Foire de
François, qui se piquent de surpasser les autres
Peuples par rapport aux maniéres galantes, devroient être jaloux de
n’être pas les auteurs d’une si agréable coutume.
J’ai voulu, cette année, m’en rafraîchir la mémoire ; mais les choses m’ont paru bien différentes de ce qu’elles étoient autrefois.
Je veux bien me rendre justice, & croire que le changement que l’âge a fait dans mes sentimens, contribue à celui que je trouve dans ce Commerce.
Il est sur que tout ce que nous avons vu étant jeunes, se présente à notre imagination d’une maniére plus agréable ; que ce que nous voyons de plus brillant dans la vieillesse. Le souvenir de nos plaisirs passés, raméne avec lui l’idée de la jeunes où l’on goûtoit ces plaisirs avec vivacité, & c’est ce dernier souvenir qui prête à l’autre la plus grande partie de ses agrémens.
Je m’imagine pourtant que le changement que j’ai cru découvrir dans cette jolie maniére de troquer, n’est pas tout-à-fait imaginaire.
Peu de Gens de Distinction s’en sont mêlés, & je n’ai guéres vu
donner que dans le dessein de jetter ce qu’on recevroit, & de
D’un côté de la Foire on voit des gens ridiculement déguisés, ne s’en pas tenir à donner des bagatelles aux Dames ; ils veulent encore leur rendre le masque utile, en leur donnant des sottises, qui naturellement doivent répandre la honte & la confusion sur leur visage.
Il est vrai que le masque rend service à quelques autres, dérobant à nos yeux leur incapacité de rougir, & qu’il n’y a qu’une simple sotisse à insulter celles-là ; au-lieu qu’il y a de l’insolence à ne pas ménager la pudeur de celles qui en ont. Si ceux que je censure ici sont gens de famille, qu’ils répondent mal à leur naissance ! Et si ce sont des faquins, qu’ils savent bien leur métier !
D’un autre côté, on voit une troupe de Comédiennes, étaler au grand jour des habits & dû fard, qui naturellement ne devroient être éclairés que de la chandelle. Elles sont suivies d’un détachement de la Synagogue, dont les juste-au-corps magnifiquement brodés font paroli aux habits de théâtre, de leurs Maîtresses.
Ici des Femmes, dont l’infamie est encore
Ne pourroit-on pas facilement tirer quelques réflexions morales de ce troc de babioles ? & n’est-ce pas une fidéle image de la conduite de presque tous les hommes ? À quoi s’occupe-t-on pendant cinquante ou soixante ans que l’on vit ? à faire un échange de colifichets.
J’étois occupé, dans une rue écartée de la Foire, à faire de pareilles
réflexions, quand j’aperçus dans une boutique un jeune homme de mes amis
qui s’amusoit à écrire quelque chose. J’aprochai, ne doutant point qu’à
la faveur du Commerce il ne voulût glisser quelque Billet-doux. Voici
dequoi rire, me dit-il, dès-qu’il m’aperçut ; je fais un Commerce de
Madrigaux avec une Inconnue, & voici déjà le quatrième Inpromtu que je lui prépare.
Je le priai de me montrer les Billets de la Belle, & ses Réponses
qu’il avoit écrites dans ses tablettes. Le premier Madrigal qu’il avoit
reçu, n’est pas de la façon de cette Dame, elle l’avoit seulement
apliqué au sujet ;
Galand
Je ne vous donne pas
grand’chose,
Mais je ne vous demande rien.
Voilà qui n’est guéres galant,
Non, non,
Qui dit qu’il ne demande rien,
Veut bien recevoir
quelque chose.
Mais vous pouviez aussi vous faire mieux comprendre.
En donnant
le premier on fait apercevoir,
Qu’on souhaite de
recevoir.
Croyez-vous, beau
C’est bien un plus noble dessein
Qui
m’a mis la plume à la main.
Je veux de vous ce qu’une Fille
fiére
Ne sauroit se résoudre à donner la prémiére,
Et que
plusieurs Amans me demandent en-vain.
Sans saisir le moment de ma facile humeur,
Veut bien livrer son
ame à la douleur
D’une tardive repentance.
Souvenez-vous,
N’est pas la
route du bonheur.
Je le dis naturellement à mon jeune ami, qui me soutint fort & ferme qu’il n’y avoit pas la moindre fiction dans cette avanture. Les protestations qu’il me fit là-dessus, lui firent perdre le tems de répondre au dernier Billet de la Dame. Il n’a pas un génie fort propre à faire des impromtus ; & dans le tems au’il alloit donner encore la torture à son esprit, pour ne pas démentir la bonne opinion que son Inconnue paroissoit avoir de lui, on le tire par la manche, il se tourne, c’étoit la personne en question. Elle vit bien que sa réponse n’étoit pas encore prête, & lui fit signe de la suivre.
Je fis tous mes efforts pour ne les point perdre de vue, & après
avoir traversé quelques rues, en les suivant, je m’aperçus que la
Dame se découvrit. Jamais surprise ne fut pareille à celle de notre
jeune homme. Il vit, non pas un visage desagréable, au contraire, un
visage tout-à-fait mignon ; mais il vit sa propre sœur, qui avoit
emprunté les habits & la main d’une Amie qui l’accompagnoit,
pour voir si son frére étoit homme à donner dans la bonne fortune.
Je