Etymologie,
qui donne à ceux qui y excellent un droit incontestable pour allonger
leur nom d’un US. Par les lumiéres que cette
Science répand dans l’esprit, on sait assigner une origine illustre
& éloignée à chaque terme, quelque propre qu’il paroisse à la Langue
dans laquelle il se trouve. Nommez le prémier mot qui vous vient dans
l’esprit, d’où voulez-vous qu’il descende ? de l’Arabe, du Phénicien, du Syriaque ? Vous n’avez qu’à parler, vous serez
servi à point nommé. On vous fera passer le terme en question par trois
ou quatre Langues, où il laissera toujours quelqu’une de ses lettres ;
on en transposera les voyelles & les consones, & après toutes
ces révolutions, vous serez tout étonné de le voir arrivé en
Per varios casus, per tot discrimina rerum.
Tel le grand Fondateur de l’Empire Romain,
Après mille
travaux vint au Pays Latin.
Il est vrai que les courses qu’on fait faire à ces expressions, les rendent souvent entiérement méconnoissables.
Equus, sans
doute :
Ceux qui font ainsi la généalogie des mots, ont à peu près le même tour d’esprit, que ceux qui se mêlent de la généalogie des personnes. Il est vrai qu’ils ne sont pas également bien récompensés de leurs peines, & que les prémiers ne gagnent que le titre de Savant, au-lieu que les autres vendent bien cher d’illustres aieux à ceux qui ne sauroient s’en passer.
Choisis de
Charge ton écusson d’étoiles, ou de
lis,
Ton Pére eut-il porté la mandille à
N’as-tu de ton
vrai nom, ni titre, ni mémoire ?
Pour pousser la comparaison encore plus loin, on peut dire
qu’Alphana ne ressemble pas mieux à Equus, que certaines gens aux aieux qu’ils
achettent :
Revenons à l’Etymologie. J’avois toujours cru que Ménage s’étoit tiré hors de pair dans cette
merveilleuse Science, & que sans une injustice criante, on ne
pouvoit comparer qui que ce soit à un homme qui fait venir Laquois de Verna, &
Tirelarigot de Fistula.
Mais j’ai été contraint de décompter terriblement sur la grande opinion
que j’avois de son habileté, depuis que j’ai parcouru un Auteur qui
traite du Latins, étoient du mê-Hébreux, en
dépit qu’ils en ayent. Ce qu’il y a de plus curieux encore, c’est que
des Auteurs bien plus modernes ont eu des noms tirés de la même source.
Je me serois donné au diantre, par exemple, que Venerabilis & Beda
sont deux noms d’une origine Hébraïque ; &
quoique
Il faudroit être bien ingrat envers les grands hommes de ce calibre, pour
refuser de l’admiration & de l’encens à la merveilleuse science dont
ils font profession. Mais ils me pardonneront bien, si je suis trop
stupide pour voir le fruit qu’on peut recueillir de leur érudition. Si
je suis un ignorant, ce n’est pas leur faute, je le confesse : mais
enfin, à quoi me sert-il de savoir si un mot est Chaldéen, Persan, ou Gothique ? car les Savans du Nord
prétendent que toutes les Langues dérivent du Septentrion.
Je sai bien que de profonds Litérateurs nous assurent qu’on a une idée
plus distincte du sens d’une expression, quand on sait l’histoire de sa
vie, & qu’on l’a suivie dans tous ses voyages. Je le crois,
puisqu’ils le Homme veut dire par l’usage,
un Animal composé d’un corps & d’une ame, & cela me paroit
suffire pour n’employer ce mot qu’à propos. Quand j’aprens après cela,
qu’Homme vient d’un terme Latin, qui vient encore d’un autre, qui peut-être n’est pas
non plus le prémier de sa race, il me semble que le mot Homme voudra dire toujours un Animal soi-disant
raisonnable, & rien plus. Vous voyez, Lecteur, que je ne parle qu’en
tremblant d’une matiére si relevée. J’aime mieux me dire à moi-même que
ma raison est une sotte, que de m’aller imaginer que des personnes d’une
si grande réputation voulussent sacrifier leurs veilles à une érudition
ridicule, dont on ne sauroit tirer la moindre utilité. Je me renferme
donc dans la sphére de mon petit génie, dont j’étois sorti mal à propos,
& je vais parler d’autre chose.
La matiére sur laquelle les Hommes raisonnent de la maniére la plus
bisarre, c’est à mon avis leur propre Raison. Quand il s’agit de donner
carriére à leur vanité, ils considérent la Raison comme un don précieux
de la Nature, par lequel ils ont un
C’est ainsi que les mêmes Hommes qui trouvent leur sort plus
glorieux que celui des Brutes, font tous leurs efforts pour avilir la
seule chose qui peut les rendre supérieurs aux autres Animaux. Quelle
contradiction ! Si la Raison humaine n’a pas la force de tenir nos
passions en bride, & s’il faut de nécessité qu’elle succombe sous la
violence du tempérament, ne vaudroit-il pas infiniment mieux être Brute
qu’Homme ? Les Animaux destitués de raison n’ont qu’à se laisser aller à
leurs panchans, & ne sont pas sujets à ces combats intérieurs, qui
souvent font des ravages si cruels dans le cœur des Hommes.
A ce compte-là, non seulement nous sommes au dessous des
Brutes, nous sommes même au dessous du Rien,
& il n’est pas possible de concevoir une créature plus vile &
plus misérable que l’Homme.
Heureusement rien n’est plus faux que la supposition qui méne à des
conséquences si mortifiantes. Les Hommes, par un effet de leur paresse
naturelle, aiment mieux supposer que la Raison n’a point de force, que
de prendre la peine de l’essayer. Ils sont ingénieux à se tromper
eux-mêmes, & ne cherchent qu’un prétexte pour se laisser aller
tranquilement à l’impétuosité de leurs passions. On
combattroit son panchant en-vain ; il vaut donc mieux ne le pas
combattre. Voilà qui est décidé ; la Raison est aussi-tôt
bannie du cœur & releguée dans le cerveau, pour s’occuper uniquement
à des spéculations plus curieuses qu’utiles.
Peu à peu l’habitude de ne point exercer son pouvoir, la rend effectivement impuissante ; & ce qui n’étoit qu’une supposition, devient une vérité.
Si séduits par les sophismes du cœur, nous préférons ce qui se présente à
nous comme un bien utile ou agréable, à un bien qui nous paroit
raisonnable & vertueux, nous nous conduisons mal. Au contraire,
c’est suivre son devoir, que de préférer par un raisonnement solide, un
bien vertueux & honnête, à tout l’agrément & à toute l’utilité
que le Vice paroit nous offrir. C’est ainsi que notre bonne ou mauvaise
conduite dépend en quelque sorte de la faculté de raisonner bien ou mal
en général, & sur-tout du bon ou du mauvais raisonnement qu’on fait
dans le moment même qu’on se détermine au Vice ou à la Vertu. On sait
d’ailleurs que notre Rai-
Il est donc sûr que la Raison n’est impuissante, que pour ceux qui supposent qu’elle est sans force ; & qu’elle a toute la force nécessaire pour ceux qui sont convaincus de son efficace, s’il m’est permis de parler ainsi.
Il y a des gens qui croiront renverser mon raisonnement par les Vers
suivans de
Ces discours, il est vrai, sont fort beaux dans un
Livre,
Je les aprouve fort ; mais j’estime en effet,
Que le plus
fou souvent est le plus satisfait. »