Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "No. 28", in: Le Monde comme il est (Bastide), Vol.1\028 (1760), S. 325-336, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2502 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Feuille du Samedi 17 Mai 1760.

Ebene 2► Ebene 3► Zitat/Motto► Importun souvenir d’un aimable infidelle,

Pourquoi faut-il encor que mon cœur te rappelle !

En toi, cher inconstant, toi qui m’a pu trahir,

Pour t’avoir trop aimé, ne puis-je te haïr ?

Qu’ai-je dit ? de quel nom appellai-je un parjure ?

Est-ce ainsi qu’on ressent la plus cruelle injure ?

Ah ! puisque de mon cœur je ne puis le bannir,

C’est pour le détester qu’il faut m’en souvenir.

Prenons dans ce dessein, l’amour même pour guide ;

Autant que je l’aimai, haïssons le perfide :

Mon cœur à ce seul prix peut-être assez vengé ; [326]

Transformons en fureur mon amour outragé,

Et que de mes bontés l’éternelle mémoire

Me fasse de l’ingrat l’image la plus noire.

Rappellons, s’il le faut, ces trop heureux momens,

Où mon cœur répondoit à ses empressemens :

Helas ! je me faisois mille tendres allarmes ;

Au gré de mon amour, j’avois trop peu de charmes ;

Je ne croyois jamais combler tous ses desirs,

Et j’étois malheureuse au milieu des plaisirs.

Je préssentois déja sa fatale inconstance :

Du plus parfait amour injuste récompense !

Ingrat ! pour m’attirer cet affreux traitement,

Qu’avois-je fait ? helas j’aimois trop tendrement.

Quoi, faut-il qu’aujourd’hui trop d’amour nous sépare ?

De quoi me punis-tu ? Va cruel, va barbare.

Vole chez ma rivale, apprens-lui mes douleurs :

Donne à tes trahisons les plus belles couleurs :

Ton cœur est à ce prix : plus tu seras coupable,

Plus à ses yeux charmés tu paroîtras aimables,

Mais ne te flatte pas d’être long-temsheureux <sic> ;

D’une infidélité, l’exemple est dangereux.

Tu vas au changement lui servir de modele; [327]

Pour punir un perfide, il faut une infidele.

Sur ma sincere ardeur, alors ouvrant les yeux,

Peut-être, mais trop tard, tu me connoîtras mieux,

Et peut-être, honteux de ta lâche inconstance,

Tu viendras à mes pieds, expier ton offense.

O Ciel ! s’il revenoit encore à mes genoux ! . . .

Mais que fais-je ! Je sens affoiblir mon courroux :

Tu soupires mon cœur ! n’en dis pas davantage ;

Je ne t’entens que trop, sans ce honteux langage,

Helas ! à me trahir tout conspire en ce jour ;

Et ma haine est plus tendre encor que mon amour. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Ces vers peignent les sentimens & la situation d’une jeune personne emportée par le pouvoir de la bonne-foi, dès le moment qu’elle devint sensible. Trahie aujourd’hui & versant des pleurs, elle n’en est pas moins dans les fers de l’amour : elle croit confier son dépit au papier, & elle n’y trace que sa tendresse. Il faut une vengeance à l’a-[328]mour propre, & l’on est un moment satisfaite de celle qu’on croit sentir ; mais elle n’est jamais que très-momentanée, ou pour mieux dire, elle dure moins que le tems de s’en féliciter. Dans le Monde comme il est, ces exemples de constance sont fort rares ; mais par-là, même, ils peuvent paroître touchans ; cependant je n’ose prendre sur moi de garantir celui-ci, pour ne pas révolter certains esprits trop prévenus contre les femmes & contre leur siecle. Metatextualität► Mais j’ose garantir l’aventure qui suit ; j’ai reçu hier au soir la Lettre qui la renferme, & elle m’est confirmée à moi-même par des preuves multipliées, dont une seule eût suffi. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

Allgemeine Erzählung► Il y a quelques années que je me trouvai logée dans une même maison avec un jeune Gentilhomme très-aimable. Frappée de sa bonne mine & de [329] ses bonnes qualités, je mis tout en usage pour lui paroître aimable moi-même. J’avoue cela, parce-que je suis sincere, & parce que je crois qu’on a mérité encore plus d’un homme, quand on a cherché à lui plaire, que quand on lui a plu par le seul effet de la simpathie. La facilité que nous avions de nous parler, nous entraîna bien-tôt d’une prédilection générale à une passion particuliere. Il chercha l’occasion de me déclarer la sienne, & moi qui ne pouvois raisonnablement prétendre à un homme beaucoup plus riche que moi, charmée de sa proposition, j’y répondis favorablement, sans lui en marquer aucun excès de joye, ni hasarder rien qui ne s’accordât avec les regles de la bienséance. Son père, quoiqu’homme du Monde étoit avare, & en même-tems ambitieux : de sorte qu’il n’eût pas été facile de lui persuader qu’il pût se trouver quelqu’autre mérite, dans la personne, où le caractere [330] d’une femme, capable de balancer l’inégalité des richesses. Cependant le fils m’entretenoit toujours de son amour, & il ne perdoit aucune occasion de me témoigner son désinteressement : il offrit même de m’épouser en secret, & de taire la chose, jusqu’à ce qu’il eût obtenu le consentement de son père, ou qu’il fût maître de son bien. Je l’aimois avec tendresse, & ne pus lui refuser ce qu’il desiroit si ardemment ; mais je crus devoir me faire accompagner à l’Eglise par deux personnes de confiance lorsqu’on y célebra notre mariage. Lorsque le Sacrement nous eut liés, je me fis donner par le Prêtre un certificat signé de sa main, de celle de mon époux, & de mes deux témoins. Après cela nous vécumes plus familierement que jamais sous le même toît, quoique la contrainte dans laquelle nous vivions en général, & le soin qu’il falloit prendre, pour cacher nos entrevues, nous donnassent souvent bien de l’inquiétude & du chagrin.

[331] Le pere de mon mari, informé sans doute de notre intelligence, craignit dès lors que son fils ne s’engageât avec moi. De sorte qu’il le pressa de se déclarer en faveur d’un parti, sur lequel il avoit jetté les yeux. Pour nous délivrer l’un & l’autre de cet embarras, & prévenir l’éclat de notre mariage qui ne pouvoit plus guere se cacher, il fut résolu que j’irois à la campagne dans quelque endroit écarté, & que nous nous écririons sous des noms supposés. Cela s’exécuta, & notre commerce épistolaire ne dura que trop. Quoi qu’il en soit, avec le secours de mon aiguille, de mon clavessin, de quelques livres choisis, & plus encore des lettres de mon mari que je relisois à tout moment, j’y coulai assez doucement la vie, dans l’espérance de voir enfin des jours moins solitaires. Vous sçaurez d’ailleurs, Monsieur, qu’au bout de quatre mois j’accouchai secretement d’un enfant qui ne vécut que peu d’heures. [332] Comme on me croyoit fille, dans le canton où par prudence je m’étois retirée, un Gentilhomme de la campagne, homme sans mœurs, sans politesse, comme ils sont la plûpart, s’avisa de m’aimer, & sa passion fut dans la suite la source du malheur qui m’accable aujourd’hui. Une parente chez qui je demeurois cachée, & qui sans avoir le secret de mon mariage avoit celui de mes couches, s’étonnoit de la froideur que je faisois paroître à ce Gentilhomme, qui, disoit-elle, avoit dessein de m’épouser ; elle m’en faisoit de durs reproches ; & dans l’espoir de voir la raison triompher de ma répugnance, elle l’introduisoit malgré moi dans mon appartement, persuadée qu’à la fin je m’accoutumerois à ses manieres. Il fallut donc souffrir en dépit de moi, les visites de cet homme.

Un jour que j’étois assise dans une petite salle à manger, toute occupée de la lecture d’une lettre de mon mari, [333] dans laquelle je pliois toujours le certificat de mon mariage, ce rustre y survint tout-à-coup, & avec cette familiarité dégoûtante qu’un brutal prend pour de la gentillesse ; il m’arracha ces papiers de la main. Je fus d’abord si consternée, que me jettant à ses pieds, je le priai de me les rendre. Là-dessus, avec le même air impertinent & haïssable, il jura qu’il les liroit. Plus je redoublois mes instances, plus sa curiosité augmentoit. Enfin, pénétré d’un dépit qui partoit de la passion qu’il avoit pour moi, il jetta ces papiers dans le feu. Je ne puis exprimer ce que je sentis en voyant le feu dévorer ces gages d’un amour qui étoit tout ce que je chérissois dans la vie ; cependant je me consolai un peu en chassant ce téméraire avec tout le courroux que m’inspiroit son lâche procédé. J’avois d’ailleurs la plus grande confiance en mon mari. Je lui écrivis dans le premier accès de ma douleur, & le priai [334] de me renvoyer un nouveau certificat. Ma lettre étoit toute couverte de larmes, & quand il la lut, il dut bien voir avec quelle ardeur il étoit aimé. Mais il ne m’aimoit plus. Après avoir laissé passer plusieurs jours sans répondre, Metatextualität► il m’écrivit cette lettre outrageante. ◀Metatextualität Ebene 4► Brief/Leserbrief► Je sçais, Mademoiselle, que les hommes sont capables de quelque violences auprès d’une femme qui leur résiste ; mais je sçais qu’un homme de ce caractere se fait connoître avant que de se porter au dernier excès, & je dois penser que qui n’a pas songé à le craindre, auroit trouvé trop dur de le fuir. Pour vous dire en deux mots ce que je conclus de vous & de votre homme, c’est que vous l’avez reçu d’abord par ennui, ensuite par habitude, ensuite par goût ; que la familiarité est entrée dans votre commerce ; qu’il est devenu téméraire ; que vous êtes devenue foible ; & que dans un moment de foiblesse, de familiarité, & de délire, vous oubliant tous deux, & ou- [335] bliant vos papiers, ils sont tombés dans le feu. Voilà ce que je dois penser & ce que je pense de votre aventure ; & quand j’en fais l’aveu, vous pouvez croire que la mienne est finie avec vous. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 4

Dans mon premier dépit, j’oubliai que je l’aimois & ne songeai qu’à me venger. Mais la fortune même s’accorda à trahir l’amour. J’ai voulu faire parler aux deux témoins qui avoient assisté à mon mariage, & je viens d’apprendre que l’un est mort, & que l’autre est parti depuis six mois pour les Indes. Je n’ai plus d’autre ressource que d’aller me jetter à ses pieds : helas ! croyez-vous que je ne l’aie pas déja employée ? je l’ai vû, je lui ai parlé, j’ai pleuré sur ses mains, que je baisois avec ardeur, je n’ai embrassé qu’un rocher. Aujourd’hui il vient de me faire refuser sa porte ; & c’est en sortant de chez-lui, que j’ai l’honneur de vous écrire, Monsieur : je suis au désespoir, prête à mourir, prête à me porter aux dernie-[336]res extrêmités : daignez protéger ma vie infortunée ; il lit peut-être vos Feuilles ; en y insérant ma Lettre vous pouvez l’attendrir & me rendre tout mon bonheur. Joignez-y quelques-unes de ces réflexions puissantes que l’humanité vous inspira si souvent ; adressez-vous à lui-même : faites-le souvenir de sa premiere tendresse pour moi ; du plaisir charmant qu’il prenoit lorsque je venois à me découvrir par mégarde devant quelqu’un, (sa vanité jouissoit de mes charmes). Faites-le souvenir de mon air sot & embarassé lorsque je voulois paroître indifférente pour lui devant la compagnie ; demandez-lui s’il est possible que moi, qui ne pouvois, quoiqu’il m’en priât, cacher mon amitié pour lui, je veuille renoncer désormais à la sienne. Ah ! Monsieur, les cœurs sensibles ne connoissent point d’indifférence dans le mariage. Si vous avez quelque compassion pour l’innocence exposée à l’infamie, jugez de l’état déplorable où je me vois réduite. ◀Allgemeine Erzählung

J’ai l’honneur d’être, &c.

Victoire de Sainte Julitte. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1