Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XVI. Dialogue", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.3\016 (1723-1725), S. 259-263, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.2050 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XVI. Dialogue.

Ebene 2► Satire► Dialog► Metatextualität► D’un Partisan qui a quitté les affaires, & de son Fermier. ◀Metatextualität

Le Partisan, le Fermier.
Le
Fermier.

Il est vrai, Monsieur, que je vous dois ; mais est-il raisonnable que vous me rédusiez à l’aumône, en m’ôtant votre Ferme, & en faisant vendre tout mon bien ?

Le Partisan.

Tout votre bien ! Ce bien-là, est-il à vous ? N’est-ce pas en me trompant que vous l’avez gagné ? & d’ailleurs ne me devez-vous pas encore plus que je ne reprens. En quelle conscience, mon ami, pourriez-vous garder ce que vous m’avez volé, & ce qui me seroit dû quand vous l’auriez acquis legitimement ? [260]

Le Fermier.

Helas ! mon bon Monsieur, je n’ai point cru que vous en useriez ainsi : j’esperois qu’il me seroit permis de faire comme un honnête homme de votre connoissance, qui après avoir volé pendant vingt ans, a fort honnêtement gardé tout ce qu’il avoit pris, sans que personne le lui ait redemandé.

Le Partisan.

Quel est cet honnête homme ? y a-t-il quelqu’un qui soit assez fripon pour cela ?

Le Fermier.

N’en parlons point, puisque vous ne connoissez pas celui dont je parle ; mais dites-moi, Monsieur, vous avez donc quitté les affaires ?

Le Partisan.

Ouï : Dieu m’a fait la grace de me contenter de ce que j’ai gagné, & de me mettre en état d’en jouïr en répos le reste de mes jours. J’ai, Dieu merci, bien établi ma famille, j’ai de bonnes terres, de bonnes rentes, une bonne Charge, en voilà assez. Je n’ai jamais aimé le bien, & je n’ai pensé en me mettant dans les affaires, qu’à avoir mon necessaire. [261]

Le Fermier.

Je vous assure aussi, Monsieur, que je n’ai point aimé le bien, & que quand j’ai pris votre Ferme, ce n’a été que pour tâcher par mes petits profits & par mon industrie, d’avoir ma suffisance. Si vous vouliez me laisser ce que j’ai gagné, je serois content, quoi que je n’aïe pas tant gagné que vous.

Le Partisan.

Hé ! mon ami, puis-je vous laisser en conscience ce qui n’est pas à vous, & ce que vous avez gagné par de mauvaises voïes ? Je veux faire mon salut, & je sçai qu’on peut prendre son bien là où on le trouve. Je serois indigne des graces que Dieu m’a faites, si je vous laissois jouïr du fruit de vos larcins.

Le Fermier.

Vous avez donc la conscience bien scrupuleuse ?

Le Partisan.

Ouï, mon enfant ; c’est une grace que j’ai reçûë & que je dois aux bons Livres qui m’occupent depuis que j’ai quitté les affaires. [262]

Le Fermier.

Ces bons Livres-là disent-ils qu’il ne soit pas permis de garder le bien d’autrui ?

Le Partisan.

S’ils le disent ! la belle demande ! vous n’avez qu’à les consulter ?

Le Fermier.

Helas ! vous ne me laissez pas de quoi avoir du pain : comment aurois-je de quoi acheter des Livres ? Mais, Monsieur, voulez-vous que nous lisions ensemble quelqu’un de ces bons Livres, ou pour mieux faire encore, voulez-vous que je consulte quelque homme de bien, du nombre de ceux que je vois si souvent chez vous ; vous verrez ce qu’il me répoudront : j’en passerai par leur avis.

Le Partisan.

Je le veux bien ; mais il faudra leur exposer nettement la question, c’est-à-dire leur rendre compte de tout ce que vous m’avez volé.

Le Fermier.

Voici ce que je leur dirai : Un homme qui n’avoit rien, s’est mis dans les affaires, il a [263] pendant vingt ans volé de bien du Roi & du Public ; de l’argent volé de la sorte il a établi sa famille ; il a acquis de bonnes terres, de bonnes rentes, une bonne charge, & il s’est retiré fort honnêtement pour jouïr dans une vie commode d’un bien si mal acquis. Cet honnête homme a un Fermier qui lui est redevable, & il ne lui fait aucun quartier pour être paié ; ce Fermier prétend qu’il a autant de droit de garder ce qu’il a volé à son Maître, que son Maître en a de ne pas restituer ce qu’il a pillé dans les affaires ?

Le Partisan.

Oüais : vous le prenez ainsi ; allons, allons, coquin, en prison, en prison, c’est bien à un maraut à raisonner.

Le Fermier.

Je conviens, Monsieur, que je suis un maraut, & que c’est l’être que de garder ce qu’on a volé ; mais convenez aussi que vous connoissez cet honnête homme dont j’ai cru pouvoir suivre l’exemple. ◀Dialog ◀Satire ◀Ebene 2 ◀Ebene 1