Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XXII. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\022 (1723-1725), ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2056 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XXII. Dialogue.

Ebene 2► Satire► Dialog► Metatextualität► D’Orante, Homme de Cour, & de Lisias, Homme de Ville. ◀Metatextualität

Orante, Lisias.
Orante.

Scaves-vous la grande nouvelle. Ariste a ordre de se retirer ; on dit que Cléante est à sa place. Voilà un grand changement, je croi que vous y prenez part.

Lysias.

Avent que de se déclarer, il faut être bien sûr de la chose, & ne pas faire ici un pas de Clerc. Imaginez-vous, si ce bruit étoit faux, quel malheur ce seroit pour nous, que d’aller faire notre Cour à Cléante, & de planter l’autre là.

Orante.

Je vous garentis que la nouvelle est très-[298(veritable ; j’ai vû à la porte de Cléante deux mille carrosses, & à la porte d’Ariste, il n’y avoit pas un chat. En voulez vous encore une meilleure preuve ; j’ai rencontré le Neveu d’Ariste, qui s’est presque jetté hors de son carrosse pour me saluer.

Lysias.

Cette preuve est convainquante ; il ne faut plus douter de la disgrace d’Ariste, puisque ses parens sont devenus honnêtes. Ma foi ces Messieurs sont bien punis.

Orante.

Ah ! Monsieur, pouvez vous les traiter de la sorte, après les obligations que vous leur aviez & l’assiduité dont vous leur faisiez la Cour ?

Lysias.

Mais ! j’ai toûjours été serviteur de Cléante, & je suis ravi qu’il soit en place.

Orante.

Vous ? Hé ! vous ne le connoissez pas.

Lysias.

Non, je ne lui ai jamais parlé ; mais je suis, & j’ai toûjours été son Serviteur. [299(

Et pourquoi donc n’avez-vous pas cherché à le connoître ?

Lysias.

Et à quoi étoit-il bon ? Tout le crédit étoit entre les mains d’Ariste, & je ne prévoïois pas ce qui est arrivé. Il faut avoüer que Cleante est honnête homme, c’est un esprit superieur, & les choses vont bien changer de face entre ses mains.

Orante.

Je voi que, quoique vous ne l’aïez jamais vû, vous le connoissez pourtant bien, les éloges que vous en faites. . . .

Lysias.

Non, encore une fois, je ne le connoissois point : je ne crois pas même que personne m’ait jamais parlé de lui.

Orante.

Cependant vous le loüez ; est-ce par flaterie, ou par interêt ? [300(

Lysias.

Non, je le dis comme je le pense ; car imaginez-vous quel crédit il va avoir ?

Orante.

Son crédit lui donneroit-il du merite, s’il n’en avoit pas ?

Lysias.

Non assurement ; mais il a du merite plus qu’homme du monde.

Orante.

Hé-bien, Monsieur, pour moi qui ne le connois point ; je suspendrai mon Jugement, & j’attendrai à le louer. . . .

Lysias.

Vous attendrez à le louer ! Vous voulez donc renoncer à votre fortune ?

Orante.

Pourquoi renconcer à ma fortune ? Je le verrai, & je tâcherai de meriter sa protection. . . . [301(

Lysias.

C’est-à-dire que vous attendrez à le louer, qu’il vous ait fait du bien. Pour moi, je suis plus genereux ; c’est assez qu’il m’en puisse faire, pour me récrier sur son merite. Voilà ce qui s’appelle faire les choses en galant homme. Je le louërai si haut, que mes louanges lui seront rapportées, & vous verrez qui de vous ou de moi aura mieux sçu lui faire sa cour.

Orante.

Vous ne verrez dont plus Ariste ? ce qu’il a fait pour vous, meriteroit quelque reconnoissance ; passe encore si vous en aviez été traité comme moi. Vous sçavez que j’étois son ancien ami, & que depuis qu’il a été à la Cour, je n’ai reçû de lui aucune marque de distinction, & qu’à peine s’est-il souvenu que j’étois au monde. Je m’en suis souvent plaint à vous.

Lysias.

Ouï, & je vous ai toûjours dit que vous aviez tort de vous plaindre : car rendez-vous justice : Quelle utilité pouvoit-il retirer de vous ? Vous le traitiez comme vous voulez traiter Cléante ; vous ne vouliez ne le flater, ni le louer. Mon cher camarade, ce n’est [302( pas ainsi qu’il faut traiter ces Messieurs-là ; & puis croïez-vous qu’il lui fût agreable de vous voir ? vous qui l’aviez connu avant son élevation, vous vouliez qu’il eût égard à votre ancienne amitié : c’est-là ce qui vous gâtoit auprès de lui. Dire que vous êtiez son ancien ami, c’étoit dire que vous aviez été témoin de sa premiere condition. Ces anciens amis sont des amis peu agréables aux hommes nouveaux. Pour moi, je sçai un peu mieux me gouverner ; c’est pour mieux faire ma cour à Cléante que je dis que je ne l’ai jamais connu, mais que je l’estime infiniment.

Orante.

Voilà, je vous avouë, un rafinement auquel je n’avois jamais pensé. Je me corrigerai aisément ; car, suivant vos principes, j’ai tout ce qu’il faut pour bien louër Cléante, puisque personne ne le connoît moins que moi. ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1