Discours XI.
Il y a quelques jours étant à
l'Opéra, dans une des loges qui donnent sur l'amphithéâtre, je vis un
homme d'un état très-ordinaire aborder une femme de qualité d'une façon
bien indécente. La Dame étoit dans sa loge ; & il étoit placé au
quatriéme rang de l'amphithéâtre : pour franchir l'espace qui le
séparoit d'elle, il marcha tout uniment sur les mains & sur le
derriere, & en l'abordant il lui dit, je
m'approche de vous, Madame, pour être
mieux. J'étois à côté d'elle ; je l'entendis. Elle ne fit pas
semblant de trouver tout cela très-familier, mais je suis persuadé qu'il
n'eut pas été nécessaire de lui en faire faire l'observation. Les gens
de qualité voyent très-bien quand on leur manque, mais sont tout pleins
d'indulgence, par le sentiment de leur supériorité, qui ne
le leur permet pas de s'abaisser à croire qu'on a voulu leur
manquer.
Je prendrai le parti qu'elle prit ; je ne releverai point cette sottise,
par une considération particuliere ; l'homme que je censure est mon
ennemi ; & je n'attaque point mes ennemis en pleine rue. Il me lit,
il sçaura bien que c’est de lui que je veux parler, & il me suffira
de lui avoir parlé à lui-même.
Je prendrai de-là occasion de m'entendre un peu sur l'impolitesse
générale de nos jeunes gens. On dit que notre Nation est la plus polie
qu'il y ait au monde ? Ce n'est donc pas par la partie volatile qu'il en
faut juger. Il est certain que nos jeunes gens n'ont pas même
l'humanité ; la preuve en est que lorsqu'on veut vanter beaucoup un
jeune homme, on dit, il est d'une politesse
charmante, & cette louange fait toujours une impression très-favorable pour lui. Si la qualité dont on le loue
alors, étoit plus commune, elle ne produiroit pas tout cet effet ; &
observons même qu'on ne l'exalte avec tant de plaisir, que parce qu'on
l’a vûe en lui avec une sorte de surprise. Ce n'est pas ici de la
Métaphisique ; on sentira très-bien ce que je veux dire, parce qu'on a
sûrement éprouvé ce que je dis. On est impoli de bien des manieres : il
y a la familiarité, la raillerie, la grossiereté, la hauteur. Bien des
gens réunissent tous les genres ; & je suis toujours étonné qu'on
les souffre dans le monde, car assurément un défaut aussi compliqué
devient vice, & vice détestable. Je crois ces derniers si
incorrigibles que je ne leur ferai pas l'honneur de les censurer ; mais
je m'adresserai aux autres avec une sorte de confiance, & je leur
dirai : imaginez-vous que la politesse est une magie qu'on répand sur
soi ; & qu'en entrant dans un cercle on doit charmer
tous les yeux par cet artifice aimable ; il n'y a point d'homme qui
puisse garantir son cœur de cette séduction : les animaux même sont
apprivoisés par la douceur, & la douceur n'est autre chose que la
politesse, en y ajoutant un peu de complaisance. Quand vous plairez à
tout le monde, quand les femmes, qui sont si bons juges de tout ce qui
doit rendre aimable, vous rechercheront <sic.>, vous préféreront
<sic.> à une société nombreuse, à des gens même cités, vantés, par
un esprit, ou des talens supérieurs, mais dépourvus du charme qui vous
assurera la préférence sur eux, ne serez vous pas bien payé de la peine
que vous aurez eue d'abord à vous faire un extérieur un peu différent de
votre allure naturelle !
Que les femmes me permettent de leur dire que si l’impolitesse est si
commune, c’est qu'elles n'ont pas assez défendu leurs droits contre
l'ennemi qui alloit les leur ravir. En permettant aux
jeunes gens, je ne sçais combien d'impertinences, il a bien fallu qu'ils
devinssent grossiers : aujourd'hui elles sont les victimes de leur
indulgence, car poussée aussi loin, elle est sûrement un malheur pour
elles ; & quoiqu'elles dissimulent assez bien la sorte de regret
qu'elles en ont, estimons-les assez pour croire qu'elles sont incapables
de préférer sérieusement les statuts du nouveau code, à la sagesse des
anciens réglemens. Combien les jeunes gens eux-mêmes n'y ont-ils pas
perdu ? Pour en juger il ne faut que jetter un coup d'œil sur les
amusemens scandaleux qu'ils ont fait succéder à ces engagemens décens,
dont nos peres avoient laissé l'exemple. La fatuité, la perfidie, le
libertinage, tous ces monstres sont nés de l'impolitesse. On s'est
accoûtumé à des manieres & à des propos tout-à-fait audacieux ;
& l'on a fini par trouver toute contrainte insupportable &
ridicule. Il a fallu se dérober aux traits de l'ennui,
& l'on s'est réfugié, pour cela, chez des femmes à qui la nature a
rendu tout possible & tout permis, en leur donnant des charmes,
& en leur réfusant un nom. Je ne détaillerai point les pertes
immenses que la raison et le sentiment ont faites dans ces maisons. En
voyant nos mœurs, il n'y a personne qui ne soit en état de les calculer.
Ces maisons ne furent d'abord que de simples aziles, mais elles devoient
bientôt être converties en lieux publics : elles le sont devenues, &
aujourd'hui on ne cite plus que les gens qui n'en ont pas une sous leurs
ordres. Les théâtres n'ont pu fournir assez de sujets pour les peupler :
on a député des émissaires dans tous les quartiers de la ville &
l'on a mis leur éloquence à prix. Des corrupteurs infames se sont
enrichis à faire des éléves de la débauche, & par leur art tous les
temples ont été pourvus d'idoles. Heureux du moins si les femmes plus favorablement partagées du côté de l'état & de la
fortune, avoient senti l'outrage qu'on leur faisoit ; & qu'appellées
à la vengeance par l'amour propre, elles eussent évité du moins de
confirmer ce même outrage par une conduite toute lâche ! On les
plaindroit, & il resteroit beaucoup d'hommes capables d'amuser leur
solitude, sans blesser leurs bienséances ; mais plusieurs n'ont pas
voulu attendre ces consolations ; un plus grand nombre n'a pas voulu les
croire possibles ; la mode avoit répandu son prestige dangereux ;
l'ennui montroit ses étendarts funèbres ; & il n'y avoit plus moyen
que des esprits foibles & prompts voulussent reconnoître des loix
qui les condamnoient à la patience, quand on leur ôtoit tous leurs
plaisirs. La moitié des femmes à <sic> donc adopté l'usage qui
devoit armer sa fureur ; & malheureusement encore ce sont les plus
jolies, les plus riches, les plus aima-bles ; leurs maisons
ont été successivement ouvertes à tous les excès qu'une fatale
indépendance a introduit dans celles dont je parle. La moitié qui reste
est donc insuffisante pour entretenir le peu de décence qui reste, &
sans aucune mauvaise humeur, on peut annoncer la perte totale des
mœurs.
J'eus hier une preuve sensible de
cette insuffisance dont je parle ; un homme du monde, mais non pas de
ceux à qui il faut des plaisirs sans délicatesse, & des sociétés
sans frein, alla hier demander à dîner à deux femmes qu'il n'est pas
dans l'habitude de voir. Il va chez elles aussi désintéressément que
rarement, & aucunes d'elles n'a certainement des vûës sur lui.
C’étoit la premiere fois qu'il y alloit sans être prié : ces femmes
charmantes par le caractère, par le ton, par l'esprit, par les talens ;
fort riches, & encore jeunes ; faites enfin pour être recherchées,
le virent paroître avec cette joye flateuse qui annonce en mê-me tems beaucoup de plaisir & beaucoup d'étonnement ;
& les momens en se succédant, amenerent des marques encore plus
positives de la sincérité de cet accueil. Il proposa dix amusemens en
une heure, & on eut voulu les lui procurer tous à la fois ; le
chant, le jeu, les instrumens, furent tour à tour ramenés sur la scène,
& toujours à son choix, & au moindre signe qui lui échapoit. On
finit par la promenade, & ce fut encore lui qui décida du lieu,
& du moment. On ne rentra que lorsqu'il parut y consentir, &
l'une des deux étoit pourtant incommodée, & attendue par son
Médecin. Il éprouva jusqu'au soir tout ce que la complaisance & la
bontê peuvent imaginer pour amuser un galant homme ; & comme je l'ai
dit, il n'y avoit dans tout cela ni air, ni prétention : il est vrai que
le cavalier est aimable & recherché dans le monde, mais il a pour ce
même monde une indifférence qui sait qu'il ne faut pas des
plaisirs bien vifs pour l'attirer. Il étoit étonné de cette excessive
abondance de soins, & il ne put s'empêcher de leur reprocher une
bonté trop flateuse pour lui ; il jugea par leur réponse, que c’étoit
une chose très-rare pour elles, que de voir un homme aimable, & le
soir lorsqu'il m'en parla, Je voyois, me dit-il, que
réellement je les avois comblées, & je concevois par là combien
le plaisir est loin d'abonder chez les femmes qui ont conservé de la
décence. On doit même conclurre de ce que j'ai vû, poursuivit-il,
que ces femmes mêmes n'esperent pas de pouvoir ramener le regne de
la raison & du sentiment.
Pour tâcher de trouver une excuse
aux hommes qui ont abandonné des sociétés si charmantes, voyons quels
sont leurs plaisirs dans ce nouveau monde qu’ils ont voulu habiter ? Je
reçus il y a quelques jours une lettre, dans laquelle il me semble qu'on
s’est scru-puleusement attaché à les décrire tous. On me
donne ces plaisirs pour des raisons : voyons comment raisonne un
Sophiste qui a abandonné le parti de la simple nature ?
Monsieur,
Je m'imagine que vous ne continuerez pas longtems votre livre,
sans traiter une matiere qui est plus de ma compétance que de la vôtre ;
& par un esprit de charité que vous méritez d'inspirer, comme bon homme, je me hâte de vous prévénir, afin de
vous épargner bien des absurdités, qui ne manqueroient pas de vous
échaper.
Sans doute que vous préférez l'amour à la galanterie, & vos vûës
morales sur cela doivent même s'étendre fort loin ! Mais dites-moi, je
vous prie, qu'est-ce que c’est qu'une honnête femme ? Un être ennuyé,
& fort ennuyeux ; un être sans desirs & sans attraits, une
ressource incommode qui en cent ans ne peut pas même avoir
le petit mérite de l'utilité, car je suppose que dans la vieillesse ou
dans l'affliction, on soit obligé de se rapprocher d'elle pour trouver
encore quelqu'un avec qui parler, sa raison est triste, son cœur est
froid, sa conversation est séche ; elle ne peut ni sentir vos peines, ni
ranimer vos sens, puisqu'elle n'a jamais rien senti, & qu'elle est
sans art. Ce tableau n'est que trop fidèle ; deux de mes amis en ont
fait la triste expérience, & en sont morts : cependant s'il blesse
votre bonhommie, je donnerai une ame à cet automate, mais alors nous
verrons des choses bien plus singulieres. Cette femme devient sensible,
elle commence à s'animer, elle soupire, elle a fait un choix. . . . .
Quel diable de jargon nous fait elle entendre ? De quoi parle-t-elle,
que veut-elle dire, que demande-t-elle? De la confiance, du respect pour
sa vertu, un amour sans partage ! . . . . . Eh bien, Madame, on vous
respectera, & l’on vous aimera toujours ; mais cela
sera toujours le plus sot commerce, le plus plat bonheur que je
connoisse.
Sentez donc, Monsieur, d'après quels principes je raisonne, . . . . .
Mais que fais-je, je perds mon tems ; oui ce n'est pas par des
raisonnemens qu'il faut entreprendre de vous convaincre ; cet honneur
n'est réservé qu'aux faits : eh bien, je veux vous mener chez Eglé, je
veux que vous soyez témoin de tout l'enchantement qu'on respire chez
elle ; je veux, . . . . mais vous faites la grimace, & voilà
Rousseau ressuscité ; oh, vous y viendrez ! un
Spectateur doit aller par tout pour son instruction ; vous allâtes bien
Dimanche passé avec des dévotes au boulevard, pour examiner la mine des
coquettes : je crois cette partie encore plus triste que celle que je
vous propose. Vous viendrez chez Eglé, & vous verrez tout ce que les
graces peuvent imaginer pour le triomphe du plaisir : légalité,
l'enjouement, l'ima-gination, le feu, tout s'y trouve ;
mais surtout la vérité, & la faillie ; car la constance, les
reproches, la jalousie en sont bannis : la simpatie y ouvre l'entrée aux
plaisirs, & elle a le droit absolu de la refuser à tout ce qui peut
gêner le desir. Point de respect si l'on aime, point de devoirs si l'on
change. Madame, vous ne me convenez plus ; Monsieur, vous commencez à
m'ennuyer ; Madame, je suis déja parti ; Monsieur, vous êtes déja
remplacé. Ces mots renferment tout, & il n'y a point de signal ni si
bien entendu, ni si bien respecté. En effet, pourquoi feindre, se gêner,
s'importuner quand on ne s'aime plus ! pourquoi resserrer notre être qui
est déja si étroit, & si borné ? S'est-on soumis à la loi de
l'esclavage, en acceptant un cœur qui s'offroit volontairement, &
a-t-on promis de payer de toute sa liberté le plaisir, l'illusion d'un
moment ? Non, Monsieur, on n’a pu rien promettre, même en
faisant des sermens, & la constance est toujours libre. Ne voyez
vous pas que si les sermens lioient en pareille occasion, le suïcide si
défendu & si horrible, seroit par là autorité & mis au rang des
vertus ! car il n’y a point de différence entre attenter à sa vie, &
engager sa liberté. . . . . . Vous rêverez à cela sérieusement, &
vous ne vous aviserez pas sans doute de dogmatiser la servitude, après
avoir lû l’avis des honnêtes gens expliqué dans cette lettre.
J'ai l'honneur d'être, &c.
Cette lettre est si
grossiere, quoiqu'ingénieusement écrite, qu’elle ne mérite pas l’honneur
que lui feroit la plus simple réfutation. Je prie seulement le lecteur
de la comparer avec celle qui suit ; elle a été écrite à une Dame que je
connois sans la voir, & qui est bien digne d’inspirer des sentimens
qu’on puisse opposer avec avantage, aux audacieuses maximes des petits
maîtres.
« Il ne me suffit pas, Madame, de
vous aimer ; je veux encore vous apprendre comment je vous aime ; je
veux anoblir à vos yeux un sentiment qu'un aveugle préjugé condamne ; je
veux que l'humanité, la nature, la raison vous le justifient
elles-mêmes ; trop heureux ! si je puis un jour vous le faire
partager.
Puisse votre cœur me lire, & non votre esprit ; je vais vous
détailler mes idées ; sans ordre, sans suite, sans liaison, telles
enfin, que le cœur me les dicte, car je pense bien plus par le cœur que
par l'esprit.
Désirer que vous partagiez mes sentimens, c’est établir leur pureté ;
oui, Madame, je vous aime avec cet excès qui ne peut plus s'accroître ;
mais dans mon amour, il n'est rien que la vraie vertu ne puisse avouer,
si les hommes étoient ce qu'ils doivent être, si l'on voyoit les choses
comme on doit les voir ; aimer ne seroit que sentir, &
je crois cela très-innocent ; je ferois trophée de mes sentimens, &
j'apporterois autant de soin à les publier, que j'en aurai toujours à
les taire ; je croirois faire l'éloge de mon cœur, en manifestant les
mouvemens, ils tourneroient tous à votre gloire ; on verroit les sens
maîtrisés par la délicatesse, le triomphe de la vertu sur la violence de
la passion ; on y verroit les charmes de ce même amour, ses joyes
douces, ses plaisirs purs ; on reconnoîtroit enfin, qu'un cœur peut être
touché, sans être corrompu.
Oui, Madame, tel est le véritable amour : aimer pour aimer, voilà son
terme ; tel est celui que j'ai pour vous : si j'imaginois qu'il put
jamais finir, si je croyois que ses suites pussent vous causer le
moindre chagrin, je tenterois tout pour m'en guérir ; ou plutôt, seul
victime d'une flâme que je ne pourrois pas éteindre, je ne chercherois
pas aujourd’hui à vous en communiquer les ardeurs ; mais
que mon amour mérite peu une telle violence ! Figurez-vous un commerce
intime de deux vrais amis ; cette confiance réciproque ; cette union de
deux cœurs qui sont faits pour être joints ; cette simpatie que l'on
ressent sans la pouvoir définir, ce rapport d'humeur, de façon de
penser, de caractère ; ce besoin que l'on a l'un de l'autre ;
cette tendresse enfin que le goût fait naître, & qu'une estime
sincère entretient, dans toute sa pureté ; joignez à ces divers objets,
ce germe de sensibilité ; ce degré de désirs si naturel d'un sexe à
l'autre ; voilà à peu près l'esquisse de mes sentimens pour vous ; oui,
le désir me parle, j'en conviens & ne rougis pas à vous l'avouer,
mais c’est un triomphe de plus pour vous, puisque ce même désir tout
nature qu’il est, n’est pas même une raison de me plaindre de votre
vertu. Quand j'étudie mes sentimens, quand j’examine mon
cœur, je goûte un plaisir inexprimable à sentir qu'il ne doit toute sa
tendresse qu'aux motifs les plus épurés ; je me sçais un gré infini de
vous aimer comme vous méritez d’être aimée, de n'avoir à rougir de rien,
& de pouvoir vous faire certains sacrifices sans aucune répugnance ;
eh ! je ne suis pas la duppe de ma délicatesse, elle me procure mille
plaisirs qui valent bien ces phantômes communs, ces triomphes faciles,
ausquels <sic.> on prodigue le nom de bonheur. Les voluptés les
plus innocentes, sont toujours les plus sensibles, comme elles sont
toujours les plus durables ; oui, un de vos souris, un de vos regards,
un serrement de main sont pour moi des voluptés mille fois plus
sensibles, que les transports les plus vifs, & que toute cette
yvresse des sens, quand seuls ils nous la procurent. Il y a deux jours
(que je me plais à m'en ressouvenir !) je vous tenois
la main, je la serrois, je la pressois contre mon sein ; mes yeux
remplis d'amour crurent découvrir dans les vôtres un signe
d'attendrissement ; mon cœur jouir d'un de vos soupirs ; ah ! puis-je
exprimer le genre de bonheur que ce moment me fit éprouver ! Non, le
tableau des grands plaisirs n'est que dans le cœur : trop pénétré pour
rien exprimer, je pris cette main, je la baisai avec un transport qui
m'étoit inconnu ; un doux frémissement s'empara de tous mes sens, il me
sembla que mon ame voloit sur mes lévres pour se fixer sur cette main
brûlante : non les sens n'ont jamais produit un bonheur aussi vrai ; le
cœur seul, la tendresse véritable, peuvent nous le faire connoître.
Eh bien, qu'est-ce que toute votre vertu auroit pû vous reprocher ? Quels
remords auroient pû suivre l'innocence de ces plaisirs ?
Supposons que dans cet instant votre cœur ait été touché, supposons que
j'aye intéressé votre sensibilité, que vous ayez même été agitée ;
a-t-il dépendu de vous de ne l'être pas ? Non, les mouvemens du cœur ne
sont pas soumis à ces mêmes idées qui asservissent notre esprit ; l'un
doit respecter les conventions, l'autre ne doit reconnoître que la
nature.
Quelles obligations ne vous ai-je pas de m'avoir appris à aimer ! Je n'ai
commencé à vivre que de ce jour seulement. Entraîné jusqu'alors par la
fausse amorce des plaisirs, séduit par leur tumulte imposteur, je n'ai
jamais joui de ce qu'on appelle bonheur : prenant toujours le désir pour
l'amour, les confondant sans cesse, n'ayant d'autre vûe qu'une
machinale ; satisfaction, au milieu même des plus grandes voluptés,
plongé dans leur sein ; il me restoit un vuide qui auroit
dû m'éclairer sur le faux de leurs prestiges : je me plaignois de ne
pouvoir saisir ce bonheur, cette félicité après laquelle je soupirois
sans la connoître. Que ne vous dois-je pas pour m’avoir appris qu’elle
ne peut exister que dans notre cœur ! Ce n’est que par ma constance que
je puis payer les transports dont je vais chaque jour être pénétré. Je
le répéte, Madame, ne pas vous aimer, ne dépend plus de moi ; mon amour
me devient aussi nécessaire que la vie, vous pouvez n’y pas répondre,
mais vous ne pouvez plus m’en priver.
Eh, pourquoi n'y pas répondre ! . . . . . Ah ! je vous connois ; votre
cœur est trop tendre ; trop vrai, pour ne pas être touché des sentimens
du mien ; il ne pourra masquer ses mouvemens, je les découvrirai ; le
véritable amour est toujours pénétrant ; il saisit tout ; rien ne lui
échappe ; & la vertu même la plus sévére, s'armeroit
vainement pour le tromper.
Voilà toute l'ambition de mon amour ; mille petits riens feront ses
jouissances, mon cœur sçaura les multiplier : rien d'indifférent dans
l'objet aimé ; on apprécie tout, on sent tout, on jouit de tout : les
chagrins même cessent de l'être, quand on aime avec vérité ; j'en ai
fait l’heureuse expérience : dans la seule crainte de vous avoir déplu,
je passai trois jours dans la tristesse ; eh bien, je ne l'aurois pas
changée cette tristesse, pour de la joye ; je trouvois mille douceurs
dans les larmes que je répandois ; mon cœur noyé dans l'amertume, n'en
étoit pas moins tout rempli de vous ; il étoit pénétré de son amour,
& son amour lui suffisoit ; ses mouvemens étoient tristes, mais ils
étoient pour vous ; j'étois enfin dans cette mélancolie douce que l’ame
peut croire qui ne fut faite que pour varier son
bonheur.
Puis-je trop vous répéter combien je vous aime ! Avec quelle ardeur, avec
quelle sincérité, je vous aime ! Que ne vous dois-je point pour m'avoir
rendu vertueux, pour m'avoir donné le droit de m’estimer moi-même ! Et
pourquoi, lorsque l'on a des sentimens nouveaux, n'est- il pas aussi des
expressions nouvelles pour les rendre. »
J'ai l'honneur d'être, &c.
Que les gens sensés, que les jeunes gens eux-mêmes me
permettent de les interroger ici. Ne sent-on pas qu'il régne entre ces
deux Lettres, une différence que la nature éclaire visiblement !
N'est-on pas touché par l'une, au point d'être révolté par l'autre !
Pour en juger, je ne remonte point à ces idées pures que la morale nous
fait, à ces idées délicates qu'un tendre sentiment développe en nous :
je ne remon-te qu'au cœur, tel qu'il est naturellement,
sans passion, sans métaphysique particuliere ; je n'interroge que lui,
je sens qu’il prononce.
Que le véritable amour est noble, qu'il est touchant, qu'il est
respectable ! Tous ses mouvemens font honneur à la nature : il est si
tendre, si généreux, si sublime qu'on diroit qu'il est entêté d’une
certaine idée de perfection. L'amant qui en éprouve les ardeurs, en fait
respecter les maximes ; si le cœur ne s'épure pas en voyant ses
transports & son bonheur ; il s'attendrit du moins ; & il
faudroit être bien dénaturé, bien corrompu, ou avoir appris à connoître
les femmes à une école bien vicieuse & bien funeste, pour ne pas
éprouver cet attendrissement, ce sentiment d'estime & de respect
qu'il doit inspirer.
Je suis incapable de contester à la morale le droit sacré de condamner
l’amour ; je songe encore moins à dis-poser adroitement les
cœurs à le sentir ; mais je puis dire du moins qu'entre une femme qui ne
soupire que pour séduire, & une autre qui ne respire que pour être
aimée. Il y a une différence sur laquelle la raison même n’a pas droit
de prononcer autrement que moi. L'amour est toujours l'ouvrage des sens,
& les sens doivent être enchaînés ; mais il nous dispose aux plus
grandes vertus, & il nous rend capables des plus grandes choses ; il
nous donne la justice, la valeur, la droiture, la générosité ; cette
générosité qui seroit l’ame de l'univers si nous avions tous cette ame
tendre & sublime que l'amour fait aux vrais amans ; & je crois
que tout cela le rend bien respectable.
Faut-il des raisonnemens pour prouver ce que j'avance ? Non, &
malheur à ceux qui n'ont pas déja senti que je raisonnois suivant la
vérité ; mais je me servirai d'une comparaison & d'un fait, pour
appuyer encore mes idées.
L'amour nous donne l'honnêteté, l’empressement, le respect
pour une femme sensible ; & si elle nous aime, le remord de lui
avoir manqué suit toujours la faute même la plus agréable. Auprès de
celle qui n'aime point, qu'on ne doit pas estimer, on est constamment
sans égards, sans soins précis, & souvent même on saisit, on fait
naître l'occasion de l'offenser pour pouvoir s'en vanter dans le monde :
est-elle bien sensible à une humiliation, à une perfidie, qu'on lui fait
éprouver sans qu'elle l'ait méritée ! On ne se justifie pas, on
l'outrage encore ; où l'on se met à ses genoux, pour s'en relever
bientôt avec un éclat de rire ; on lui montre une innocence qui n'est
que malice, une douleur qui n'est qu'impertinence, & si l'on a le
malheur de la fléchir trop aisément, on se restitue le plaisir de la
maltraiter, en se hâtant de paroître incapable de repentir. Ce spectacle
peut faire rire, mais il indi-gne intérieurement. Je m'en
rapporte à ceux qui ont vu la Comédie du Méchant. Dans cette scène où le
héros de la Piéce est aux genoux de Cidalise pour
se moquer si cruellement d'elle par un faux repentir, ne sent-on pas que
le cœur se révolte, malgré le charme de l'esprit qui épuise tout son art
à faire trouver cette situation plaisante ! S'il se trouve quelqu'un qui
n'en ait pas jugé comme moi, & qui ait pensé que cette femme fausse,
méchante & coquette n'est pas trop punie, il conviendra du moins
qu'une femme qui ne mérite pas plus d'égards est un objet choquant dans
la nature. De tout cela il faut conclure que toute femme que l’on peut
traiter sans ménagement, est un être bien obscur, bien vil auprès de
celle qu'on ne peut offenser sans remord. Que cette scène que je viens
de citer formeroit un grand contraste, avec une autre où l'on verroit un
honnête homme, un amant tendre aux genoux d'une femme
sensible qu'il auroit outragée, même par trop d'amour, lui demander la
mort, ou le pardon de son outrage ! Tous les cœurs seroient attendris,
tous les yeux se rempliroient de larmes ; les femmes deviendroient
l'amante offensée pour pardonner, les hommes deviendroient l’amant
coupable pour s'humilier à ses pieds avec lui, & voilà la preuve la
plus sensible du rang que l'amour occupe naturellement dans nos cœurs,
& du tribut que nous serions capables de lui payer, si nous voulions
sentir comme nous le pourrions.
J'ai promis un fait, il est déja
connu, & fit autrefois toute son impression.
On se rappelle le Siége de
Calais : qu'on se retrace aujourd'hui cette Lettre où
le Comte de Canaple apprend à Madame de Granson qu'il va mourir pour expier l'affront
qu'il lui a fait. Cette Lettre & ses sentimens admirables sont
certainement encore gravés dans la mémoire des Lecteurs
sensibles & sensés. Mais les jeunes gens n'ont pas une mémoire aussi
fidéle, parce que rien ne se grave dans leur cœur ; il faut leur
remettre sous les yeux, ce monument d'amour & de repentir. Je me
suis amusé à le tourner en Vers : mon cœur devoir ce tribut à la nature
& à la vertu.
Je commence par un court exposé des faits essentiels.
Le Comte de Canaple n'avoit jamais aimé, il
craignoit l'amour, qu'il regardoit comme un engagement trop sérieux,
& cette crainte alloit jusqu'à l'empêcher de vouloir paroître
aimable, dès qu'il sentoit qu'il pouvoit devenir amoureux. La galanterie
étoit le terme de sa sensibilité. Quoiqu'il ne tînt aux femmes que par
les plaisirs, & qu'il ne les connut que par leurs foiblesses, il ne
croyoit pas comme nos jeunes gens qu'on pût leur manquer sans blesser la
probité : il regardoit leurs saveurs comme des secrets
confiés dont il n'est jamais permis d'abuser. Madame de
Granson étoit de toutes les femmes celle pour qui il
avoit le plus d'estime & de respect : il n'avoit encore mérité son
amitié que par la souhaiter, mais il la souhaitoit tant, & s'en
montroit si digne, que Madame de Granson ne
pouvoit s'empêcher de lui accorder intérieurement plus que de l'amitié.
Il étoit depuis quelque tems à Vermanton. M. de
Chalons son intime ami, dont les terres étoient peu
éloignées, se hâta de l'inviter au plaisir de la chasse.
« Le Comte de
Canaple, entraîné a la poursuite d'un cerf, se trouva
seul au commencement de la Forêt : comme il en connoissoit les routes,
& qu'il se vit fort près de Vermanton ; il en prit le chemin. Il étoit
si tard quand il y arriva, & celui qui lui ouvrit la porte étoit si
endormi, qu'à peine pût-il obtenir qu'il lui donnât de la lumiere. Il
monta tout de suite dans son appartement dont il avoit
toujours une clef ; la lumiere qu'il portoit s'éteignit dans le tems
qu'il en ouvrit la porte ; il se deshabilla & se coucha le plus
promptement qu'il pût. Mais quelle fut sa surprise quand il s'apperçut
qu'il n'étoit pas seul, & qu'il comprit par la délicatesse d'un pied
qui vint s'appuyer sur lui, qu'il étoit couché avec une
femme . . . . . . . De pareils momens ne sont pas ceux des réflexions,
le Comte de Canaple n'en fit aucune, &
profita du bonheur qui venoit s'offrir à lui. »
Il sçut bientôt que c’étoit Madame de Granson
qu'il venoit d'offenser : comment la venger, comment pouvoir se
repentir, comment oser reparoître à ses yeux ! Madame de
Granson, instruite à son tour de l'objet sur qui devoit
tomber sa haine, ne lui épargna, lorsqu'elle le revit, rien de tout ce
qui pouvoit lui prouver combien cette haine étoit extrême. Le [Comte de
Canaple::Comte de Canaple], malgré son desespoir, ne pût
s'empêcher de se rappeller souvent les charmes & toute la beauté de
Madame de Granson. Il prit pour elle la plus
vive passion ; mais il n'osa jamais lui parler, ni de son crime, ni de
son repentir, ni de son amour. Il s'imposa des loix aussi sévéres que
celles que Madame de Granson
eût pu lui imposer elle-même ; & il y fut fidéle pendant un tems
fort long. Il avoit espéré d'obtenir du moins quelque pitié : Madame de Granson, toujours inexorable, ne voulant rien
voir de tout ce qui pouvoit le rendre moins coupable, ou ne le voyant
que pour le rendre plus malheureux, se montra si inflexible, si
impitoyable, qu'il ne vit plus la fin de son tourment que dans la fin de
sa vie. Edouard faisoit alors le siége de Calais ; la ville ne pouvoit plus résister : il falloit
qu'elle se rendit, ou qu'elle se soumit aux conditions que lui imposoit
ce Monarque. Calais prit ce dernier parti. Le
vainqueur exigeoit que six bourgeois lui fussent livrés la corde au col.
Le Comte de Canaple avoit tenté tous les moyens
pour sauver cette ville infortunée, qu'il défendoit à la tête de sa
compagnie des Gendarmes, & dans laquelle Madame de
Granson se trouvoit pour lors renfermée. Convaincu qu'il
ne pouvoit plus rien faire pour elle, il songea à travailler pour lui.
Il engagea un bourgeois, nommé Eustache de Saint
Pierre, à l'avouer pour son fils ; & ayant obtenu ce
qu'il désiroit, il parut déguisé à la tête des victimes qu' Edouard avoit demandées. Ce moment fut le premier où il
osa apprendre à Madame de Granson,
qu'il l'aimoit. Il lui écrivit cette Lettre.
Après m'être pugni d'un crime
qui m'honore
En respectant toujours votre ressentiment ;
Quand je cours à la mort, pour m'en punir encore,
Daignerez-vous m’écouter un moment ?
Le tourment d’éprouver un courroux si
sévere,
N'est pas ce qui me fait embrasser vos genoux ;
Ma seule ambition est l'espoir de vous plaire,
En m'immolant à ce même courroux.
J'ai mérité l'arrêt qu'a porté votre haine ;
Je dois être pour vous un objet odieux.
Et cet arrêt cruel ne me punit qu'à peine,
Si vous sçavez combien je fus heureux.
Cependant, quel mortel eût été plus timide !
Eh ! comment résister à tant de volupté !
Quand la beauté paroît, le sentiment décide ;
Le crime alors c’est l'infidélité.
Un si parfait bonheur eût paru légitime,
À tout être sensible & né pour s'enflâmer ;
Et j'osai me flater que, sans commettre un crime,
J'avois le droit de m'en laisser charmer.
Si vous pouviez sçavoir combien un cœur s'enflâme
Au moment qu'il peut faire un vol à la beauté !
L'invincible transport qui séduit mon ame
Seroit à peine une témérité.
Vous étiez dans mon lit, libre par mon
absence,
Lit devenu fatal au repos de mes jours,
Que la vive douleur de votre indifférence
Avoit rendu le tombeau des amours.
Des plus tendres desirs l'amour formoit ses armes,
Tous ses traits à l'envi se disputoient mon cœur ;
Le bienfaisant sommeil, complice de vos charmes,
Sembloit comme eux m'inviter au bonheur.
Quel moment, pour dompter une ardeur invincible,
Et comment même après pouvoir se repentir !
Les remords du plaisir sont d'une ame insensible,
Et l'innocence est à sçavoir sentir.
Mais où m'emporte, hélas, un souvenir trop tendre !
Je parle de plaisir, & vous versez des pleurs ;
Le malheureux sujet qui vous en fait répandre,
A chaque instant s'accroît par vos douleurs.
Ne croyez pas, du moins, que je m'en
applaudisse ;
On n'est point à l'abri d'un souvenir charmant ;
Le repentir renaît ; un entier sacrifice
Va vous venger de l'erreur d'un moment.
Un vainqueur sanguinaire, & l'organe du crime,
A sa farouche gloire immole six François ;
Je cours m'offrir ; l’Anglois me croira sa victime,
Vous sçaurez seule un secret que je tais.
Mais quand, pour vous vanger, je meurs avec courage,
Me refuserez-vous un moment de pitié !
Et vous le demander, est-ce augmenter l'outrage
Qui me condamne à votre inimitié ?
J'ose encore espérer que votre ame irritée
Ne se réglera pas sur son ressentiment ;
La mienne, en vous perdant, est assez tourmentée
Pour mériter qu'on plaigne son tourment.
Vous ne voyez en moi qu'un mortel
méprisable,
Dont le cœur égaré n'est mû que par les sens !
Ce cœur que vous croyez insensible & coupable,
Pour vous venger a pris des sentimens.
Vous sçavez que jamais l'ardeur la plus fidéle
N'eut du pouvoir sur moi ! Le plus foible retour
Est pour un inconstant une chaîne cruelle ;
Je fremissois au seul nom de l'amour.
Trop de facilité, dans des objets aimables,
Loin de me révolter avoit formé mon goût ;
Le changement m'offroit des biens inépuisables ;
En me fixant, j'aurois cru perdre tout.
L'habitude l'emporte en flattant la molesse,
Sans compter je ne sçais quel ton impertinent
Qui décidant sans choix, & décidant sans cesse,
Fronde l'amour impitoyablement.
Que mon cœur est changé ! Par combien de tendresse
Ne réparé-je point ma perte & mon erreur !
Il semble que l’amour à chaque instant me blesse
Pour m'éclairer par mon propre bonheur.
Depuis l'instant fatal qui m'a rendu
coupable,
Je brûle & je rougis de n'aimer point assez :
Votre idée adoucit le tourment qui m'accable
Même en songeant que vous me haïssez.
Comment ne pas brûler d'une si vive flâme ?
L'estime, le remord, la vertu, la beauté,
Ont fait ma passion ; & l'amour dans mon ame
Est un devoir plus qu'une volupté.
Mais c’est trop abuser de votre complaisance ;
Votre gloire & vous-même exigez mon trépas !
Je dois avoir égard à votre complaisance,
Et dans le fond je n'en murmure pas.
Quel seroit mon destin ! Comment pourrois-je vivre
En proye aux longs remords, pires que les bourreaux ?
Un souvenir cruel sçauroit trop me poursuivre,
En m'immolant je me sauve des maux.
Songez du moins, songez, s'il est encor <sic.>
possible,
Aux pleurs que m'ont coûté des plaisirs d'un instant,
Se pourroit-il, hélas! que votre ame infléxible,
Avec plaisir, vit Canaple expirant !
Avant de lui vouer une haine éternelle,
Songez qu'il vous fut cher en de plus heureux tems ;
Qu'il le seroit encor <sic.> si vous étiez moins
belle,
Si vos attraits n'avoient séduit ses sens.
Ce desespoir vertueux paroîtra bien ridicule à l'amant hardi de Lucile, & je ne doute point qu'en lisant avec elle
les Vers où j'ai tâché de l'exprimer fidélement, il ne fronde la
facilité que j'ai eue à m'y intéresser ; mais l'amant de Lucile est un impudent, que sa maîtresse même
mépriseroit comme tel, si elle avoit un caractère.
L'amour est fait pour être respecté, mais il a besoin de la politesse
pour mériter tout le triomphe auquel il peut prétendre, & pour être
applaudi des honnêtes gens. Ceux qui sentent le prix de cette
approbation flatteuse & nécessaire, doivent porter la délicatesse
jusqu'au zèle, & aspirer à corriger les autres par leur exemple.