Du Lundi 22. Août 1718.
raillerie, un petit bon-mot, étoit
propre à donner le croc enjambe au raisonnement
le plus vigoureux. Les Rationalistes ne se
servent guéres de ces sortes d’armes. Leur imagination, mise à sec par
la contrainte où la Raison la tient, a rarement le courage de
s’abandonner à ces saillies impayables, par lesquelles on ne manque
jamais de mettre les rieurs de son côté. Je ne dis pas pourtant que leur
sévérité ne se relâche jamais par le moindre bon-mot ; mais ils veulent que leurs railleries mêmes se
sentent des impressions de la Raison. Je dis plus : ils ne veulent point
qu’une raillerie soit jamais un sophisme, ou une
pétition de principe ; & ils ne croient
permis de l’emplo-bon-mot met mieux un raisonnement dans tout son jour, que
l’arrangement de plusieurs phrases sérieuses. Pour vous faire connoître
nettement leur pensée sur cet article, je vous rapporterai ici un bon-mot, qu’ils admirent beaucoup.
Anglois mena dans la boutique d’un Libraire un Monsieur Allemand, qu’il fit connoître au Marchand pour
Professeur Héréditaire dans une Académie
d’
Le Libraire, surpris de ce titre, prit l’Anglois à
part, & lui demanda s’il se moquoit de lui avec son Professeur Héréditaire.
Je parle très sérieusement, répondit l’autre.
Mais se peut-il, reprit le Marchand, qu’il y ait des Professeurs Héréditaires dans une partie de l’
Eh ! quel sujet d’étonnement trouvez-vous
là-dedans, repliqua l’Anglois ? Je connois
des Pays où les Rois sont Héréditaires. »
Adoptons pour un moment l’idée de ce Rationaliste
Anglois, & nous verrons que sa raillerie étoit le
raisonnement le mieux exprimé, & le plus propre à porter coup. Si
quelqu’un vouloit prouver directement, qu’il est déraisonnable d’établir
une Royauté Héréditaire, ses preuves
s’émousseroient contre une imagination préoccupée par la Coutume. De
tout tems on a vu des Rois Héréditaires, il y en
a encore, & il est apparent qu’il y en aura toujours : par
conséquent, il est naturel de ne rien trouver-là de ridicule. Que
Voilà justement comme s’y prend notre Rationaliste. Rendre héréditaire le droit
d’enseigner une Science, ou le droit de gouverner une Nation entiére,
lui paroissent deux choses tout au moins également déraisonnables ;
& il croit que sentir suffisamment le ridicule de l’un, c’est être
convaincu de l’égarement qui éclate dans l’autre.
Qu’on n’aille pas s’imaginer, que je sois moi-même d’une opinion si
bizarre. J’ai déja averti que je suis pour la Bagatelle publique, je n’en démords point ; tout ce qui est
établi généralement, me paroit très bien établi ;
& les raisons nécessaires pour le faire sentir, ne me manqueront
jamais.
Elective, ou
enfin il faut qu’elle soit Héréditaire.
Prémiérement, il seroit ridicule de réformer tous les Etats, & d’en
faire tout autant de Républiques. Une Maxime fondamentale de la
Politique, c’est que le Gouvernement de chaque Peuple doit être
accommodé à son génie, à son tempérament, & à ses coutumes. Or
est-il que la plupart des Peuples
Reste à examiner, s’il seroit bon que tous les Royaumes fussent Electifs.
Il me semble que je vois déja les Rationalistes
former les plus beaux plans du monde là-dessus, & se mouler sur la
conduite des Crétois, dans
Voilà la plus belle chose du monde dans le Royaume des
Je ne parle pas en l’air. Qu’on jette les yeux sur certain Royaume Electif qui tient bon contre la Coutume, &
l’on tombera d’accord de ce que je viens d’avancer.
Rationalistes ; je soutiens pourtant,
qu’il vaut infiniment mieux laisser accroître le Despotisme sous une suite continuelle de Princes d’une même
famille, que de jouir de tous les agrémens de la vie sous un Roi, qui
par sa naissance n’est pas plus grand Seigneur que ses Sujets.
En effet un Roi Héréditaire est toujours
préférable à un Roi Electif, quand même celui-ci
seroit le plus honnête-homme, & le plus éclairé de toute une Nation.
On n’a qu’à considérer les inconvéniens attachés à la derniére espéce de
Royauté, & les avantages qui découlent de la prémiére, pour ne pas
balancer un moment sur la préférence. Un Homme de bien, à qui l’estime
générale de tout un Peuple mettroit le Sceptre à la main, ne saura
jamais ce que c’est que d’être Roi : il se souviendra toujours qu’il est
Homme, aussi-bien que le moindre de ses Sujets ;