Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "LXXX. Discours", in: Le Misantrope, Vol.2\039 (1711-1712), S. 312-321, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1738 [aufgerufen am: ].
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LXXX. Discours
Ebene 2► Metatextualität► J‘ai assez parlé des Amans qui sont foux le plus sérieusement du monde : je dirai un mot à présent de ceux qui sont amoureux d’une maniére burlesque & divertissante. ◀Metatextualität
Fremdportrait► Lysis tout enflé de vanité, admirateur perpétuel de sa belle jambe, occupé sans cesse à arranger les boucles de sa perruque, veut s’emparer du cœur d’une Femme, comme d’un bien qui lui apartient de plein droit. Il ne s’amuse pas à filer le parfait amour. Cette méthode n’est bonne que pour les mérites ordinaires, il prend d’une maniére tout autrement relevée.
Dès-qu’il juge une Femme digne de l’honneur de lui plaîre, son imagination promte & vive prend d’abord possession du cœur de la Belle. Persuadé qu’elle ne balancera pas un moment à ratifier la donation qu’il [313] s’en est faite à lui-même, il lui aprend cavaliérement qu’il l’aime. Cette nouvelle lui paroit trop bonne, pour différer un moment à la lui communiquer. Après avoir passé légérement sur sa déclaration, il lui raconte pompeusement l’histoire de ses conquêtes amoureuses. Ce ne sont que Prudes aprivoisées, Coquettes fixées, Maris jaloux, Rivaux desespérés. ◀Fremdportrait
Voilà la matiére de tous ses discours, & quelquefois il trouve des Femmes assez folles pour être les dupes de l’impertinente ostentation qu’il fait de son mérite. Il en rencontre souvent de meilleur goût, qui trouvant sa fatuité divertissante, l’entretiennent de quelque espérance, pour se faire un amusement agréable de sa sotte vanité. Il s’en croit adoré aussi-tôt. Une Femme voudroit-elle entreprendre de résister à un Galant qui prend les cœurs d’emblée, & sur lequel tout le Beau Sexe essaye son mérite ? Cette chimère ne sauroit entrer dans la tête de Lysis. On l’adore à coup sûr. On a beau lui donner mille marques de fierté & de dédain. On a beau combler son rival, à sa vue, des faveurs les moins équivoques. Bagatelles que tout cela. Ce ne sont que petites ruses pour éveiller sa tendresse, & pour s’assurer davantage la possession importante de son cœur. Celle qui le maltraite le plus, augmentera en dépit d’elle la liste pompeuse de ses victoires ; & cette conquête imaginaire servira peut-être à Lysis, à lui en faire obtenir une véritable.
Fremdportrait► La méthode d’aimer de Floridor n’est pas [314] d’un caractére moins comique. Dès-qu’il est charmé d’une Femme, il tâche de trouver le chemin de son cœur, en faisant semblant de ne le chercher pas. Il a entendu dire que les Femmes ressemblent à l’ombre, qui fuit les corps qui s’avancent vers elle, & qui suit ceux qui s’en éloignent. La justesse de cette comparaison éclate dans une infinité d’exemples, & Floridor prétend en tirer une régle sure pour parvenir au but de ses tendres desirs. Loin de faire à celle qu’il aime des protestations d’amour, il lui fait des déclaractions d’indifférence & d’insensibilité. Il lui étale avec une fierté affectée la tranquillité inaltérable de son cœur, & l’impossibilité qu’il y a à lui inspirer de la tendresse. C’est en-vain que la Nature a donné des charmes au Beau Sexe, à ce qu’il dit ; il n’y a que des imbécilles qui se laissent séduire par les affetteries des Femmes ; & avec un peu de fermeté, il n’y a rien de si facile que de se défendre d’un pareil ridicule.
Le pauvre Floridor se défend de cette maniére sans qu’on l’attaque, & il croit que sa Maîtresse ne négligera rien pour domter un cœur dont il rend la conquête si difficile. Malheureusement pour lui, il n’y a rien de si grossier que sa finesse. Sa Belle la pénétre facilement, & s’aperçoit bien que c’est une place qui ne demande qu’à être attaquée pour pouvoir capituler avec honneur. ◀Fremdportrait
Fremdportrait► Quand même la liberté de ce prétendu Hypolite seroit mieux défendue que la Toi-[315]son d’or, il courroit risque d’en rester toujours tranquille possesseur. Ses Maîtresses voudroient-elles faire de grands efforts pour un objet qui n’en vaut pas la peine, & hasarder la gloire de leurs charmes pour une conquête méprisable ? Toutes les Femmes ne ressemblent pas à ces Héros, qui irrités par la résistance, après avoir remporté des victoires aussi importantes que glorieuses, s’exposent à échouer devant une Place, aussi difficile à prendre, qu’inutile à celui qui en est le maître. ◀Fremdportrait
Autre espéce de manie amoureuse. Le Marquis Clitandre ne se fonde pour se faire aimer de Dorinde, ni sur un esprit délicat, ni sur un cœur bien placé ; tous ces agrémens sont trop bourgeois. Il trouve son mérite & ses charmes dans son Château, dans ses Titres, dans sa Meute, & sur-tout dans son Equipage. Il prétend qu’un homme traîné par six bêtes, & suivi de six gueux couverts de galons d’or, est en droit de ne jamais trouver de cruelle. Au-lieu d’avoir toujours à la bouche des flammes, des ardeurs, des constances, des tendresses, il parle à sa Belle d’une caléche d’une nouvelle invention, de chevaux tigres, de livrées magnifiques, & il se prévaut de toutes ces choses comme d’autant de qualités aimables. A examiner par la Raison sa maniére de faire l’amour, on ne sauroit rien imaginer de plus extravagant, & cela s’apelle proprement vouloir rendre sa Maîtresse amoureuse de ses valets & de ses chevaux. Mais à juger de cette conduite par [316] l’expérience, c’est une folie fort bien entendue.
Il y a un bon nombre de Femmes, dont le cœur ne sauroit résister à l’impétuosité de deux chevaux furibonds ; elles font d’abord éblouies de l’éclat d’une caléche dorée ; cette pompe leur échauffe aussi-tôt l’imagination, & communique même cette chaleur à leurs sentimens. A ce compte-là, si on se sert de ces moyens pour plaîre, le principe est autant dans la folie des Maîtresses que dans celle des Galans.
Est-ce encore à la sottise des Hommes, ou à celle des Femmes, qu’il faut attribuer la conduite de ces Adorateurs qui donnent toujours de l’encensoir au travers du visage aux objets de leur tendresse ? Ils veulent s’insinuer dans leur cœur par de fades louanges ; ils élévent jusqu’aux nues ce que leur Maîtresse a de beau ; & par des raisons tirées par les cheveux, ils font des perfections de tout ce qu’elle a de défectueux. Non contens, pour la rendre belle, d’aller plus loin que ne va jamais la Nature, de faire de son visage un composé d’astres, de perles, de corail, de lis & de roses, & de dépouiller ainsi pour l’embellir, le Ciel, la Mer & la Terre, ils trouvent de la délicatesse dans tous ses sentimens, du feu & de la finesse dans tous ses discours ; & en la traitant en aparence comme une Divinité, ils la traitent réellement comme une Folle achevée.
Metatextualität► On me permettra bien de joindre à ce différens genres de folie amoureuse, le [317] caractére de ceux qui n’étant point attaqués de ce mal, s’efforcent pourtant à le paroître plus qu’aucun autre. ◀Metatextualität Ce sont ces Damoiseaux ridicules, qui se font une habitude & presqu’un devoir d’en conter à toutes les Femmes. Ils considérent les fleurettes comme un hommage qu’on doit au Beau Sexe, & dont il faut nécessairement s’acquiter pour le repos de sa conscience ; peu s’en faut qu’ils n’en demandent quitance après avoir payé. Si vous les voyez avec vingt Femmes, ne croyez pas qu’ils se résolvent à les quiter avant que d’avoir fait circuler leurs cajolleries banales par toute la compagnie.
Pourroit-on croire qu’il se trouve des hommes qui sentent véritablement ce que feignent de sentir ceux dont je viens de parler ? Rien n’est plus vrai pourtant. Il y a des Amans universels, qui aiment tout le Sexe en général, & qui ne sauroient regarder une Femme sans sentir quelque chose de tendre pour elle. On pourroit leur apliquer le portrait qu’Ovide fait de la situation de son propre cœur. Metatextualität► En voici une Imitation. ◀Metatextualität
Zitat/Motto► En-vain je prétendrois excuser ma foiblesse,
Mon cœur est accessible à mille & mille
amours ;
Etre Femme suffit pour être ma Maîtresse,
Cent
différens motifs font que j’aime toujours.
[318] Par d’opposés chemins chez moi l’amour se
glisse ;
La pudeur à mon ame offre un attrait vainqueur ;
Et
le regard tremblant d’un œil encor novice,
S’ouvre sans le
vouloir la route de mon cœur.
D’un air ouvert & libre une autre se présente,
Mon
cœur foible se livre à ses regards hardis,
Et j’estime
qu’en-vain ma raison impuissante
Oseroit s’opposer à ses yeux
aguerris.
Quand le triste dehors d’une sagesse austére,
Me menace
d’un cœur d’aucun desir touché,
Je brule de savoir, si dans cet
air sévére
Un cœur moins rigoureux ne s’est pas retranché.
J’aime l’esprit d’Iris, son brillant, sa finesse,
Et
Climéne me plaît par ses discous naifs :
Je sens
pour l’ingénue une douce tendresse,
Pour la
vive je sens les transports les plus
vifs.
Par orgueil je suis tendre, & ma gloire m’anime
A
toucher par mes feux celle à qui je déplais :
Puis-je ne bruler
pas pour celle qui m’estime ?
Me trouver à son gré, c’est avoir
mille attraits.
[319] Un bon air sur mon ame est toujours
efficace ;
Un air rustique encor peut me rendre
amoureux,
Sur une Belle, Amour, tu répans de la grace,
Et
j’aime qu’elle en soit redevable à mes feux.
D’une agréable voix que le charme me touche !
En
souverain arbitre il maîtrise mes sens.
Dieux ! avec quel
transport je baiserois la bouche
Qui porte jusqu’au cœur des
sons si ravissans !
Quand sous les mains d’Iris un Clavessin resonne,
Ou que ses
doigts d’un Luth tirent des sons divins,
Sa laideur disparoit, pour
toute sa personne
Mon ame s’interésse en faveur de ses mains.
J’aime le vif éclat d’une charmante Blonde,
Mon cœur gagne bientôt la
langueur de ses yeux :
Telle autrefois Vénus, sortant du
sein de l’onde
Par ses regards mourans fit languir tous les
Dieux.
[320] Que des yeux noirs & vifs, & qu’une tresse
noire,
Relévent d’un beau teint le charme séducteur !
Léda
par ces attraits, au comble de la gloire,
Du Monarque des Cieux fit
son adorateur.
J’aide ainsi le Beau Sexe à me paroître
aimable,
J’enfonce tous les traits qui partent de ses
yeux :
Et jusques chez les Dieux que nous prône la Fable,
Je
cherche les moyens d’autoriser mes feux.
A la nature Isis veut se devoir entiére :
A sa gloire jamais
l’ajustement n’eut part ;
Admirant plein d’amour sa négligence
altiére,
Je devine l’éclat que lui prêteroit l’art.
Philis pour me domter cherchant par-tout des
armes,
Seconde ses attraits d’une savante main,
Je lui sui gré
du soin de m’étaler ses charmes.
Et qui veut me charmer, ne le veut
pas en-vain.
De la verte saison la tendre fleur m’enchante,
L’âge
plus mûr encore anime mes desirs,
[321] L’une offre à
mon ardeur une fraîcheur touchante,
L’autre assaisonne mieux les
amoureux plaisirs.
Amour, par vos faveurs, reconnoissez l’hommage
D’un
cœur qui va toujours au-devant de vos coups.
De tous les
Souverains le choix me paroit sage.
Et mon goût pour le Sexe
embrasse tous les goûts.
D’Alexandre autrefois la valeur
orgueilleuse
Crut l’Univers petit pour ses vastes
projets :
Telle de mon amour l’ardeur ambitieuse
Se trouve trop
serré en mille & mille objets. ◀Zitat/Motto
◀Ebene 2
◀Ebene 1