Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XLVIII. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.1\049 (1742), S. 276-281, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2193 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XLVIII. Bagatelle.

Du Jeudi. 20. Octobre 1718.

Ebene 2► Il est très naturel que les Femmes soient amoureuses de leur beauté, & qu’elles ne négligent rien pour la relever, par tous les avantages qu’elles peuvent emprunter de l’industrie. Leurs agrémens leur procurent l’empire le plus aimable, la plus flateuse souveraineté sur le cœur des Hommes. Nous nous y soumettons avec le plaisir le plus vif ; & bien souvent le pouvoir des Dames, poussé même jusqu’à la tirannie, ne nous inspire pas seulement la moindre idée de révolte. Mais il faut avouer, que sans ce despotisme charmant, une aimable Fille seroit la plus malheureuse de toutes les créatures.

[277] Je ne songe pas ici à me jetter à corps perdu dans les lieux communs, & à faire voir combien de dangers la Beauté fait naître sous les pas de celles qui la possédent.

Je ne veux pas même faire sentir, à quel point il est difficile à une Femme, d’allier un bon caractére à bien des charmes, & de ne pas fonder sur une aimable figure une vanité dégoûtante, une présomtion grossiére, & quelquefois de la barbarie & de la férocité.

Mon unique but est d’exposer vivement aux yeux de mon Lecteur, les chagrins dont une belle personne est sans cesse accablée, par l’injustice & par la jalousie de son propre Sexe.

Plus les avantages de la Beauté sont flatteurs pour la vanité, & plus les Femmes qui s’en trouvent privées enragent contre celles qui en jouissent. Elles sont laides, vieilles, ou desagréables ; quel crime affreux dans celles qui sont aimables ? Elles pourroient obtenir pardon de toute autre chose, mais leur Beauté est impardonnable. Celles qui les attaquent avec le plus de fureur & d’acharnement, ne sont pas des Femmes mariées, quelque mal que la nature en ait usé avec elles. Celles-là jouent leur petit rôle dans le monde, elles ne sont pas entiérement hors d’œuvre dans le plan de la Création.

Ce sont certaines Filles, qui ayant passé l’âge de trente-cinq ou trente-six ans, sans avoir eu occasion non seulement de sortir d’un triste célibat, mais même de succomber à la tentation, s’en prennent à tout le Genre-humain de leur malheureuse laideur. Cette Fil-[278]le est rongée continuellement d’un dépit morne & sombre, qui de tems en tems éclate dans une rage inconcevable. Elle hait les Hommes, parce qu’ils ont des yeux assez bons pour ne la pas trouver aimable. Elle hait les Femmes, parce qu’elle ne peut pas arracher à leurs charmes un seul pauvre petit Mari. Que peut-elle faire pour n’être pas tout-à-fait oisive dans l’Univers ? Elle se jette entre les bras de la Dévotion, l’azile le plus sûr de la jalousie, de la médisance, de la calomnie. L’air de son visage est tout fait pour cela ; rien ne rend un visage si dévot, qu’une pâleur jaunâtre, & des traits gênés, où se peignent l’indignation & la secrette rage du cœur. Leurs vices étant retranchés dans cette forteresse imprenable, elles poursuivent par-tout la Beauté, comme leur proie.

Fremdportrait► Examinez, par exemple, le manége que fait à l’Eglise la dévote Uranie. Elle fait sortir de l’enfoncement de ses coëffes abattues un œil jaloux & inquiet, pour voir s’il n’y a pas quelque beau visage à portée de ses regards. Dès-qu’elle en découvre un, ses yeux en deviennent plus quarrés, son teint plus livide ; ce qu’elle voit de beau, l’enlaidit d’une maniére affreuse ; sa curiosité maligne parcourt toute la figure, tout l’ajustement de cette Belle ; & au sortir du Sermon, la pauvre Enfant sera mise en beaux draps blancs, si son corps de jupe a laissé entrevoir un doigt de gorge, ou si entr’elle & le Prédicateur il s’est trouvé un Cavalier de bonne mine, qui de tems en tems ait intercepté les regards qu’elle portoit du côté de la chaire. ◀Fremdportrait

[279] C’est bien le diable, si une aimable Femme tombe entre les griffes de certaines Dévotes, qui sont galantes en même tems. La chose n’est rien moins que contradictoire ; & je ne sai pas même, si le plus sur moyen de goûter en repos les plaisirs de la Terre, n’est pas de faire semblant d’être uniquement occupé des affaires du Ciel. Rien ne ressemble mieux à l’air égaré que l’amour répand sur l’extérieur, que les extases & l’enthousiasme, qui sont essentiels à une fausse Piété. Les Femmes de ce caractére, incapables de déranger les traits d’un visage par la malice de leurs discours, & d’émousser la vivacité d’une belle imagination, s’en prennent aux mœurs de leur Ennemie ; la plus innocente de ses démarches devient criminelle, un tête-à-tête avec un Homme suppose les derniéres faveurs. Elles ne connoissent qu’une seule méthode de faire l’amour, & leur propre conduite leur sert de régle fixe, pour juger de celle de tout le Beau-Sexe en général. Mais comme par un jugement de la même nature, qui ne laisse pas d’être assez fondé en expérience, elles croient que les médisances qu’on débite contre la sagesse d’une Femme, lui font moins de dépit que celles qui attaquent ses charmes, elles s’attachent surtout à répandre habilement dans le monde, que l’objet de leur haine a des laideurs cachées, qui doivent diminuer les impressions de ce qu’elle découvre de beau : elles disent en confidence au Public, que la Belle doit la fraîcheur de son teint à quelques remédes dégoûtans, & qu’elle n’est redevable de sa [280] taille aisée & fine qu’à la grace d’un corps de fer.

Généralement parlant, les Femmes, de quelque bon caractére qu’elles soient, ne louent jamais une jolie Personne à pur & à plein ; il y a toujours des mais dans leurs éloges, à moins qu’elles n’ayent lieu de se flater de posséder une beauté supérieure, qui n’ait rien à démêler avec les attraits dont on parle avantageusement devant elles. Pour celle-là, leur impartialité n’est pas d’une pratique difficile ; c’est une vertu qui ne coute pas de grands efforts. Mais entrez dans une compagnie de Femmes, qui ne soient pas assez heureuses pour être dans ce cas, & hazardez-vous à marquer de l’admiration pour une aimable figure, elles ne vous contrediront point formellement & grossiérement. Non ; vous avez raison, dira l’une, c’est une Fille tout-à-fait aimable, on ne sauroit voir de plus belles couleurs. C’est bien dommage qu’elle ait la bouche si grande. N’est-il pas vrai, Monsieur, qu’elle a le nez un peu de travers ? Elles s’imaginent les pauvres Filles, qu’un Homme avant que de trouver une Fille à son gré, en épluche tous les traits, & que la régle & le compas à la main il en prend les proportions avec toute l’exactitude possible. Nos cœurs n’entrent pas dans un si grand détail, les expressions n’en sont pas raisonnées, & un peu d’irrégularité ne fait souvent que répandre sur ce qui nous paroit aimable, un air plus piquant & plus animé. Les Beautés parfaites, s’il s’en trouve, ne paroissent pas assez naturelles pour toucher beaucoup.

[281] Revenons à notre compagnie. La pauvre fille est bien affectée, dira une autre de la troupe jalouse, quels airs panchés ? Il faut avouer que la langueur dont elle veut se faire un mérite, est bien fade. Elle veut être languissante, & elle devient niaise.

Avez-vous remarqué, continuera une troisiéme, qu’elle refusa hier de jouer à l’Assemblée ? Elle est restée pendant deux heures accoudée sur une table, sans dire mot à personne, avec un air de méditation, qui a pensé me faire éclater de rire. S’est-elle jettée dans le Bel-Esprit, & veut-elle avoir des distractions ? C’est une pitié que les jolies Filles soient si sottes, & qu’elles se fassent une étude de gâter par leurs petits airs extravagans, les avantages qu’elles ont reçus de la Nature.

Voilà les lieux communs qui, à coup sûr, suivront de près vos éloges. S’il n’y a pas moyen de gloser sur les appas, sur l’air, sur l’esprit de l’objet de vos louanges, on se jettera sur les ajustemens. Elle étoit coëffée de travers un tel jour ; une autre fois son habit n’étoit pas troussé méthodiquement ; hier elle étoit ensevelie sous un tas de rubans jaunes, dont son teint étoit tout affadi ; sa maniére de se coëffer ne s’accorde nullement à la délicatesse de son petit visage ovale ;  & c’est une chose surprenante, qu’elle ne trouve pas une Amie qui lui apprenne à se mettre comme il faut. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1