V. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Klaus-Dieter Ertler Herausgeber Michaela Fischer-Pernkopf Herausgeber Katharina Jechsmayr Mitarbeiter Martin Stocker Mitarbeiter Katharina Tez Mitarbeiter Sarah Lang Gerlinde Schneider Martina Scholger Johannes Stigler Gunter Vasold Datenmodellierung Applikationsentwicklung Institut für Romanistik, Universität Graz Zentrum für Informationsmodellierung, Universität Graz Graz 22.05.2019 o:mws.316 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Paris: Etienne Papillon 1716, 26-32 Le Spectateur ou le Socrate moderne 2 005 1716 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Filosofía France 2.0,46.0

V. Discours

Hoc estVivere bis, vitâ posse priore frui.

Mart. l. x. Epig. xxiii.

C’est vivre doublement, que de pouvoir se rapeller avec plaisir sa vie passée.

Le dernier Moïen que j’ai proposé, pour remplir ces Vuides de la Vie, qui causent tant d’ennui & d’embarras aux Fainéans, est de s’appliquer à la recherche de nouvelles connoissances. Je me souviens que Mr. Boyle, à l’occasion d’un certain Mineral dont il parle, nous dit, qu’un Homme peut l’étudier toute sa vie, sans arriver jamais à la connoissance de toutes les qualitez qu’il renferme. Il est sûr qu’il n’y a point de Science, ni aucune de ses parties, qui ne pût occuper un Homme toute sa vie, quand elle seroit beaucoup plus longue qu’elle n’est.

Je ne m’engagerai pas ici à raisonner sur l’utilité des Sciences, sur le plaisir & l’étendue qu’elles donnent à l’Esprit, sur les moïens de les aquerir, & je n’en recommanderai même aucune en particulier. Ce sont des Sujets si rebattus, qu’il vaut mieux hazarder quelque chose de moins commun, & par là même plus agréable.

J’ai déja fait voir que le tems où l’on est oisif, paroît long & ennuïeux ; mais je tâcherai de montrer ici que le tems, qu’on employe à l’étude, à la lecture & à l’aquisition de nouvelles Connoissances, est long sans être ennuïeux ; ce qui nous découvrira un moïen d’alonger la vie, & de la tourner toute à notre profit.

Mr. Locke remarque, dans sonVoïez p.201. §. 4. de la Traduction de Mr. Coste, Impr. à Amsterdam, chez H. Schelte, 1700. Essai concernant l’Entendement Humain, « que nous avons l’idée du Temps, ou de la Durée, par la réflexion que nous faisons sur cette suite d’Idées qui se succedent les unes aux autres dans nos Esprits : que c’est pour cela, qu’un Homme, qui dort sans rêver, n’en a pas la moindre idée, & qu’il ne trouve aucune distance entre le moment qu’il a cessé de penser lorsqu’il s’est endormi, & le moment auquel il a pensé de nouveau à son réveil. Je ne doute pas, continue-t’il, qu’un Homme éveillé n’éprouvât la même chose, s’il lui étoit possible de n’avoir qu’une seule idée dans l’Esprit, sans qu’il y arrivât aucun changement, & qu’aucune autre ne s’y vînt joindre. Nous voïons tous les jours, qu’une Personne qui s’a-plique, avec une grande contention, à méditer sur un sujet, ne s’aperçoit presque pas de cette suite d’idées qui se succedent les unes aux autres dans son Esprit ; qu’il laisse échaper, sans y prendre garde, une bonne partie de cette Durée, & qu’il la trouve beaucoup plus courte, qu’elle n’est effectivement. »

Nous pourrions étendre cette pensée plus loin, & dire qu’un Homme acourcit son Tems, lorsqu’il ne pense à rien, ou qu’à très peu de choses, & qu’il l’alonge, lorsqu’il s’occupe à divers Objets, ou qu’il roule dans son Esprit une prompte & constante succession d’idées. C’est pour cela que le P. Malebranche, dans sa Recherche de la Verité, qui avoit paru plusieurs années avant l’Essai de Mr. Locke, nous dit, « qu’il pourroit y avoir des Créatures qui trouveroient une demi-heure aussi longue, que mille ans nous paroissent à nous ; ou qui regarderoient cet espace de tems, que nous apellons une Minute comme une Heure, une Semaine, un Mois, ou un Siécle entier. »

Cette Notion du P. Malebranche peut être éclaircie en quelque maniere, par l’Endroit que je viens de citer de Mr. Locke. En effet, si l’idée que nous avons du Tems est produite par la réflexion que nous faisons à cette suite d’idées, qui se succedent les unes aux autres dans notre Esprit, & si cette succession peut être accelerée ou retardée à l’infini, il s’ensuit de-là, que di-férentes Créatures peuvent avoir des idées diférentes du même espace de tems, selon que leurs idées, que nous supposons également distinctes dans chacune d’elles, se succedent les unes aux autres avec plus ou moins de rapidité.

Il y a un endroit célèbre dans l’Alcoran, qui semble insinuer, que Mahomet avoit à peu près la même Notion. Cela ne s’y trouve point ; mais il y a grande apparence que c’est une Glose de quelque Docteur Mahometan sur le Chap. xvii. de l’Alcoran, qui est intitulé : Du Voïage de Nuit.Il y est dit, « qu’un matin l’Ange Gabriel le tira de son Lit, pour lui faire contempler tout ce qu’il y avoit dans les sept Cieux, le Paradis & l’Enfer ; que Mahomet en eut une vue distincte, & qu’après avoir eu quatre-vingt-dix mille Conférences avec Dieu, il fut remis dans son Lit. » L’Alcoran ajoûte, « que tout ceci se passa en si peu de tems, qu’au retour du Prophete, son Lit’ n’avoit pas encore perdu sa chaleur, & que l’eau d’un Pot de terre, qui avoit été renversé, à son départ, n’étoit pas encore tout à fait répandue. »

On trouve un assez plaisant récit dans les Contes Turcs à l’égard de cette avanture de Mahomet, & qui a quelque liaison avec la matiere que j’ai en main. « Un Sultan d’Egypte, qui étoit Infidèle, se moquoit souvent de cette avanture, qu’il traitoit d’impossible & d’absurde : Mais un jour qu’il en raisonnoit avec un fa-meux Docteur de la Loi Mahometane, qui avoit le Don des Miracles ; ce Docteur lui dit, qu’il le convaincroit bien-tôt de la verité de ce Fait historique, s’il vouloit se tenir de bout auprès d’une grande Cuve pleine d’eau, qu’il y avoit là, y mettre la tête dedans, & la retirer d’abord. Le Sultan y consentit, & dès qu’il eut plongé la tête dans cette Cuve, il se trouva au pié d’une Montagne, sur le rivage de la Mer. Il eut beau pester en lui-même contre le Docteur, qui le jouoit d’une maniere si cruelle, par quelque trait de Magie, il s’apercut bien-tôt qu’il ne pouvoit en revenir, & qu’il devoit chercher les moïens de gagner sa vie dans ce Païs inconnu. Là dessus, il eut recours à quelques Personnes, qui travailloient dans une Forêt voisine, & qui le conduisirent à une Ville, qui n’en étoit qu’à peu de distance, où, après quelques avantures, il épousa une Femme d’une grande beauté & fort riche. Il vêcut assez long-tems avec elle, pour en avoir sept Garçons & sept Filles ; mais reduit ensuite à une misere extrême, il falut qu’il gagnât sa vie à faire le métier de Crocheteur. Un jour qu’il se promenoit tout triste sur le bord de la Mer, & qu’il rouloit dans son esprit les differens états par où il avoit passé, touché d’une vive componction, il resolut d’offrir ses prieres à Dieu, & de se laver plûtôt, suivant la coutume des Mahometans.

Pour cet efet, il quita ses habits, & se plongea dans l’eau : mais dès qu’il en eut la tête dehors, il se trouva debout auprès de la Cuve, environné de ses Courtisans, avec le saint Homme à son côté. Il ne manqua pas de lui faire de sanglans reproches sur toutes les pénibles courses où il l’avoit engagé, & cette longue suite de calamitez où il l’avoit réduit ; mais il fut bien étonné d’aprendre que tout ce qu’il disoit n’étoit qu’un Rêve & une Illusion ; qu’il n’avoit pas bougé de la place où il se trouvoit alors : qu’il n’avoit fait que mettre la tête dans l’eau, & qu’il l’en avoit retirée aussi-tôt.

Le Docteur Mahometan prit de là occasion de lui enseigner, que rien n’est impossible à Dieu, & que, si mille ans sont, devant ce Maître de l’Univers, comme un jour, il peut faire en sorte, quand il lui plaît, qu’un Jour, ou qu’un instant même, paroisse à plusieurs de ses Créatures aussi long que mille années. »

Je laisse à mes Lecteurs le soin de comparer cette Fable Mahometane avec les Notions des deux grands Philosophes, que je viens de citer, & je les prierai seulement, pour en faire moi-même l’aplication, de vouloir reflechir sur les moïens qu’il y auroit d’alonger en quelque maniere notre Vie au delà des bornes que la Nature lui a prescrites, si nous travaillions avec ardeur à étendre nos connoissances.

Le Fou s’ennuïe à suivre ses Passions, & le Sage se divertit à méditer sur ses Idées : Le premier trouve le tems long, parce qu’il ne sait à quoi l’emploïer ; l’autre le trouve de même, parce qu’il en distingue chaque moment par quelque pensée utile ou agréable ; c’est-à-dire que l’un n’en jouït jamais, & que l’autre en profite toûjours.

Quelle différence n’y a-t-il pas entre deux Hommes qui ont vieilli, l’un dans l’Etude & la Sagesse, l’autre dans l’Ignorance & l’Egarement, lors qu’ils viennent à tourner les yeux sur leur Vie passée ? Le dernier ne voit, pour ainsi dire, dans tout son Domaine que des Montagnes arides & d’afreux Deserts, capables d’inspirer la tristesse & l’horreur ; pendant que l’autre contemple de vastes & charmans Païsages, diversifiez par de beaux Jardins, des Prairies verdoïantes, de fertiles Campagnes, & qu’il ne sauroit presque jetter la vûe sur le moindre petit coin de terre, où il ne trouve une bonne Plante ou quelque belle Fleur.

L.

V. Discours Hoc estVivere bis, vitâ posse priore frui. Mart. l. x. Epig. xxiii. C’est vivre doublement, que de pouvoir se rapeller avec plaisir sa vie passée. Le dernier Moïen que j’ai proposé, pour remplir ces Vuides de la Vie, qui causent tant d’ennui & d’embarras aux Fainéans, est de s’appliquer à la recherche de nouvelles connoissances. Je me souviens que Mr. Boyle, à l’occasion d’un certain Mineral dont il parle, nous dit, qu’un Homme peut l’étudier toute sa vie, sans arriver jamais à la connoissance de toutes les qualitez qu’il renferme. Il est sûr qu’il n’y a point de Science, ni aucune de ses parties, qui ne pût occuper un Homme toute sa vie, quand elle seroit beaucoup plus longue qu’elle n’est. Je ne m’engagerai pas ici à raisonner sur l’utilité des Sciences, sur le plaisir & l’étendue qu’elles donnent à l’Esprit, sur les moïens de les aquerir, & je n’en recommanderai même aucune en particulier. Ce sont des Sujets si rebattus, qu’il vaut mieux hazarder quelque chose de moins commun, & par là même plus agréable. J’ai déja fait voir que le tems où l’on est oisif, paroît long & ennuïeux ; mais je tâcherai de montrer ici que le tems, qu’on employe à l’étude, à la lecture & à l’aquisition de nouvelles Connoissances, est long sans être ennuïeux ; ce qui nous découvrira un moïen d’alonger la vie, & de la tourner toute à notre profit. Mr. Locke remarque, dans sonVoïez p.201. §. 4. de la Traduction de Mr. Coste, Impr. à Amsterdam, chez H. Schelte, 1700.Essai concernant l’Entendement Humain, « que nous avons l’idée du Temps, ou de la Durée, par la réflexion que nous faisons sur cette suite d’Idées qui se succedent les unes aux autres dans nos Esprits : que c’est pour cela, qu’un Homme, qui dort sans rêver, n’en a pas la moindre idée, & qu’il ne trouve aucune distance entre le moment qu’il a cessé de penser lorsqu’il s’est endormi, & le moment auquel il a pensé de nouveau à son réveil. Je ne doute pas, continue-t’il, qu’un Homme éveillé n’éprouvât la même chose, s’il lui étoit possible de n’avoir qu’une seule idée dans l’Esprit, sans qu’il y arrivât aucun changement, & qu’aucune autre ne s’y vînt joindre. Nous voïons tous les jours, qu’une Personne qui s’a-plique, avec une grande contention, à méditer sur un sujet, ne s’aperçoit presque pas de cette suite d’idées qui se succedent les unes aux autres dans son Esprit ; qu’il laisse échaper, sans y prendre garde, une bonne partie de cette Durée, & qu’il la trouve beaucoup plus courte, qu’elle n’est effectivement. » Nous pourrions étendre cette pensée plus loin, & dire qu’un Homme acourcit son Tems, lorsqu’il ne pense à rien, ou qu’à très peu de choses, & qu’il l’alonge, lorsqu’il s’occupe à divers Objets, ou qu’il roule dans son Esprit une prompte & constante succession d’idées. C’est pour cela que le P. Malebranche, dans sa Recherche de la Verité, qui avoit paru plusieurs années avant l’Essai de Mr. Locke, nous dit, « qu’il pourroit y avoir des Créatures qui trouveroient une demi-heure aussi longue, que mille ans nous paroissent à nous ; ou qui regarderoient cet espace de tems, que nous apellons une Minute comme une Heure, une Semaine, un Mois, ou un Siécle entier. » Cette Notion du P. Malebranche peut être éclaircie en quelque maniere, par l’Endroit que je viens de citer de Mr. Locke. En effet, si l’idée que nous avons du Tems est produite par la réflexion que nous faisons à cette suite d’idées, qui se succedent les unes aux autres dans notre Esprit, & si cette succession peut être accelerée ou retardée à l’infini, il s’ensuit de-là, que di-férentes Créatures peuvent avoir des idées diférentes du même espace de tems, selon que leurs idées, que nous supposons également distinctes dans chacune d’elles, se succedent les unes aux autres avec plus ou moins de rapidité. Il y a un endroit célèbre dans l’Alcoran, qui semble insinuer, que Mahomet avoit à peu près la même Notion. Cela ne s’y trouve point ; mais il y a grande apparence que c’est une Glose de quelque Docteur Mahometan sur le Chap. xvii. de l’Alcoran, qui est intitulé : Du Voïage de Nuit.Il y est dit, « qu’un matin l’Ange Gabriel le tira de son Lit, pour lui faire contempler tout ce qu’il y avoit dans les sept Cieux, le Paradis & l’Enfer ; que Mahomet en eut une vue distincte, & qu’après avoir eu quatre-vingt-dix mille Conférences avec Dieu, il fut remis dans son Lit. » L’Alcoran ajoûte, « que tout ceci se passa en si peu de tems, qu’au retour du Prophete, son Lit’ n’avoit pas encore perdu sa chaleur, & que l’eau d’un Pot de terre, qui avoit été renversé, à son départ, n’étoit pas encore tout à fait répandue. » On trouve un assez plaisant récit dans les Contes Turcs à l’égard de cette avanture de Mahomet, & qui a quelque liaison avec la matiere que j’ai en main. « Un Sultan d’Egypte, qui étoit Infidèle, se moquoit souvent de cette avanture, qu’il traitoit d’impossible & d’absurde : Mais un jour qu’il en raisonnoit avec un fa-meux Docteur de la Loi Mahometane, qui avoit le Don des Miracles ; ce Docteur lui dit, qu’il le convaincroit bien-tôt de la verité de ce Fait historique, s’il vouloit se tenir de bout auprès d’une grande Cuve pleine d’eau, qu’il y avoit là, y mettre la tête dedans, & la retirer d’abord. Le Sultan y consentit, & dès qu’il eut plongé la tête dans cette Cuve, il se trouva au pié d’une Montagne, sur le rivage de la Mer. Il eut beau pester en lui-même contre le Docteur, qui le jouoit d’une maniere si cruelle, par quelque trait de Magie, il s’apercut bien-tôt qu’il ne pouvoit en revenir, & qu’il devoit chercher les moïens de gagner sa vie dans ce Païs inconnu. Là dessus, il eut recours à quelques Personnes, qui travailloient dans une Forêt voisine, & qui le conduisirent à une Ville, qui n’en étoit qu’à peu de distance, où, après quelques avantures, il épousa une Femme d’une grande beauté & fort riche. Il vêcut assez long-tems avec elle, pour en avoir sept Garçons & sept Filles ; mais reduit ensuite à une misere extrême, il falut qu’il gagnât sa vie à faire le métier de Crocheteur. Un jour qu’il se promenoit tout triste sur le bord de la Mer, & qu’il rouloit dans son esprit les differens états par où il avoit passé, touché d’une vive componction, il resolut d’offrir ses prieres à Dieu, & de se laver plûtôt, suivant la coutume des Mahometans. Pour cet efet, il quita ses habits, & se plongea dans l’eau : mais dès qu’il en eut la tête dehors, il se trouva debout auprès de la Cuve, environné de ses Courtisans, avec le saint Homme à son côté. Il ne manqua pas de lui faire de sanglans reproches sur toutes les pénibles courses où il l’avoit engagé, & cette longue suite de calamitez où il l’avoit réduit ; mais il fut bien étonné d’aprendre que tout ce qu’il disoit n’étoit qu’un Rêve & une Illusion ; qu’il n’avoit pas bougé de la place où il se trouvoit alors : qu’il n’avoit fait que mettre la tête dans l’eau, & qu’il l’en avoit retirée aussi-tôt. Le Docteur Mahometan prit de là occasion de lui enseigner, que rien n’est impossible à Dieu, & que, si mille ans sont, devant ce Maître de l’Univers, comme un jour, il peut faire en sorte, quand il lui plaît, qu’un Jour, ou qu’un instant même, paroisse à plusieurs de ses Créatures aussi long que mille années. » Je laisse à mes Lecteurs le soin de comparer cette Fable Mahometane avec les Notions des deux grands Philosophes, que je viens de citer, & je les prierai seulement, pour en faire moi-même l’aplication, de vouloir reflechir sur les moïens qu’il y auroit d’alonger en quelque maniere notre Vie au delà des bornes que la Nature lui a prescrites, si nous travaillions avec ardeur à étendre nos connoissances. Le Fou s’ennuïe à suivre ses Passions, & le Sage se divertit à méditer sur ses Idées : Le premier trouve le tems long, parce qu’il ne sait à quoi l’emploïer ; l’autre le trouve de même, parce qu’il en distingue chaque moment par quelque pensée utile ou agréable ; c’est-à-dire que l’un n’en jouït jamais, & que l’autre en profite toûjours. Quelle différence n’y a-t-il pas entre deux Hommes qui ont vieilli, l’un dans l’Etude & la Sagesse, l’autre dans l’Ignorance & l’Egarement, lors qu’ils viennent à tourner les yeux sur leur Vie passée ? Le dernier ne voit, pour ainsi dire, dans tout son Domaine que des Montagnes arides & d’afreux Deserts, capables d’inspirer la tristesse & l’horreur ; pendant que l’autre contemple de vastes & charmans Païsages, diversifiez par de beaux Jardins, des Prairies verdoïantes, de fertiles Campagnes, & qu’il ne sauroit presque jetter la vûe sur le moindre petit coin de terre, où il ne trouve une bonne Plante ou quelque belle Fleur. L.