient depuis quelque tems avoir renoncé à leur méprisable systême. Les grands airs & les folles dépenses avoient extrêmement dérangé leurs affaires ; & pour les rétablir, ils avoient pris le masque de la réforme. Ce stratagême leur avoit réussi. Zirphile avoit fait la plus vive impression sur le cœur de Dorimond, & Moncade étoit devenu l’objet des plus tendres sentimens d’Araminte.

Araminte & Dorimond ne brûloient point de ce feu indiscret & léger qu’un moment allume, qu’un moment évapore, que le trouble accompagne, & que le mépris suit. Ils sentoient ce penchant séducteur, cette douceur refléchie qu’on n’éprouve que quand on est né vertueux. Ils aimoient, parce qu’ils croyoient que leur cœur devoit ce tribut au mérite, & ils estimoient autant qu’ils aimoient, parce qu’ils avoient la modestie de juger des autres comme ils méritoient qu’on jugeât d’eux-mêmes.

Zirphile devoit bientôt se voir unie à Dorimond, & Dorimond alloit l’être à Araminte.

L’ingratitude naît presque toujours d’un bonheur usurpé. Enflés de leur succès, & rebutés d’une contrainte toujours mortelle pour des cœurs sans sentimens, ils brûloient de reparoître au grand jour, & de fixer les yeux de tout Paris sur une conquête qui les honoroit trop.

Zirphile & Moncade ne se connoissoient pas : mais je les place sous un même point de vûe, & je les fais en apparence agir de concert, parce qu’une coquette & un fat, dans la même situation, ont les mêmes principes & les mêmes idées.

Araminte & Dorimond étoient dans la plus grande sécurité : la délicatesse marquoit tous les instans de leur passion. L’un n’avoit encore rien exigé, l’autre n’avoit encore rien accordé : ils ne vouloient qu’un bonheur vertueux ; l’hymen alloit le leur offrir, & ils l’attendoient avec l’impatience délicate du véritable amour.

Zirphile & Moncade se recontrerent dans une maison la veille même du jour pris pour la célébration de leur mariage. La nature les avoit faits pour se séduire l’un l’autre au premier coup-d’œil. Le rapport des vices est malheureusement aussi rapide que celui des vertus. Voilà donc Zirphile éprise de Moncade, & Moncade enchanté de Zirphile. Ils s’approchent, l’yvresse est dans leurs yeux ; ils se parlent, la passion est sur leurs lévres. Tout ce qu’ils se disent n’est ni clair, ni lié ; mais ils se devinent, ils s’entendent. On les observe, ils ne voyent qu’eux : on leur parle, ils ne répondent qu’à leurs idées : ils apperçoivent seulement qu’ils sont gênés : ils sortent sans sçavoir ce qu’ils font ni ce qu’ils vont faire : la passion les étourdit & les emporte. Zirphile entre dans le carrosse de Moncade qui lui a offert de la remener. Ils se tiennent d’abord les propos les plus foux ; bientôt ils se disent les choses les plus tendres. Zirphile veut paroître honteuse de la démarche étourdie qu’elle vient de faire : Moncade veut faire disparoître la honte en en augmentant le sujet ; il proteste qu’il ne se connôit plus lui- même, qu’il est emporté par la plus violente passion, & qu’il douteroit de sa raison, s’il sentoit moins de plaisir à lui jurer qu’il l’aimera toujours. Zirphile ne doute plus de la sincérité de Moncade, & croit sentir que son bonheur dépend de sa séduction. L’une répond comme elle sent, l’autre agit comme il pense. Les sermens succedent aux questions, & la témérité est leur ouvrage : Moncade ne dit plus qu’il aime, & fait connoître qu’il souhaite de le prouver : Zirphile croit aimer, croit être aimée, & semble préparée à la conviction. Tous deux prouvent qu’ils n’ont que des desirs, en ne parlant que d’amour.

Leur yvresse étoit un crime, leur réveil est un supplice. Leurs yeux s’ouvrent à peine à la lumiere, qu’ils parcourent toute l’étendue de leur égarement. Qu’ont-ils fait ? Comment cacher à Dorimond, comment faire oublier à Araminte une étourderie im-pardonnable, qu’ils ne pourront manquer d’apprendre dans la maison où elle a commencé ? L’infidélité étoit dans leurs yeux lorsqu’ils sont partis. Le regret, la confusion, la terreur les agitent : ils ne se disent rien ; mais leurs idées sont les mêmes : l’amour se venge avec colere, & leur fait éprouver les mêmes tourmens.

Pour comble de malheur, le cocher de Moncade étoit yvre, il se laissa accrocher par un carrosse à six chevaux, & l’équipage fut renversé. L’allarme est bientôt répandue, on vole à leurs secours, tout le monde s’empresse, jusqu’aux Maîtres du carrosse qui vient de causer leur malheur ; mais quel coup de foudre pour Moncade, quel moment terrible dans la situation d’esprit où il est. Le premier objet qu’il apperçoit, la main qui l’aide à se relever, est celle d’Araminte.

Il n’ose regarder celle qu’il vient de trahir ; sa main tremblante annonce sa confusion : Araminte interdite, devine & soupire, elle connoît Zirphile de réputation, & ses idées sont cruelles : Moncade sent toute sa douleur, & s’en trouve déja puni dans le fond de son cœur ; il ne songe ni à la rassurer, ni à la consoler : il se fait conduire chez lui, désespéré de ce qui vient de lui arriver.

Zirphile n’a pas été secourue par Dorimond ; mais tout le monde l’a vûe, tout le monde apprendra son aventure à Dorimond : elle éprouve les mêmes tourmens que Moncade, & se fait conduire chez elle aussi désespérée que lui.

Moncade n’eut le lendemain rien de plus pressé, que d’aller chez Araminte lui jurer une fidélité désormais inviolable. Il trouva sa porte fermée ; il ne fut pas plus heureux le jour d’après ; il prit le parti de lui écrire. Voici la réponse de cette respectable femme :

« J’ai cru être aimée, Monsieur, & je méritois peut-être de m’abuser moins cruellement. Vous n’aviez plus qu’un moment à me tromper, vous triomphiez, & j’étois votre victime : puisque vous n’avez pu vous contraindre un moment de plus, je dois croire que votre indifférence pour moi va jusqu’à l’aversion. Cette conclusion porte sur des conjectures qui doivent me tenir lieu de preuves. J’ai cru être aimée, & je n’ai écouté que l’amour : Je vois que vous m’avez trompée, je dois écouter la raison ».

Moncade ne crut pas qu’Araminte fut sincere. Il s’étoit attendu aux plus vifs reproches. Il ne connoissoit pas cette froideur noble, qu’une femme estimable montre sans l’affecter, & il s’imagina avoir trouvé un moyen sûr de la punir d’y avoir recouru comme à un artifice, en paroissant lui-même résolu de rompre avec elle.

Il cessa de se présenter à sa porte, & ne lui écrivit plus. Ce manege auroit pû ne pas faire assez d’impression sur elle : il affecta d’aller tous les jours dans toutes les maisons où elle alloit. Il s’écoula six jours sans qu’il pût la rencontrer ; il fut plus heureux le septieme. Araminte eût fui, mais elle jouoit. Moncade qui s’étoit apperçu de son embarras, affecta une indifférence à toute épreuve, & une impertinence blessante. Il dit les choses les plus flatteuses aux femmes les plus maussades ; il chercha à plaire à tout le monde, & à peine parut-il connoître Araminte, & se souvenir qu’elle existoit.

Une comédie aussi outrée n’eût pû manquer de tourner à son désavantage, s’il avoit été moins maître de son jeu. Araminte se fût aisément apperçue qu’il ne cherchoit à l’humilier, que parce qu’il étoit humilié lui-même : mais Moncade avoit fait un art de l’impertinence. Elle se vit donc condamnée à la douleur de croire qu’il n’avoit pas eu un dessein formé de l’offenser, & qu’il n’avoit été impertinent que parce que l’impertinence lui étoit naturelle. Elle avoit écrit à Moncade qu’elle ne doutoit point qu’il ne l’eût jamais aimée ; mais elle n’avoit pas été persuadée de ce qu’elle avoit écrit : le dépit avoit pu la tromper : Moncade, en devenant si singulierement infidele, pouvoit n’avoir été que foible & que léger : elle avoit voulu le croire d’abord, & malgré elle s’en étoit flattée. Son nouveau malheur détruisoit une illusion trop chere : elle ne pouvoit plus douter qu’il ne l’eût toujours trompée, toujours jouée. S’il avoit eu simplement du goût pour elle, il eût cherché avec plus de constance à la fléchir, tout fat qu’il étoit : ou du-moins en la voyant pour la premiere fois après une rupture qu’il avoit méritée, & qu’il ne devoit pas douter qui ne fît le tourment de son cœur, il auroit,

Feuille du Jeudi 3 Juillet 1760. Si j’en crois certain bruit parvenu jusqu’à moi, l’histoire qu’on va lire dans la lettre qui suit, est plus récente que l’Auteur ne veut le faire croire. Je pourrois m’en assurer, mais il suffit qu’elle soit arrivée, soit dans un tems, soit dans un autre, pour appartenir au Monde comme il est, & je crois que c’est assez de révéler certains mysteres, sans y ajouter la date des tems. Je n’abuserai point de l’indiscrétion de l’histoire, de peur de devenir méchant sans le vouloir. Je supprime tout le préambule de la lettre. Dorimond avoit les qualités aimables de la jeunesse, & les vertus soli-des de l’âge mûr. Il réunissoit tous les avantages qui peuvent faire une sorte de supériorité dans le Monde. naissance <sic>, titres, fortune, grandeur d’ame, générosité sans faste, politesse sans fausseté, considération sans hauteur, tendresse sans folle jalousie, amitié sans légereté, sçavoir sans pédantisme, esprit sans frivolité : Dorimond étoit digne de toute sorte de louanges, & ne pouvoit être bien loué que par les sentimens. Araminte avoit été jeune sans folie, belle sans vanité, tendre sans foiblesse. Elle étoit devenue un honnête homme dans un âge où presque toutes les personnes de son sexe deviennent de malhonnêtes femmes, ou des femmes insupportables. Araminte enfin étoit l’image de Dorimond. Zirphile étoit jeune & jolie, avoit beaucoup d’esprit, unissoit les talens aux graces, & les connoissances solides aux idées agréables : mais elle étoit libertine & coquette. Moncade étoit un jeune fat, vicieux, caustique, tracassier, ingrat, volage, superficiel, suffisant, tel enfin qu’on auroit peine à le croire, si quelquefois il ne naissoit de pareils monstres : Mais il avoit l’avantage d’une jolie figure, & sçavoit répandre sur sa personne un certain prestige par le jeu adroit de ses défauts : il plaisoit par-là à ces femmes qui n’ont pas ou le tems ou l’esprit de bien juger, & de faire un bon choix. Zirphile & Moncade sembloient depuis quelque tems avoir renoncé à leur méprisable systême. Les grands airs & les folles dépenses avoient extrêmement dérangé leurs affaires ; & pour les rétablir, ils avoient pris le masque de la réforme. Ce stratagême leur avoit réussi. Zirphile avoit fait la plus vive impression sur le cœur de Dorimond, & Moncade étoit devenu l’objet des plus tendres sentimens d’Araminte. Araminte & Dorimond ne brûloient point de ce feu indiscret & léger qu’un moment allume, qu’un moment évapore, que le trouble accompagne, & que le mépris suit. Ils sentoient ce penchant séducteur, cette douceur refléchie qu’on n’éprouve que quand on est né vertueux. Ils aimoient, parce qu’ils croyoient que leur cœur devoit ce tribut au mérite, & ils estimoient autant qu’ils aimoient, parce qu’ils avoient la modestie de juger des autres comme ils méritoient qu’on jugeât d’eux-mêmes. Zirphile devoit bientôt se voir unie à Dorimond, & Dorimond alloit l’être à Araminte. L’ingratitude naît presque toujours d’un bonheur usurpé. Enflés de leur succès, & rebutés d’une contrainte toujours mortelle pour des cœurs sans sentimens, ils brûloient de reparoître au grand jour, & de fixer les yeux de tout Paris sur une conquête qui les honoroit trop. Zirphile & Moncade ne se connoissoient pas : mais je les place sous un même point de vûe, & je les fais en apparence agir de concert, parce qu’une coquette & un fat, dans la même situation, ont les mêmes principes & les mêmes idées. Araminte & Dorimond étoient dans la plus grande sécurité : la délicatesse marquoit tous les instans de leur passion. L’un n’avoit encore rien exigé, l’autre n’avoit encore rien accordé : ils ne vouloient qu’un bonheur vertueux ; l’hymen alloit le leur offrir, & ils l’attendoient avec l’impatience délicate du véritable amour. Zirphile & Moncade se recontrerent dans une maison la veille même du jour pris pour la célébration de leur mariage. La nature les avoit faits pour se séduire l’un l’autre au premier coup-d’œil. Le rapport des vices est malheureusement aussi rapide que celui des vertus. Voilà donc Zirphile éprise de Moncade, & Moncade enchanté de Zirphile. Ils s’approchent, l’yvresse est dans leurs yeux ; ils se parlent, la passion est sur leurs lévres. Tout ce qu’ils se disent n’est ni clair, ni lié ; mais ils se devinent, ils s’entendent. On les observe, ils ne voyent qu’eux : on leur parle, ils ne répondent qu’à leurs idées : ils apperçoivent seulement qu’ils sont gênés : ils sortent sans sçavoir ce qu’ils font ni ce qu’ils vont faire : la passion les étourdit & les emporte. Zirphile entre dans le carrosse de Moncade qui lui a offert de la remener. Ils se tiennent d’abord les propos les plus foux ; bientôt ils se disent les choses les plus tendres. Zirphile veut paroître honteuse de la démarche étourdie qu’elle vient de faire : Moncade veut faire disparoître la honte en en augmentant le sujet ; il proteste qu’il ne se connôit plus lui-même, qu’il est emporté par la plus violente passion, & qu’il douteroit de sa raison, s’il sentoit moins de plaisir à lui jurer qu’il l’aimera toujours. Zirphile ne doute plus de la sincérité de Moncade, & croit sentir que son bonheur dépend de sa séduction. L’une répond comme elle sent, l’autre agit comme il pense. Les sermens succedent aux questions, & la témérité est leur ouvrage : Moncade ne dit plus qu’il aime, & fait connoître qu’il souhaite de le prouver : Zirphile croit aimer, croit être aimée, & semble préparée à la conviction. Tous deux prouvent qu’ils n’ont que des desirs, en ne parlant que d’amour. Leur yvresse étoit un crime, leur réveil est un supplice. Leurs yeux s’ouvrent à peine à la lumiere, qu’ils parcourent toute l’étendue de leur égarement. Qu’ont-ils fait ? Comment cacher à Dorimond, comment faire oublier à Araminte une étourderie im-pardonnable, qu’ils ne pourront manquer d’apprendre dans la maison où elle a commencé ? L’infidélité étoit dans leurs yeux lorsqu’ils sont partis. Le regret, la confusion, la terreur les agitent : ils ne se disent rien ; mais leurs idées sont les mêmes : l’amour se venge avec colere, & leur fait éprouver les mêmes tourmens. Pour comble de malheur, le cocher de Moncade étoit yvre, il se laissa accrocher par un carrosse à six chevaux, & l’équipage fut renversé. L’allarme est bientôt répandue, on vole à leurs secours, tout le monde s’empresse, jusqu’aux Maîtres du carrosse qui vient de causer leur malheur ; mais quel coup de foudre pour Moncade, quel moment terrible dans la situation d’esprit où il est. Le premier objet qu’il apperçoit, la main qui l’aide à se relever, est celle d’Araminte. Il n’ose regarder celle qu’il vient de trahir ; sa main tremblante annonce sa confusion : Araminte interdite, devine & soupire, elle connoît Zirphile de réputation, & ses idées sont cruelles : Moncade sent toute sa douleur, & s’en trouve déja puni dans le fond de son cœur ; il ne songe ni à la rassurer, ni à la consoler : il se fait conduire chez lui, désespéré de ce qui vient de lui arriver. Zirphile n’a pas été secourue par Dorimond ; mais tout le monde l’a vûe, tout le monde apprendra son aventure à Dorimond : elle éprouve les mêmes tourmens que Moncade, & se fait conduire chez elle aussi désespérée que lui. Moncade n’eut le lendemain rien de plus pressé, que d’aller chez Araminte lui jurer une fidélité désormais inviolable. Il trouva sa porte fermée ; il ne fut pas plus heureux le jour d’après ; il prit le parti de lui écrire. Voici la réponse de cette respectable femme : « J’ai cru être aimée, Monsieur, & je méritois peut-être de m’abuser moins cruellement. Vous n’aviez plus qu’un moment à me tromper, vous triomphiez, & j’étois votre victime : puisque vous n’avez pu vous contraindre un moment de plus, je dois croire que votre indifférence pour moi va jusqu’à l’aversion. Cette conclusion porte sur des conjectures qui doivent me tenir lieu de preuves. J’ai cru être aimée, & je n’ai écouté que l’amour : Je vois que vous m’avez trompée, je dois écouter la raison ». Moncade ne crut pas qu’Araminte fut sincere. Il s’étoit attendu aux plus vifs reproches. Il ne connoissoit pas cette froideur noble, qu’une femme estimable montre sans l’affecter, & il s’imagina avoir trouvé un moyen sûr de la punir d’y avoir recouru comme à un artifice, en paroissant lui-même résolu de rompre avec elle. Il cessa de se présenter à sa porte, & ne lui écrivit plus. Ce manege auroit pû ne pas faire assez d’impression sur elle : il affecta d’aller tous les jours dans toutes les maisons où elle alloit. Il s’écoula six jours sans qu’il pût la rencontrer ; il fut plus heureux le septieme. Araminte eût fui, mais elle jouoit. Moncade qui s’étoit apperçu de son embarras, affecta une indifférence à toute épreuve, & une impertinence blessante. Il dit les choses les plus flatteuses aux femmes les plus maussades ; il chercha à plaire à tout le monde, & à peine parut-il connoître Araminte, & se souvenir qu’elle existoit. Une comédie aussi outrée n’eût pû manquer de tourner à son désavantage, s’il avoit été moins maître de son jeu. Araminte se fût aisément apperçue qu’il ne cherchoit à l’humilier, que parce qu’il étoit humilié lui-même : mais Moncade avoit fait un art de l’impertinence. Elle se vit donc condamnée à la douleur de croire qu’il n’avoit pas eu un dessein formé de l’offenser, & qu’il n’avoit été impertinent que parce que l’impertinence lui étoit naturelle. Elle avoit écrit à Moncade qu’elle ne doutoit point qu’il ne l’eût jamais aimée ; mais elle n’avoit pas été persuadée de ce qu’elle avoit écrit : le dépit avoit pu la tromper : Moncade, en devenant si singulierement infidele, pouvoit n’avoir été que foible & que léger : elle avoit voulu le croire d’abord, & malgré elle s’en étoit flattée. Son nouveau malheur détruisoit une illusion trop chere : elle ne pouvoit plus douter qu’il ne l’eût toujours trompée, toujours jouée. S’il avoit eu simplement du goût pour elle, il eût cherché avec plus de constance à la fléchir, tout fat qu’il étoit : ou du-moins en la voyant pour la premiere fois après une rupture qu’il avoit méritée, & qu’il ne devoit pas douter qui ne fît le tourment de son cœur, il auroit,