Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 19", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.1\019 (1723-1725), S. 289-304, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1773 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

No. 19

Zitat/Motto► Materiam superbat opus. Ovid.

Le travail surpassoit la matière. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Suite de mes Remarques sur le Poeme de M. de Voltaire. ◀Metatextualität

Ebene 2► Les Divinités Payennes sont peut-être supportables dans des vers, où l’on ne parle nulle part du systeme du Christianisme. On y peut conniver, surtout quand, sans seul leur faire joüer de grands rolles, on ne se sert de leurs noms, que pour exprimer poëtiquement certaines choses. Que Nept-[290]une soit la Mer, Ceres l’Abondance, Apollon le Génie Poëtique, il n’y a rien, ce me semble, qui doive choquer un homme judicieux. Mais je trouve que les Dieux sortis du cerveau des Poëtes, ont mauvaise grace de paroître dans la présence même, pour ainsi dire, de la véritable Divinité, à qui les Beaux esprits doivent les mêmes respects que les autres hommes. Cette maxime me paroît du moins incontestable, lorsque ces Dieux ne se contentent pas d’apporter dans un Poëme leurs noms harmonieux, & qu’ils y exercent l’Authorité qui leur fut assignée par l’aveugle Paganisme. Pour remplacer le merveilleux emprunté de la fable, il est permis de personaliser les vices, les vertus, les passions, & de les faire agir conformément à leur caractère. Ces sortes de fictions peuvent porter l’empreinte d’une riche invention, d’un esprit pénétrant & d’un jugement sur, & elles n’étalent rien qui puisse rebuter un respectueux adorateur de l’Etre supréme.

On n’en sauroit dire autant de l’usage qu’on fait des Dieux des Payens, ils semblent caracteriser une imagination seche qui, lasse eux, ne sauroit se tirer d’affaire ; & on ne sauroit qu’être indigné de les voir inspirer dans un Poëme Chrêtien le Majeste, & la Puissance du Maître de l’Univers. Si ces remarques sont justes, Monsieur de Voltaire ne marque ni une riche invention, ni une grande justesse d’esprit, en batissant pour [291] l’Amour, dans l’antique Idalie, un Temple superbe, en faisant danser autour de lui les Graces demi-nuës, & en le transportant sur els ailes des Zephirs par l’Italie & par la Provence, jusqu’aux campagnes d’Ivry, pour y égarer Bourbon, en faisant servir son flambeau d’un feu follet. Il pousse sur-tout le Paganisme Poëtique trop loin, en mettant dans les foibles mains de l’Amour les destins de la Terre, & en lui prétant toute la Puissance de l’Auteur de la Nature.

Zitat/Motto► Il éguise ses traits, il prépare sa chaine,

Il souleve avec lui les elemens armés,
Il trouble en un moment des airs qu’il a calmés,
D’un bout du monde à l’autre appellant les orages,
Sa voix commande aux vents d’assembler les nuages,
De verser ces torrens suspendus dans les airs,
Et d’apporter la nuit, la foudre & les éclairs, &c. ◀Zitat/Motto

Si l’Auteur a tant de vénération pour les Dieux des Payens, il traite, ce me me semble, bien cavaliérement le Dieu que nous adorons. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que pour censurer la conduite du juge de l’Univers, il se sert toûjours de son Heros, malgré le généreux amour qu’il lui donne pour la Vérité & pour la Vertu.

Zitat/Motto► De tout temps, disoit-il, la Vérité sacrée

[292] Chés les foibles humains fut d’erreu entourée ;
Faut-il que de Dieu seul attendant mon appui,
J’ignore les sentiers, qui mènent jusqu’à lui !
Helas ! un Dieu si bon, qui de l’homme est le maître,
En eut été servi, s’il avoit voulu l’être. ◀Zitat/Motto

Le sort des damnés penêtre ce même Prince d’une vive compassion ; il sent que leur malheur est une suite de leur liberté, & s’il avoit été à la place de Dieu, il ne leur auroit pas fait ce present dangereux.

Zitat/Motto► Le généreux Henry ne put cacher ses pleurs ;

Helas ! s’écria-t’il, si dans ces lieux d’horreurs
Des malheureux humains la troupe est engloutie,
Si les jours passagers d’une si triste vie,
D’un éternel tourment sont suivis sans retour,
Ne voudroit-il pas mieux ne voir jamais le jour !
Heureux, s’ils expiroient dans le sein de leur Mere,
Ou si ce
Dieu du moins, ce grand Dieu si sévére,
A l’œuvre de ses mains avoit daigné ravir
Le pouvoir malheureux de lui desobéir. ◀Zitat/Motto

L’auteur a cru peut être pouvoir donner des idées si peu raisonnables à un Prince Hérétique, quoiqu’elles marquent un cœur tout autant disposé pour l’irreligion que pour [293] la Religion qu’il va bien bientôt embrasser ; mais il est difficile de concevoir pourquoi il donne à St. Louïs les notions les plus ridicules d’un Dieu, de la nature duquel le Roi bien heureux devoit avoir une parfaite connoissance. Le Pere des Bourbons, en suppliant la Divinité d’éclairer l’ame de Henry, donne des leçons à la souveraine sagesse, & croit lui prouver par un argument invincible, qu’il est de son devoir de verser les lumières de la véritable Religion dans l’ame du Roi de France.

Zitat/Motto► Voi ce Roi triomphant, ce foudre de la guerre,

L’exemple, la terreur & l’amour de la terre.
Avec tant de vertu n’as-tu formé son cœur,
Que pour l’abandonner aux pieges de l’erreur ?
Faut-il que de tes mains le plus parfait ouvrage
N’offre au
Dieu, qui l’a fait, qu’un criminel hommage ?
Ah ! si du grand
Henry ton culte est ignoré,
Par qui le Roi des Rois veut-il être adoré ? ◀Zitat/Motto

Quelle idée de la Divinité ! Comme si les hommages d’un Prince brave, triomphant, orné de vertus à l’Etre supreme, que le culte qui lui est adressé par le moindre des hommes. J’aimerois autant la ridicule impiété d’une certaine Princesse qui disoit, que, quand il s’agit de damner une Personne de qualité, Dieu y regarde plus d’une fois.

[294] Je trouve encore, dans la manière dont l’Auteur ameine la fin de son Poëme, un défaut très essentiel & très propre à rendre l’ouvrage peu intéressant. On diroit que M. de Voltaire a fait ici tous ses efforts pour éviter le naturel & le vraisemblable, afin de violenter le denouëment par des miracles suivis. Henry pousse sa généreuse bonté, jusqu’à nourrir les rébelles de Paris, prets à succomber sous la plus cruelle famine. Une si noble humanité defille les yeux du peuple, l’attendrit pour son bienfaiteur, & le porte à vouloir reconnoitre ce Prince pour son legitime Monarque. Cette circonstance semble applanir la route d’un denouëment vrai-semblable. Mais voila le malheureux Guincêtre, fougueux orateur de la Ligue, qui détruit ces heureuses dispositions de ses concitoyens, & qui nous ôte en même temps l’esperance de voir finir la piece. Ces facheuses conjonctures ne découragnet pas Monsieur de Voltaire ; le Ciel va lui fournir dequoi se tirer d’embarras. St. Louïs intercede pour Henry, Dieu l’éxauce, la vérité pénétre dans l’ame du Roi ; avec elle il marche vers Paris, il parle, les remparts tombent en sa présence, & le voila vainqueur de ses sujèts révoltez. Si l’on n’avoit vû l’histoire de Henry quatre, que dans ce Poëme Epique, il seroit impossible de deviner, comment la conversion du Roi a contribué à la conquête de Paris ; & de quelle manière secondé par le secours celeste, il s’en est ren-[295]du du maître. On voit d’une manière vague un miracle, mais on ignore de quelle nature est ce miracle, & de quelle manière il a opéré. Les remparts sont-ils tombez réellement en présence du Roi, comme autrefois les murailles de Jerico croulèrent devant le peuple d’Israel ? Ou bien est-ce une manière de parler figurée ? En ce cas, quel en est le sens fixe. Les habitans ont-ils secoué le joug de la Ligue ? Ont ils ouvert les portes à leur véritable maître ? S’est-il formé parmi le rebelles un parti en faveur de Henry ? & ce parti lui a-t’il menagé la conquête de sa Capitale ? L’Auteur n’insinuë rien, qui puisse nous donner là-dessus les moindres lumières. Il me semble pourtant que rien n’étoit plus aisé que de finir l’Ouvrage d’une manière vraisemblable. L’Auteur n’avoit qu’à laisser là ce broüillon de Guincêtre, qui n’est rien moins qu’un personnage essentiellement néccessaire au Poëme. Le Roi voyant ses Soldats éxecuter ses ordres, en donnant des vivres aux Rébelles, pouvoit naturellement se souvenir de la Prophetie de l’Hermite Anglois.

Zitat/Motto► Lorsqu’en un siege terrible, &célebre à jamais,

Tout un peuple étonné vivra de vos bienfaits,
Ces temps de vos Etats finiront les misères,
Vous léverés les yeux vers le Dieu de vos Peres. ◀Zitat/Motto

[296] Ce souvenir pouvoit disposer son ame à la conversion, dans le même instant la Verité pouvoit descendre du Ciel, pour triompher des erreurs de ce Prince. Elle pouvoit l’assurer du reste de l’accomplissement de la prédiction, qui lui avoit été faite aux plaines d’Albion. Animé par une nouvelle confiance au secours du Ciel, il pouvoit s’avancer vers ses soldats bienfaisants, & se montrer aux rebelles attendris, & pleins d’un repentir sincère.

Zitat/Motto► Sont-ce là, disoient-ils, ces monstres si cruels ?

Est-ce là ce Tyran si terrible aux mortels ?
Cet ennemi de Dieu qu’on peint si plein de rage ?

Helas ! du Dieu vivant c’est la brillante image.
Trop dignes du trépas dont il nous a sauvez.
Consacrons lui ces jours qu’il nous a conservez. ◀Zitat/Motto

Ce Roi digne d’amour s’offre aux yeux de ses sujèts, si heureusement passionnés pour leur devoir & pour leur Souverain. Qu’y a- t’il de plus naturel, que de les voir ravis de toucher à la fin de leurs miseres, remplir l’air de cris de joïe, se disputer la gloire d’ouvrir les portes à leur liberateur, & lui donner les plus vives marques de respect & de tendresse. Il me semble que ce denouëment eut été naturel, & même touchant.

J’ai reconnu avec plaisir dans un de mes discours precédens, que Mr. De Voltaire se montre juste estimateur du merite, dans [297] quelque secte ou dans quelque parti qu’il le découvre ; Je ne m’en dédis pas ; & je trouve cette généreuse équité digne d’un si beau genie, & capable de le faire briller avec tout son éclat ; Il me semble pourtant qu’il est un peu injuste à l’égard de son principal Héros, en lui prêtant des sentiments fort injurieux pour ceux, dont depuis sa jeunesse il avoit été le chef. Voici comme il le fait parler à la Reine Elisabeth, dont il venoit implorer le secours.

Zitat/Motto► Je ne décide point entre Geneve & Rome

De quelque nom divin que leur parti les nomme,
J’ai vu des deux côtés la fourbe & la fureur ;
Et si la Perfidie est fille de l’Erreur,
Si dans les différens où l’
Europe se plonge,
La trahisoin, le meurtre est le sceau du mensonge ;
L’un & l’autre parti cruel également,
Ainsi que dans le crime, est dans l’aveuglement. ◀Zitat/Motto

L’Auteur n’est pas en droit de donner de semblables idées à Henry, parce que ces idées sont évidemment fausses ; un homme de l’esprit & de l’équité de M. de Voltaire devoit laisser débiter ces sortes de fadaises à un historien fourbe & bilieux, comme Maimbourg, & puiser dans les Auteurs aussi honnêtes-gens que bons catholiques, la vérita-[298]ble opinion qu’il faut se former de la conduite des deux sectes.

Je ne comprends pas d’ailleurs pourquoi l’Auteur veut à toutes forces que le Roi soit suspendu entre les deux Religion. Ce Prince se déclare nettement ; mais d’une manière peu politique, à la Reine d’Angleterre, zélée Protectrice du Protestantisme. On me dira peut-être que ce Héros ignoroit l’art de feindre ; Mais c’est ce que je ne comprend pas non plus ; Tout le monde sait que ce Prince faisoit profession ouverte de la Religion Reformée ; si dans le fonds du cœur il n’étoit pas persuadé de la vérité de cette Religion, c’étoit un fourbe ; qui plus est, c’étoit un fourbe qui n’avoit pas le sens-commun ; que n’embrassoit il au plûtôt la Religion Catholique ; ce parti lui eût été infiniment plus avantageux.

Voila ce qui me paroît essentiellement défectueux dans ce Poëme. Je n’entrerai pas dans un détail vetilleux, pour faire le procès à l’Auteur sur quelque expression déplacée, ou sur un petit nombre de vers moins soutenus, ou moins nombreux que les autres ; Je sai trop que de faire un ouvrage de si longue haleine, sans se rendre coupable de la moindre inexactitude, est au dessus de la portée de l’esprit humain. Je suis bien plus éloigné encore de m’attacher puerilement à quelques rimes riches. Je sai bien, qu’un Poëte de très grande réputation a soutenu dans un livre imprimé depuis peu, que souvent une [299] sottise passe à la faveur de le richesse de la rime, tandis que le sens le plus beau fait quelquefois naufrage contre une rime moins remplie. Mais je m’imagine que c’est là moins le panegyrique des rimes riches, qu’une forte censure de l’exravagante délicatesse de la plûpart des beaux-esprits les plus modernes.

Il est tems de passer aux éloges que je crois legitimement dus à ce bel Ouvrage. Les défauts que j’ai remarqués dans l’arrangement des materiaux n’empêchent pas que le détail ne soit en général excellent, & que ce plan ne soit éxecuté d’une manière à attirer l’attention, & l’admiration d’un Lecteur judicieux & équitable. Materiam superat opus. J’ose avancer même que la Langue Françoise ne sauroit se faire honneur d’aucun Poëme, qui approche seulement de celui dont je tâche de donner une juste idée.

L’Invention qui, selon moi, manque en plusieurs endroits du plan général, brille souvent d’une manière surprenante dans le detail. En mettant en œuvre les fictions usées de la Poësie Payenne, M. de Voltaire fait les embellir par des images de sa façon qui leur menagent les graces de la nouveauté. Sa diction noble & grande sans affectation, est toûjours de niveau avec ses sujèts, ses vers sont nombreux, remplis, pleins de force & de nerfs, vuides de ces Phrases auxiliaires, dont la rime enfle les vers des Poëtes du commun ; On n’y voit point un Auteur [300] qui court après l’esprit, & qui enfante avec travail de ces belles pensées, qui sentent les efforts qu’elles coutent à celui qui les met au jour. Il se contente de semer dans son Poëme, avec une sage œconomie, de magnifiques sentences, qui exprimées d’une manière précise, simple & majestueuse offrent au Lecteur de grandes & nobles verités dans un abregé vif & frappant. Au lieu de fatiguer notre pénétration par des idées rafinées, il remplit par-tout notre esprit de ces images, qui attachent un charme si invincible aux ouvrages de l’Antiquité ; s’il est presque par tout peintre hardi & fidelle, il l’est sur tout, quand il s’agit de nous donner les Caractères de ses Personnages. Il me semble que les Poëtes François n’ont rien produit de si beau dans ce genre, & si je ne craignois de me brouïller avec ceux qui ont une foi implicite pour l’Antiquité, j’avancerois qu’à cet égard M. de Voltaire laisse bien loin derriere lui les anciens ses maîtres. Il semble que, lorsqu’il trace ces caractères, la Poësie au lieu de le gêner, contribue à donner à ses tableaux, non seulement de la force & de la hardiesse, mais encore de l’exactitude & de la précision. Ces morceaux excellents se trouvent sur tout entassés dans les Chants second & troisieme, & je m’imagine qu’ils sont la baze de l’estime générale du public, qui distingue avantageusement cette partie du Poëme d’avec toutes les autres, malgré les beautés dont elles fourmillent. Pour faire voir que je n’aime pas à don-[301]ner des loüanges vagues, je copierai ici trois de ces caractères qui m’ont paru des chef-d’œuvres. Le premier est celui de Medicis.

Zitat/Motto► Chacun de ses enfans nourri sous sa tutelle,

Devint son ennemi, des qu’il régna sans elle :
Ses mains autour du Throne avec confusion
Semoient la jalousie & la division,
Opposant sans relache, avec trop de prudence,
Les Guises aux Condés, & la
France à la France ;
Toûjours prête à s’unir avec ses ennemis,
Et changeant d’interêts, de rivaux & d’amis ;
Esclave des plaisirs, mais moins qu’ambitieuse,
Infidelle à sa secte & superstitieuse ;
Possedant en un mot, pour n’en pas dire plus,
Tous les défauts du sexe, avec peu de vertus. ◀Zitat/Motto

Caractère de l’Amiral de Coligny.

Zitat/Motto► Je lui dois tout, Madame, il faut que je l’avouë.

Et d’un peu de Vertu si l’ Europe me louë,
Si Rome a souvent même estimé mes exploits,
C’est à vous, Ombre illustre, à vous que je le dois.
Je croissois sous ses yeux, & mon jeune courage
Fit longtems de la guerre un dur apprentissage.
Il m’instruisoit d’exemple au grand art des Héros.
Je voyois ce guerrier blanchi sous les travaux,
Soutenant tout le poids de la cause commune,
Et contre Medicis, & contre la Fortune,
Cheri dans son parit, dans l’autre respecté,
[302] Malheureux quelquefois, mais toûjours redouté,
Savant dans les combats, sanvant dans les retraites,
Plus grand, plus glorieux, plus craint dans ses defaites,
Que Dumois ni Gaston ne l’ont jamais eté,
Dans le cours triomphant de leur prosperité. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Je croi trouver quelque chose de plus fin encore dans le portrait du Duc de Guise. ◀Metatextualität

Zitat/Motto► Nul ne fut mieux que lui le grand art de séduire,

Nuls sur les passions n’eut jamais plus d’empire,
Et ne sut mieux cacher, sous des dehors trompeurs,
Des plus vastes desseins les sombres profondeurs.

Altier, imperieux, mais simple & populaire,
Des peuples en public il plaignoit la misere,
Detestoit des Impôts le fardeau rigoureux,
Le pauvre alloit le voir & revenoit heureux ;

Souvent il prevenoit la timide indigence,
Ses bienfaits dans
Paris annonçoient sa presence ;
Il savoit captiver les Grands, qu’il haïssoit ;
Terrible & sans retour, alors qu’il offensoit ;
Temeraire en ses veaux ; Souple en ses artifices ;
Brillant par ses vertus, & même par ses vices ;
Connoissant les perils ; & ne redoutant rien ;
Heureux Guerrier, grand Prince, & mauvais Citoyen. ◀Zitat/Motto

S’il faut un heureux génie & une grande justesse d’esprit, pour tracer si heureusement [303] en vers des tableaux du cœur humain, quels talens ne faut-il pas pour peindre des objèts purement spirituels, pour les tirer du fond de la raison & pour les revêtir des ornemens de la Poësie. Il me semble que M. de Voltaire y réüssit parfaitement, en faisant le portrait de la Liberté humaine que Henri trouve dans le Temple du Destin.

Zitat/Motto► On voit la Liberté, cette esclave si fiere,

Par d’invincibles nœuds dans ces lieux prisonniere ;

Sous un joug inconnu, que rien ne peut briser,
Dieu sait l’assujettir, sans la tyraniser ;

A ses supremes loix d’autant mieux attachée,
Que sa chaine à ses yeux pour jamais est cachée,
Qu’en obéïssant même, elle agit par son choix,
Et souvent aux Destins pense donner des loix. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Un vieillard, charmé apparemment des deux Spectateurs de Paris, dans lesquels mon Collegue recueillit les avantures coquettes d’une Dame, m’a envoyé une Lettre qui peut servir de parallele à cette Histoire intéressante. Je n’ai point à présent assés de place pour offrir cette épitre à la curiosité du Lecteur ; mais je lui ferai present au premier jour de cette vie d’un particulier écrite par lui-même, & dont les événemens déduits de leurs véritables principes sont bien aussi ins-[304]tructifs, que tout ce que l’Illustre Plutarque nous a donné de meilleur.

Il seroit à souhaiter, selon moi, que plusieurs personnes capables de réfléchir, & de sonder leurs propres sentimens, prissent la peine de communiquer au public le recit sincere de toute leur conduite rapportée aux motifs réels qui les ont fait agir. On a vu des personnes assés charitables pour léguer leurs corps aux Anatomistes, afin que la découverte des sources de leur maladie facilitât la cure des vivans accablés par des maux semblables. Y auroit-il moins de générosité à communiquer aux hommes l’Anatomie de son propre cœur, afin de leur procurer de surs moyens de prévenir ou de guérir les indispositions de l’ame. On pretend trouver l’équivalent dans l’Histoire ; Mais je croi que l’on se trompe ; d’ordinaire un Historien ne connoit que les actions de ses Heros, & il dérive leur conduite des motifs qui lui paroissent les plus vrai-semblables. Mais fort souvent la vrai-semblance à cet égard est la chose du monde la plus éloignée de la verité ; Il n’est pas rare que ce qu’un Historien attribue aux vues les plus profondes, ou bien aux sentimens les plus nobles, sorte d’un ridicule caprice, ou de la plus miserable passion : l’Histoire n’est tout au plus que le Roman du cœur humain, au lieu qu’un ample assemblage de ces sortes de vies particulieres en seroit l’Histoire. ◀Metatextualität ◀Ebene 2

Metatextualität► NB. Il s’est glissé dans la feuille précédente une faute page. 287. Lig. 4 où au lieu de négociant il faut lire négociateur. ◀Metatextualität ◀Ebene 1