Du Jeudi 19. Janvier
1719.
Je laisse à juger au Lecteur intelligent, s’il y a la moindre
apparence qu’on fasse jamais, usage d’un Plan tel que je l’ai dressé
dans ma
Je crains bien que les tristes vérités que je viens d’exposer, ne soient
un peu trop goûtées du Public, puisque rien n’est plus en vo-
Ceux de mes Lecteurs, dont l’esprit est un peu tourné du côté de la
réflexion, auront observé, aussi-bien que moi, que l’orgueil est comme
naturel à tous ceux qui sont obligés par leur profession, à parler quand
les autres se taisent, depuis l’Orateur, jusqu’à ces Officiers publics,
qui nous disent qu’elle <sic> heure il est lorsque tout le monde
est couché. Il est constant que les cris officieux de ces gens, sont
variés par certaines inflexions de voix, par certains roulemens qui font
voir avec évident ce qu’ils sont contens d’eux-mêmes, & qu’ils
croient heurter plus gracieusement que leurs Collégues. Remarquez avec moi, qu’il y a de l’or-gueil à coup
sûr, par-tout ou l’on trouve un effort étudié pour n’être pas
naturel.
Si l’on ne veut pas s’en fier à l’oreille seule, on peut se convaincre par un sens de plus, de la vérité de ce que j’avance. Jettez les yeux sur ce Crieur public, qui va vous avertir de la perte d’une Montre ou d’un petit Chien ; ou du départ prochain d’un Batelier. Il s’avance d’un pas grave, d’un air sérieux. Dès qu’il se trouve dans le centre d’un carefour, il se campe majestueusement, le jaret tendu, & un de ses bras appuyé sur la hanche. Dans cette posture, il garde le silence pendant quelques momens, & ne commence sa harangue qu’à près avoir craché & toussé avec méthode. Son cri est une déclamation dans les formes, & sa voix parcourt toute une octave par des élévations & par des chutes perpétuelles. Il finit, fait la morgue à son auditoire, se retire d’un air grave & posé, & ne double le pas que lorsque ses auditeurs l’ont perdu de vue.
En voilà plus qu’il n’en faut, ce me semble, pour justifier l’orgueil des
Prédicateurs. Ce qui me surprend beaucoup, c’est que le mépris pour les
Ecclésiastiques, n’est pas seulement enraciné dans le cœur des Gens
superficiels & indévots, tel que le Beau-Monde & les Gens
d’esprit ; mais qu’il y a des personnes graves d’entre le Clergé même,
qui ne sont guéres plus prévenus en leur faveur. Un fameux Evêque Anglois, disoit ouvertement, que quand il rencontrait un Laïque inconnu, il se trouvoit
obligé par la charité à croire cet inconnu honnête homme, jusqu’à ce
que par ses actions il eût prouvé qu’il ne l’étoit pas ; mais qu’en
rencontrant un Ecclésiastique, il se trouvoit obligé par la prudence
à concevoir de lui une opinion toute contraire, jusqu’a ce que par
ses acions il se fut fait connoître pour homme d’honneur.
Franchement ce discours est de beaucoup trop fort, & il caractérise
fort bien l’esprit de ce Prélat, qui haïssoit sur-tout l’animosité persécutrice du Clergé, & qui poussoit jusqu’à
l’intolérance son zéle contre les Intolérans.
Je conviens que pour devenir Homme de bien, un Ecclésiastique a de plus grands obstacles à surmonter, qu’un Homme du Monde. Mais il est certain par cela même, qu’il est bien plus estimable qu’un autre, si ces obstacles cédent aux efforts de sa raison. J’en connois de ce caractére, qui méritent les plus magnifiques éloges, & à qui on fait une injustice criante, par le jugement illimité qu’on fait témérairement de tout le Clergé en général.
Un Ministre de l’Evangile, habile & vertueux, est sans doute l’Homme
du monde le plus utile à la Société, & par conséquent le plus digne
des respects de tous les amateurs du Genre-humain, c’est-à-dire, de tous
ceux qui ont un mérite véritable. Un tel Ecclé-Critique, fondées sur les principes
incontestables de la Raison, comme aussi les mœurs & les coutumes
des Anciens, qui font paroître clairs & faciles des Passages où les
Ignorans ne découvrent que des ténébres, ou qu’une fausse lueur.
Muni de tous ces trésors, qu’il a acquis par plusieurs années de travail,
il emploie le tems qui lui reste à vivre, à les répandre libéralement
parmi ses Prochains. Il travaille sans relâche à les rendre religieux,
doux, débonnaires, charitables, bons Péres, bons Enfans, bons sujets.
Bien loin de leur représenter la Vertu sous les traits d’une Furie, il
fait tous ses efforts pour la peindre aussi aimable, aussi conforme à la
Nature humaine qu’elle l’est actuellement ; sa conduite concourt avec
ses Sermons, pour inspirer aux Hommes le