Monsieur,
le cuivre devient or.
Je souhaitois il y a quelque tems, d’obtenir une place qui étoit à
remplir, & que j’avois méritée par mes services & mes grands
travaux. Je n’étois nullement connu du Supérieur qui a droit d’y nommer,
& je sçavois que le mérite n’est pas une recommandation suffisante.
Je songeois à m’intriguer, lorsque je vins à penser qu’un homme que je
croïois de mes amis, & qui m’avoit
J’allai trouver cet homme, qui me reçut & me parla avec tous les témoignages de la meilleure volonté. Sa femme que je ne connoissois pas, étoit présente à cet entretien, mais ne me parut pas y prendre beaucoup de part ; je ne fis du moins aucune attention à elle ; & comme j’étois plein de mes idées, & entierement persuadé que son mari avoit de l’amitié pour moi, je parlai pendant deux heures avec toute la vivacité & la liberté d’un homme qui a toute la confiance imaginable.
Je dressai un placet en forme de lettre que je remis à mon confident ; & en nous séparant il me fit espérer, comme il avoit déjà fait, la plus favorable & la plus prompte réponse.
Je dormis tranquillement pendant
Mes premieres nuits furent donc assez tranquilles, mais l’inquiétude
succéda à ce calme trompeur, lorsque je vis que je ne recevois aucunes
nouvelles de mon confident. Nous étions convenus qu’il me feroit avertir
lorsqu’il auroit reçu des lettres de la Cour. Je me rendis chez lui muni
d’un second placet. Je ne le trouvai pas, & j’appris qu’il étoit à
Cela fut dit du ton le plus affectueux. Elle me regardoit attentivement,
presque tendrement, & je ne sçus d’abord que penser, ni de ses
regards, ni de ses discours. Je commen-
Ces derniers mots me frapperent. Je ne voulus pourtant pas m’y arrêter ;
la curiosité commençoit à agir, & je compris qu’il seroit dangereux
de lui laisser voir mon étonnement. Pour le lui cacher tout-à-fait, je
lui dis que j’étois d’avance très-sensible aux marques de la confiance
qu’elle vouloit bien me donner, & que je souhaitois répondre à
l’estime qu’apparemment elle avoit conçue pour moi . . . . Oui,
Monsieur, j’ai pris de l’estime pour vous, & je vous en donnerai des
preuves dont vous ne penserez pas à vous défier ; mais souffrez que
j’exige de vous la plus grande discrétion. C’est pour vous
J’avois mesuré tous mes termes afin qu’elle ne crût pas que je portois
mes idées plus loin qu’elle ne les portoit elle-même, si elle n’avoit
que des vues innocentes ; mais je ne le pensois pas, & de l’air dont
elle m’avoit regardé, il y avoit tout à parier que je ne me trompois
point. Je rêvai beaucoup à tout cela ; je voulus combattre ma
prévention, & trouver à ce qu’elle m’avoit dit un sens plus
raisonnable que celui auquel je m’arrêtois malgré moi : je n’y pus
parvenir. Nous avons une si étrange opinion des femmes, une grande
connoissance, & je dirai même une si grande conviction de leur
Je réussissois assez bien à la justifier, Monsieur, comme vous voyez, & le perfide amour propre m’exposoit à trouver une sorte d’excuse pour moi dans le plus grand crime, si le point d’honneur, plus prompt ici & plus effectif que la conscience, ne m’avoit éclairé. Je vis que j’allois trahir mon ami, dans le tems même qu’il pensoit à me rendre heureux, & j’eus horreur de ma criminelle facilité. Cependant je ne crus pas devoir pousser la délicatesse à l’extrême ; je pensai que Madame d * * * ne s’êtant point expliquée, je devois la voir & me regarder comme assez défendu par ma ferme résolution. Elle n’a peut-être pas eû une seule des idées que je lui suppose, me dis-je ; je perdrois, peut-être, (à la soupçonner) des conseils, des services, d’où dépent le succès de mes vœux ! Il faut la voir & braver son audace, si elle n’a que des desseins indignes de moi.
C’étoit bien du temps perdu en vai-
Je me rends à vos ordres, Madame, lui dis-je avec respect ; je ne soupçonne point encore le motif qui vous a portée à m’en donner d’aussi flateurs, & je brûle de l’apprendre. . . . Je n’ai pas moins d’impatience de m’expliquer, que vous n’en pouvez avoir de m’entendre, me dit elle, avec le même ton d’affection ; je fais une démarche qui vous prouvera que je m’intéresse à votre bonheur ; elle peut devenir un éternel obstacle au mien, mais vous m’avez juré que vous sçauriez vous taire & vos sermens sont tout ce que je veux considérer.
Je la rassurai encore dans les termes
Je vous épargne, Monsieur, tout ce que nous nous dîmes encore Madame
d * * * & moi. Vous devinez apparemment qu’elle ne me laissa point
partir sans m’assurer qu’il n’entroit aucune haine pour son mari, aucune
vûe d’intérêt, aucun motif humain, dans ce qu’elle venoit de faire,
& que l’unique objet qui l’y avoit déterminée, étoit la justice,
l’estime, la générosité ? Vous devinez aussi que je n’eus & que je
ne lui laissai pas le moindre doute, qui pût offenser un esprit aussi
bon & une ame aussi belle ! Vous me dispensez de vous dire tout
cela, dans l’impatience de sçavoir le résultat de mes propositions,
& l’effet qu’elles produisirent pour mon bonheur ! Vous allez être
bien étonné en lisant ce qu’il me reste à vous apprendre. Vous
connoîtriez trop le monde, & vous seriez à qui faut-il se fier ?
Je répondrai au galant-homme qui m’écrit qu’il ne faut se
fier à personne, en convenant pourtant qu’il y a d’honnêtes gens.
Certainement, la sorte de fourberie dont il se plaint, m’étoit
encore inconnue, & je vois bien qu’avec quelque fond
d’expérience que l’on commence un Livre de la nature de celui-ci, on
a encore beaucoup à s’instruire avant que de pouvoir se flatter d’y
avoir peint tous les caracteres, & toutes les horreurs qui
deshonorent l’humanité.