Du Jeudi 25 Août. 1718.
Electif, dont j’ai
fait mention dans ma précédente
Ils se mettroient insolemment en tête, que leur Prince est fait pour eux, & qu’ils ne sont pas faits pour lui. Dès-qu’ils verroient la moindre apparence que la Cour voudroit empiéter sur leurs Droits fondamentaux, ils perdroient le respect, ils se cabreroient contre l’Autorité Royale, sans se mettre en peine des raisons d’Etat & des rafinemens Politiques, qui peuvent porter un Prince à agir avec quelque espéce d’irrégularité.
Outre tous ces desordres affreux, les Sujets dont nous parlons, se trouveroient dans la tranquillité & dans l’abondance ; situation, qui contribue plus que toute autre à la ruine d’un Etat. Des Hommes qui se croient d’une nature aussi excellente que leur Roi, qui sentent leur fierté entretenue & renforcée par la Liberté & par l’Opulence, doivent de nécessité aller de la Liberté au Libertinage.
Ils s’ingéreroient à se porter pour Juges des actions du Roi ; & sa tête même en pourroit répondre, si par la foiblesse attachée à la Nature humaine, il faisoit un faux pas un peu considérable.
Ce qu’il y a de plus dangereux dans une pareille Royauté, c’est qu’il est impossible que le Droit Divin des Rois y soit reconnu & respecté comme il faut. Ceux qui font leur Roi ce qu’il est, ne se persuaderont pas facilement qu’il leur est donné par la direction particuliére de la Providence, pour entrer sur la Terre dans tous les Droits de la Divinité.
Rationalistes & des Républicains, qui se moquent du
Droit Divin des Rois, & qui ne les croient apellés au Trône par
la Providence, que de la même maniére dont un Savetier est apellé à
rapetasser de vieux souliers. Mais la seule bassesse d’une pareille
comparaison, suffit pour tourner en ridicule une opinion si
injurieuse aux Têtes Couronnées.
Posons donc comme un principe incontestable, que les Rois sont tels
par la Grace de
Obéissance Passive.
Ce Droit est à l’abri de tout raisonnement, & de toute insolence,
dans la plupart des Royaumes Héréditaires. Un
Monarque, Fils de plusieurs Monarques, ne doit rien à son Peuple ;
il doit sa Majesté à sa naissance, & l’on voit bientôt
qu’effectivement il est né pour donner la Loi. La prémiére idée qui
s’empare de son esprit, c’est qu’il est Roi, ou qu’il doit l’être.
Il est bien vrai que dans son enfance on lui donne quelques
instructions, qu’on lui inculque quelques préceptes qui le regardent
comme le reste des Hommes. Mais tout cela ne sert qu’à exercer sa
mémoire, sans avoir rien à démêler avec ses sentimens, qui se
réglent plus sur des actions que sur des paroles.
Les plus grands Seigneurs s’humilient devant le jeune Monarque, &
lui baisent la petite main ; ils sont au guet d’un petit souris, ou
d’un signe de tête favorable, & ils ne manquent pas d’être en
extase dès-qu’ils Homme, ou qu’il l’ait jamais été ? Il est Roi, & il a été Altesse
Royale ; c’est tout ce qu’il sait, & c’est tout ce dont
il se souvient.
Si ses Péres ont eu assez de foiblesse pour souffrir quelque vuide dans le Despotisme, il ne manquera pas de le remplir ; & pourquoi ne le feroit-il pas ? Des gens graves & savans lui disent tous les jours, qu’il est de la nature de la Royauté d’être despotique, & que c’est un Crime de Léze-Majesté de le révoquer en doute. Un tel Monarque aura surtout grand soin de rogner les ailes de ses Sujets, en les arrachant à une vie trop aisée, & en leur ôtant les biens superflus. Dans le fond, c’est arracher l’épée de la main d’un Furieux. Ne vaut-il pas infiniment mieux, qu’un Peuple mange tranquilement du pain noir, & qu’il porte des sabots, que de devenir remuant & séditieux par une dangereuse abondance ?
On m’objectera peut-être, qu’il peut arriver de-là que le Trône ne
sera occupé que par des Rois semblables à ceux qui dans les Buche, & l’autre une Cicogne,
qui croquoit ses Sujets, pour peu que le cœur lui en dît.
Le prémier de ces cas n’est pas dangereux. Qu’importe qu’un Souverain ne soit qu’un imbécille ? Il trouvera des Favoris qui gouverneront pour lui, & qui feront comme s’il gouvernoit lui-même.
L’autre cas est un peu plus scabreux ; mais c’est un malheur que
toute la Prudence humaine ne sauroit ni prévoir, ni éviter. Tout ce
qu’il y a à faire, c’est de plier les épaules, de doubler la dose de
l’Obéissance passive, d’adorer la verge
qui vous châtie, de ramper du mieux que vous pourrez, de donner les
plus beaux noms aux vices de votre Souverain ; enfin, de faire tous
vos efforts pour n’être pas mangé du-tout, ou du moins pour être
mangé des derniers. Ce qui doit soutenir & consoler de bons
Sujets dans cet état malheureux, c’est l’idée que dans une autre
vie, la Divinité leur tiendra compte de la patience avec laquelle
ils se sont soumis aux violences & aux injustices de celui à qui
il avoit confié son autorité sur la Terre.
Il me reste encore d’excellentes choses à dire sur les avantages
considérables qui découlent de la Royauté
Héréditaire. Mais comme je n’écris que pour amuser, sans
songer à instruire, & que la variété est l’ame de mes