XII. Dialogue Justus Van Effen Moralische Wochenschriften Hannah Bakanitsch Editor Lilith Burger Editor Michaela Fischer Editor Karin Heiling Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 25.06.2015 info:fedora/o:mws.3409 Justus Van Effen: Le Nouveau Spectateur ou Discours dans lesquels on voit un Portrait naïf des Mœurs de ce Siecle. Tome Second. Auquel on a joint les Veritez Satyriques en Dialogues. La Haye: Jean Neaulme 1726, 232-242, Le Nouveau Spectateur français 3 012 1723-1725 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art France Paris Paris 2.3488,48.85341 France 2.0,46.0

XII. Dialogue. D’un Homme peu connoisseur en peinture, qui fait faire son portrait, & d’un de ses amis.

Chrysophat, Philocrate. Philocrate.

J’ai vu votre Portrait, rien n’est plus ressemblant, & je vous sçai bon gré d’avoir choisi un excellent Peintre.

Chrysofat.

C’était mon intention quand j’ai pris pour me peindre, celui de tous les Peintres qui maintenant, à ce qu’on m’a dit, a le plus de réputation, mais j’en ai bien rabattu. Depuis qu’il m’a commencé, il m’a tenu quatre fois, chaque fois deux ou trois heures de suite, & n’a encore peint que mon visage ; voi-là un Peintre bien excellent ! Ne devoit-il pas m’avoir attrapé du premier coup ? Encore s’il m’avoit laissé la liberté de remuer ; mais il a fallu me tenir comme un Esclave, à peine m’a-t-il laissé prendre du tabac ; chaque fois que j’en prenois, il me disoit : ah ! Monsieur, tenez-vous donc. Il faut voir comme il me devoroit des yeux ; je n’ai jamais vû d’homme si incommode, & si embarrassé de sa figure & de la mienne.

Philocrate.

C’est-là ce qui doit vous prouver que c’est un Peintre excellent.

Chrysofat.

Vous vous mocquez, j’en ai trouvé un autre qui ne fait point toutes ces façons ; car je vous dirai que votre Diable de Peintre m’a si fatigué, que j’en ai cherché qui fissent les choses de meilleure grace. Ma Blanchisseuse m’en a enseigné un, qui m’a attrapé en cinq ou six coups de compas.

Philocrate.

Que voulez-vous dire, en cinq ou six coups de compas ? fait-on des Portraits avec un compas ?

Chrysofat.

Ouï, c’est la grande manière pour faire ressemble. Vous riez. Mais, dites-moi, comment un Portrait peut-il être ressemblant, si l’on ne mesure au compas les yeux, le nez, la bouche, & les trais du visage ? c’est-là ce qu’a fait mon Peintre, & si legerement, que je n’ai pas senti la pointe du compas. Après avoir ainsi mesuré mon visage, il m’a laissé me promener tant que j’ai voulu, & j’ai été étonné qu’il eût si bien pris ses mesures, que je n’ai pas un trait dans le visage qu’il n’ait exprimé sur sa toile, tel que je l’ai. Ce sont mes yeux, c’est mon nez, ma bouche, mon front, mon menton, si justes, qu’il ne s’en faut pas l’épaisseur d’un cheveu.

Philocrate.

N’a-t-il point aussi mesuré vos oreilles ?

Chrysofat.

Non, il m’a dit que la perruque les cacheroit, & qu’au pis aller, si je voulois que mes oreilles parussent, il avoit chez lui assez de modeles, sur lesquels il me tireroit les oreilles.

Philocrate.

Ne vous y fiez pas, car je crains que sur l’idée que vous lui avez donnée de vous, il n’aille modeler vos oreilles sur celles de Midas.

Chrysofat.

Vous faites le fade plaisant, mon pauvre Philocrate ; mais parlons serieusement : Je n’aurois point cherché un autre Peintre, si votre excellent Peintre avoit été d’un prix raisonnable ; mais j’ai sçu, qu’il ne peignoit les gens que pour les écorcher.

Philocrate.

Que voulez-vous dire ? Je n’entends pas mieux ce que vous me dites, que je n’ai d’abord entendu le compas.

Chrysofat.

Vous qui connoissez ce prétendu Peintre excellent, sçavez-vous à quel prix il met ses portraits ?

Philocrate.

Non ce que je sçai, c’est qu’étant aussi bon Peintre qu’il est, on ne peut trop païer ses moindres ouvrages.

Chrysofat.

Trop païer ! Quoi ? pour un portrait qui n’a ni bras ni jambes, on dit qu’il demande des quarante & des cinquante pistoles.

Philocrate.

Hé bien ! Monsieur, est-ce trop ? nous en avons de Titien & de Vandyck, qui sont vendus quatre fois plus cher.

Chrysofat.

Quoi ! pour un morceau de toile qui ne vaut peut-être pas trente sous, & pour un brin de couleurs qui vaut peut-être encore moins, demander cinquante pistoles ! j’aurois à ce prix-là un habit de velours à manches & veste brodées.

Philocrate.

Comptez-vous pour rien le genie du Peintre, & le tems qu’il a emploïé à faire un excellent tableau ?

Chrysofat.

Oh ! pour le tems, quand on le païeroit une pistole par heure, il n’auroit pas le quart de ce qu’il demande.

Philocrate.

Si vous le païez une pistole par heure, vous n’en seriez pas quitte pour cinquante pistoles.

Chrysofat.

J’en serois quitte pour six ou huit pistoles, tout au plus ; à peine a t-il travaillé deux heures chaque fois. . . .

Philocrate.

Lui ! je suis assuré que de la maniere dont il a peint votre visage, il a employé plus de vingt ans.

Chrysofat.

Hé ! il n’y a pas trois mois qu’il l’a commencé.

Philocrate.

D’accord, mais il y a trente ans pour le moins qu’il a commencé à travailler pour se rendre capable de faire un portrait aussi achevé que celui-là. Croïez vous que cela se jette en moule ? Non, mon pauvre Monsieur, quelque genie qu’ait un Peintre, il faut qu’il étudie, qu’il travaille, & qu’il n’aille pas se mettre dans la tête que ses premiers ouvrages sont des chef-d’œuvres.

Chrysofat.

J’en connois pourtant, & vous en connoissez vous-même, qui n’ont pas cru avoir besoin de tant d’étude, & qui, dès leur premier tableau, se sont mis sans façon au dessus de plus grands Peintres.

Philocrate.

Sans vous dire si j’en ai connu, ou si j’en connois de ce caractere, je puis vous répondre que ceux qui ont eu d’abord si bonne opinion de leurs ouvrages, ne sont jamais parvenus à en faire d’aussi beaux qu’ils en auroient fait, peut-être, s’ils ne s’étoient pas imaginez qu’ils étoient au-dessus des autres. Il en est de la Peinture comme de tout autre genre de merite, celui qui se croit parfait, n’arrive jamais à la perfection.

Chrysofat.

Je sçai que vous êtes Philosophe & grand faiseur de maximes ; mais moi qui vas mon grand chemin, je croi & je soutiens que le meilleur Peintre de portraits, c’est celui qui fait les portraits plus ressemblans.

Philocrate.

Qu’appellez-vous portraits ressemblans ?

Chrysofat.

La belle question : Ce sont ceux qui representent chaque partie du visage ; qui font de grands yeux à ceux qui ont les yeux grands, la bouche, le nez, le front, le menton, & tout le reste de même.

Philocrate.

C’est à-dire que vous êtes persuadé que le meilleur Peintre, est celui qui sçait mieux mesurer au compas, chaque partie du visage.

Chrysofat.

Au compas, si vous voulez, il importe peu comment un Peintre ait mesuré les visages, pourvû qu’il en represente chaque partie telle qu’elle est.

Philocrate.

Et moi je vous dis, que ce n’est pas là ce qui fait ressembler, & qu’un Peintre, même excellent, qui ne peindroit que les differentes parties du visage, quand il les peindroit à la perfection, ne feroit jamais un portrait parfaitement ressemblant.

Chrysofat.

Hé, que voulez-vous donc qu’il peigne ?

Philocrate.

L’air du visage, ce je ne sçai quoi qui fait reconnoître d’abord chaque personne, c’est-là ce que n’attrapera jamais le peintre dont vous voulez vous servir, à moins qu’il n’ait l’art de mesurer aussi au compas, cet air, ce je ne sçai quoi. . . .

Chrysofat.

Hé ! Comment voulez-vous qu’on peigne cet air ? vous qui ne sçavez pas même ce que c’est, & qui l’appellez un je ne sçai quoi ?

Philocrate.

C’est-là pourtant ce que le Peintre doit sçavoir representer.

Chrysofat.

Peut-on le representer autrement qu’en peignant toutes les parties du visage telles qu’elles sont ? C’est ce qu’a fait mon Peintre, qui s’est servi du compas pour ne s’y pas tromper ; & je vous soutiens que s’il a peint les parties de mon visage telles qu’elles sont, il est d’une necessité absoluë que mon portrait me ressemble ; c’est ce que je vous prouverois par un argument en forme, si j’étois Philosophe comme vous.

Philocrate.

Quand votre partrait <sic> ressembleroit, ce seroit une miserable peinture, dont les couleurs seroient bien-tôt effacées.

Chrysofat.

Oh ! pour les couleurs, je suis certain qu’elles tiendront comme teigne. Voïez la couleur dont le bas de ma manche est taché : c’est pour m’être froté à son pinceau, cette couleur est restée, & l’on n’a jamais pû la faire en aller, quoique je l’aie envoïée au Dégraisseur.

Philocrate.

Il n’en sera pas de même du coloris de votre portrait, sans l’envoïer au Dégraisseur, toutes les couleurs s’éteindront, & vous aurez honte de mettre dans votre cabinet une si fade peinture.

Chrysofat.

J’y mettrai une bordure magnifique, c’est à quoi je n’épargnerai rien, & pour vous avoüer la verité, je ne veux menager la dépense du portrait, que pour faire celle d’une bordure superbe. Ce ne sont point les tableaux qui ornent les cabinets, ce sont les bordures. Voïez le cabinet de Fatifat, son cabinet est, sans contredit, un des plus curieux du tems ; cependant tous ses tableaux ne sont que des copies, & ce qui en fait la magnificence, c’est la richesse & le bon goût des bordures.

Philocrate.

Vous avez raison, de riches bordures sans tableaux, ont tout un autre éclat que les plus beaux tableaux sans riches bordures : vous trouverez même, en vous bornant à la richesse des bordures, à faire usage du compas ; votre Peintre voudra s’en servir pour prendre de justes mesures & placer avec goût les bordures gonflées d’or, qui n’enferment que de mauvaises peintures, ou, qui même, sans aucun besoin de tableaux, rendront votre cabinet le plus rare de Paris.

XII. Dialogue. D’un Homme peu connoisseur en peinture, qui fait faire son portrait, & d’un de ses amis. Chrysophat, Philocrate. Philocrate. J’ai vu votre Portrait, rien n’est plus ressemblant, & je vous sçai bon gré d’avoir choisi un excellent Peintre. Chrysofat. C’était mon intention quand j’ai pris pour me peindre, celui de tous les Peintres qui maintenant, à ce qu’on m’a dit, a le plus de réputation, mais j’en ai bien rabattu. Depuis qu’il m’a commencé, il m’a tenu quatre fois, chaque fois deux ou trois heures de suite, & n’a encore peint que mon visage ; voi-là un Peintre bien excellent ! Ne devoit-il pas m’avoir attrapé du premier coup ? Encore s’il m’avoit laissé la liberté de remuer ; mais il a fallu me tenir comme un Esclave, à peine m’a-t-il laissé prendre du tabac ; chaque fois que j’en prenois, il me disoit : ah ! Monsieur, tenez-vous donc. Il faut voir comme il me devoroit des yeux ; je n’ai jamais vû d’homme si incommode, & si embarrassé de sa figure & de la mienne. Philocrate. C’est-là ce qui doit vous prouver que c’est un Peintre excellent. Chrysofat. Vous vous mocquez, j’en ai trouvé un autre qui ne fait point toutes ces façons ; car je vous dirai que votre Diable de Peintre m’a si fatigué, que j’en ai cherché qui fissent les choses de meilleure grace. Ma Blanchisseuse m’en a enseigné un, qui m’a attrapé en cinq ou six coups de compas. Philocrate. Que voulez-vous dire, en cinq ou six coups de compas ? fait-on des Portraits avec un compas ? Chrysofat. Ouï, c’est la grande manière pour faire ressemble. Vous riez. Mais, dites-moi, comment un Portrait peut-il être ressemblant, si l’on ne mesure au compas les yeux, le nez, la bouche, & les trais du visage ? c’est-là ce qu’a fait mon Peintre, & si legerement, que je n’ai pas senti la pointe du compas. Après avoir ainsi mesuré mon visage, il m’a laissé me promener tant que j’ai voulu, & j’ai été étonné qu’il eût si bien pris ses mesures, que je n’ai pas un trait dans le visage qu’il n’ait exprimé sur sa toile, tel que je l’ai. Ce sont mes yeux, c’est mon nez, ma bouche, mon front, mon menton, si justes, qu’il ne s’en faut pas l’épaisseur d’un cheveu. Philocrate. N’a-t-il point aussi mesuré vos oreilles ? Chrysofat. Non, il m’a dit que la perruque les cacheroit, & qu’au pis aller, si je voulois que mes oreilles parussent, il avoit chez lui assez de modeles, sur lesquels il me tireroit les oreilles. Philocrate. Ne vous y fiez pas, car je crains que sur l’idée que vous lui avez donnée de vous, il n’aille modeler vos oreilles sur celles de Midas. Chrysofat. Vous faites le fade plaisant, mon pauvre Philocrate ; mais parlons serieusement : Je n’aurois point cherché un autre Peintre, si votre excellent Peintre avoit été d’un prix raisonnable ; mais j’ai sçu, qu’il ne peignoit les gens que pour les écorcher. Philocrate. Que voulez-vous dire ? Je n’entends pas mieux ce que vous me dites, que je n’ai d’abord entendu le compas. Chrysofat. Vous qui connoissez ce prétendu Peintre excellent, sçavez-vous à quel prix il met ses portraits ? Philocrate. Non ce que je sçai, c’est qu’étant aussi bon Peintre qu’il est, on ne peut trop païer ses moindres ouvrages. Chrysofat. Trop païer ! Quoi ? pour un portrait qui n’a ni bras ni jambes, on dit qu’il demande des quarante & des cinquante pistoles. Philocrate. Hé bien ! Monsieur, est-ce trop ? nous en avons de Titien & de Vandyck, qui sont vendus quatre fois plus cher. Chrysofat. Quoi ! pour un morceau de toile qui ne vaut peut-être pas trente sous, & pour un brin de couleurs qui vaut peut-être encore moins, demander cinquante pistoles ! j’aurois à ce prix-là un habit de velours à manches & veste brodées. Philocrate. Comptez-vous pour rien le genie du Peintre, & le tems qu’il a emploïé à faire un excellent tableau ? Chrysofat. Oh ! pour le tems, quand on le païeroit une pistole par heure, il n’auroit pas le quart de ce qu’il demande. Philocrate. Si vous le païez une pistole par heure, vous n’en seriez pas quitte pour cinquante pistoles. Chrysofat. J’en serois quitte pour six ou huit pistoles, tout au plus ; à peine a t-il travaillé deux heures chaque fois. . . . Philocrate. Lui ! je suis assuré que de la maniere dont il a peint votre visage, il a employé plus de vingt ans. Chrysofat. Hé ! il n’y a pas trois mois qu’il l’a commencé. Philocrate. D’accord, mais il y a trente ans pour le moins qu’il a commencé à travailler pour se rendre capable de faire un portrait aussi achevé que celui-là. Croïez vous que cela se jette en moule ? Non, mon pauvre Monsieur, quelque genie qu’ait un Peintre, il faut qu’il étudie, qu’il travaille, & qu’il n’aille pas se mettre dans la tête que ses premiers ouvrages sont des chef-d’œuvres. Chrysofat. J’en connois pourtant, & vous en connoissez vous-même, qui n’ont pas cru avoir besoin de tant d’étude, & qui, dès leur premier tableau, se sont mis sans façon au dessus de plus grands Peintres. Philocrate. Sans vous dire si j’en ai connu, ou si j’en connois de ce caractere, je puis vous répondre que ceux qui ont eu d’abord si bonne opinion de leurs ouvrages, ne sont jamais parvenus à en faire d’aussi beaux qu’ils en auroient fait, peut-être, s’ils ne s’étoient pas imaginez qu’ils étoient au-dessus des autres. Il en est de la Peinture comme de tout autre genre de merite, celui qui se croit parfait, n’arrive jamais à la perfection. Chrysofat. Je sçai que vous êtes Philosophe & grand faiseur de maximes ; mais moi qui vas mon grand chemin, je croi & je soutiens que le meilleur Peintre de portraits, c’est celui qui fait les portraits plus ressemblans. Philocrate. Qu’appellez-vous portraits ressemblans ? Chrysofat. La belle question : Ce sont ceux qui representent chaque partie du visage ; qui font de grands yeux à ceux qui ont les yeux grands, la bouche, le nez, le front, le menton, & tout le reste de même. Philocrate. C’est à-dire que vous êtes persuadé que le meilleur Peintre, est celui qui sçait mieux mesurer au compas, chaque partie du visage. Chrysofat. Au compas, si vous voulez, il importe peu comment un Peintre ait mesuré les visages, pourvû qu’il en represente chaque partie telle qu’elle est. Philocrate. Et moi je vous dis, que ce n’est pas là ce qui fait ressembler, & qu’un Peintre, même excellent, qui ne peindroit que les differentes parties du visage, quand il les peindroit à la perfection, ne feroit jamais un portrait parfaitement ressemblant. Chrysofat. Hé, que voulez-vous donc qu’il peigne ? Philocrate. L’air du visage, ce je ne sçai quoi qui fait reconnoître d’abord chaque personne, c’est-là ce que n’attrapera jamais le peintre dont vous voulez vous servir, à moins qu’il n’ait l’art de mesurer aussi au compas, cet air, ce je ne sçai quoi. . . . Chrysofat. Hé ! Comment voulez-vous qu’on peigne cet air ? vous qui ne sçavez pas même ce que c’est, & qui l’appellez un je ne sçai quoi ? Philocrate. C’est-là pourtant ce que le Peintre doit sçavoir representer. Chrysofat. Peut-on le representer autrement qu’en peignant toutes les parties du visage telles qu’elles sont ? C’est ce qu’a fait mon Peintre, qui s’est servi du compas pour ne s’y pas tromper ; & je vous soutiens que s’il a peint les parties de mon visage telles qu’elles sont, il est d’une necessité absoluë que mon portrait me ressemble ; c’est ce que je vous prouverois par un argument en forme, si j’étois Philosophe comme vous. Philocrate. Quand votre partrait <sic> ressembleroit, ce seroit une miserable peinture, dont les couleurs seroient bien-tôt effacées. Chrysofat. Oh ! pour les couleurs, je suis certain qu’elles tiendront comme teigne. Voïez la couleur dont le bas de ma manche est taché : c’est pour m’être froté à son pinceau, cette couleur est restée, & l’on n’a jamais pû la faire en aller, quoique je l’aie envoïée au Dégraisseur. Philocrate. Il n’en sera pas de même du coloris de votre portrait, sans l’envoïer au Dégraisseur, toutes les couleurs s’éteindront, & vous aurez honte de mettre dans votre cabinet une si fade peinture. Chrysofat. J’y mettrai une bordure magnifique, c’est à quoi je n’épargnerai rien, & pour vous avoüer la verité, je ne veux menager la dépense du portrait, que pour faire celle d’une bordure superbe. Ce ne sont point les tableaux qui ornent les cabinets, ce sont les bordures. Voïez le cabinet de Fatifat, son cabinet est, sans contredit, un des plus curieux du tems ; cependant tous ses tableaux ne sont que des copies, & ce qui en fait la magnificence, c’est la richesse & le bon goût des bordures. Philocrate. Vous avez raison, de riches bordures sans tableaux, ont tout un autre éclat que les plus beaux tableaux sans riches bordures : vous trouverez même, en vous bornant à la richesse des bordures, à faire usage du compas ; votre Peintre voudra s’en servir pour prendre de justes mesures & placer avec goût les bordures gonflées d’or, qui n’enferment que de mauvaises peintures, ou, qui même, sans aucun besoin de tableaux, rendront votre cabinet le plus rare de Paris.