Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 5", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.1\005 (1723-1725), S. 67-81, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1759 [aufgerufen am: ].
Ebene 1►
No. 5
Zitat/Motto► Quid si quis vultu torvo ferus, & pede nudo.
Exiquæque togæ simulet textore Catonem.
Virtutemne repræsentat, moresque Catonis ?
Hor.
Avoir l’air austere, être mal chaussé, & mis de mauvais goût, est-ce s’aproprier les mœurs, & la vertu de Caton. ◀Zitat/Motto
Ebene 2► Qu’est-ce que c’est qu’un Philosophe ? Fremdportrait► Un Philosophe c’est un animal sérieux, grave, austère, farouche ; Il est entierement concentré dans sa méditation ; il a rompu tout commerce avec les sens, & avec les ob-[68]jets extérieurs. C’est un être isolé. Il oublie que son ame est renfermée dans un tissu de matière ; tout ce qui n’a pas un raport direct avec sa raison lui paroit insipide & dégoutant. Toujours abimé dans la profondeur de ses réflexions, il ne voit point, il n’entend rien , il n’a ni goût ni sentiment ; tout badinage lui fait horreur ; il est inaccessible à tout plaisir qui ne sort pas du fond de sa nature intelligente. S’il s’habille, ce n’est que pour se garantir des injures de l’air. Il s’enveloppe, il ne s’habille pas. L’amour de la propreté ne lui arrache pas une minute de son temps, trop précieux pour le prostituer à de semblables puerilités. Sa démarche & tout son air l’annoncent, ses mais ne sont faites que pour saisir, ses jambes n’ont d’autre emploi que de le transporter d’un lieu à un autre. Il a de grandes vertus ; de la justice, de la tempérance, de la haine pour la volupté ; s’il daigne honorer de son commerce & de son amitié quelques hommes choisis, il est capable de les servir avec fidélité, & avec chaleur, mais il regarde tout le reste du genre humain ou avec pitié, en qualité de petits esprits, ou avec horreur, en qualité de scélérats. Il est aigre censeur. Il n’excuse rien, tout lui paroit une indigne bagatelle, ou un crime odieux ; tout le dégoute, ou l’irrite. Il semble se faire une gloire de ne penser presque [69] sur rien comme les autres hommes. ◀Fremdportrait
Voila l’idée que le vulgaire se forme d’un Philosophe ; c’est pour cette raison, que, dès que le Hasard conduit dans une compagnie un homme de cette trempe, la gaïeté disparoit tout d’un coup, le front sourcilleux du sage se communique a tout le monde, on ne donne plus l’effort à une seule parolle, qu’après l’avoir bien pésee, chacun sort de son naturel, on se compose, on est décontenancé ; le Bel-Esprit suspend ses faillies, & étouffe le feu de son imagination ; celui qui a bon air, dérange sa mine & sa Physionomie ; la belle renonce pour quelque temps à une partie de ses charmes. On ne se remet en possession de ses agremens & de ses plaisirs, que lorsque l’ennui a renvoïé le Philosophe dans la poussière de son cabinet.
Ce tableau est formé sur le caractère de ceux que l’antiquité a révéré sous le titre de Sages & de Philosophes, mais dont la pluspart se distinguoient moins du peuple par des lumières & par des vertus, que par l’orgueil, par la mauvaise humeur, & par l’ignorance de leur propre nature, & des devoirs qui en resultent.
Il paroit avec évidence que pour la plûpart avoit l’ame vuide de cette noble bonté, qui nous fait trouver la satisfaction la plus douce & la plus pure, en nous rendant utiles aux autres hommes : [70] plusieurs d’entre eux sembloient craindre de foüiller leur sagesse, en la communiquant au vulgaire, ils déroboient leurs préceptes aux yeux du peuple en les enveloppant de termes enigmatiques, & de ténèbres mistérieuses ; & leur but paroissoit plutôt de rendre leurs maximes surprenantes que salutaires. D’autres, plus amis de la clarté, renfermoient leurs lumières dans l’enceinte de leurs Ecoles ; ils sembloient avoir deux ames, dont l’une pensoit avec leurs disciples, & l’autre agissoit avec le peuple.
Quelques-uns sont parvenus par la force de leur pénétration, a des idées grandes & saines de la nature de la Divinité & du culte qui lui est agréable. Mais qui d’entre eux a eu l’humanité de vouloir répandre ces notions aussi utiles qu’evidentes dans le cœur de tout un peuple ?
Quelques-uns sont parvenus, par la force de leur pénétration, a des idées grandes & saines de la nature de la Divinité & du culte qui lui est agréable. Mais qui d’entre eux a eu l’humanité de vouloir répandre ces notions aussi utilies qu’évidentes dans le cœur de tout un peuple ? qui d’entre eux a eu la généreuse hardiesse de vouloir rendre toute une Nation Philosophe, & de détourner des horreurs de l’idolatrie une multitude assemblée pour un sacrifice solemnel : ils craignoient la férocité de la prévention & la cruauté que l’ignorance affermit dans une populace supersticieuse. Mais qui les empêchoit de préparer les ames de longue main à la vérité, & d’y exciter peu à peu les étincelles de la raison. D’ailleurs ces sages faisoient profession de braver le trépas. [71] Quelle noble occasion pour eux de faire briller cette fermeté heroïque, en s’exposant à la mort, pour la meilleure de toutes les causes.
J’ose soutenir encore qu’ils avoient une idée très imparfaite de la sagesse ; faute de considerer l’homme de toutes ses différentes faces, & dans toutes ses différentes relations ; en un mot, faute de le considérer tel qu’il est sorti des mains de la sagesse infinie. Les Stoïciens oublioient que l’homme avoit un corps ; ils ne découvroient chez lui que l’ame ; ils le vouloient inaccessible à toute passion, & ils détruisoient l’homme en partie, sous prétexte de le former & de l’agrandir. Il n’est pas surprenant qu’ils se préférassent à la divinité même, puisqu’ils osoient désaprouer un des plus beaux de ses ouvrages. Les plus grossiers d’entre les Epicuriens prenoient le contrepied de cette extravagance philosophique. Ils ne trouvoient dans l’homme qu’un corps avec des besoins, des appetits, des desirs ; & chez eux la souveraine sagesse consistoit à rassassier tous leurs penchants, sans leur prescrire des bornes. Leur maître Epicure plus sage, plus éclairé que ses disciples brutaux chercoit la souveraine sagesse, & la volupté suprême, dans un esprit calme, serein, possesseur de soi même. Mais il se détachoit entièrement de la société humaine. Il s’ef-[72]forçoit à détruire ces penchants, ces instincts utiles, qui nous lient au genre hu main, & qui fervent de baze au merveilleux édifice de la sociabilité.
Pour les Academiciens, qui se mocquoient avec justice de l’esprit décisif des autres sectes, ils considéroient comme les effets de la plus haute sagesse, leurs efforts continuels employés à bannir l’erreur du monde du quel ils bannissoient en même-tems la vérité ; ils croyoient prendre le parti de la raison en lui arrachant l’évidence, c’est-à-dire, en détruisant entièrement sa nature.
L’extravagance de ces differentes sectes ne devint entièrement sensible, que lorsque un autre Philosophe parut dans le monde. C’étoit l’homme le plus éclairé, mais en même tems le plus simple, le plus uni, le plus éloigné de toute ostentation ; son caractere étoit celui de la doctrine. Sa sagesse s’étendoit sur tout l’homme & sur toutes ses différentes situations. L’ame, le corps, les inclinations naturelles, les passions mêmes, nos liaisons avec les autres hommes, en un mot tout ce qui nous interesse, se reunissoit avec une harmonie parfaite dans la Philosophie comme dans son centre. Elle ramassoit, lioit, & réformoit tout ce qu’on pouvoit puiser de meilleur dans toutes les autres sectes. Jamais mortel ne donna des idées si nobles & si sublimes de l’ame ; jamais sage ne convainquit plus fortement l’homme de sa [73] propre excellence. Selon lui, le principe intelligent qui nous anime, est un Etre immatériel créé à l’image de la souveraine perfection, &, comme elle, raisonnable & immortelle. La grandeur & la felicité de cette ame consiste à imiter son auteur & son modèle, à penser des objets comme lui, & à se conformer à cet ordre qui subsiste éternellement dans la nature même de la divinité. Cette vie n’est, pour ainsi dire, que l’école de l’ame ; sa tâche est d’apprendre à être véritablement heureuse ; si elle y réüssit, la récompense du bonheur qu’elle aura sû se procurer, sera une félicité sans bornes, qui doit suivre nécessairement de l’union la plus intime avec la source intarissable de tout bien, & de toute sensation délicieuse.
Ces notions sublimes de ce qu’il y a en nous de plus grand, ne déroboient pas à l’attention étenduë de ce divin Philosophe, notre corps, nos organes, & les penchants qui se trouvent dans le fond de nôtre Etre. La Sociabilité paroissoit un des plus grands buts de sa doctrine. Il vouloit qu’en aimant les hommes nous marquassions sur tout nôtre amour, nôtre respect, nôtre devouëment pour le Créateur qui se plait à être le bien-faiteur & le Père du genre humain. Il avoit en horreur la farouche insensibilité, quelque Philosophique qu’elle pût paroître. L’hu-[74]manité distinguoit ses disciples, comme les sectateurs de la plûpart des Philosophes étoient reconnoissables par leur front sourcilleux, par leurs manières rudes & austeres. Une tendresse renfermée dans les bornes de la raison lui paroissoit la passion la plus délicieuse pour chaque particulier, & la plus utile en même tems pour la sociéte en général. Il considéroit, comme réellement bon, tout ce qui est dans l’homme ; il ne condamnoit, & il ne songeoit à reformer que l’usage déraisonnable que l’homme fait de ses facultés, & de ses penchants. Toute la sagesse, qu’il a prescrite, ne consiste qu’à suivre l’amour de nous mêmes éclairé sur nos véritables Intérêts. Jamais il ne songea à nous interdire aucun plaisir réèl. La véritable sagesse pourroit elle se faire un devoir de détruire cette correspondance qui règne entre nos organes & les objets extérieurs ? Non. Aussi il ne nous enseigne qu’à mesurer notre attachement pour les plaisirs à leur véritable valeur, & à préférer des plaisirs plus satisfaisans & plus durables à ceux qui sont plus limités dans leur réalité, & dans leur durée ; des plaisirs qui touchent l’ame, à des plaisirs qui n’affectent que les sens. Il nous a défendu seulement de nous forger des plaisirs chimériques, qui en augmentant nos besoins ne font que donner plus d’étenduë à nos misères.
[75] On peut appeler Philosophes ceux d’entre ses disciples qui portent le plus loin la sagesse de bien apprécier tous les objets, & qui se signalent par la force d’esprit de regler leur conduite sur leurs lumières. Ce sont là les veritables amateurs de la sagesse, ce sont là les sages qui meritent un si beau titre, & il ne faut pas s’étonner de ce qu’ils parlent avec tant de mépris de cette indigne Philosophe qui forçoit la raison à combattre la nature essentielle de l’homme. Ce qu’on appelle d’ordinaire Philosophes ne sont que des extravagans fastueux, qui manquent de lumières & de bonté. Mais le véritable Philosophe n’a rien qui puisse affaroucher les honnêtes gens ; sa sagesse est faite pour la Société ; elle est douce, humaine, indulgente ; amie de la complaisance & de la politesse. Quelle opinion monstrueuse que celle qui détache la bonté de la Supériorité d’esprit, pour en faire l’apanage de l’imbécilité, & qui arrache la politesse à la vertu, pour en faire l’agrément pernicieux du vice ? C’est faute de lumiéres que la pluspart des gens donnent dans la méchanceté, & la véritable politesse n’est qu’une humanite éclairée, qui se prête au goût & aux maniéres des hommes, autant que la vertu peut le permettre. Mais la fausse politesse, qui brave la vérité par des mensonges séducteurs n’est qu’un outrage réel pour [76] ceux qui en sentent l’imposture ; & elle n’exerce qu’une lâche cruauté sur les personnes dont elle augmente la sottise en la dupant.
Mais un véritable Philosophe peut-il sans démentir son caractére, aimer la propreté, s’habiller de bon goût, mettre à profit la juste proportion que la nature à donné à son corps, & se menager un air prévenant & agréable. Il le peut sans doute, & même je croi qu’il y est obligé ; il est indifférent, dit-on, de quelle maniere le corps est couvert ; mais c’est pour cette raison même qu’il est naturel de s’épargner à cet égard un ridicule inévitable, & de frayer à nôtre mérite & à nos exemples une route facile au cœur des hommes, par une mine qui plaise, & par un ajustement qui prévienne en nôtre faveur. Est-ce agir raisonnablement que de rendre nos lumières & nos vertus inutiles à la Société, faute d’une complaisance innocente pour les bisarreries de la mode ? Mais le vrai Philosophe ne prodigue pas son temps & son attention aux vetilles de l’ajustement. Il n’arrête pas les passans pour savoir leur opinion sur ses dentelles, & sur sa perruque ; il n’augmente pas son estime pour lui-même, quand il se voit couvert d’un habit brillant ; il s’habille & il n’y pense plus.
Qu’on ne s’imagine pas que le vrai Philosophe, que l’homme qui se distingue par [77] sa raison & par sa vertu, soit de necessité censeur aigre & assidu du vice & de la sottise, & que son caractère l’oblige à répandre par tout les préceptes & les reproches. Loin du véritable sage une raison étourdie, qui s’attire une haine infructueuse, en rompant en visiére à tout ce qu’elle condamne. La prudence est compagne inséparable de la sagesse, elle doit lui marquer les occasions d’être utile aux hommes, & revêtir l’instruction de toute la politesse, & de toute la douceur qui peuvent la rendre insinuante & propre à gagner les ames.
Cette aimable Philosophie sait se soutenir parfaitement, sans s’appuyer sur le mépris des grandeurs & des richesses. Je conviens que ceux qui sont les plus petits en eux-mêmes recherchent avec le plus d’ardeur le rang & l’élévation. L’homme est né pour la grandeur, il est grand par sa nature, & il a un desir invincible de s’agrandir de plus en plus. Ceux qui sont trop lâches & trop paresseux pour affermir & pour étendre cette grandeur intérieure, s’occupent à la remplacer par une grandeur étrangére qui puisse enfler l’idée qu’ils ont d’eux-mêmes. Le commandement a les plus grands charmes pour les petits esprits, & pour les cœurs bas. Le sage au contraire respecte sa propre excellence dans les autres hommes ; il voit à regrèt soumis à ses ordres & rampans sous son autorité des Etres, qu’il ne [78] voudroit asservis qu’aux loix de leur propre vertu. D’ailleurs les dignitez lui coutent une grande partie de son temps & de son repos, & c’est le plus grand sacrifice, qu’il puisse faire à la Société. Mais il répare noblement cette perte par les occasions que sa grandeur accessoire lui fournit de déployer utilement sa grandeur naturelle. Qu’elle satisfaction inexprimable, que de faire sa grande occupation de contribuer à la félicité publique, de défendre l’innocence, d’opprimer l’injustice, de démêler la fourberie, de tirer le mérite de la poussière, de rendre toute une nation plus tranquille & plus vertueuse !
Pour ce qui regarde les richesses, il est certain, qu’elles sont bien éloignées d’être le bien le plus estimable ; mais on auroit tort de conclure que ce n’est pas un bien réèl. C’étoit là l’erreur presque impardonnable des plus fameux Philosophes anciens, qui considéroient les thrésors comme le fardeau insupportable de la sagesse, & qui les noircissoient en les appellant les instrumens du crime.
Un de ces sages s’est aquis une réputation aussi brillante que mal fondée, en s’écriant je suis libre, dans le tems qu’il faisoit jetter ses richesses dans la mer. Qu’étoit-ce dans le fond que ce cri impertinent, qu’une confession honteuse de l’impuissance ou se trouvoit ce Philosophe de maitriser ses [79] trésors, & d’en faire un généreux usage. Quelle différence entre cette conduite bisarre, & celle de Cimon, ce héros d’Athenes, dont les biens étoient accessibles à tous ceux, qui en avoient besoin, & qui ne paroissoit être riche, sinon pour que personne ne fût pauvre dans toute sa patrie. J’avouë que le sage est le plus a son aise dans la médiocrité, qui peut lui fournir pour ce qui le regarde lui-même, tous les agrémens & tous les plaisirs réels qu’il est permis au riche de puiser dans son opulence.
Il est même certain qu’il est d’une difficulté épouvantable, je ne dis pas de pratiquer, mais de connoître seulement tous les devoirs atachez à la richesse, & que la médiocrité seroit le seul état souhaitable, si tous les hommes en jouïssoient également : Mais il a plu à l’Etre suprême de placer les hommes dans une infinité de Situations différentes, afin de varier les beaux caractères, & de faire briller toutes les vertus possibles. Dans ces circonstances, où se trouvent les choses humaines, les richesses peuvent être les instrumens du vice, mais elle peuvent être aussi les instrumens de la vertu la plus noble & la plus féconde en délices. Mr. de la Bruyere dit quelque part que rien ne rafraichit le sens comme d’avoir évité de faire une sottise ; disons plutôt, que rien ne rafraichit davantage le [80] sang, que rien ne le fait parcourir nos veines avec plus de liberté, que la satisfaction inexprimable d’arracher un homme à la douleur, & de le tirer par nos bienfaits du sein la misère. Quelle triste créature, qu’un homme abimé dans l’affreuse disette. Il s’y perd lui-même, son excellence naturelle se dérobbe à ses propres yeux ; à peine, dans l’abattement où il se trouve, conserve-t-il pour lui-même quelque estime & quelque amour. Le Sage opulent lui épargne la confusion d’implorer sa pitié, il le déterre lui-même ; il lui fait part de ses richesses, il accompagne ce bienfait de marques de tendresse & d’estime. Ne peut-on pas dire que semblable en quelque sorte à l’Etre suprême, il crée cet homme, qui existoit à peine, & qui ne sentoit son existence que par sa misère. Quel spectacle touchant pour ce généreux bienfaiteur, que le changement aimable, que l’heureuse révolution qui se fait dans l’ame de l’objet de sa pitié, & qui se peint dans tout son extérieur ! son teint pâle & livide s’anime, sont front se déride ; dans ses yeux, un moment auparavant obscurcis par une sombre tristesse, brille le feu le plus pur ; sa gratitude, & sa joye, sont exprimées par un embarras plus pathetiques que les discours les plus éloquens. A cette vuë, quelles sensations voluptueuses n’inondent pas le cœur de ce Philosophe bienfaisant ? Il sent [81] avec toute la vivacité possible tous les mouvemens qu’il excite dans l’ame qu’il vient de soulager si noblement. Il sent qu’il est l’heureux auteur de la joye inexprimable de son frere ; Et en même-tems il sent la reconoissance la plus tendre pour le bienfaiteur général du genre humain, dont il a reçu & les moyens & la volonté de procurer aux autres & à lui-même une joye si touchante. Tous les plaisirs des Sens ramassés n’égalent pas une joye si douce & si pénétrante ; cette situation est une espéce de béatitude, ce qu’elle a de plus merveilleux, c’est qu’elle n’est suivie d’aucun dégoût, d’aucune fatigue. Les plaisirs qui appartiennent à l’ame en propre, naissent dans le fond de nôtre nature intelligente, bien loin de nous lasser & d’émousser nôtre goût ne font qu’agrandir l’Ame & la rendre capable de plaisirs du même genre plus touchans & étendus. Plus nous avons senti cette sorte de joye, plus nous brulons du désir de la sentir, & plus nous sommes propres à la sentir avec vivacité. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1
