Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 17", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.1\017 (1723-1725), S. 257-272, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1771 [aufgerufen am: ].
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No. 17
Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur le Nouveau Spectateur François.
« C’est du Consentement de mes Confrers, que je me rends aujourd’hui Infracteur de celui de nos statuts, qui nous deffend de parler en langue vulgaire, que pour dire des injures à ceux de nos Contemporains qui ne font pas du Grec leur unique Etude. Pour nous, nous ne parlons que cette divine Langue, [258] & c’est pour en Conserver le précieux usage que nous avons érigé une societé d’Erudits, à l’instar de tant d’autres societez moins utiles dont vous & vos devançiers avez donné la description.
Il n’est pas à propos que les profanes soient initiez dans tous nos misteres, mais, il est juste qu’un Etablissement aussi glorieux à la patrie que celui de notre societé, ne soit pas ignoré des Ignorans mêmes. C’est donc en faveur de la jeunesse & pour lui inspirer le goût d’une Connoissance aussi precieuse, que l’est celle des Dialectes Dorique, Jonique, Eoloique, Attique & Commune, que ma Compagnie ma dispensé de la regle que sa sagesse avoit jugé digne de nous être imposée.
Pour vous informer donc Monsieur, de ce que nous voulons bien que le Public sache, j’ai a vous aprendre, que le seul talent necessaire pour être admis dans nôtre societé, c’est la mémoire ; nous lui donnons la préference sur tous les autres. Nous nous passons volontiers du bon sens ; la vivacité de l’Esprit, sa facilité, son etenduë, sa pénétration, une imagination sûr & invariable, tout cela ne nous semble rien étant mis en paralelle avec l’Erudition. L’Erudition est la pierre de touche du vrai savant & particuliairement l’Erudition Grecque, car nous n’es-[259]timons la Latine que comme des jeux d’Enfans. La Logique est pour nous une Connoissance incomode, nous regardons les Mathematiques, & en particulier cette branche qu’on apelle la Geometrie, comme ce qu’il y a de plus vain dans les sciences, temoin le gros ouvrage quelle a fait produire contre la divine Illiade. La morale même nous paroît gênante lors qu’elle pretend s’opposer au mepris (qu’on apelle insultant, mais que nous croyons juste) que nous sommes souvent tantez de faire paroître pour les particuliers de nôtre suite qui ont l’audace de ne se pas soumettre à nos decisions. Cette gêne est cause que nous en faisons peu de cas. En un mot, la langue Grecque, nous paroît la Reine des Connoissances, comme la memoire est la Reine des facultez humaines. Ce n’est pas que toutes sortes de memoires nous soient égales, Nous ne nous soucions que fort peu de cette espece de memoire qui retient & arrange quantité de faits ; nous mettons bien au dessus celle qui à la propriété de se charger de beaucoup de mots, d’en savoir les racines, les derrivez les composez & de nous rendre pour ainsi dire des Dictionnaires vivants.
Nous nous assemblons sept fois le mois à l’honneur de la Pleïade des Poetes Grecs, & nos Assemblées durent sept heures en mémoire de pareil nombre de villes [260] qui se disputerent la Gloire d’avoir vû naître le divin Homere dans leur sein. L’Erudition la plus Epineuse, & les recherches dont l’utilité ne frappe point des yeux moins clairvoyants que les nôtres font la matière de nos entretiens les plus ordinaires. Cependant, nous n’y sommes pas entierement assujettis, car lors que quelqu’un des membres de nôtre societé veulent se délasser du serieux d leur Etudes, & que la Sterilité, ou la pesanteur de leur Imagination ne peut sans un nouveau travail fournir à la Conversation, nous leur permettons la récréation du nouvel jeu de l’Oye, parce qu’il est renouvellé des Grecs.
Il n’est point d’usage mieux observé parmi nous que celui de ne rien penser de nouveau, & nous faisons Consister nôtre principal merite à redire ce que les grands Auteurs de l’Antiquité Grecque ont pensé. Cependant pour Communiquer nos talents aux personnes qui seront Capables d’en profiter, & nous mettre en même tems hors de la portée du vulgaire nous avons résolu de faire un Spectateur Grec. C’est la que sans nous gêner & sans craindre la Critique, souvent incomode des demi-savans, nous mettons à profit les Phrases que nous aurons retenuës, d’Alcman, d’Archilochus de Leschés, de Tyrtée, de Stesicore, d’Epimenide, de Tespis, de Minnerve, d’Ibycus, de Phocy- [261] lide, de Sophron, de Panyasis, de Philistion, & de cent autres grands hommes tant Poëtes que Prosateurs, de qui les noms ne sont pas connus de tout le monde, & que nous ferons servir à enfler nôtre réputation & à déprimer celle de tous les autres.
Une seconde utilité que nous pretendons tirer d’un Spectateur Grec, c’est qu’il pourra servir à faire connoître les productions Galantes de nos Poëtes jusqu’ici trop ignorées, quoi qu’un grand 1 Connoisseur ait averti le public que rien n’étoit plus Galland que d’adresser une ode Grecque à une Dame. Les loüanges en cette langue Incomparable ont même cela de merveilleux que quelques flatteurses & quelque delicates quelles puissent être elles ne courent point risque de gâter, l’Esprit ni de corrompre le cœur des belles à qui on les prodigue.
Pour aider à la perfection de nôtre Spectateur, le célebre Colombat doit l’imprimer avec les nouveaux caracteres Grecs qu’il a fait fondre, & donc vous pourrés voir l’Eloge dans le second article des memoires Historiques & Critiques imprimez à Amsterdam il y a deux ans.
Je mettrai des bornes a ma lettre par la [262] traduction d’une chanson qu’un des illustres de nôtre corps à composée. Il y exprime des sentimens s’y beaux qu’ils meritent d’être proposés à l’imitation de tous les Peres de famille, la traduction est aussi Litterale que la sterilité & l’Impropriété de l’idiome dans lequel j’écris a pû me le permettre. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3
Zitat/Motto► Le Grec fait mon ébat
Car mon fils & ma fille
Et tout jusqu’à mon chat
Chante dans ma famille
Charmant Grec mes amours
Je t’-aimerai toûjours. ◀Zitat/Motto
Metatextualität► Je puis protester en homme d’honneur que la lettre qu’on vient de voir m’a été réellement envoïée, & qu’il n’y a rien m’appartienne. Si le petit trait qu’on lance dans cette lettre contre l’Auteur des Memoires Historiques & Critiques m’avoit paru d’une nature à offenser un galang homme, je l’aurois supprimée toute entiere.
Je remplirai le reste de cette feuille de quelques réfléxions sur une matiere qui me paroit très interessante, & dont il importe extrêment aux honnêtes-gens de se former de justes idées. ◀Metatextualität C’est la Sincerité ; La plus noble qualité de l’ame, mais dont on fait l’abus le plus frequent & le puls pernicieux. Certainement elle caractèrise une ame gran-[263]de, ferme, généreuse, accessible à toutes les vertus. C’est la baze solide du vrai mérite ; sans elles toutes les autres vertus sont ou fausses, ou inutiles à la societé. Un homme bon, ou inutiles à la societé. Un homme bon, doux, complaisant, tendre ami du genre humain, mais qui s’occupe toûjours à biaiser, à pallier, qui n’a jamais la noble audace de déplaire généreusement, ne possede que l’art fatal de changer toutes ses vertus ses foiblesses ; Avec les meilleurs qualités du Cœur & de l’esprit il est timide, petit, meprisable, plus digne de pitié que d’Amour. En récompese un homme dont la franchise n’a pas pour compages une bonté & une prudence suffisante est plus propre à s’attirer de la haine que de l’estime.
Je ne confonds point avec cette candeur peu menagée une certaine humeur féroce, une certaine brutalité, qui marque autant une ame basse que le déguisement le plus timide ; qui peut subsister sans aucune vertu, qui peut s’allier avec les mensonges les plus bas, qui n’est qu’une veritable cruauté, & qui a moins son principe dans l’amour de la verité, que dans une haine enracinée pour le genre humain. Tel est le caractère du vieux Adraste, dans le cour de sa jeunesse & de sa prosperité à faire distiller sur la conduite de son prochain la plus subtile médisance & la calomnie la plus artificieusement rasinée. Son opulence donnoit à sa scelera-[264]tesse une pente vers la gayeté ; Depuis que ses vices ou selon lui les attaques de la fortune l’ont précipité dans un malheur, que son age rend encore plus accablant, sa malignité est devenuë atrabilaire ; Il est revenu de la médisance ; Il n’attaque plus les honnêtes-gens en traitre, il les heurte de front ; le seul moyen qu’il trouve d’oublier sa misere, c’est de reprocher aux hommes en face leurs défauts vrais ou apparens, & censurer avec aigreur & avec dureté jusqu’à leur meilleures actions. Le vice est sa proye, il le poursuit par tout, il le trouve partout, excepté dans son propre cœur. Chacun de ses reproches lui paroit un acte du plus vif amour pour la vertu ; plus il irrite les gens, plus son ame est satisfaite, mais malheureusement pour lui il n’irrite plus que ceux qui ne le connoissent pas ; Il semble qu’il ait à redemander à tout individu humain, les richesses & les plaisirs qui l’ont abandonné il se vange sur toute la societé des chagrins & de la disette dans lesquels il a été abimé par ses propres desordres.
Ce n’est pas à de pareils monstres que je m’adresse ; les lumieres les plus pures & les plus brillanges, si j’étois capable de les répandre sur un sujet, ne perceroient jamais les épaisses ténébres & l’affreuse dureté dont leurs ames sont entourées ; les situations diffèrentes où ils peuvent se trouver, plus puissantes souvent pour corriger l’homme que la raison même n’auront jamais sur eux la moin-[265]dre force ; Elle ne sauront que varier les travers de leur esprit, & les sentimens infames de leur cœur.
Il ne s’agit pas même ici de certaines personnes qui ont réellement, de la vertu, mais une vertu entée sur toute la morosité, sur toute la mauvaise humeur qui peut être compatible avec les qualités essentielles d’un homme de bien. Les honnêtes-gens malheurex sont nés pour ainsi dire avec une raison saine, & avec un temperament indisposé ; ce temperament jette des couleurs noires sur toures leurs pensées, sur tous leurs sentimens, sur les objèts qui frappent leur imagination ; Ils ont trop enfoncé leur vertu dans leur melancolie, pour être en état de l’en degager jamais, vouloir les guerir par la réflexion, c’est entreprendre la cure d’une fievre, par la seule force du raisonnement. Ceux dont je voudrois adoucir la candeur sont, des jeunes gnes, qui ont dans leur cœur les semences de toutes les vertus, mais dont le merite n’est pas encore parvenu à sa parfaite maturité, ils trouvent de la vigueur dans leur raison de l’élévation dans leur ame, une estimable envie de se distinguer ; leur imagination est vivement frappée par la bassesse du mensonge & de l’artifice ; l’imposture d’une politesse fausse & seductrice les révolte, ils considèrent la franchise comme le caractère d’un solide mérite ; plus cette qualité leur paroit rare, plus ils la croyent digne d’éclater dans leur conduite ; à mesure que la pra-[266]tique de ce sublime devoir s’offre à leur esprit comme difficile & épineuse, ils la trouvent grande & Héroïque ; ils se croyent superieurs au vulgaire à proportion des intérêts qu’ils sacrifient à cette vertu aussi belle qu’odieuse. Ces dispositions sont admirables on n’en sauroit disconvenir ; Il n’y a rien de réellement grand & de noble qu’on ne doive en attendre, j’ay toûjours remarqué qu’un merite qui commence par un excés de douceur, se perfectionne plus rarement qu’un merite, qui debute par un excès de fermeté, sa fermeté outrée s’adoucit plus aisement, qu’une douceur trop molle ne s’affermit. Il en est comme d’un arc qu’on bande avec plus de difficulté qu’on ne le relache. Encore un coup, les dispositions que je viens de peindre fsnt dignes d’estime & d’admiration ; tout ce qu’on peut y trouver souvent à redire c’est un excès de roideur, dont on ne revient qu’à l’aide d’une expérience mise à profit par une raison seure, & par cette même grandeur d’ame qui en est la cause ; ceux que j’ai dépeints manquent rarement de s’en corriger, & ce n’est que pour leur faciliter la route d’une politesse sensée que je les prie de me preter un moment d’attention. On m’avouera sans peine, qu’il faut regler l’exercice des vertus sur la connoisance du cœur humain, & sur le rapport qu’ont nos devoirs avec les intérêts de la societé. On m’accordera facilement que la vertu qui peut rester sans crime dans l’inaction, devient vice en [267] se deployant pour faire du mal, au lieu de produire du bien, selon se veritable destination. Ne suit-il pas de la avec evidence que dans mille occasions, ou probablement les chagrins que donnent votre franchise, l’emporteront sur son utilité, il y a de la bonté, & même une force d’esprit heroïque, à vous retrancher dans un prudent silence. Est-il nécessaire d’entrer dans toutes les compagnies herissé de preuves & de censures ? Est-on dans l’obligation indispensable d’attaquer par tout ces petits préjugés de la mode, ces petites chimères de la coutume, qui n’ont pas une liaison étroite avec le crime ? Mais, dirés-vous, tout homme sensé doit travailler de toutes ses forces à rectifier les idées de son prochain, & à régler ses sentimens. La maxime est vraye en général, mais elle est fausse dans toutes les occassions, où dans l’incertitude de produire un peu de bien, on s’expose à irriter, à passionner les hommes, & a fermer pour jamais à nos lumieres le chemin de leurs ames remplies d’aigreur. La vertu & la verité ne demandent pas qu’on fasse le Don Quichote pour elles ; ce ne sont pas de ces Infantes de Roman qui prétendent qu’on entre continuellement en lice pour defendre leur beauté ; ce sont des maitresses raisonnables qui nous obligent à soutenir leur intérêts avec une intrepidité sage & prudente. D’ailleurs cette franchise chevaleresque marque-t-elle toûjours un amour bien desinteressé pour la vertu ? fouillons un peu dans [268] nôtre cœur, calmons pour quelques momens une vertu turbulente, & voyons si dans cette conduite il n’entre pas une vanité un peu coupable, un desir outré d’étaler nos lumières & nôtre force d’esprit.
Il est vrai qu’il y a des conjonctures où le silence n’est qu’une lâche trahison. Quoi ! on noircira devant moi un homme, dont le vrai merite m’arrache la plus forte estime ! on decriera en ma présence un ami respectable par ses vertus ! & je me tairois honteusement ! ne seroit-ce pas participer à la sceleratesse du calomniateur & me rendre on infame complice ? assurement ; mais songés à ne pas trop vous livrer à une imagination échauffée par un cœur justement indigné. Si une apologie modeste de votre ami, & des preuves claires & simples de son innocence suffisent pour affermir sa réputation ébranlée ; pourquoi vous jetteriés-vous dans une vehemence outrageante ? pourquoi vous exposer à vous faire un ennemi irréconciliable, par une impetuosité destituée de motifs suffisants ? Que savés-vous même si des expressions fortes & choquantes ne feroient pas un tort réel à celui qui s’offre à votre esprit sous l’idée d’un calomniateur. Pour peu qu’on soit disposé à juger favorablement des hommes, on se persuade sans peine que la calomnie préméditée est assés rare ; Celui qui offence votre ami n’est peut-être coupable que de crédulité, c’est peut-être de personnes qu’il croit dignes de foi qu’il tient ce qu’il [269] a l’imprudence de débiter ; les jugemens témeraires sont communs, il est difficile de les éviter, les gens les plus vertueux y donnent quelquefois ; si vous vous examiniés avec sevérité, vous n’en trouveriés peut-être pas votre conduite entierement exemte, faites ici un effort d’humanité ; supposés qu’il s’agit ici d’une erreur dans l’esprit & non pas d’une noire malignité dans l’ame ; traités votre adversaire sur ce pied, il n’est pas impossible qu’il vous sache gré des lumieres que vous répandés sur sa raison & que vous le gagniés pour votre ami & pour vous.
Il faut parler encore indubitablement quand quelqu’un avance devant nous des maximes pernicieuses ; si on les considere comme l’effet d’une simple illusion, on satisfait à son devoir en la dissipant par des raisons uniment & clairement proposées, & en développant, les fatales consequences qui peuvent decouler de ces principes venimeux ; mais quand on à affaire à une sceleratesse insolente qui brave le bon-sens & la vertu, les meilleures preuves ne suffisent pas. Ce n’est pas assés de convaincre la raison des assistans, il est bon de frapper leur imagination, de passionner leur ame contre le seducteur, & de demasquer l’afreux carctère qui est l’impure source d’un venin si detestable. Cependant quoiqu’on soit en droit de ne pas menager un ennemi public de la societé humaine ; je croi qu’il y a de la prudence à un jeun-homme de menajger ses propres intérêts, & [270] de gagner ses auditeurs en retenant le pathetique de ses discours dans les bornes de la modestie & de la politesse. L’invective directe ne sied que dans la bouche d’un homme qui emprunte de l’autorité de son age, & de son experience ; on n’accorde pas ce droit aux jeunes gens les plus éclairés & les plus vertueux, on a tort peut-être, mais pour se rendre utiles aux hommes, il faut respecter quelquefois jusques à leurs chimeres.
Je sai <sic> bien que c’est un devoir imposé à tous les hommes, de ne négliger aucuns moyens pour éclairer la raison, & pour réformer le cœur du prochain ; sur tout quand ce cœur & cette raison sont maitrisés par des idées & par des passions essentiellement mauvaises & infames ; mais sous ce pretexte, notre austère candeur ne doit pas bouleverser toutes les conventions, & nous eriger en prédicateurs des grands chemins. Notre prudence doit préparer les routes à notre franchise ; elle doit guetter les lieux & les occasions où la vertu qu’elle accompagné peut se produire avec fruit.
Arcas à dans son ame un mérite, qui ouvre pour ainsi dire, ses premieres fleurs, & qui promet une riche moison de toutes sortes de vertus ; persuadé que ses lumieres & ses sentimens appartiennent à la societé autant qu’à lui, il en est prodigue ; il ne neglige rien pour les communiquer à ses amis, à ses bienfaiteurs, & à ceux dont il attend son établissement & sa fortune loin de réussir [271] dans son dessein il ajoute à leurs défauts celui de hair son mérite dans le tems qu’il les force à l’estimer : c’est ainsi qu’il sacrifie à rien son établissement & sa fortune. Il s’en applaudit en quelque sorte, il se félicite d’une candeur intrepide, qui le mene au devoir à travers les obstacles les plus insurmontables pour une ame ordinaire ; mais il ne sent pas qu’il s’écarte du devoir lorsqu’il y tend par un entier si rabotteux & si sterile. Il y a un art d’être vertueux qu’il ne connoit pas. Voulés-vous corriger vos amis, otés de vos instructions tout air de censure, toute expression crue & peu ménagée ; que l’humanité semble marcher à la tête de vos leçons ; n’attaqués pas directement la conduite de vos amis ; tachés de la rectifier en faisant semblant de ne l’avoir pas seulement en vûë ; Posés des Principes surs, faites en sortir des verités salutaires, si vous sentés qu’elles pénètrent dans la raison, que vous voules prendre par ce détour charitable, donnés leur le loisir d’aller de la jusqu’aux sentimens ; ne lassés, n’acablés pas les âmes d’un fardeau de vos arguments entassés. Heros de la sagesse, si vous voulés lui soumettre des cœurs, ne leur donnés pas des assauts continuels, avancés plutôt par la sappe ; la Conquête, quoique lente, en sera plus sure & moins destructive pour vous même. Je sai que l’instruction la mieux conduite ne réüssit pas toujours. Il y a des gens abîmés dans des erreurs favorites, & dominés par des passions impérieuses. Si vous en appro-[272]chés le flambeau de la verité ; si vous faites evanouïr les sophismes qui leur cachoient l’horreur de leur caractère ; vous les jettés dans une situation gênante qui vous attire leur haine, ils vous attire leur haine, ils oublient vos raisonnemens ; de nouveaux sophismes, dont le cœur est une inepuisable source les obscurcissent bientôt, mais ils n’oublient pas facilement les mortifians chagrins que vous leur avés causés. Pourquoi reviendrés-vous à la charge, ces cœurs sont imprenables, de nouvelles attaques ne feroient qu’y fortifier une indignation contre vous, qui vous en defendroit à jamais les avenuës, soyés économe de vos vertus. Ne tentés pas l’impossible. Il n’y a ni sagesse ni devoir à vous nuire sans en attendre la moindre utilité. Ces personnes peuvent être à l’exception d’un seul défaut invincible, d’un agreable commerce ; elles peuvent contribuer peut être à vôtre bonheur ; menagés les ; vôtre vertu satisfaite des efforts que vous avés fait pour elle, vous met en droit de travailler pour des interêts moins delicats. En un mot si vous voulés perfectioner vôtre mérite, que vôtre candeur ne soit ni timide, ni temeraire, qu’elle soit toujours raisonnée, qu’elle se propose toûjours un but réel, qu’elle ne se detache jamais de l’humanité, qu’elle ne soit jamais l’effet d’une fierté criminelle, ni d’une vivacité inconsiderée. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1
1Le premier Auteur des Memoires Historiques & Critiques Article 2.
