Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XLII. Bagatelle", in: La Bagatelle, Vol.1\043 (1742), S. 239-245, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2187 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XLII. Bagatelle.

Du Jeudi 29. Septembre 1718.

Ebene 2► Allgemeine Erzählung► Lorsque le Cardinal Mazarin fut attaqué de la maladie qui l’a privé du jour, un Hom-[240]me de Cour s’approcha de son lit, & lui annonça que depuis quelques jours il paroissoit une Cométe, qui présageoit à la France le funeste coup dont la maladie du Cardinal la menaçoit : Hélas ! lui répondit modestement ce grand Homme, la Cométe me fait trop d’honneur. ◀Allgemeine Erzählung

Je connois plusieurs petits Grimauds, à qui on veut persuader qu’ils sont les Modéles de certains Caractéres qui se trouvent dans mon petit Ouvrage. Ils sont assez bons pour donner là-dedans, au-lieu de rejetter avec modestie des louanges si mal fondées, & de dire la Cométe me fait trop d’honneur.

Qu’on sache d’abord qu’on connoit mal mon humeur & mes intentions, si l’on se met dans l’esprit, que je sois capable d’en vouloir jamais à une Personne en particulier, & de me faire un plaisir de l’exposer à la malice publique.

Point du tout. Pour parvenir à mon but de ramener à la Raison mes Lecteurs, & moi-même, que je trouve souvent plus extravagant que mes Lecteurs, je cherche, & chez moi & chez les autres, des traits qui peuvent être ajustés dans un même caractére, sans choquer la vraisemblance. De dix Sottises particuliéres je compose souvent un Tableau entier, où chacun, s’il est sage, peut trouver ce qui lui convient.

Il est vrai que je rencontre quelquefois certaines Personnes qui ont un assez grand fond d’extravagance, pour fournir toutes seules à un Caractére frappant & bien marqué. Mais alors je ne me dispense jamais de la charité [241] d’y ajouter quelque circonstance étrangére, pour dépaïser la médisance, & la faire balancer du moins sur l’application. Je me garde bien sur-tout, de faire les sujets de mes Caractéres, de certains Fats vils & communs, dont la Fade impertinence ne mérite pas seulement qu’on y réfléchisse, & desquels les honnêtes-gens ignorent jusqu’à l’existence.

Par exemple, quand j’ai parlé de ces gens qui sont en quelque sorte les Accidens de leurs équipages, de leurs habits, de leur cuisine, de leur cave, je n’ai pas daigné seulement jetter la vue sur un bon petit Jeune-homme qui s’est jetté dans le goût des dentelles. Le seul motif qui le porte aux Assemblées, est d’y étaler les charmes de ses manchettes & de sa cravate ; il les confronte avec la coëffure & avec les engageantes des Dames les mieux mises ; & c’est un vrai triomphe pour lui, quand il trouve dans ses dentelles une supériorité de finesse exquise ; il est continuellement occupé à les manier, à les tourner de tous côtés, à en exposer tous les appas à la vue ; il sépare les deux bouts de sa cravate, pour faire voir que le jabot de sa chemise n’est pas d’une beauté moins rare ; il ne léve les yeux que pour examiner si ceux à qui il parle, sont aussi charmés que lui des objets de sa plus vive tendresse, il s’attend à quelque compliment de leur part. S’il ne vient pas assez tôt, il lui ouvre & lui facilite le passage. Combien croyez-vous, dira-t-il, que me coute [242] l’aune de cette dentelle ? Si vous répondez froidement que vous ne vous y connoissez pas, soyez sur que vous êtes pour lui un homme insupportable, dont le commerce lui sera toujours odieux. Mais si vous avez la bonté de deviner qu’il donne quinze florins de ce qui ne lui coûte qu’une pistole, il vous priera à souper pour le lendemain, vous êtes son ami de cœur, & vous avez de belles & bonnes qualités.

Mon Portrait de Narcisse touche un nombre prodigieux de Jeunes-gens, & de Gens d’âge même. Ces derniers, à moins qu’ils ne soient tout-à-fait foux, ne veulent pas briller par leurs bonnes fortunes présentes, ils cherchent les sujets de leur gloire dans les tems passés, ils mordent à la grape quand ils en parlent. A les entendre, ils ont été faits à peindre ; c’étoient les plus belles têtes, & les jambes les mieux faites de tout le Pays. Pour la danse & le bon air, personne ne songeoit à le leur disputer. D’ailleurs, c’étoient de Verts Galans, des Gaillards ; ils n’auroient pas trouvé la moindre résistance dans maint petit Cœur rebelle, qui se donne à présent des airs fanfarons & breteurs. Ce sont-là les discours dont ces Messieurs se bercent continuellement, non seulement quand ils sont ensemble, mais même quand ils sont au milieu d’une Jeunesse, qui a bien de la peine à les en croire sur leur parole.

Pour les Narcisses qui s’occupent du présent, ces Alexandres de la Galanterie qui se [243] croient faits exprès pour la Monarchie universelle du Beau-Sexe, ils sont si nombreux, qu’il est surprenant qu’on ait voulu appliquer à quelqu’un en particulier, ce qui leur convient généralement à tous.

Ce qui m’étonne le plus, c’est l’honneur que s’en fait un certain Flandrin, parce qu’il a un petit nez, un petit teint blanc & fade, & une petite bouche féconde en souris amoureusement niais.

Il ne sait pas que tous ces petits attraits feroient une assez jolie Statue de Fille, mais qu’ils font un fort laid Garçon, surtout quand tout cela est porté par une taille déhanchée, & par des jambes à qui une demi-douzaine de paires de bas tâcheroient envain de donner une grosseur raisonnable. Que ce pauvre Garçon, qui s’aime comme bien d’autres, sans avoir de rivaux, ait la bonté de se desabuser & de me rendre justice.

Zitat/Motto► Mon Portrait de Narcisse, à ce qu’on dit, vous blesse :

Vous avez tort, mon cher Damon.

Vous êtes Fat, je le confesse ;

Mais vous n’êtes pas beau Garçon. ◀Zitat/Motto

Rien au monde n’est plus aisé que de connoître, pour ainsi dire, au prémier coup d’œil un Fat de cette espéce. Dès-qu’on le voit entrer en compagnie, sa maniére de saluer annonce sa beauté prétendue ; il a tous les airs de tête d’une vieille Coquette ; il la panche d’un côté en saluant, & la remue com-[244]me une Pagode. Si quelque Dame fait un souris à une de ses Amies qui se trouve à côté du Narcisse, il ne manque pas de la mettre aussi-tôt sur son compte ; & il se croiroit fort malhonnête & fort cruel, s’il ne rendoit pas sur le champ souris pour souris. Il arrive quelquefois que la Personne qu’il gracieuse de cette maniére fait ce qu’auroit dû faire le Narcisse, & qu’elle croit que la minauderie du beau Garçon regarde tout autre qu’elle. Quelquefois aussi la chose ne sauroit être équivoque, il faut bien qu’elle le remarque : mais elle a beau témoigner par une grimace méprisante, qu’elle est choquée d’un pareil excès de fatuïté, & que ses souris ne sont pas pour le beau nez d’un Extravagant, il ne se desabuse point ; c’est un vrai Commentateur des gestes & des mines du Beau-Sexe, il est ingénieux à y mettre un sens favorable à sa vanité.

Ce qu’il y a de plus insupportable, ce sont les petits airs mignons d’un Narcisse entés sur un laid visage. Ces airs sont capables de rendre dégoûtante la beauté même. Qu’on juge par-là de l’effet qu’ils doivent produire sur sa laideur, qui change toutes les minauderies en grimaces affreuses. Ce cas existe, mais heureusement il est assez rare, & il sent plus les petites-maisons, que les égaremens ordinaire de la Vie Civile.

Ce qui est plus naturel, & qui arrive assez souvent, c’est qu’un Homme qui s’est exercé à faire le beau dans le tems qu’il pouvoit se croire fondé en droit pour ces fades [245] maniéres, & qui perd sa beauté par quelque accident, garde encore les airs de tête qui l’accompagnérent jadis. Pour moi, je me persuade que ces sortes de gens évitent les miroirs, & tout ce qui peut les convaincre du fâcheux changement de leur sort : ils ne se mirent que dans leur vanité, & ils ont résolu d’être beaux jusqu’à leur dernier soupir. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1