Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "No. 1", in: Le Nouveau Spectateur français, Vol.1\001 (1723-1725), S. 1-15, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1755 [aufgerufen am: ].


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No. I

Zitat/Motto► Sequitur non passibus æquis.

Virg. Ænid.

Il suit, mais non à pas égaux. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► Je crains bien que le titre que je prens, ne rebute les Lecteurs. Il semble annoncer une audace, & une vanité inexcusables ; le placer à la tête d’une feuille volante, c’est promettre en quelque sorte un ouvrage qui approche du moins l’excellence du Spectateur Anglois ; c’est un livre qui plait également à tout ce qu’il y a de sensé dans toutes les classes des esprits, & qui a sû réunir en sa faveur tous les différens caractères, & tous les gouts différens des Lecteurs capables [2] de reflexion ; l’instruction & l’agrément s’y trouvent dans un melange si bien menagé, qu’il s’empare des gens les plus livrez au simple badinage, & qu’il force ceux qui ne songent qu’à s’amuser, à devenir plus eclairez & meilleurs, sans qu’ils s’en aperçoivent presque eux-mêmes. Des qualitez que d’autres productions l’Esprit font considérer en quelque manière comme incompatibles, paroissent là dans la plus brillante union. La nouveauté y est solide, l’invention y est compagne inséparable du jugement ; le burlesque même y est guidé par la justesse d’Esprit & dirigé vers une utilité, qu’on cache avec prudence, pour la faire trouver d’une manière plus sure, & plus agréable. En un mot le Spectateur Anglois contient, pour ainsi dire, la fleur de l’Esprit, & la force de la raison des plus beaux genies de la Grande Bretagne.

Malgré la difficulté de suivre glorieusement un si beau modéle, Un Bel-Esprit François a entrepris de donner à ses Compatriotes une feuille volante ornée du meme titre. Cet Auteur a de l’esprit, du feu, du stile ; Par tout ce que jusqu’ici il nous a découvert de son génie, il paroit propre à donner des idées de la superficie de la morale, & à guérir les hommes d’un certain ridicule extérieur, qui ne vient pas toujours d’un principe de vice & d’extravagance, mais qui empêche à coup sûr la raison & la vertu de briller de tout le lustre qui leur est naturel. Ses idées qui ne paroissent pas les fruits d’une recherche bien pro-[3]fonde, ne sont pas même toujours extrêmement nettes & sures, & il n’est pas rare que l’expression occupe bien plus de place chez lui que le sens.

Les Mœurs de la Nation Françoise auroient besoin de remèdes plus pénétrans. Son grand mal consiste à être plus Esclave de la Mode qu’aucune autre ; on peut dire même que c’est elle qui a étendu cette extravagante servitude sur toute l’Europe ; Modes dans l’habillement, modes dans l’esprit, modes dans la morale, modes par rapport à la devotion même, tout est mode chez ce peuple maitrisé par la fougue de son imagination : & il n’y eut jamais un pays où l’on distinguât moins les impressions de la coutume d’avec les lumières de la raison. Quel vaste champ de réflexions judicieuses pour un Auteur ami de sa patrie & de la vertu ? Que d’occasion de débarasser dans l’ame de ses Concitoyens le Sens-commun enseveli sous ses Chimères, qui empruntent un air plausible de la familiarité qu’elles ont contractée avec nôtre esprit ! Qu’elle source féconde de fines plaisanteries, qui ne faisant que parer un raisonnement solide d’un dehors agreable, lui frayent par l’imagination mise dans ses intérêts, une route facile vers le cœur. Si par un ménagement délicat & sensé de ces differens moïens, le Spectateur Anglois a produit d’heureux changemens dans les mœurs de la Grande Bretagne, qui doute que des génies d’un pareil ordre, accompagnez de cœurs d’un caractere [4] semblable, ne fissent en France des efforts couronnez des mêmes succès ? Il est vray que les François ont le foible distinctif d’avoir une estime outrée pour un tour d’esprit badin, de sentir un dégout presque invincible pour tout ce qui est apésanti par un air grave & sérieux ; c’est là, je l’avouë, la plus triste maladie dont l’ame puisse être susceptible ; Quelle foiblesse ? Quelle imbecilité de se croire raisonnable, & d’en faire sa plus noble prérogative, dans le tems qu’on abhorre tout ce qui se présente sous l’idée du simple raisonnement ; je croi pourtant que ce dégout n’est pas incurable. Il s’agit d’imiter ces Medecins industrieux, qui donnent avec succès les mêmes remèdes à des malades d’un différent naturel, & qui, Protées dans leurs manières, scavent faire entrer en ligue avec leur art les différens caractères de ceux qui en ont besoin. Tel Malade est engourdi par une humeur sombre & noire, qui fait jetter au mal de plus profondes racines ; ils affectent un air riant, ils le réveillent par des badinages qui débouchent les chemins par où le remède doit aller à la source de l’indisposition. Tel autre a un amour excessif pour lui-même, il s’attendrit pour son propre individu, il trouve ses maux horribles, ses souffrances au dessus de toute comparaison, il se plait à être plus malade que tout autre, il s’en fait un sujet de vanité ; ceux qui n’entrent pas dans ses fausses idées le choquent, l’irritent, leur dureté lui fait horreur. [5] Un sage Médecin maitre de son air s’accomode à ce dérèglement imaginaire ; il trouve son malade aussi malade qu’il le veut lui-même, & à force de s’affliger avec lui, il le console, le tranquilise, l’egaïe, & le fait concourir à sa guérison. Les maladies morales sont l’extravagance & le vice ; l’unique remède propre à les déraciner, c’est la raison : l’industrie d’un Medecin des mœurs consiste, à se rendre agréable à ceux qui sont entre ses mains, à se plier à leur humeur, à s’insinuer dans leur chimères, pour les emploïer de concert avec les maximes du bon sens à leur propre destruction.

Le Spectateur François ne se sert pas de ces sages fourberies, autant qu’il le devroit ; il ne s’occupe d’ordinaire qu’à faire disparôitre quelques rougeurs & quelques élevures qui défigurent le teint ; tandis qu’il laisse ses malades en proye à des fièvres qui les emportent, ou à la Phtisie qui les traine lentement vers le tombeau. Les François sont passionez pour les idées riantes & comiques : on pourroit se servir avec succés de cette passion même. On pourroit badiner avec eux sur leur propre ridicule, en faisant toûjours du bon sens la baze de la raillerie ; il est probable qu’ils auroient la bonté de rire avec leur Censeur, de leurs foiblesses favorites. En les faisant rire, on reussiroit peut-être à leur faire sentir qu’ils rient trop. Après avoir donné quelque arrest à leur imagination, on peut diminuer peu-à-peu la doze du badi-[6]nage qui conduit l’instruction dans leurs ames ; par là on les familiarisera insensiblement avec les principes de la raison ; ils découvriront de plus en plus la beauté d’un bon sens qui ne tire du secours que de lui-même, & leur penchant excessif pour la joîe, aïant pour guide une raison ainsi épurée par dégrez, leur facilitera le gout de la joïe sublime qu’inspire la vertu.

Qu’il me soit permis ici d’avancer une verité un peu odieuse. Les Auteurs en général ne sont pas assez gens de bien ; ils n’ont pas assez d’humanité, pour faire leur but principal du bonheur de la societé humaine. Ils ne songent qu’à se faire lire & à s’attirer une réputation étenduë ; pour y parvenir, ils respectent les Chimères du Public, & au lieu de s’efforcer à écrire dans un gout raisonnable, ils règlent leurs productions sur le gout de la Nation à laquelle ils les destinent, de quelque nature que ce gout puisse être ; pourvû qu’ils lui plaisent, ils sont contens, c’est leur fin ; au lieu qu’ils ne devroient s’en servir que comme d’un sûr moïen d’être utiles. Ils n’ont que de la vanité, & cette vanité est encore très mal raisonnée ; elle n’entend pas ses propres Interêts. Le gout public d’une Nation, quand il a son principe dans la vogue ou dans le vice, est sujet à des révolutions surprénantes, & il enveloppe dans sa ruine le mérite apparent dont il étoit la seule baze. Ce qui est aujourd’hui beau, merveilleux même, sera, peut-être en fort peu [7] de tems, mauvais & détestable. Mais ce qui est beau réellement, est invariable & eternel, comme la raison qui en est la source & le fondement. D’ailleurs s’il y a quelque gloire à savoir accommoder son esprit aux idées des hommes, qu’elle réputation ne peut on pas se promettre d’une force de raison qui maitrise les idées populaires, & qui les soumèt aux siennes avec un pouvoir irresistible ; il est possible d’y réüssir par les ruses innocentes que j’ay indiquées. Les principes de la raison & de la vertu sont naturellement dans toutes les ames ; il ne s’agit que de les deterrer, & de découvrir à l’esprit humain sa beauté véritable, sa véritable grandeur. L’Auteur qui parvient à une fin si glorieuse s’asseure à jamais le noble tître de génie du premier ordre, & de bienfaiteur du Genre humain.

Malgré la grande différence que j’y cru devoir mettre entre les deux Spectateurs, j’ai pourtant rendu justice à celui qui parôit en France ; cet Auteur a du genie, & peut-être se portera-t’il un jour à en faire l’usage que je viens de décrire. Parmi ces discours, j’en trouve d’écrits d’une maniere si brillante & si agreable, que je me ferai un plaisir d’en insérer de tems en tems quelques uns dans mon ouvrage, que je tâcherai de varier autant que les bornes de mon génie me le permettront. J’ai imité la hardiesse de ce Bel-esprit, en me donnant les airs de prendre le tître de Spectateur ; c’est une démarche qui mérite d’être [8] justifiée. Je prie d’abord le public très sincérement de ne pas commencer la lecture de mes discours, avant que d’avoir resserré beaucoup l’idée dont ce tître remplit l’imagination. Si j’en pare mes feuilles volantes, ce n’est nullement que je m’engage à donner aux Lecteurs les lumières les plus pures & les plus vives, variées par mille directions aussi peu communes qu’heureuses. Je n’ose pas me flatter même d’avoir autant de genie, que le moindre des Auteurs Anglois qui ont concentré dans leur Spectateur ce que leur imagination avoit de beau, & ce que leur raisonnement avoit de fort. Je ne prends leur tître, que parce que j’ay resolu d’écrire dans leur gout, & de rendre mon ouvrage aussi utile aux hommes, qu’il me sera possible. Si sans aucune affectation de modestie, je me déclare inférieur à ces grands hommes en tout ce qui concerne le génie, j’espere que c’est sans orgueil que j’ose me déclarer en même temps leur rival par rapport à la tendresse qu’ils marquent pour le Genre humain. Cette noble humanité, nourrie dans mon cœur par toute la reflexion dont je suis capable, est le fondement le plus solide du tître dont j’orne mon ouvrage. Pourvû que cette heureuse sensibilité pour mon prochain éclatte dans tous mes discours, je me croiray quelque chose de plus que spirituel ; & si ces desseins échoüent, faute d’agrément & de lumieres, mon chagrin sera adouci par la plus douce des consolations, par la persuasion [9] d’avoir fait mon devoir. Je me flatte peut-être en croïant éviter ce chagrin, & en promettant quelque réüssite à de si bonnes intentions. Le peu de génie, que je puis avoir, est soutenu par des secours qui manquent non seulement à la plûpart des hommes, mais encore à la plûpart de ceux qui se mêlent de donner au public ces sortes de lambeaux de morale. Comme je crois avoir pris des mesures justes pour dérober mon nom aux conjectures du public curieux, j’imiterai ici le Spectateur Anglois & le Mentor moderne, en traçant mon propre caractere ; mais ce sera un caractere réèl, qui me peindra tel que je me suis trouvé moi-même, après avoir ramassé toute mon attention pour m’aquiter du pénible devoir de m’examiner.

Selbstportrait► Celui qui a conduit mon education, étoit un homme qui avoit plus d’expérience que d’étude, plus de lumières naturelles que de connoissances acquises ; Quoiqu’il n’eût pas etudié dans les formes, il avoit lû plusieurs livres excellens ; mais en général il se livroit plus à la réflexion qu’à la Lecture. Il avoit un bon sens admirable & des idées très justes sur tous les sujets qui s’étoient offerts à sa méditation. Cette justesse d’esprit affranchie de toute prévention n’étoit pas moins l’effèt de la noblesse de son ame, que de la bonté naturelle de son jugement ; jamais homme ne fut en même tems plus doux & plus ferme : jamais homme n’eut une humanité plus étenduë & mieux rai-[10]sonnée. Il cherchoit les occasions de faire du bien avec la même ardeur dont les malheureux cherchent du secours ; mais inébranlable aux attaques d’une pitié machinale, il avoit la force de refuser aux hommes tous les bien-faits qu’il sentoit leur devoir être pernicieux. La Candeur qui caractérise sur tout un cœur grand & noble, étoit sa qualité distinctive. Les Intérets les plus séducteurs étoient incapables d’altérer dans son ame cette belle vertu. Dans les occasions, où elle pouvoit être odieuse à la corruption humaine, il l’adoucissoit par cette politesse sensée que la raison la plus sevère autorise, & dont l’humanité nous fait un devoir absolu. Mais s’il censuroit à regrèt, il se faisoit un plaisir sensible de loüer. Quand il prodiguoit à une action vertueuse les eloges qu’elle méritoit, la satisfaction brilloit dans ses yeux ; on y découvroit une généreuse passion pour la grandeur d’ame, & pour tous ceux dont elle ennoblit le caractère. Comme la perfection absolue n’est point du ressort de la nature humaine, on découvroit en ce grand homme quelques foiblesses, qui servoient d’ombre à ses grandes vertus, mais qui avoient pourtant l’empreinte de la beauté de son naturel. La richesse à une utilité réelle que la raison la plus austère veut bien avoüer ; Philosophe outré à cet égard, il avoit pour elle la plus souveraine indifference. Jamais il n’accorda un moment d’attention aux moïens d’acquerir du bien ou de la [11] conserver, il mourut pauvre comme il avoit vecu ; & tout ce qu’il laissa à ses héritiers fut l’Exemple de son rare mérite. Quoique pendant une longue suite d’années il eût fait sa principale étude de déméler les plus secrèts ressorts du cœur humain, c’étoit l’homme du monde qu’on dupoit avec le plus de facilité. Il avoit une répugnance presque invincible pour la défiance ; il trouvoit tant de bassesse dans un esprit soupçonneux, qu’il se livroit au premier fourbe assez lâche pour profiter de cette simplicité naïve que la corruption seule du siècle peut faire considérer comme un défaut. En récompense, quand il avoit de justes raisons pour se défier de quelqu’un, il faisoit voir qu’il possédoit au plus haut dégré l’art de développer les fourberies concertées avec la finesse la plus imposante. L’Intégrité marche par des routes unies, sa droiture est sa plus grande subtilité ; mais la ruse a toûjours besoin de routes nouvelles ; elle est sujette à s’embarrasser dans ses propres détours, & à s’emprisonner dans les Labyrinthes qui sont son propre ouvrage. L’homme de bien, dont je parle, savoit mettre parfaitement à profit l’embarras où la fourberie se jette elle-même, lorsqu’elle veut eviter les poursuites de la prudence. Il écoutoit les fourbes qui lui étoient suspects, avec un air de bonne foi qui sembloit aller jusqu’à la plus foible crédulité. Il ne les effrayoit par aucune objection, il sembloit être persuadé de tout ce qu’ils avoient l’audace de lui débiter ; Par là, [12] il augmentoit dans leur esprit la confiance qu’ils plaçoient dans leurs fictions adroites, il mettoit leur finesse hors de garde ; & par un petit nombre de questions d’une ingénuié bien ménagée, il les forçoit à s’envelopper dans leurs propres filèts.

J’avois promis de tracer ici mon propre caractère ; & entrainé par le souvenir d’un homme à qui je dois presque uniquement tout ce que je puis avoir de lumières & de vertus, je fais le tableau d’un mérite dont je ne me verrai peut-être jamais l’heureux possesseur. Il est certain pourtant, que, depuis ma plus tendre jeunesse, j’ai fait des efforts pour enter sur mon naturel tant de qualitez respectables. A peine l’aube de la raison éclairoit mon esprit, que malgré l’inatention & la légèreté attachées à l’enfance, je fixai mon amour & mon admiration sur un homme si aimable. Il me marquoit la tendresse la plus insinuante ; elle n’eut point de peine à me gagner, & je ne saurois dire à présent si j’aimois ses vertus à cause de lui, ou si je l’aimois à cause de ses vertus. Il eut l’adresse de me faire considérer sa tendre amitié pour moi, comme le grand principe de tous les soins qu’il prenoit de mon éducation. Il m’assuroit que tous ses efforts pour me porter à un solide piété & à une vertu raisonnée, n’avoient pour but que mon bonheur ; & il réüssissoient à me faire sentir, quoique imparfaitement, que cette vertu étoit la source la plus féconde d’une satisfaisante tranquilité, & des [13] sensations les plus délicieuses. Il suppléoit par tout son air, & par toutes ses actions à la foiblesse de mon esprit encore incapable d’ateindre à cette sublime & salutaire vérité ; destitué des biens de la fortune, écarté du tumulte des plaisirs emportez, il offroit à mes yeux une douce sérénité, une gaïeté calme & constante ; pouvois-je ne pas comprendre que cette heureuse situation avoit son unique principe dans cette vertu eclairée qu’il me recommandoit tous les jours d’une manière si énergique & si tendre.

Il sentoit lui seul, que des études conduites avec regularité manquoient à son mérite ; il ne rougissoit point de me l’avouër, & il m’exhortoit avec fore à sauver ma raison d’un pareil inconvénient. Mon naturel secondoit un conseil si utile, je le suivis avec tant d’empressement, que mon ardeur suppléa à mon peu de génie, & que je vis bien-tôt tous mes compagnons ne me suivre que de loin dans la carrière des sciences. Ma vertu se fortifoit avec mes lumières, & tant que j’eus le précieux avantage de vivre sous les yeux d’un homme si estimable, il fut content de ma conduite ; quelle raison pour moi d’être satisfait de moi-même ! Malheureusement je fus privé d’un appui si ferme, & abandonné à moi-même, dans l’age où les passions exercent sur l’ame l’empire le plus tirannique. Elles causèrent dans mes sentimens les révolutions les plus funestes ; un vif penchant vers la tendresse, & un desir outré de plaire, de-[14]bauché par le faux honneur sembloient ôter toute la force à ma raison, & rendoient ma défaite presque inévitable ; Heureusement je ne me rendois jamais sans combattre, la vertu ne fut jamais entièrement etouffée dans mon ame ; elle se retrouvoit, elle se ranimoit souvent avec une noble vigueur, par le trouble inquièt inséparable des desirs mal réglez, & par la honte qui les suit dans un cœur généreux ; je me relevois de chacune de mes chutes, plus capable de me soutenir ; & à force d’être vaincu, j’appris enfin à connoitre mes ennemis, & à les vaincre.

Je me crois à présent en état de communiquer cette salutaire science à ceux qui daigneront seulement sentir qu’ils en ont besoin ; en leur donnant là-dessus les preceptes qui me paroissoient les plus solides, je serai forcé d’y réflechir, & moi-même j’espere m’affermir dans le devoir à mesure que j’y conduirai les autres. Ce qui me flatte encore de pouvoir être de quelque utilité à mon prochain, c’est le fruit que j’ai recueilli de mes voïages. Graces à mon education, avant que de les entreprendre, j’avois déja ramassé quelques moïens d’en faire mon profit ; j’avois déja appris à distinguer une Phrase d’avec une idée, l’ombre d’avec la realité, & les maximes de la raison d’avec les opinions populaires, que le hazard introduit, & que la coutume sauve de l’examen.

Avec ces talens, quelques minces qu’ils puissent être, je suis au service du public, je [15] lui promets de les varier par tous les agrémens que mon imagination pourra me fournies ; si, pour en profiter, il veut bien faire la moitié des efforts que j’employerai pour rendre des talens utiles, j’ose espérer que nous serons contens l’un & l’autre. ◀Selbstportrait ◀Metatextualität ◀Ebene 2

N.

Avertissement

Jean Neaulme, Libraire à la Haye, qui Imprime & débite cette feuille, avertit qu’il en donnera une semblable réguliérement tous les 15 jours & qu’on la trouvera aussi à Amsterdam, chez Messieurs l’Honoré & Chatelain, & chez les autres Libraires, comme aussi dans les principales Villes de ces Provinces. Le prix de chaque feuille est de deux sols. ◀Ebene 1