Du Lundi 18. Juin, 1718.
Génie, qui venoit me rendre une seconde
visite. Il avoit l’air content comme un Roi ; toutes ses actions étoient
vives, badines, folâtres. Le petit babillard ne garda pas longtems le
silence, & voici ce qu’il me dit tout d’une haleine.
Génies ne sont que des bêtes. Je vous donne à
deviner en cent fois, quelle étoffe elles ont choisie pour se vétir à la
légére, & pour mettre entre elles & les Hommes aussi peu de
distance qu’il est possible, à moins que d’être absolument in puris naturalibus.
C’est de papier qu’elles s’habillent, mon Cher,
mais d’un papier des Indes si mince, & si
fin, qu’en comparaison de notre papier ordinaire, c’est du tafetas
auprès du rien, elles se font faire l’habit, la jupe, le
jupon & le fichu. J’ai négligé de m’instruire sur la matiére dont
sont faites leurs chemises, mais il ne faut pas douter qu’elles ne
soient de gaze, ou de la mousseline la plus déliée ; & sur ce
pié-là, il est apparent qu’un de leurs habillemens complets, ne pése
tout au plus qu’une douzaine d’onces.
Quelles charmantes scénes cette nouvelle Mode ne fournira-t-elle pas, de
quels jolis contes n’enrichira-t-elle pas la Chronique scandaleuse ? Les
Dames ne feront pas d’abord réflexion à la nature de l’étoffe dont elles
sont environnées. Les Petits-Maîtres aiment à
parler d’action, & sont des gesticulateurs fort déterminés. D’un
autre côté, le papier est fort sujet à être chiffonné par
l’attouchement, & à garder certains plis, dont il sera aisé de tirer
certaines conjectures.
Mais comme cet habit n’est pas d’une grande dépense, les Dames auront
bien la précaution d’en avoir une trentaine de réserve, & pour trois
ou quatre mois d’Eté, ce ne sera pas trop. De cette maniére-là, cette
étoffe indiscréte ne donnera pas longtems à rire aux Médisans. Le
désordre sera bientôt réparé, & le lendemain de l’avanture,
l’honneur de la Belle enveloppé de papier tout fin neuf, ne fera pas le
moindre petit pli. Un autre effet très avantageux de cette nouvelle
invention, c’est qu’elle bannira de
Pour comprendre ce que je veux dire, imaginez-vous un jeune Cavalier qui
sait son monde, dans un prélude de bonne fortune, avec une jolie Femme
couverte d’un habit qui peut fort bien passer pour un emblème de la
fragilité humaine. La Belle fait la petite indiscret, d’insolent, de brutal. Monsieur zeste, voilà la jupe & le jupon
déchirés du haut en bas, & la Belle exposée aux yeux de son Amant
indiscret, en chemise de mousseline ou de gaze, ce qui est un spectacle
des plus scandaleux. Passe encore, s’il ne s’agissoit dans cette
occasion que des yeux du Cavalier : mais le moyen de cacher ce desordre
indécent à d’autres, qui ne le pardonneront pas avec la même facilité ?
Vous voyez bien que vos aimables Parisiennes
n’auront garde de s’exposer à de
Songez un peu avec moi, mon
Cher, de combien d’embellissemens variés cette
nouvelle Mode est susceptible. Non seulement on pourra enrichir ces
habits de fleurs & d’oiseaux en mignature, & en faire une
véritable image du Printems ; on pourra aussi les orner de mille
maniéres plus rares & plus divertissantes. Quel charme, par exemple,
de voir un habit & une jupe tout couverts de sujets d’éventail & de tabatiére! Quel plaisir aux Thuilleries, de chercher dans sa parure les
traces de cent petites historiettes galantes !
Cette idée me paroit admirable, & ce seroit grand dommage si nos
Belles ne songeoient pas à l’exécuter. Dès-qu’on en verroit une Troupe
ensemble, on auroit les yeux frappés d’une infinité de petits Tableaux
significatifs, qui ne manqueroient pas de s’attirer des Commentateurs, & d’exciter parmi eux un
conflit de pénétration maligne. Chacun, en plaidant pour ses lumiéres,
seroit obligé de compter en détail les avantures qui lui paroîtroient
avoir le plus de rapport aux idées du Peintre ; & tout cela feroit
le plus aimable amusement du monde pour un nombre infini de personnes,
dont le bonheur consiste à perdre du tems, & à vivre sans s’en
appercevoir.
Le jupon, à mon avis, pourrait être destiné à un autre usage, qui ne
seroit pas amusement qu’à l’occupation. Quel amusement plus aimable pourroit-il choisir,
que d’écrire sur le jupon de la Belle, tantôt une Epigramme malicieuse,
tantôt un Madrigal tendrement brusque, & tantôt une Chanson
nouvelle, riche en équivoques à la mode ? Il est vrai que si la Dame
avoit plus d’un Amant, elle devroit songer à changer de jupon, selon les
différentes visites qu’elle attendroit ; à moins que mettant à profit la
liberté du Siécle, elle ne se fît un plaisir de piquer le goût de ses
Adorateurs par un peu de jalousie.
Avouez-moi que rien au monde ne seroit si mignon & si curieux, que de
voir une Dame qui par dessus ne seroit qu’un éventail & tabatiére, habillée par dessous d’un Recueil de Piéces Curieuses,
dont elle mettroit tantôt un tome, & tantôt un autre ? Quel plaisir
de lui entendre dire à sa Fem-Hé !
apporte-moi mon jupon, volume
quatriéme.
Je ne sai si les Hommes souffriront patiemment que le Beau-Sexe triomphe ainsi à l’égard des Modes & s’ils ne se réveilleront pas à la fin de leur indolence létargique, pour faire paroli à l’aimable extravagance des Dames.
Ils se sont contentés jusqu’ici de faire quelque réforme à leurs chapeaux
& à leurs boutons, tandis les Belles ont varié leurs ajustemens de
cent maniéres, & qu’elles ont fait monter leurs troussures sur le
dos en guise d’une queue de Pâon, comme si par-là
elle vouloit joindre aux épaules une partie du corps humain, que la
Nature a trouvé bon d’en éloigner.
Les Cavaliers ont vu tout cela d’un œil tranquille, aussi-bien que
l’affreuse largeur des jupes à baleines ; la prémiére Mode que la
Je vous proteste que j’admire la bonté de nos Jeunes-gens, de ne pas
rajeunir en même tems l’usage des canons ; ce qui mettroit entre les
deux Sexes un éloignement terrible, qui à coup sûr ne seroit pas
conforme à l’intention des Fondatrices des jupes de baleines, & qui
feroit subsister maigrement l’Opéra & la Comédie, où les jupes &
les rubans ne payent rien. »