Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "LXXIV. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.2\023 (1745), S. 150-156, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2220 [aufgerufen am: ].


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LXXIV. Bagatelle

Du Jeudi 19. Janvier 1719.

Ebene 2► Je laisse à juger au Lecteur intelligent, s’il y a la moindre apparence qu’on fasse jamais, usage d’un Plan tel que je l’ai dressé dans ma Bagatelle précédente ; & si par conséquent par le moyen de l’Election, de la façon qu’on la pratique, on réussira à remplir dignement la plupart des Chaires. On m’objectera sans doute, que la Succession ne sera pas plus efficace pour vous mener à un but si desirable. je l’avoue, & jusqu’ici je vois seulement que [151] les deux moyens en question sont assez paralléles. J’en conclus uniquement, que les Chrètiens ne perdroient rien au change, s’ils étoient exhortés à leurs devoirs par des Ministres Héréditaires. Mais ce qui doit emporter la balance de ce côté là, c’est que si le Droit de Succession étoit une fois établi parmi le Clergé, tout se passeroit beaucoup plus paisiblement dans l’Eglise ; On éviteroit par là des disputes, des animosités, des haines, des divisions, des brouilleries. Les Ecclesiastiques ne se porteroient pas à certains excès, qui donne du scandale aux Foibles, & qui choquent la raison des Gens sensées. Comme je l’ai déja insinué, il n’arriveroit pas, que plus jaloux de leur autorité que de la gloire de leur Maître. Ils feroient tous leurs efforts pour priver leurs Eglises du Ministére des plus honnêtes-gens. On ne les verroit pas extorquer les suffrages de leur Consistoire pour un de leurs Confréres, précisément parce que c’est un homme fier & séditieux, animé d’un zéle indiscret & persécteur. On ne les verroit pas s’assembler ensuite avec cérémonie, & sûrs de leur coup, oser, avant que d’aller aux voix, demander, par une impiété insolente, la direction du Ciel pour l’Election qui va se faire.

Je crains bien que les tristes vérités que je viens d’exposer, ne soient un peu trop goûtées du Public, puisque rien n’est plus en vo-[152]gue que de médire des Ecclésiastiques. Il me semble pourtant, qu’il n’est pas tout à fait impossible qu’un homme, dont le métier est de se rendre familiers les Préceptes de la Religion, ne puisse être homme de bien. J’avoue qu’en général ces Messieurs péchent par un peu trop d’orgueil, & je remarque souvent qu’un Jeune-homme, qui a été doux, honnête, obligeant pendant qu’il portoit l’épée & la perruque à la cavaliére, n’a pas plutôt arboré une perruque d’Abbé, & un manteau noir, que la fierté est peinte sur son visage, dans sa démarche, & dans toutes ses actions ; mais dans le fond ce n’est que par un cas fortuit. Ce petit malheur dérive naturellement, & presque nécessairement, de l’obligation où sont ces personnes de parler en public.

Ceux de mes Lecteurs, dont l’esprit est un peu tourné du côté de la réflexion, auront observé, aussi-bien que moi, que l’orgueil est comme naturel à tous ceux qui sont obligés par leur profession, à parler quand les autres se taisent, depuis l’Orateur, jusqu’à ces Officiers publics, qui nous disent qu’elle <sic> heure il est lorsque tout le monde est couché. Il est constant que les cris officieux de ces gens, sont variés par certaines inflexions de voix, par certains roulemens qui font voir avec évident ce qu’ils sont contens d’eux-mêmes, & qu’ils croient heurter plus gracieusement que leurs Collégues. Remarquez avec moi, qu’il y a de l’or- [153] gueil à coup sûr, par-tout ou l’on trouve un effort étudié pour n’être pas naturel.

Si l’on ne veut pas s’en fier à l’oreille seule, on peut se convaincre par un sens de plus, de la vérité de ce que j’avance. Jettez les yeux sur ce Crieur public, qui va vous avertir de la perte d’une Montre ou d’un petit Chien ; ou du départ prochain d’un Batelier. Il s’avance d’un pas grave, d’un air sérieux. Dès qu’il se trouve dans le centre d’un carefour, il se campe majestueusement, le jaret tendu, & un de ses bras appuyé sur la hanche. Dans cette posture, il garde le silence pendant quelques momens, & ne commence sa harangue qu’à près avoir craché & toussé avec méthode. Son cri est une déclamation dans les formes, & sa voix parcourt toute une octave par des élévations & par des chutes perpétuelles. Il finit, fait la morgue à son auditoire, se retire d’un air grave & posé, & ne double le pas que lorsque ses auditeurs l’ont perdu de vue.

En voilà plus qu’il n’en faut, ce me semble, pour justifier l’orgueil des Prédicateurs. Ce qui me surprend beaucoup, c’est que le mépris pour les Ecclésiastiques, n’est pas seulement enraciné dans le cœur des Gens superficiels & indévots, tel que le Beau-Monde & les Gens d’esprit ; mais qu’il y a des personnes graves d’entre le Clergé même, qui ne sont guéres plus prévenus en leur faveur. Un fameux Evêque Anglois, disoit ouvertement, que [154] quand il rencontrait un Laïque inconnu, il se trouvoit obligé par la charité à croire cet inconnu honnête homme, jusqu’à ce que par ses actions il eût prouvé qu’il ne l’étoit pas ; mais qu’en rencontrant un Ecclésiastique, il se trouvoit obligé par la prudence à concevoir de lui une opinion toute contraire, jusqu’a ce que par ses acions il se fut fait connoître pour homme d’honneur.

Franchement ce discours est de beaucoup trop fort, & il caractérise fort bien l’esprit de ce Prélat, qui haïssoit sur-tout l’animosité persécutrice du Clergé, & qui poussoit jusqu’à l’intolérance son zéle contre les Intolérans.

Je conviens que pour devenir Homme de bien, un Ecclésiastique a de plus grands obstacles à surmonter, qu’un Homme du Monde. Mais il est certain par cela même, qu’il est bien plus estimable qu’un autre, si ces obstacles cédent aux efforts de sa raison. J’en connois de ce caractére, qui méritent les plus magnifiques éloges, & à qui on fait une injustice criante, par le jugement illimité qu’on fait témérairement de tout le Clergé en général.

Un Ministre de l’Evangile, habile & vertueux, est sans doute l’Homme du monde le plus utile à la Société, & par conséquent le plus digne des respects de tous les amateurs du Genre-humain, c’est-à-dire, de tous ceux qui ont un mérite véritable. Un tel Ecclé-[155]siatique s’est sacrifié dès sa jeunesse au bien de ses Prochains ; son esprit s’est attaché avec une noble fermeté à toutes les études desagréables & épineuses, qui facilitent l’explication de ce Livre Divin, qui nous enseigne les moyens d’être heureux pendant cette vie, & qui nous promet un bonheur sans bornes dans une vie éternelle, pour prix d’avoir travaillé en gens raisonnables à nous assurer un bonheur temporel. Loin de se fier aux interprétations d’autrui, & d’abréger ses études par le secours des Commentaires, il va lui-même à la souce des Langues originales ; il s’applique à connoître à fond les régles de Critique, fondées sur les principes incontestables de la Raison, comme aussi les mœurs & les coutumes des Anciens, qui font paroître clairs & faciles des Passages où les Ignorans ne découvrent que des ténébres, ou qu’une fausse lueur.

Muni de tous ces trésors, qu’il a acquis par plusieurs années de travail, il emploie le tems qui lui reste à vivre, à les répandre libéralement parmi ses Prochains. Il travaille sans relâche à les rendre religieux, doux, débonnaires, charitables, bons Péres, bons Enfans, bons sujets. Bien loin de leur représenter la Vertu sous les traits d’une Furie, il fait tous ses efforts pour la peindre aussi aimable, aussi conforme à la Nature humaine qu’elle l’est actuellement ; sa conduite concourt avec ses Sermons, pour inspirer aux Hommes le [156] goût de la veritable Piété. Il est facile dans le commerce de la vie, accessible à tout le monde, dépouillé de cette rudesse & de cette austérité qui donnoient du relief à la Vertu des Payens, mais qui deshonorent ce caractère d’Humanité, qui es la baze de la Morale Chrêtienne. Dans l’air riant de son visage, on lit la douce satisfaction de son ame, tranquilisée par le témoignage de sa conscience. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1