Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 18", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.1\018 (1723-1725), S. 273-288, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1772 [aufgerufen am: ].
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No. 18
Zitat/Motto► Virtus repulsæ nescia sordidæ
Intaminatis fulget honoribus.
Hor.
La vertu independante de la faveur du Peuple parvient à des dignités dont rien ne sauroit obscurcir l’éclat. ◀Zitat/Motto
Ebene 2► Je me suis engagé à donner mes Lecteurs, une idée de l’histoire de la Ligue, Poëme Epique M. de Voltaire ; Il est tems que je m’acquite de ma promesse. Pour le faire avec quelque succès, il sera bon de mettre devant les yeux du Public un plan [274] abregé de tout l’ouvrage, qui est composé de neuf chants.
Chant I. 1 Valois après avoir été la dupe & la victime de la Ligue, s’apperçoit de sa faute, & s’unit à 2 Bourbon; Ils mettent ensemble le siege devant Paris ; Mais Valois se defiant de leurs forces reunies, conjure Henri de passer lui-même en Angleterre, pour obtenir des troupes auxiliaires de la Reine Elizabeth. Henri obéït; il quite le camp à regrèt; un vent favorable le fait bientôt arriver sur le rivage d’Albion, accompagné du brave & vertueux Sulli. Il trouve dans une grote un vieux Hermite, qui lui offre un repas frugal, l’exhorte à veiller sur ses passions, & lui prédit qu’il se verra maître du Royaume de France, & que la verité se feroit jour dans son ame; dés que dans un horrible siege ses propres ennemis auroient subsisté de ses bienfaits. Bourbon touché du discours du vertueux vieillard l’embrasse en pleurant, le quitte & pousse son voyage jusqu’à la capitale du Royaume. Introduit en secret chés la Reine, il lui recommande la cause de Valois comme celle de tous les Souverains; & en obtient un secours prêt à marcher sous le vaillant Comte d’Essex. Elizabeth, qui craint d’être mal instruite par la renomée des desordres de la France, & de leurs causes, prie ce Heros de lui en tracer un tableau fidelle, [275] & de lui expliquer les motifs qui du vainqueur de Valois l’ont fait son protecteur. Il y consent quoyqu’avec repugnance, & il entre dans cet affreux détail dans le Chant second.
Chant II. Les causes de tant d’horreurs furent une Religion mal entenduë, un zèle furieux, dont la Politique des Guises, & de la Reine Mere, Medicis, se son servis habilement pour parvenir aux fins de leur ambition. L’Epoux de cette Reine étant mort à la fleur de son age, elle devint ennemie de ses propres enfans, à mesure qu’ils vouloient régner sans elle. De la jalousie & de la division qu’elle semoit autour du throne, elle faisoit les appuis de son autorité. François second étoit déjà mort, & Charles son successeur n’avoit que le nom de Roi ; Medicis régnoit seule avec une puissance absoluë ; pour s’y maintenir elle excite l’une contre l’autre deux sectes rivales, qui s’abattent mutuellement par de sanglantes batailles. Tandis que Henri apprend l’art de la guerre sous Condé & sous Coligni, le parti de la Reine s’épuise par ses victoires mêmes ; voyant ses efforts inutiles dans la guerre, elle veut accabler tout d’un coup ses ennemis sous une trompeuse paix. Coligni, qui aime la France, quoiqu’il la combatte, en accepte l’offre avec ardeur ; on l’accable de bienfaits & de marques d’estime. Le jeune Roi offre sa sœur à Henri ; mais du sein de ce calme seducteur sort le barbare dessein d’égorger tout le parti [276] Protestant ; le signal en est donnée ; Mille Heros & un Peuple entier sont assassinés, lachement ; Guise anime le carnage, le Roi même y prête indignement la main, & ce n’est qu’un reste de respect pour le sang de Henri, qui l’arrache des mains de ses Bourreaux. La même fureur se répand par toute la France :
Zitat/Motto► Et des Fleuves François les eaux ensanglantées,
Ne portent que des morts aux mers épouvantées.
vantées. ◀Zitat/Motto
Chant III. Bourbon continuë son récit. Charles meurt d’une langueur causée par les remords de sa conscience. Valois son frère accourt d’abord de la Pologne, pour remplir le throne de ses peres. La haute reputation qu’il s’est acquise dans sa jeunesse, devient pour lai un mal funeste ; s’endormant sur le throne au milieu d’indignes favoris, sourd aux cris des peuples accablés par des subsîdes, que le luxe du Prince leur arrache ; il s’attire une haine générale ; Guise s’en sert habilement ; Egalement rempli de vertus & de vices, il s’insinuë dans l’esprit des François par ses manières & par ses bienfaits, & maître des cœurs il entreprend ouvertement la ruine du Roi. Il forme la Ligue & appuyé par elle il devient Monarque, tandis que Valois n’en a que le vain tître. Celui-ci se réveille en vain, & veut s’unir avec Bour-[277]bon ; La Ligue le lui défend, sous pretexte que Henri est ennemi de l’Eglise ; Il est même obligé de combattre celui dont il vouloit s’appuyer. La France enfante par tout des armées contre Bourbon, qui remporte une victoire signalée sur Joyeuse dans les plaines de Coutras, & qui fait mordre la poussiere à la fleur des guerriers de la Cour ; cette défaite abime de plus en plus Valois dans le mepris, & Guise semble lui faire une grace en lui permettant de s’enfuir de sa capitale. Le Roi s’en vange en le faisant assassiner aux Etats de Blois. Mayenne son frere lui succede dans l’amour du peuple & dans l’autorité. Valois plus haïque jamais se trouve sans ressource. Il appelle enfin à son secours Henri, qui se fie généreusement à sa seule parole, & qui forme avec lui le siege de Paris.
Chant IV. Tandis que Bourbon négocie l’affaire du secours en Angleterre, de nombreuses troupes de la Ligue sortent de Paris, sous différens chefs, & remportent plusieurs avantages, qui font regretter à Valois le Heros qu’il avoit fait partir. Bientôt il arrive, il vole vers Paris, il met Aumale en fuite, il fait trembler Saveuse & Bouflers. Mayenne veut en vain arrêter ses soldats ébranlés ; leur fuite l’entraine lui même dans Paris. Henri pousse le siege avec vigueur, son courage ranime celui de Valois. Le peuple est éperdu & Mayenne perd courage ; Il est rassuré par la Discorde, qui lui promet sa pro-[278]tection. Elle traverse la France, & un tourbillon la porte sur les rives du Tybre. Le Vatican s’offre à ses yeux ; là régnoit alors la Politique ; Elle reçoit la Discorde d’un air caressant ; Elle se plaint de la perte de ces heureux temps où elle gouvernoit toute l’Europe sous le tître de la Religion ; elle déclare une haine implacable contre le senat de la France, qui défille les yeux des peuples ; Elle veut rassumer sa foudre au flambeau de sa compagne & forme avec elle de noirs projèts de vangeance. De concert elles se glissent dans l’asyle de la veritable Religion, la surprènent & la depouillent de ses habillemens modestes ; La Politique s’en revêt & suivie de la Discorde, elle se transporte à Paris ; sa voix enchanteresse seduit tous les cœurs ; elle se glisse dans l’Eglise & dans les Cloitres ; Elle gagne même la Sorbonne & remplit tout le Clergé d une dévote rage. Les Ecclésiastiques endossent la cuirasse, & dans cet équipage ridiculemen furieux ils suivent.
Zitat/Motto► Le Dieu, ce Dieu de Paix qu’on porte devant eux. ◀Zitat/Motto
Mayenne applaudit à ce pieux scandale, qui inspire aux Parisiens une nouvelle vigueur. Les Seize, chefs des factieux, se signalent surtout, chassent le Parlement ; & en emprisonnent les plus illustres membres.
Chant V. Essex arrive cependant avec ses troupes Angloises, les batteries sont dressés devant les remparts de Paris ; malgré les menaces du Pape & les ruses de Philippe second [279] les Rois touchoient à la victoire, s’ils n’avoient pas été arrêtés par une nouvelle entreprise de la Discorde ; voulant mettra à profit la foiblesse d’esprit. la superstition crédule, & la fougueuse Devotion de Clement, Moine Dominicain ; elle fait sortir de l’Enfer un Demon accoûtumé à se déguiser en Ange de lumière. Cet esprit artificieux prend alors la figure du fameux Guise ; Il se presente à Clement pendant le sommeil, il l’exhorte à vanger l’Eglise, en tuant Valois, qui en est le Tyran, & il lui laisse un poignard trempé dans les eaux infernales. Le foible solitaire obéït au songe comme à un ordre du Ciel. Il se prepare à l’homicide d’un air sanctifié ; ses amis instruits de son projet l’invoquent déjà d’avance comme un Saint du premier ordre. Les Seize cependant imitateurs de la curieuse audace de Medicis se servent de la Magie, pour decouvrir le succès de cette entreprise ; ils veulent forcer le Ciel à leur dévoiler les Destinées ; pour les punir, le Ciel les exauçe ; mille éclairs sortent de l’antre du Magicien, & Bourbon paroît au milieu des flammes sur un char de Triomphe, d’affreux coups de tonnerre éfrayent les Seize & l’enchanteur, quoique ces coups annoncent la mort inevitable de Valois. Clement cependant execute froidement son noir projèt, & d’abord environné d’armes vangeresses, il meurt avec l’exterieur d’un vrai martyr. Valois touchant à son heure derniere reconnoit Bourbon pour son successeur; il lui recom-[280]mande de le vanger, de craindre Dieu & d’embrasser la Religion Catholique. Paris se livre à des transports de joye, tandis que tous les choses de l’armée se soumettent au sceptre de Henri.
Chant. VI. Saint Louïs se presente à Bourbon dans un songe & lui met sa couronne sur la tête ; il le conduit dans une étoile où le Createur forme les Ames , & où elles retournent à lui après avoir été dégagées du corps ; de là il le mene aux enfers ; Henri dont la vertu effraye les habitans des ténèbres, y découvre l’assassin de Valois aussi bien qu’un grand nombre de Tyrans & d’autres illustres criminels qui gemissent sous différens supplices. De là il passe dans le sejour de l’innocence ; il y trouve Charlemagne & Clovis assis sur un throne d’or ; le sage Louis XII avec son fidelle ministre d’Amboise s’offre à ses yeux, qui sont encore frappés par l’ombre d’Antoine de Navarreson Pere, à qui il developpe ses desseins, écoutez avec admiration par les Pepins, les Martels & d’autres Heros. Enfin il est mené par son guide an temple du Destin, où il apprend le sort de son auguste posterité. Le Prince se réveille, il trouve au fond de son ame.
Zitat/Motto► Une force nouvelle, une divine ardeur ;
Ses regards inspiroient le respect & la crainte,
Dieu remplissoit son front de sa majesé sainte. ◀Zitat/Motto
[281] Chant VII. Tandis que Paris rend graces à Dieu de la mort de son Roi, Philippe second voyant la Couronne de France sur la tête de Henri, tremble pour la premiere fois ; Il envoye à la Ligue un puissant secours sous le jeune Egmond, qui joint bientôt Mayenne ; le Roi les attire aux plaines d’Ivry. Il s’y donne une sanglante bataille disputée opiniatrément. Bourbon y fait des prodiges de valeur, & remporte à la fin une glorieuse gloire, qu’il couronne par une Clemence paternelle qui gagne les cœurs de ceux que son courage héroïque a terrassés. Mayenne vaincu se retire à Paris ; Il déguise sa defaite à ses partisans, il fait répandre des bruits propres à ranimer leur zèle ; mais la verité perce bientôt les ténébres de l’imposture, & glace les rebelles d’effroi. La Discorde en frémit, & puisqu’elle ne sauroit réüssir à vaincre ce Heros, elle prend la resolution de ne rien negliger pour l’amollir.
Chant. VIII. Ce Chant commence par une description étenduë du Temple de l’amour. La Discorde s’y transporte pour implorer l’assistance de ce Dieu, qui abandonne l’Idalie pour voler vers les campagnes d’Ivry, où dans une partie de chasse le Roi éloigné de ses compagnons erre parmi les ténébres. Il fait luire son flambeau devant le Prince qui trompé par cette lumière seductrice porte ses pas, sans le sçavoir vers Anet, sejour de Gabrielle d’Etrées ; l’Amour, sous la figure d’un simple enfant, le devance, l’annonce à Ga-[282]brielle lui inspire un dent de plaire au Heros. Elle va à sa rencontre ; le Dieu malin allume d’abord dans leurs cœurs le feu d’une passion naissante, & la vertu du Roi s’oublie bien-tôt dans le sein des plaisirs. Son absence répand dans son camp de cruelles allarmes<sic>. Mais le genie de la France va trouver Sulli, lui decouvre l’égarement de Bourbon, & l’exhorte à l’en tirer. Accompagné de la sevère sagesse, Sulli entre dans les lieux, où le Roi repose dans les bras de la molesse. Henri lit sa honte & sa foiblesse dans l’air austère, & dans le morne silence de son sage ami ; il reprend d’abord l’empire de son cœur, il s’arrache à regret de ce Palais funeste à sa vertu, & à sa gloire. D’Estrées s’évanouit prête à perdre la vie. L’Amour la rapelle à la lumière, en répandant dans son ame les douceurs de l’espoir & cacher dans Paphos sa honte & sa colère.
Chant IX. L’Absence du Roi ayant ranimé l’audace des rebelles, ils déclarent le Throne Vacant, & veulent se choisir un Roi. Ils assemblent une espèce d’Etats où, sans Princes du sang, sans Pairs, sans Parlement, Rome & Madrid sont les maitresses absoluës. Les uns veulent vendre leur patrie à l’Espagne, les autres plus emportés mais moins laches, songent à placer Mayenne sur le Throne. D’Aubray seul, que sa vertu fait respecter dans la Ligue même, plaide avec une généreuse hardiesse la cause de Henri ; il ose [283] développer toute l’injustice de la conduite de Mayenne, en presence de cet illustre rebelle. Henri à la tête de ses troupes victorieuses arrive decant tel remparts de Paris, & maitre de prendre la Ville d’assaut & de la remplir d’horreur & de carnage, il suspend ses coups pour laisser aux fureurs des rebelles le tems du repentir. La disette & la famine accablent en peu de tems les plus riches mêmes. Dans cette affreuse situation, les troupes étrangères exercent les plus cruels brigandaes, & mettent le comble à la misere publiqe. Le cœur sensible de Henri en est touché ; il aime encore mieux soulager ses sujets que de regner sur eux ; il ordonne à son armée d’approcher des murailles, & de rendre au bout de leurs piques des vivres aux habitants. Leurs cœurs sont attendris de ce bienfait, ils veulent consacrer au Roi les jours qu’il leur a conservés. Maisces sentimens raisonnables sont étouffés dans leurs ames par Guincetre Orateur de la ligue ; le seul titre d’Hérétique dont il noircit Bourbon les rappelle à leur fatale rage. Il étoit temps cependant que l’Oracle du solitaire d’Albion s’accomplit. St. Louïs intercede pour Henri auprès de Dieu ; Il est exaucé ; la verité s’ouvre un passage dans le cœur du Roi ; Avec elle il s’avance vers les remparts de Paris, qui tombent en sa présence.
Zitat/Motto► Et le peuple à genoux dans ce jour salutaire
[284] Reconnoit son vrai Roi, son vainqueur ; & son Père. ◀Zitat/Motto
Plus j’ay lu ce Poëme & plus je me suis confirmé dans la bonne opinion que la première Lecture m’en avoit donnée ; j’avoue pourtant que le plan m’en paroit essentiellement defectueux à plusieurs égards. Il me semble d’abord que Monsieur de Voltaire a fait tort à la fertilité de son genie, en suivant avec une timidité si scrupuleuse les Poëtes Epiques de l’Antiquité, & sur tout Virgile. Dans le premier Livre de l’Eneïde, le Héros Phrygien vient à la Cour d’une Reine, il en implore le secours & il en est reçu de la maniere la plus favorable. Dans le premier Chant du Poëme de la Ligue, Henri a le même sort à la Cour d’Elizabeth. Dans le second livre du Poëme Latin, Enéeraconte à la Reine ses malheurs, suites de la fatale Catastrophe de sa patrie ; Dans le second Chant du Poëme François, Bourbon fait à la Reine d’Albion le récit des guerres civiles de la France ; si le Héros Troyen commence sa narration par
Zitat/Motto► Infandum Regina, jubes renovare dolorem.
le Héros François parle ainsi à Elizabeth
Hélas, reprit Bourbon, faut-il qui ma mémoire
Rappelle de ces tems la malheureuse Histoire !
[285] Si Enée marque ainsi l’obéïssance qu’il doit à Didon
Tuus, o Regina, quid optas
Explorare labor, mihi jussa capessare fas est.
Henri temoigne sa soumission à la Reine d’Angleterre, par le vers que voici Mais vous me l’ordonnés, je vais vous obéir. ◀Zitat/Motto
C’est sur tout dans le Chant sixième, que M. de Voltaire pousse, si je l’ose dire, l’imitation de Virgile jusqu’à la fadeur. Henri joue par tout le rolle du Prince Troyen conduit dans les Enfers par la Sibille ; comme lui, il voit d’abord le noir Tartare & les cruels supplices des méchants ; comme lui, il entre dans le séjour des bienheureux, pour y admirer la felicité pure des Héros & des Sages, comme lui, il y découvre jusqu’à l’ombre de son père, qui échappe à ses embrassemens, & à qui il expose ses avantures & ses desseins. On peut s’étonner du bonheur d’Anthoine de Navarre, qui naturellement parlant ne devoit pas se trouver parmi ceux dont la vertu est destinée à des récompenses éternelles ; peut être les a t’il meritées en donnant au monde un fils si grand & si merveilleux. Il est difficile de lui trouver quelque autre mérite ; son fils lui-même lui donne un caractère fort méprisable.
[286] Zitat/Motto► Guise après d’Orleans se vit assassiné :
Mon Pere malheureux à la Cour encainé ;
Trop foible, & malgré lui servant toûjours la Reine,
Traina dans les affronts sa fortune incertaine,
Et toûjours de sa main préparan ses malheurs,
Combait & mourut pour ses persecuteurs. ◀Zitat/Motto
Tous ces égaremens du Roi de Navarre étaient l’effet d’une ambition effrénée, qui le maitrisoit absolument, & dont il mourut victime, après lui avoir sacrifié son parti & apparemment les intérêts de sa Religion. Il faut avouer que cette mort n’étoit pas belle, & que ce Prince a jouï d’un grand bonheur, si elle a transporté son ame dans le séjour de la gloire. Mais Enée y trouve Anchise, il falloir bien que Henri y rencontrat Antoine de Navarre. Cette imitation circonspecte est poussée dans tout le reste de ce chant, dans lequel, à l’exemple d’Enée, Bourbon apprend le sort des Princes de sa race & des grands hommes, dont les vertus & les talents devoient honorer leur empire.
On pourroit soupçonner même que ce n’est que la seule envie de s’attacher aux pas de Virgile, qui ait porté l’Auteur à envoyer Henri lui-même en Angleterre. Il m’est imposible au moins de découvrir aucune autre raison plausible, d’une épisode qui me paroit un des plus choquants défauts de la [287] piece. Sulli ne pouvoit-il pas faire à la Cour d’Angleterre tout ce qu’on y fait faire à son maître ; il écoit du moins tout aussi habile negociant que Henri, il pouvoit raconter avec dignîté à la Reine les desordres de la France, & il auroit eu meilleure grace que son Roi lui-même à tracer de brillants tableaux des grades actions d’un si illustre maitre. M. de Voltaire dit dans ses remarques qu’il fait passer Henri en Angleterre, dans un temps où Histoire ne lui donne point d’autres occupations. Mais il ne se souvient pas que, precisément dans ce tems-là, il lui donne lui même l’occupation du monde la plus importante ; c’est le Siege de Paris, où la Ligue avoit de nombreuses troupes capables de ruiner l’armée des deux Rois, dans l’absence de celui, dans lequel & Valois & cette armée plaçoient uniquement leur confiance. Quelle apparence d’ailleurs qu’un Prince, qu’on appelloit le Roi des Braves, eût risqué de flétrir sa gloire, en se derobbant au peril, pour aller negocier le secours de quelques troupes auxiliaires ? Dans de pareilles circonstances, Valois auroit fait une indigne folie d’exiger une pareille complaisance de Henri, & Henri auroit démenti grossièrement son propre caractère, en se soumettant à ce caprice de son Roi.
Un autre défaut que je crois découvrir dans ce plan, c’est un manque d’invention & une ennuyeuse uniformité dans les fictions qu’on regarde comme l’ame du Poëme Epique. [288]
La Discorde est prefque la seule Docte, qui sort d’une machine, pour amener tous les évenements ; c’est comme la messagére de l’Auteur. C’est la Discorde qui va chercher à Rome la Politique, pour lui faire jouer en France le rolle de la Religion. Le Poëme à t’il besoin d’un Demon, pour inspirer au Moine Clement le noir dessein d’assassiner son Roi ; c’est la Discorde qui va choisir dans les Enfers cet esprit artificieux. Rien ne peut-il arrêter la ruine de la Ligue, c’est l’ingenieuse Discorde qui trouve une ressource. Elle vole vers l’Idalie, pour implorer l’assistance de l’amour qu’elle appelle son Frere, quoi qu’on ne voye pas pourquoi elle est plus de ses parentes que le depit, la jalousie, la colère, la haine, la rage, le desespoir ; Encore pourroit-on plutôt mettre toutes ces passions au nombre des enfans de l’amour, que dans la classe de ses frères & de ses sœurs.
Il me semble qu’on petit censurer encore avec justice un troisième défaut général de ce Poëme ; c’est le melange absurde du systê-me Chrétien & de celui du Paganisme ; Mais mon cahier est rempli, j’espere d’entretenir mes Lecteurs là dessus dans quinze jours. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1