Zitiervorschlag: Jean-François de Bastide (Hrsg.): "XIV. Discours", in: Le Nouveau Spectateur (Bastide), Vol.3\014 (1758), S. 280-288, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2074 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

Discours XIV.

Zitat/Motto► Dulcibus abundat vitiis. Quintilien

Il est rempli de défauts agréables. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Il y a des gens avec lesquels je vivrois très aisément, & même très-volontiers, & dont la société seroit cependant le supplice de la plûpart des gens du monde. De ce nombre sont les personnes distraites, les Conteurs, les Enthousiastes ; pourvu toutefois que je remarque de la sincérité dans leur ridicule ; car il y a quelquefois de l’affection dans le jeu de ces divers personnages, & alors je suis l’homme du monde qui les puisse le moins souffrir.

Allgemeine Erzählung► J’étois l’autre jour dans une maison où il vint un de ces originaux. La distraction est la qualité dominante [281] de celui-ci, mais il s’y mêle une sorte de radotage, qui en fait un très-bon homme. Ses propos dérideroient le front le plus sévere ; & tout ce que je lui entendis dire, me fit rire pendant une heure jusqu’aux larmes. Il étoit venu dans cette maison avec un de ses cousins, qui est beaucoup de ma connoissance ; je pris la liberté de questionner familiérement ce dernier sur son parent, & tout ce qu’il m’en dit me fit songer à faire un recueil de ses paroles & actions. Je lui communiquai mon projet, il fut le premier à en rire, & à y applaudir ; il m’offrit même ses services pour cela ; je les acceptai, & il vient de m’envoyer l’abrégé qui suit.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► MONSIEUR,

Metatextualität► Je vous envoie avec autant d’exactitude qu’il m’a été possible, les Mémoires de mon cousin. J’ai écrit sui-[282]vant le caprice de ma mémoire, sans m’assujettir à l’ordre chronologique, parce que je n’ai vu aucune nécessité que ces faits & dits eussent le mérite de la date. Votre objet est de présenter un caractere & un esprit singuliers. Je n’ai considéré que cela. ◀Metatextualität

Ebene 4► Allgemeine Erzählung► Un Allemand vint un jour le voir à l’heure du dîné, & comme il ne parloit point François, il lui fit un grand discours Latin. Mon cousin, à chaque période toussoit d’un ton excitatif, & l’Allemand continuoit ; mais le laquais s’ennuyant d’une harangue éternelle, & craignant de ne pas dîner, s’approcha de l’orateur, & lui fit entendre clairement qu’il étoit temps qu’il laissât dîner les gens ; ce qui le fit partir ; puis se tournant vers les convives : Il faut que la Sorbonne ait couché ouverte, dit-il, je n’ai jamais vu un tel torrent de Latin. [283] Quoi ! s’écria le maître, il me parloit Latin ? Pardieu, vous aviez bien tort, vous autres, de ne me l’avoir pas dit, vous eussiez vu comme je lui aurois répondu.

Entendant rire un jour qu’un Chanoine de ses amis étoit mort, il répondit : Ne le croyez pas ; il me l’auroit écrit, car il m’écrit tout.

Etant à Lyon, & voyant la maison du * * * de * * *, il la trouva si belle, que se tournant vers le Suisse : Voilà une belle maison, lui dit-il, & bien semblable à celles d’Italie : a-t-elle été faite en ce pays ? Non, Monsieur, répondit le Suisse qui étoit plaisant, elle a été apportée de Florence. Oh ! je m’en doutois bien, repartit-il ; on ne bâtit pas comme cela ici.

Se promenant sur le pont d’Avignon, le vent se leva, & fit voler son chapeau dans la riviere. Pardieu, dit-il, il faut qu’on soit bien bête en [284] ce pays, de ne pas mettre des fenêtres sur ce pont pour empêcher le vent.

Il devoit un jour aller à la chasse, & voulant en conséquence partir de bon matin, il avoit ordonné de ne pas le laisser dormir comme à son ordinaire. L’impatience l’ayant tenu éveillé toute la nuit, il éveilla son laquais, & lui dit de voir si le jour ne paroissoit point : non, Monsieur, lui dit le drôle, il n’y a encore aucune apparence de jour. Cela n’est pas possible, lui répondit-il avec humeur ; tu me trompes, ou tu n’y vois goute ; le laquais répondit encore que le jour ne paroissoit pas encore. Parbleu, nous allons voir, répondit-il ; il prit alors une chandelle, & la mit hors de la fenêtre, pour voir s’il disoit vrai.

Son Médecin l’ayant trouvé endormi après dîné dans une chaise a après [285] du feu, le gronda, lui allégant cet hemistiche de Schola Salerni : Somnum juge meridianum. Je dormois pour faire quelque chose, lui dit-il ; car il faut toujours que je sois occupé.

Voyant un jour un grand tas de fumier dans sa cour, il gronda son cocher, lequel remontra qu’on ne pouvoit trouver aisément de Voiturier pour l’enlever. Eh ! dit-il, vous êtes bien embarrassé : que ne faites-vous faire une grand fosse au milieu de ma cour ? Mais, Monsieur, où mettra-t’on la terre de cette fosse. Pardieu, dit-il, il n’y a qu’à faire faire la fosse si grande, que tout y puisse entrer.

L’Abbé * * * se plaignant un jour à lui que les taupes lui gâtoient un très-beau pré, & qu’il y avoit employé vainement tous les remedes : le meilleur remede, dit-il sérieusement, c’est de faire paver.

Ayant oui dire dans je ne sçais quel-[286]le ville, que l’on devoit chanter une Messe Grecque. Il y alla, & entendant entonner Kyrie eleison : Vous moquez-vous de moi, dit-il, de me donner cela pour de Grec, c’est du Latin tout pur.

Quelque temps après ayant une lettre à écrire, il appella son laquais, qui lui servoit de Secretaire, & lui dit : Ecrivez à un tel, telle & telle chose ; le laquais s’excusa, disant qu’il n’avoit pas d’écritoire. Cela ne fait rien, dit-il ; écrivez toujours, &c.

Cet original me rappelle ce qu’on raconte des Magistrats de Baune : Louis XIV passant de Bourgogne, & soupant dans cette ville, les Magistrats s’empresserent de lui présenter de leur vin. Le Roi le goûta, & leur dit qu’il le trouvoit excellent. Ceux-ci, fiers d’un pareil témoignage, lui répondirent : Ah Sire ! nous en avons bien de meilleur. Le même Prince, en passant [287] par un endroit qu’on appelle le Val de Suson, où il y avoit plusieurs précipices, demanda aux principaux de l’endroit pourquoi l’on n’avoit pas mis là des garde-fous, & ils lui repondirent bonnement : C’est, Sire, parce que l’on n’a pas sçu que Votre Majesté y dût passer.

Mille choses de cette nature, que j’ai vues ou entendues, me font croire que ce que j’ai lu ailleurs, est vrai à la lettre. Ebene 5► « Un homme de ma connoissance, dit l’Auteur, poussoit la fleurette auprès d’une jolie fille appellée Carbonel : il pressoit vivement la belle, qui n’ayant pas le plus grand esprit du monde, lui dit pour réponse à ses douceurs : Fi donc, Monsieur, vous me faites rougir. Il n’y a pas de mal à cela, répondit l’autre ; au contraire, cela fait voir que vous avez de la pudeur. De la pudeur ? dit-elle ; vous [288] êtes un insolent ; personne ne m’en a jamais accusee, & je pourrois bien vous faire repentir d’un pareil discours. » ◀Ebene 5 Le pauvre amant ne sçavoit d’abord ce qu’elle vouloit dire : mais il comprit enfin que la pauvre petite personne prétendoit qu’on l’accusoit d’être puante.

Ces sortes d’esprit ont leur charme : & les raisonneurs, les pédans, les beaux esprits, nous ont réduit souvent à leur vanter à eux-mêmes ceux que nous avions connus de cette trempe. L’esprit obtient des louanges ; mais l’ingénuité emporte l’inclination. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 4 ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2 ◀Ebene 1