Zitiervorschlag: Armand de Boisbeleau de La Chapelle (Hrsg.): "Article XXXIII.", in: Le Philosophe nouvelliste, Vol.1\039 (1735), S. 440-453, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2306 [aufgerufen am: ].


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Article XXXIII.

Par Mademoiselle
Jeanne Distaff,
Sœur uterine de Monsieur
Bickerstaff.

Du Jeudi 23. au Samedi 25 Juin. 1709.
De mon Cabinet, le 23.de Juin.

Ebene 2► Metatextualität► Mon Frére, qui est allé faire un tour à la Campagne, mʼa chargé de lʼOuvrage quʼil avoit à faire pour aujourdʼhui. Jʼen ai été ravie, & franchement il me tardoit dʼêtre en possession de sa plume pour rétablir les idées de certaines choses quʼil met, à mon avis, dans [441] un faux jour, au préjudice de notre Sexe. Il ressemble à tous les autres Hommes. Ces Monstres de la Nature ne peuvent parler de nous que pour en dire du mal, & cʼest une chose déplorable, quʼil faille écrire pour leur apprendre les égards quʼils nous doivent. En parcourant les Papiers quʼil mʼa laissé pour en faire lʼusage que je voudrois dans cette Feuille, jʼai trouvé la Lettre suivante lignée par un Homme qui sʼappelle Truman. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

Je ne suis que depuis peu dans cette Ville, où jʼai lû vos Ouvrages avec beaucoup de plaisir. Jʼy remarque avec joie que le Bel Esprit y est employé à rendre Le Siècle plus sage & plus poli. Cependant, comme jʼai dessein dʼachetter vos Feuilles volantes, & de les faire lire à mes Filles, jʼose vous prier de nʼy parler plus, à lʼavenir, 1 du combat dʼAlexandre & de Thalestris. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

Ce qui a choqué cet Homme-là, mʼoblige de déclarer ici, que je nʼai jamais pu voir, sans colère, que lʼon se donne certaines licences, en parlant devant les [442] personnes, de notre Sexe, qui portent les titres vénérables de Mère, de Fille, ou de Sœur. Jʼy aurois ajouté celui dʼEpouse, si je ne savois que le monde se connoît à présent si peu en vrais plaisirs que ce nom, qui devroit être le plus doux & le plus aimable, cʼest plus que lʼobjet commun du mépris des uns & de la raillerie des autres. Jʼai eu mille disputes là-dessus avec mon Frère. Je lui aï toujours soutenû, que les foiblesses des Femmes ne doivent être imputées quʼà la malicieuse adresse quʼont les Hommes de flatter le petit penchant que nous avons à la Vanité & à la Coqueterie. Il prétend au contraire que les Hommes ne seroient pas si vicieux, sʼils ne sʼappercevoient que les Femmes aiment à leur trouver quelque grain de libertinage. Cʼest ce que je nʼai jamais pu lui céder. Je crois pourtant quʼil nʼa pas tout le tort, & raisonnant à cette heure de sens froid, je conviens dʼune chose que je lui ai toujours niée dans la chaleur de nos Conversations.

Croyons-en nos yeux. Nʼest-il pas vrai que les Hommes, les plus vicieux, & les plus débauchés se marient tous tôt ou tard ? Or voici comme je raisonne. Si [443] ces Hommes étoient assurez que la debauche leur dût interdire pour jamais le commerce des Femmes de mérite & dʼhonneur, il nʼest presque pas possible quʼils renonçassent volontairement à lʼesperance de ce commerce. Si les Femmes avoient de la prudence, elles ne recevroient point dʼAmant qui ne fût muni dʼun bon Certificat de la dernière Maitresse, où lʼon specifieroit les raisons pour lesquelles il a quitté son service. Au lieu de cela, tout ce qui se préscrite est de bonne prise, & le cœur le plus volage est quelquefois celui que nous estimons le plus. Nʼest-ce pas une grande bizarrerie que nous ne voulions point prendre de Laquais quʼil nʼaît un bon Témoignage des personnes quʼil a servies, & que dans une affaire qui doit peut-être influer par tout le bonheur de la vie, nous nʼexaminons rien quand il sʼagit dʼentrer en marché avec un Homme qui peut en avoir trahi mille autres avant que de nous rechercher ?

Tout ce desordre ne vient après tout que de la sotte opinion qui a établi, quʼil nous est honteux dʼêtre dupées, & quʼil nʼest point honteux aux Hommes de nous duper. Mais puisque cette opinion, tou-[444]te impertinente, toute injuste quʼelle est, regne par tout, je voudrois bien savoir pourquoi Meilleurs les Hommes nous font un crime dʼuser de quelque artifice avec des Imposteurs de profession ? Quoi ! les sermens & les imprécations, les vœux, les protestations dʼun amour éternel ne seront dans leur bouche que des termes de lʼart pour nous seduire, & il ne nous sera pas permis dʼavoir recours à la ruse pour nous défendre des pièges que ces perfides nous tendent ? Pour moi, jʼai pris mon parti. Tout ce quʼils me diront entrera par une oreille & sortira par lʼautre ; je me rirai de toutes leurs sornettes, & sʼils ne débutent par le Mariage, ce fera peine perdue.

On sʼétonnera peut- être de la résolution que jʼai prise, nʼayant guere plus de vingt ans. Mais on lʼaura que jʼai déja lʼexpérience requise pour juger du cœur humain. Avec peu de bien, assez dʼesprit & une grande beauté, si mon Miroir & les Soupirans ne me flattent pas, les dangers auxquels ma Vertu sʼest vûe exposée nʼont pas été médiocres. Si mon histoire importe à lʼinstruction du Public je suis toute prête à la raconter. Allgemeine Erzählung► Je nʼavois que seize ans, lorsque je fis [445] connoissance avec une Dame qui sʼest aquise beaucoup de réputation par la Fortune rapide quʼelle a procuré à son Mari & à tous ceux qui lui appartiennent. Elle se plaçoit ordinairement près de moi dans lʼEglise ; mais elle ne me parla que peu ou point du tout pendant quelques mois. Enfin un jour, après mʼavoir entretenue de son âge oui lui avoit appris à connoitre le monde, & de lʼextrême amitié quʼelle avoit pour moi, elle me dit que certaines choses lui faisoient craindre que je nʼallasse me rendre malheureuse par mon imprudence, & former des desseins où je ne pourrois réussir. Ebene 3► Dialog► Voyez-vous, mon Enfant, ajouta-t-elle, jʼapperçois tout ce que vous faites ; je ne remarque que trop que ce jeune Seigneur y qui sʼassied vis-à-vis vous occupe toute entière. Vous ne regardez que lui à travers votre Eventail y aux momens même de la dévotion publique, où vous devriez vous attacher à dʼautres objets. A ces mots, je rougis, je pâlis, je voulus parler & ne pus rien dire. Voyant mon embarras, elle continua de la sorte : Ne vous allarmez pas, ma chère, de la confidence que je vous fais de ma découverte. Si je ne vous aimois pas, je ne vous en auroit rien dit.Ce Seigneur est mon Parent ; mais [446] votre honneur mʼest plus cher que tour celui qui me peut revenir de ce parentage. ◀Dialog ◀Ebene 3 A peine avoit-elle fini ces dernieres paroles, que le Seigneur vint nous joindre, & lui donne la main pour monter en Carrosse.

Quand je fus seule, je fis mille reflexions sur cette avanture. Jʼadmirois quʼune Femme qui ne me connoissoit presque point, fit la vertueuse si à contretems, & vint ainsi me faire penser à une chose à laquelle il est vraisemblable que je nʼaurois jamais pensé sans elle. Cependant, que ne peut point la vanité sur-un jeune Cœur ? Je me disoïs dʼun autre côté, quʼil nʼetoit pas impossible que ce Seigneur mʼaimât, & que je lʼaimasse même, sans que je mʼen fusse aperçue, & que je ne serois pas la premiere dont la beauté auroit fait la fortune. On se persuade si facilement ce que lʼon souhaite, que jʼallai me coeffer de cette chimere. Je nʼavois plus que ce Seigneur dans lʼesprit pendant la Veille, & dans le Sommeil, à Table, à lʼEglise, aux Promenades, par tout & en tout tems lʼAmour ou lʼAmbition me rappelloit cet Objet.

Sempronie, cʼétoit le nom de cette Dame, Sempronie, dis-je, lut bien, malgré-mon silence, ce qui se passoit dans mon [447] cœur, & me voyant au point où elle me vouloit, elle me propose un soir, en sortant de lʼEglise, dʼaller faire un tour au Parc de St. James. Je lʼy suivis, & nous nʼy avions pas été long tems que le Seigneur vint passer auprès de nous. Jamais je ne fus plus émuë. Mon visage étoit tout en feu. Ma Compagne, qui mʼexaminoit, saisit cette occasion de me donner de nouveaux avis & me dit, Vous nʼavez pas oublié, Mademoiselle, la peine que me firent les regards que vous lanciez, sur cet Homme, lors que je mʼen fus apperçue. Vous avez ce que je vous en dis alors. Pardonnez-moi la liberté que je prends dʼy revenir, pavois pour votre défunte Mére, une affection si tendre que je ne saurois que veiller un peu sur votre conduite. A la saveur de cette obligeante préface, elle prit un air fort sevére, & me dit en substance, « que cet Homme étoit dangereux ; quʼil ne cherchoit quʼà mʼabuser ; quʼil lʼavoit souvent priée de lui ménager un rendez-vous avec moi ; & quʼelle lui avoit déclaré tout net quʼelle nʼen seroit rien, à moins quʼil ne jurât de mʼépouser que nʼen ayant pu obtenir ce serment, elle ne voyoit que lʼabsence qui pût me sauver du péril dont [448] jʼétois menacée ; quʼelle avoit une Maison dans la Province où nous pourrions palier tranquillement la belle Saison, que là je me deferois peu-à-peu dʼune passion qui nʼavoit déja que trop gagné sur moi & quʼelle me conjuroit, par tout ce que jʼavois de plus cher au monde, dʼaccepter lʼoffre quʼelle me faisoit. » Cette invitation fut faite avec tant dʼempressement, & de démonstrations dʼamitié que je la suivis à la Campagne.

Dans lʼenfoncement du Jardin il y a voit une espece de Labyrinthe, & au milieu de ce Labyrinthe couloit un petit Ruisseau qui arrosoit un Berceau couvert de Jasmins. Cʼétoit dans ce lieu si paisible & si agréable, que je passois presque tous les jours y mʼoccupant à la lecture de quelques Romans où de quelques Poësies. Je ne sortois de ma retraite que lorsque la lumière commençoit à me manquer. Un soir que la frâicheur du Zaphire, le murmure de lʼeau, & léchant des Rossîgnols, avoient augmenté la douce indolence que rapproche de la nuit inspiré naturellement, à la fin des grandes chaleurs de la journée, un soir, dis-je, que je goûtois cet innocent plaisir, & presque à lʼheure [449] que jʼavois coutume de me retirer, quʼelle fut ma surprise de voir sʼavancer vers moi ce Seigneur que je nʼy attendois pas ! Je nʼavois pas sû, jusquʼà ce moment-là, quʼil fût dans le lieu où nous demeurions. Il me sembla remarquer, à son air, quʼil rouloit dans son esprit quelque dessein qui lʼinquietoit, & jʼeus le loisir, avant quʼil mʼeût approchée, de faire réflexion que jʼétois trahie. Le vif ressentiment que jʼen conçus mʼinspira le courage dont jʼavois besoin. Lʼavouerai-je pourtant ? Quand je le vis entrer sous le Berceau, mon cœur se révolta contre moi-même en sa faveur, & je sentis une secrette joie de lʼesperance, dont je me flattai, quʼil pouvoit bien ne venir que pour me faire une respectueuse déclaration de son Amour. Cette illusion répandit, sur mon visage & dans mes yeux, une tendresse qui ne fit apparemment quʼenflamer ses desirs. Lʼagitation de son ame parut dans son discours. Il nʼy eut rien de lié ; il parloit comme sʼil eût voulu que je ne pénétrasse pas son dessein, & que néanmoins jʼy consentisse. Son desordre me fit revenir en partie à moi-même & mais non pas assez pour exprimer librement ce que je pensois de lʼindignité de son entre-[450]prise : Ebene 3► Dialog► Mylord, lui dis-je en tremblant, jʼespere que lʼembarras où vous me voyez ne vous inspirera pas trop dʼaudace. Helas ! que peut une pauvre Fille qui nʼa pour défense que sa propre Vertu ? Considerez aussi le lieu où nous sommes. ◀Dialog ◀Ebene 3 Il se peut que ces paroles lui parurent favorables au dessein brutal quʼil méditoit, & que me voyant dans la même confusion où il se trouvoit, il crut que cʼétoit pour les mêmes motifs. Quoi quʼil en soit, il se mit à mes pieds, où il me parla du silence qui regnoit aux environs, des ténèbres qui alloient couvrir la Nature, & de lʼardente passion qui le possedoit. Ce nʼétoit que flames pures, quʼamour éternel, que ravissemens suprêmes, & autres images pareilles que les scelérats empruntent du Ciel, pour servir de prélude à des actions infernales. Comme jʼétois encore assise sur le Garon, dʼoù je nʼavois pas eu la force de me releverm ce Téméraire eut lʼinsolence de vouloir me prendre entre ses bras. Alors ne pouvant plus douter de mon malheur, & dans mon desespoir ne pouvant plus recourir quʼà la générosité de mon ennemi, je fis un effort pour me debarrasser de ses mains, & pour me jetter à ses pieds. Ebene 3► Dialog► Ah ! Mylord, lui dis-je, ayez pitié de moi, [451] je vous le demande à genoux. Que ne puis-je le faire plus humblement, & dʼune manière plus propre à vous toucher ! Oui, Mylord, je me mets à vos pieds, pour défendre ma Vertu, comme vous vous êtes mis tout-à-lʼheure aux miens pour lʼattaquer. Sacrifierez-vous à lʼindigne plaisir dʼun moment, toute lʼinnocence, tout le bonheur de ma vie ? Pourrez-vous vous résoudre à plonger dans le crime, une personne qui vous aime, qui vous cherit, qui vous adore ? nʼaura-t-on pris tant de peine pour mʼélever à la Vertu, & pour former ma Raison ? Nʼaurai-je moi-même cultivé si soigneusement ces somences de lʼéducation, que pour devenir le jouët de vos passions, & le mépris de tout le monde ? Au nom de Dieu, Mylord, rappellez ce que vous êtes & ce que je suis. Ne profanez pas un temple consacré à lʼhonneur, & sanctifié par la religion. Si je vous ai offensé, percez-moi le sein, je ne mʼy oppose pas. Que je meure dʼune main si chere, sans me voir ravir par elle ce qui mʼest plus cher que la vie. ◀Dialog ◀Ebene 3

La douleur mʼempêcha dʼen dire davantage, mais jʼen avois dit assez pour émouvoir mon Amant. Il me parut interdit, & son morne silence sembloit me demander excuse de son crime. Sempronie, [452] qui se tenoit cachée pour jouir de plus près du fruit de sa trahison & sentit bien quʼelle avoit manqué son coup, & pour cacher son jeu, sortit de son embuscade en criant comme une furieuse, Ebene 3► Dialog► Ah ! indigne mortel, nʼest-ce donc que pour venir en Voleur déshonorer ma Maison que vous vous êtes dérobé si sécrettement de la Ville ? ◀Dialog ◀Ebene 3 Cet impertinent reproche acheva de faire revenir ce Seigneur entièrement à lui-même. En regardant sa Parente, il fit un éclat de rire, dont cette Femme, toute hardie quelle étoit, fut démontée & se tournant ensuite de mon coté. Mademoiselle, me dit dʼun air fort obligeant, prenez désormais garde aux gens que vous frequentez. Après quʼil se fut retiré, la Traitresse qui mʼavoit livrée versa un torrent de larmes pour me féliciter de ma délivrance.

Depuis ce tems-là, ce même Seigneur mʼa souvent recherchée en honnête homme. Mais jʼai toujours rejetté civilement les propositions quʼil mʼa faites, prévoyant que si je déviais jamais la Femme, il ne manquera point, dans quelque moment de mauvaise humeur, de me reprocher que lʼaffaire du Berceau étoit un jeu de Comédienne. Ajoutez à cela que je [453] me fais gloire de mépriser un Homme, qui a été capable de former le dessein de me deshonorer. Si toutes les Femmes en faisoient autant, lʼInnocence seroit le seul ornement des Belles, & lʼaffectation de plaire par dʼautres endroits ne regarderoit que les personnes de notre Sexe qui nʼont point de vertu. Il y a mille fois plus de contentement à vaincre ses passions quʼà les satisfaire, & lors quʼon a eu le bonheur de remporter une victoire pareille à la mienne, on peut se trouver parmi les Blondins, & les Hommes à bonnes fortunes, avec aussi peu de danger que lʼon en court pendant lʼEté dans les champs parmi les Sauterelles & les Papillons. ◀Allgemeine Erzählung

Metatextualität► Si jamais je remets la main à la plume, jʼai encore mille millions de choies à dire contre les Hommes. ◀Metatextualität ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Voyez ci-dessus l’Article XXXI.