Article XX. Armand de Boisbeleau de La Chapelle Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Klara Gruber Editor Barbara Thuswalder Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 15.12.2015 o:mws.3869 Armand de Boisbeleau de La Chapelle: Le Philosophe Nouvelliste, traduit de lʼAnglois de Mr. Steele par A.D.L.C. Seconde Edition revue & corrigée. Tome Premier. Amsterdam: François Changuion 1735, 291-303, Le Philosophe nouvelliste 1 026 1735 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Recht Diritto Law Derecho Droit Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Liebe Amore Love Amor Amour Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme United Kingdom London London -0.12574,51.50853 France 2.0,46.0 Netherlands Amsterdam Amsterdam 4.88969,52.37403 Netherlands 5.75,52.25 Hyde Park -0.16571,51.50735 Italy Rome Rome 12.51133,41.89193

Article XX.

Du Mardi 24. au Jeudi 26. Mai 1709.

Du Caffe de White le 24. Mai.

Quand on a du chagrin, on court aux plus prompts remèdes sans examiner s’ils font les plus raisonnables. L’histoire suivante servira de commentaire & de preuve à cette Reflexion.

Je reçus l’autre jour visite d’une inconnue. Elle me parut avoir environ trente ans. Cétoit une belle Brune, & avoit une douceur à effacer les plus charmantes blondes. Son air & sa mine annonçoient une santé vigoureuse, & ses yeux pleins de feu ne parloient que de joie. A ce visage riant on n’auroit pas soupçonné que la Dame venoit pour me conter des doléances. C’étoit pourtant ce qui l’amenoit, & pour éviter ce contraste, qu’elle sentoit bien, elle baissa la vue en m’adressant la parole. Mr. Bickerstaff, me dit-elle apres s’être un peu composée, vous voyez ici la Femme du monde la plus malheureuse. Je ne m’adresse à vous pour chercher un reméde à mes maux. Vous êtes en reputation de savant Légiste, & de profond Astrologue ; j’ai besoin de votre secour & de vos lumieres pour me separer de mon Mari. Le Divorce que je demande est fondé en raison, & je sai d’avance que, selon les Loix municipales, la cause en est juste. Madame, lui dis-je, le mal dont vous vous plaignez est de telle nature que je ne saurois vous répondre que vous ne m’ayez instruit à fond de l’affaire. Il faut, s’il vous plait, que je sâche de quoi il s’agit, & si vous voulez bien m’en faire confidence, je vous prie de ne me rien déguiser. Monsieur, me repliqua-t-elle, je me reposois sur votre savoir, & ne croyois pas qu’il fût besoin de vous dire pourquoi une Femme veut être separée de son Mari. Il ne faut pas être grand Sorcier pour le deviner. Vous avez raison, Madame ; lui répondis-je, mais puisque vous voulez porter la chose en Justice, il ne suffit pas que l’on puisse avoir des soupçons & des conjectures. Je dis plus : Quand bien vos Avocats auraient une évidence entiere de la chose, ils ne pourront rien faire pour vous, si vous ne parlez pas vous-même. Hé bien ! reprit-elle en se couvrant les yeux de son Eventail, mon Mari n’est pas plus Mari que le seroit un des Italiens qui chantent à l’Opera. Un torrent de larmes suivit ces paroles.

Je vois bien, Madame, repliquai-je, que Ceci est plutôt une ironie qu’une verité. Il n’y a qu’un Actre de Parlement qui puisse dissoudre le Mariage, & cette faveur ne s’obstient qu’après beaucoup de longueurs & de depenses, encore n’est-ce guére que pour des Familles considerables où le divorce est nécessaire ou pour y mettre la paix, ou pour leur donner des héritiers.nos Loix vous sont favorables & que vous gagnerez votre Procès devant les Tribunaux de Justice. Mais pourrez-vous vous résoudre à en venir-là ? Vous sentez-vous assez de courage pour mépriser les impertinences que l’on se dira tout bas à votre sujet ; pour écouter de sens froid les paroles libres & les réflexions gaillardes dont les Avocats se font un plaisir, dans ces occasions, d’égayer leurs discours ; & enfin pour vous mettre au-dessus du qu’en dira-t-on d’un monde toujours malin, toujours disposé à prendre mal la conduite des Femmes qui veulent changer d’Epoux ? Qu’est ce en effet que l’on ne semble pas avoir raison d’en dire ? C’est pour le moins qu’on les soupçonne de ceder une Passion toujours honteuse à votre Sexe. Est-il néccesaire de vous on avertir ? Ce qui nous fait le plus d’honneur dans cette vie, & ce qui doit être le plus recompensé dans l’autre, c’est de dominer sur nos Sens, & de mépriser les plaisirs. Monsieur, me dit-elle d’une voix ferme, Vous savez & je sai aussi que, dans l’endroit de notre Liturgie ou l’on expose les raisons du Mariage, la vuë d’avoir des enfans est mise à la tête de toutes les autres, comme en étant la principale & la plus importante. Cela servira de réponse à l’exhortation que vous me faites. Ce que vous dites des plaisirs sensuels est le plus beau du monde, & je suis toute prête à le pratiquer pourvu que la Conscience n’y soit pas engagée. L’abstinence la plus severe ne m’étonneroit point. Je me passerois aisément de manger & de boire, si vous me l’ordonniez. Mais la Loi qui nous commande de croître & de multiplier n’est-elle pas précise, & comment pourrois-je avoir la paix de l’ame, si je vivois dans l’omission actuelle d’un devoir si juste, & si clairement établi ?

M’appercevant alors que la Belle étoit savante,& se servoit de son savoir à propos, je crus qu’il m’y falloir prendre autrement, & que les Exemples seroient plus d’opression sur elle que les Leçons. Madame, lui dis-je, je vous conjure de faire reflexion sur ce nombre prodigieux de jeunes Beautés qui passent leur vie dans la Clôture. Elles y sont privées de la vue ou du commerce des Hommes, & cette perte ne les aflige point. Elles la supportent avec une merveilleuse allegresse. Le Ciel occupe un tems qu’elles ne peuvent donner à là Terre. Là Dévotion leur tient lieu de tout, ou s’il leur faut d’autres plaisirs, elles les trouvent entre elles ou dans les douces Conversations qui s’y lient, ou dans la tendre Amitié qui s’y forme. Hé ! Monsieur, me repartit-elle brusquement, vous me parlez là de Papistes ; Ce sont des Idolâtres que nous ne devons pas imiter. Soit, lui dis-je, n’en parlons plus, Madame, mais oserois-je encore vous prier de jetter les yeux sur la grande quantité de Demoiselles bien faites, qui vivent avec honneur dans le Célibat, quoi qu’elles soient à toute heure exposées aux tentations de la Galanterie dans une Ville où les Galans manquent pas assurément. Mlle. V est encore fille à l’âge de 44. ans ; Mlle. T.... l’est encore à 39, & Mlle. L... à 33. Leur état ne paroit point leur être à charge. Au C’est le Parc de St. James, la plus belle Promenade qu’il y ait à Londres, & qui est sous les fenêtres du Palais.Parc, à la Comédie, dans les Assemblées, partout où elles vont, on les y voit rire & se divertir, & cela d’une façon si dégagée que l’on ne diroit presque pas que leur enjoûment soit un acte de mortification. Oh ! Monsieur, je vous arrête-là, me dit-elle un peu plus émue, je vous crois d’ailleurs excellent Casuiste, mais pour le coup vous n’y pensez pas. Quelle vertu y a-t-il à suivre indolemment l’inclination du cœur, & de quel prix sont les plus belles Actions lorsqu’elles ne nous coûtent aucun sacrifice ? Je vous ai donné ma Demie-Guinée en entrant, je comptois que pour cela vous mettriez mon Esprit en repos, & que, par-dessus le marché, vous me diriez la bonne avanture. Mais je vois bien… Patience, Madame, lui répondis-je, j’ai encore une Question à vous faire. Dites-moi, je vous prie, quel âge a votre Mari ? Son âge ! repondit-elle. II a cinquante ans, & il yen a quinze que je l’épousai. Comment est-il donc arrivé que, pendant tout ce tems-là, vous n’ayez fait confidence de votre chagrin, ni à vos Parentes, ni à vos Amies. C’est, Monsieur, que mon Mari n’est dans cet état que depuis quinze jours. Qu’un autre se mette à ma place. Je ne manque point de serieux, car je suis grave naturellement, & je l’étois alors par artifice un peu plus qu’à l’ordinaire ; mais il n’y eut point de gravité qui tînt, il fallut eclater de rire, & après m’être un peu remis, En verité, lui dis-je, Madame, ce que vous me dites-là ne rend pas votre cause meilleure. Si les Maris deviennent impuissans par vieillesse ou par maladie, tant pis pour les Femmes ; les Législateurs ni les Loix n’y ont pas pour-vû. Cela vous plait à dire, me répliqua-t-elle, & je sois assurée que vous n’y entendez rien. Le monde est bien duppe de vous vanter comme on fait. Au bout du compte, vous n’êtes pas plus habile que le J'ai déja remarqué que c’étoit un Medecin de peu de savoir, & d'une moindre reputation, qui ne s'attachoit guére qu’à la cure des Maux Veneriens.Dr. Case. Adieu ! J’aurois bien pu me passer de votre Morale. Je trouverai mieux mon fait ailleurs. Je m’en vais communiquer mon affaire à un jeune Homme ‘de vingt-cinq ans, qui ne fait que sortir de l’Academie. Je ne doute point que sa Science ne me donne plus de contentement que la vôtre, & que celle de toute votre Famille.

Voilà donc une de mes Pratiques que je viens de perdre. Je m’en console si ce Conte ennuyeux peut être utile à Pastorelle, & lui fait rejetter le parti qu’on lui propose d’un Homme qui pourroit être son Pere. Que ne ferois-je point pour rendre sérvice aux Dames ? Pourvû que je réussisse dans ce dessein, peu m’importe que l’on me traite d’Ignorant, & mon Ouvrage ne paroisse bon qu’à être relié avec l’Almanac.

Du Caffé de Guillaume le 25. de Mai.

On a joué ce soir C’est une Piéce de Mr. Farquhar, assez bonne à quelques défauts près que l'Auteur indique ici. J'ai omis ces réflexions & quelques endroits qui y ont du rapport, parce que des Lecteurs François n'y comprendroient presque rien.l’Officier qui fait ses recrues. Les Acteurs ont fait honneur à la Piéce ; mais l’Assemblée étoit plus convenable aux Mommeries de la Cette Foire, qui se tenoit tous les ans au mois de Mai tout près de Hyde-Park, causoit tant de desordre ; il s'y commettoit tant de crimes & de meurtres même, que la Reine Anne la supprima. La licence de celle qui se tient à Smithfield environ la St. Barthelemi ne differe guères de la précédente, mais les Maires de Londres font de tems en tems mine de la reprimer.Foire de Mai, qu’aux grandes représentations du Théatre Royal. Voilà qui va tout finir à la fois. Les Mommeries de la Foire font défendues, & le Théatre Royal va de plus en plus en décadence. Les grandes revolutions de cette nature me rappellent les malheurs de L’Auteur veut parler de la célébre Mlle. Tofts, qui, après avoir brillé par la douceur & la beauté de sa voix, eut, je ne sai comment, la mortification de se voir négligée, avant que d’avoir perdu les agrémens qui la rendoient si fameuse. De chagrin, elle prit la résolution d’aller à Rome où l’on dit qu’elle se fit Papiste. Le Pape Clement XI. Devant qui elle chanta, fut charmé de sa voix ; & la Chronique scandaleuse en publia même quelque chose de plus.Camille, qui a eu le triste sort de man-quer avant que la voix lui manquât, & de disparoitre où sa beauté fleurissante pouvoit encore se montrer avec le plus d’avantage. Cette Dame entroit si bien dans l’esprit de son Rôlé,qu’elle ne pouvoit s’en défaire. Après avoir joué le personnage de Reine, elle vouloit en conserver l’équipage, & paroître dans son Logis avec le même train & la même magnificence ou elle avoit paru sur le Théatre. La noblesse de ces sentimens a contraint cette Princesse infortunée à se bannir du monde, pour finir ses tristes jours dans une retraite obscure, où rien ne la console des Couronnes & des Sceptres qu’elle a perdus, que le plaisir qu’elle a de repeter tranquillement aux Bois l’histoire de ses malheurs. Elle chante souvent tout bas dans sa solitude les paroles suivantes :

Sort cruel ! c’est en vain qu’à force de rigueur Tu crois vaincre une ame si fiere.Helas ! sous les habits d’une pauvre Bergere,D’une Princesse encor je conserve le cœur.

Cependant comme elle craint que les Bergers du voisinage ne l’entendent & ne la reconnoissent, elle chante ordinairement en Italien :

Naqui al regno, naqui al Throno, E pur sonoSventurata Pastorella….

Mais à propos de Comédiens & de Comédie, il faut que je fasse part au Public d’une Lettre que j’ai reçue depuis peu de Hollande. Elle vient d’un de mes Amis qui est à Amsterdam, où il y a un Théatre magnifique. Cette magnificence ne doit pas surprendre. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est la Troupe que l’on choisit & que l’on entretient pour jouer ; on y voit en même tems la politesse & la frugalité de cette Nation-là. Voici donc ce que l’on me mande.

Monsieur,

Mes Amis m’ont retenu ici une semaine de plus que je n’avois dessein d’y demeurer. Leur intention a été de m’y faire voir une de leurs Pièces que l’on joua hier au soir avec beaucoup d’applaudissement. Tous les Acteurs en étoient de simples Artisans qui, après avoir fait leur journée, gagnent le soir un Florin à faire les Rois & les Généraux. Le Heros de la Tragédie étoit un Tailleur qui avoit un Garçon de Caffé pour son premier Ministre. Je ne pus voir l’Impératrice sans songer à la Parthenope de la J’ai dit ailleurs que cette Pièce est d’un Seigneur Anglois, qui, pour se moquer de Dreyden, introduit ce Poëte formant un Plan de Tragedie tout-à-fait ridicule, & pour le dessein & pour les Personnages.Repetition ; car la Mére de l’Actrice Hollandoise tient un Cabaret à Biere dans les Fauxbourgs d’Amsterdam. Après la Tragedie vint une petite Farce dans laquelle il parut un Cordonnier qui joua son Rôle à merveille, cela ne pouvoit être autrement. Car cet homme n’y faisoit que son métier ordinaire, & ne représentoit sur le Théatre en badinant que ce qui fait tous les jours dans la Boutique sa plus serieuse oc-cupation. Des profits du Théatre on entretient un Hôpital. Car les gens de ce Païsci ne eroient pas qu’un Homme se doive borner à la profession de Comédien, ou qu’il soit permis à personne de s’enrichir à une Profession dont la République tire si peu d’avantage. Je me trompe, ou en Angleterre, il s’est fait quelque chose d’approchant. Car il me semble avoir ouï dire qu’un Acteur, nommé Allen, Le fait est vrai Cet Hôpital est fort commode & bien renté. Dulledge est à deux ou trois milles au Sud de Londres.fonda l’Hôpital de Dulledge, & qu’une fameuseC’est de Mlle. Bracegirdle, dont il veut parler. Je ne sai ce qui en est de ce prétendu Testament, mais je sai bien qu’elle a quitté le Théatre depuis long-tems, & je croi qu’elle est encore en vie, en 1722. Comédienne a constitué son Bien en rentes payables après sa Mort, pour l’entretien des beaux Esprits qui tomberont dans l’indigence, y apposant néanmoins pour condition nécessaire, que ces Messieurs seront admis à la pension, dès qu’ils deviendront froids & languissans dans leurs Ecrits, à quelque âge de leur vie que cela puisse arriver.

Article XX. Du Mardi 24. au Jeudi 26. Mai 1709. Du Caffe de White le 24. Mai. Quand on a du chagrin, on court aux plus prompts remèdes sans examiner s’ils font les plus raisonnables. L’histoire suivante servira de commentaire & de preuve à cette Reflexion. Je reçus l’autre jour visite d’une inconnue. Elle me parut avoir environ trente ans. Cétoit une belle Brune, & avoit une douceur à effacer les plus charmantes blondes. Son air & sa mine annonçoient une santé vigoureuse, & ses yeux pleins de feu ne parloient que de joie. A ce visage riant on n’auroit pas soupçonné que la Dame venoit pour me conter des doléances. C’étoit pourtant ce qui l’amenoit, & pour éviter ce contraste, qu’elle sentoit bien, elle baissa la vue en m’adressant la parole. Mr. Bickerstaff, me dit-elle apres s’être un peu composée, vous voyez ici la Femme du monde la plus malheureuse. Je ne m’adresse à vous pour chercher un reméde à mes maux. Vous êtes en reputation de savant Légiste, & de profond Astrologue ; j’ai besoin de votre secour & de vos lumieres pour me separer de mon Mari. Le Divorce que je demande est fondé en raison, & je sai d’avance que, selon les Loix municipales, la cause en est juste. Madame, lui dis-je, le mal dont vous vous plaignez est de telle nature que je ne saurois vous répondre que vous ne m’ayez instruit à fond de l’affaire. Il faut, s’il vous plait, que je sâche de quoi il s’agit, & si vous voulez bien m’en faire confidence, je vous prie de ne me rien déguiser. Monsieur, me repliqua-t-elle, je me reposois sur votre savoir, & ne croyois pas qu’il fût besoin de vous dire pourquoi une Femme veut être separée de son Mari. Il ne faut pas être grand Sorcier pour le deviner. Vous avez raison, Madame ; lui répondis-je, mais puisque vous voulez porter la chose en Justice, il ne suffit pas que l’on puisse avoir des soupçons & des conjectures. Je dis plus : Quand bien vos Avocats auraient une évidence entiere de la chose, ils ne pourront rien faire pour vous, si vous ne parlez pas vous-même. Hé bien ! reprit-elle en se couvrant les yeux de son Eventail, mon Mari n’est pas plus Mari que le seroit un des Italiens qui chantent à l’Opera. Un torrent de larmes suivit ces paroles. Je vois bien, Madame, repliquai-je, que Ceci est plutôt une ironie qu’une verité. Il n’y a qu’un Actre de Parlement qui puisse dissoudre le Mariage, & cette faveur ne s’obstient qu’après beaucoup de longueurs & de depenses, encore n’est-ce guére que pour des Familles considerables où le divorce est nécessaire ou pour y mettre la paix, ou pour leur donner des héritiers.nos Loix vous sont favorables & que vous gagnerez votre Procès devant les Tribunaux de Justice. Mais pourrez-vous vous résoudre à en venir-là ? Vous sentez-vous assez de courage pour mépriser les impertinences que l’on se dira tout bas à votre sujet ; pour écouter de sens froid les paroles libres & les réflexions gaillardes dont les Avocats se font un plaisir, dans ces occasions, d’égayer leurs discours ; & enfin pour vous mettre au-dessus du qu’en dira-t-on d’un monde toujours malin, toujours disposé à prendre mal la conduite des Femmes qui veulent changer d’Epoux ? Qu’est ce en effet que l’on ne semble pas avoir raison d’en dire ? C’est pour le moins qu’on les soupçonne de ceder une Passion toujours honteuse à votre Sexe. Est-il néccesaire de vous on avertir ? Ce qui nous fait le plus d’honneur dans cette vie, & ce qui doit être le plus recompensé dans l’autre, c’est de dominer sur nos Sens, & de mépriser les plaisirs. Monsieur, me dit-elle d’une voix ferme, Vous savez & je sai aussi que, dans l’endroit de notre Liturgie ou l’on expose les raisons du Mariage, la vuë d’avoir des enfans est mise à la tête de toutes les autres, comme en étant la principale & la plus importante. Cela servira de réponse à l’exhortation que vous me faites. Ce que vous dites des plaisirs sensuels est le plus beau du monde, & je suis toute prête à le pratiquer pourvu que la Conscience n’y soit pas engagée. L’abstinence la plus severe ne m’étonneroit point. Je me passerois aisément de manger & de boire, si vous me l’ordonniez. Mais la Loi qui nous commande de croître & de multiplier n’est-elle pas précise, & comment pourrois-je avoir la paix de l’ame, si je vivois dans l’omission actuelle d’un devoir si juste, & si clairement établi ? M’appercevant alors que la Belle étoit savante,& se servoit de son savoir à propos, je crus qu’il m’y falloir prendre autrement, & que les Exemples seroient plus d’opression sur elle que les Leçons. Madame, lui dis-je, je vous conjure de faire reflexion sur ce nombre prodigieux de jeunes Beautés qui passent leur vie dans la Clôture. Elles y sont privées de la vue ou du commerce des Hommes, & cette perte ne les aflige point. Elles la supportent avec une merveilleuse allegresse. Le Ciel occupe un tems qu’elles ne peuvent donner à là Terre. Là Dévotion leur tient lieu de tout, ou s’il leur faut d’autres plaisirs, elles les trouvent entre elles ou dans les douces Conversations qui s’y lient, ou dans la tendre Amitié qui s’y forme. Hé ! Monsieur, me repartit-elle brusquement, vous me parlez là de Papistes ; Ce sont des Idolâtres que nous ne devons pas imiter. Soit, lui dis-je, n’en parlons plus, Madame, mais oserois-je encore vous prier de jetter les yeux sur la grande quantité de Demoiselles bien faites, qui vivent avec honneur dans le Célibat, quoi qu’elles soient à toute heure exposées aux tentations de la Galanterie dans une Ville où les Galans manquent pas assurément. Mlle. V est encore fille à l’âge de 44. ans ; Mlle. T.... l’est encore à 39, & Mlle. L... à 33. Leur état ne paroit point leur être à charge. Au C’est le Parc de St. James, la plus belle Promenade qu’il y ait à Londres, & qui est sous les fenêtres du Palais.Parc, à la Comédie, dans les Assemblées, partout où elles vont, on les y voit rire & se divertir, & cela d’une façon si dégagée que l’on ne diroit presque pas que leur enjoûment soit un acte de mortification. Oh ! Monsieur, je vous arrête-là, me dit-elle un peu plus émue, je vous crois d’ailleurs excellent Casuiste, mais pour le coup vous n’y pensez pas. Quelle vertu y a-t-il à suivre indolemment l’inclination du cœur, & de quel prix sont les plus belles Actions lorsqu’elles ne nous coûtent aucun sacrifice ? Je vous ai donné ma Demie-Guinée en entrant, je comptois que pour cela vous mettriez mon Esprit en repos, & que, par-dessus le marché, vous me diriez la bonne avanture. Mais je vois bien… Patience, Madame, lui répondis-je, j’ai encore une Question à vous faire. Dites-moi, je vous prie, quel âge a votre Mari ? Son âge ! repondit-elle. II a cinquante ans, & il yen a quinze que je l’épousai. Comment est-il donc arrivé que, pendant tout ce tems-là, vous n’ayez fait confidence de votre chagrin, ni à vos Parentes, ni à vos Amies. C’est, Monsieur, que mon Mari n’est dans cet état que depuis quinze jours. Qu’un autre se mette à ma place. Je ne manque point de serieux, car je suis grave naturellement, & je l’étois alors par artifice un peu plus qu’à l’ordinaire ; mais il n’y eut point de gravité qui tînt, il fallut eclater de rire, & après m’être un peu remis, En verité, lui dis-je, Madame, ce que vous me dites-là ne rend pas votre cause meilleure. Si les Maris deviennent impuissans par vieillesse ou par maladie, tant pis pour les Femmes ; les Législateurs ni les Loix n’y ont pas pour-vû. Cela vous plait à dire, me répliqua-t-elle, & je sois assurée que vous n’y entendez rien. Le monde est bien duppe de vous vanter comme on fait. Au bout du compte, vous n’êtes pas plus habile que le J'ai déja remarqué que c’étoit un Medecin de peu de savoir, & d'une moindre reputation, qui ne s'attachoit guére qu’à la cure des Maux Veneriens.Dr. Case. Adieu ! J’aurois bien pu me passer de votre Morale. Je trouverai mieux mon fait ailleurs. Je m’en vais communiquer mon affaire à un jeune Homme ‘de vingt-cinq ans, qui ne fait que sortir de l’Academie. Je ne doute point que sa Science ne me donne plus de contentement que la vôtre, & que celle de toute votre Famille. Voilà donc une de mes Pratiques que je viens de perdre. Je m’en console si ce Conte ennuyeux peut être utile à Pastorelle, & lui fait rejetter le parti qu’on lui propose d’un Homme qui pourroit être son Pere. Que ne ferois-je point pour rendre sérvice aux Dames ? Pourvû que je réussisse dans ce dessein, peu m’importe que l’on me traite d’Ignorant, & mon Ouvrage ne paroisse bon qu’à être relié avec l’Almanac. Du Caffé de Guillaume le 25. de Mai. On a joué ce soir C’est une Piéce de Mr. Farquhar, assez bonne à quelques défauts près que l'Auteur indique ici. J'ai omis ces réflexions & quelques endroits qui y ont du rapport, parce que des Lecteurs François n'y comprendroient presque rien.l’Officier qui fait ses recrues. Les Acteurs ont fait honneur à la Piéce ; mais l’Assemblée étoit plus convenable aux Mommeries de la Cette Foire, qui se tenoit tous les ans au mois de Mai tout près de Hyde-Park, causoit tant de desordre ; il s'y commettoit tant de crimes & de meurtres même, que la Reine Anne la supprima. La licence de celle qui se tient à Smithfield environ la St. Barthelemi ne differe guères de la précédente, mais les Maires de Londres font de tems en tems mine de la reprimer.Foire de Mai, qu’aux grandes représentations du Théatre Royal. Voilà qui va tout finir à la fois. Les Mommeries de la Foire font défendues, & le Théatre Royal va de plus en plus en décadence. Les grandes revolutions de cette nature me rappellent les malheurs de L’Auteur veut parler de la célébre Mlle. Tofts, qui, après avoir brillé par la douceur & la beauté de sa voix, eut, je ne sai comment, la mortification de se voir négligée, avant que d’avoir perdu les agrémens qui la rendoient si fameuse. De chagrin, elle prit la résolution d’aller à Rome où l’on dit qu’elle se fit Papiste. Le Pape Clement XI. Devant qui elle chanta, fut charmé de sa voix ; & la Chronique scandaleuse en publia même quelque chose de plus.Camille, qui a eu le triste sort de man-quer avant que la voix lui manquât, & de disparoitre où sa beauté fleurissante pouvoit encore se montrer avec le plus d’avantage. Cette Dame entroit si bien dans l’esprit de son Rôlé,qu’elle ne pouvoit s’en défaire. Après avoir joué le personnage de Reine, elle vouloit en conserver l’équipage, & paroître dans son Logis avec le même train & la même magnificence ou elle avoit paru sur le Théatre. La noblesse de ces sentimens a contraint cette Princesse infortunée à se bannir du monde, pour finir ses tristes jours dans une retraite obscure, où rien ne la console des Couronnes & des Sceptres qu’elle a perdus, que le plaisir qu’elle a de repeter tranquillement aux Bois l’histoire de ses malheurs. Elle chante souvent tout bas dans sa solitude les paroles suivantes : Sort cruel ! c’est en vain qu’à force de rigueur Tu crois vaincre une ame si fiere.Helas ! sous les habits d’une pauvre Bergere,D’une Princesse encor je conserve le cœur. Cependant comme elle craint que les Bergers du voisinage ne l’entendent & ne la reconnoissent, elle chante ordinairement en Italien : Naqui al regno, naqui al Throno, E pur sonoSventurata Pastorella…. Mais à propos de Comédiens & de Comédie, il faut que je fasse part au Public d’une Lettre que j’ai reçue depuis peu de Hollande. Elle vient d’un de mes Amis qui est à Amsterdam, où il y a un Théatre magnifique. Cette magnificence ne doit pas surprendre. Ce qu’il y a de plus singulier, c’est la Troupe que l’on choisit & que l’on entretient pour jouer ; on y voit en même tems la politesse & la frugalité de cette Nation-là. Voici donc ce que l’on me mande. Monsieur, Mes Amis m’ont retenu ici une semaine de plus que je n’avois dessein d’y demeurer. Leur intention a été de m’y faire voir une de leurs Pièces que l’on joua hier au soir avec beaucoup d’applaudissement. Tous les Acteurs en étoient de simples Artisans qui, après avoir fait leur journée, gagnent le soir un Florin à faire les Rois & les Généraux. Le Heros de la Tragédie étoit un Tailleur qui avoit un Garçon de Caffé pour son premier Ministre. Je ne pus voir l’Impératrice sans songer à la Parthenope de la J’ai dit ailleurs que cette Pièce est d’un Seigneur Anglois, qui, pour se moquer de Dreyden, introduit ce Poëte formant un Plan de Tragedie tout-à-fait ridicule, & pour le dessein & pour les Personnages.Repetition ; car la Mére de l’Actrice Hollandoise tient un Cabaret à Biere dans les Fauxbourgs d’Amsterdam. Après la Tragedie vint une petite Farce dans laquelle il parut un Cordonnier qui joua son Rôle à merveille, cela ne pouvoit être autrement. Car cet homme n’y faisoit que son métier ordinaire, & ne représentoit sur le Théatre en badinant que ce qui fait tous les jours dans la Boutique sa plus serieuse oc-cupation. Des profits du Théatre on entretient un Hôpital. Car les gens de ce Païsci ne eroient pas qu’un Homme se doive borner à la profession de Comédien, ou qu’il soit permis à personne de s’enrichir à une Profession dont la République tire si peu d’avantage. Je me trompe, ou en Angleterre, il s’est fait quelque chose d’approchant. Car il me semble avoir ouï dire qu’un Acteur, nommé Allen, Le fait est vrai Cet Hôpital est fort commode & bien renté. Dulledge est à deux ou trois milles au Sud de Londres.fonda l’Hôpital de Dulledge, & qu’une fameuseC’est de Mlle. Bracegirdle, dont il veut parler. Je ne sai ce qui en est de ce prétendu Testament, mais je sai bien qu’elle a quitté le Théatre depuis long-tems, & je croi qu’elle est encore en vie, en 1722.Comédienne a constitué son Bien en rentes payables après sa Mort, pour l’entretien des beaux Esprits qui tomberont dans l’indigence, y apposant néanmoins pour condition nécessaire, que ces Messieurs seront admis à la pension, dès qu’ils deviendront froids & languissans dans leurs Ecrits, à quelque âge de leur vie que cela puisse arriver.