Bella, horrida
bella.
Virg. Ӕneid.
vi.86.
Ce sont des guerres qui font horreur.
Un de mes amis vint me trouver, il y a quelque
temps, pour me proposer de me mener dans une maison où il me promit que
je verrois deux phénomenes. Je m’y laissai conduire, & je vis que je
n’étois pas trompé. Ces phénomenes sont le Marquis de P * * & la
Comtesse de ***. Ils soupent réguliérement deux fois la semaine dans
cette maison, & ils y apportent tant d’esprit, ils y donnent des
scenes si agréables, qu’on y viendroit exprès pour les entendre. La
Non : c’est un roman, & l’on m’a
Il faut donc à Monsieur des libelles ?
Des libelles, Madame ? Cela est bien fort. On n’avoue point ces goûts-là ; mais de plus je hais la calomnie.
Vous venez de dire le contraire, ou à peu près. N’aimer point à lire un roman, parce qu’il n’y a rien contre les femmes ; c’est, si je ne me trompe, justifier d’avance la question que je vous ai faite.
Je crois, Madame, que vous perdez un peu de vue la définition de la
calomnie. Il me semble que ce qui la caractérise, c’est la fausseté
de ce qu’elle débite ; & que tout discours ou récit, fondé sur
un fait vrai, quoique débité méchamment, est simple-
Oui, Monsieur, j’en conviens.
Eh bien, Madame, si vous en convenez, vous devez voir que je ne mérite point le reproche que vous me faites.
Parce que vous ne regardez que comme médisance les sottises qu’on prête aux femmes dans un roman !
Il est vrai que c’est ce que je pense.
Il est vrai que vous n’êtes guere poli.
Poli ? Est-ce bien là le terme ? J’ai peur qu’il n’y ait encore ici
précipitation de jugement. Le mot dont vous vous servez, seroit
fondé, & l’arrêt
En vérité, vous extravaguez.
Non, car quand on extravague, on
Mais où avez-vous pris que des aventures ne deshonorent plus ?
Je ne l’ai pris nulle part, Madame, car cela faute aux yeux & est prouvé partout.
Prouvé ? Monsieur ; je n’ai pas encore vu cela ; j’ai vu, au contraire, que d’un simple attachement, d’une inclination vraie, on en fait dans le monde une aventure.
C’est-à-dire, qu’on en parle, qu’on y répand du ridicule. Eh ! ne
voyez-vous pas que c’est justement ce qui prouve que j’ai raison ?
Pourquoi parle-t-on d’une affaire de cœur ? parce qu’elle étonne ;
& pourquoi étonne-t-elle ? parce qu’il n’y a plus que des
Monsieur, vous iriez trop loin, vous en diriez trop, vous abuseriez trop de l’esprit, si je ne vous arrêtois. Votre raisonnement est faux ; mais de plus vous ne dites pas ce que vous pensez. Si la galanterie n’étoit pas un deshonneur, si les sottises qu’on prête aux femmes dans les brochures n’étoient pas un infamie, vous n’auriez pas tant de épugnance à lire celles où leur réputation est épargnée.
Cela paroît vrai au premier coup d’œil ; mais vous vous trompez
encore sur mon goût, comme vous vous trompiez tantôt sur mes
expressions. Vous vous imaginez que je dévore une brochure piquante,
parce que les femmes y sont établies galantes, & décidément
galantes ? Vous êtes dans l’erreur. Si les faits qu’on leur prête,
Enfin, Monsieur, la galanterie vous paroît donc toute simple ?
Oui, Madame, & j’espere vous en faire convenir.
Se donner à tout le monde, est, selon vous, une chose très-naturelle ?
Remontons aux principes, je vous prie. Se donner à tout le monde, c’est se donner à ce qui plaît. Si c’étoit une infamie comme vous voudriez le die, l’opprobre en retomberoit sur la nature qui a fait nos sentimens, & qui s’est bien marquée elle-même dans le penchant qu’on a à aimer.
Mais elle avoit fait l’amour, l’amour, comme je l’entends, avant la
galanterie, puisque l’espece humaine
Mais de ce qu’une chose est bien en soi, voulez-vous conclure qu’une autre ne peut pas être mieux ? Je ne condamne point l’amour, je respecte son droit d’ancienneté ; mais je dis que plusieurs plaisirs valent mieux qu’un & que plusieurs femmes font un bonheur plus grand qu’une maîtresse toujours blonde ou toujours brune, toujours vive ou toujours indolente.
Ici la
Comtesse commence à se fâcher.
Vous n’avez pas toujours pensé de même. Vous oubliez un temps où vous
ne viviez que pour aimer ; c’est dans ce même temps que je vous ai
connu ; vous aviez perdu (n’importe de quelle façon) l’objet de vos
tendres sentimens ; vous en étiez inconsolable ; vous ne paroissiez
plus dans le
Ici la
Comtesse lit.
Le Marquis
qui s’apperçoit que la Comtesse n’entend qu’avec chagrin ses
singulieres maximes, croit ne les devoir plus défendre avec la
même chaleur.
Eh bien, Madame, tout cela prouve que j’ai aimé : mais ai-je voulu
dire le contraire ? Ai-je prétendu me donner pour un homme dévouré à
l’inconstance ? Vous ai-je dit qu’il fût ridicule à mes yeux de
s’enflammer & de rester fidele ? Non, Madame, rien de tout cela
c’est sorti de ma bouche ; j’ai peint les mœurs, & non mes
sentimens. J’ai dit que la galanterie considérée comme plaisir, est
un plaisir très-grand ; qu’elle ne deshonore plus, généralité qui la justifie dans les bons
esprits, semblent lui avoir imprimé le sceau de l’approbiation
publique. J’ai dit encore que deux femmes valoient mieux qu’une,
& cela sera toujours vrai, parce que, si vous exceptez quelques
engagemens où le cœur trouve toujours quelque chose à sentir, tous
les autres, dès qu’ils n’ont plus la pointe de la nouveauté, ne sont
plus qu’un ennui honorable ; au lieu que dans des goûts successifs,
le plaisir est toujours renaissant. J’ai dit cela ; j’ai dit que les
hommes pensoient ainsi, & que je n’y voyois rien que de
très-naturel ; mais je n’ai pas mis mon cœur au nombre de ceux pour
qui l’amour est nécessairement un être ridicule ou chimérique. J’ai
connu ce sentiment délicieux, & je me sens flatté d’en faire
l’aveu ; je l’éprouve, ou je puis l’é-
Ainsi, Monsieur, l’on pourra dire : Venez, vous me
plaisez, je suis prête à me rendre, venez tous à la fois,
le
nombre ne me fait rien. . . . En vérité, cela
est pitoyable.
Oui, Madame, cela pourra se dire. Mais prenez garde, je vous prie, que, quand je vous fais la galanterie si innocente, j’en place le germe précisément dans le cœur. Elle n’est plus que méprisable, si elle n’est pas naturelle, c’est-à-dire, si des motifs d’ambition, d’avidité, d’orgueil, sont le principe des ses actions. Je vois que vous êtes frappée de l’abus ; sans cela nous serions peut-être plus d’accord sur la chose.
La Comtesse
alloit continuer, mais il survint du monde qui l’en empêcha. Le
Marquis n’en fut vraisemblablement pas fâché : car je doute
qu’il pensât les ingénieuses extravagances qu’il débitoit, &
qu’à la fin il ne se fût trouvé très-embarrassé.