LXII. Discours Justus Van Effen Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Katharina Jechsmayr Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 26.11.2014 o:mws.3048 Justus Van Effen: Le Misantrope. Amsterdam: Herman Uytwerf 1742, 171-180, Le Misantrope 2 021 1711-1712 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Mode Moda Fashion Moda Mode Menschenbild Immagine dell'Umanità Idea of Man Imagen de los Hombres Image de l’humanité Mode Moda Fashion Moda Mode Frankreich Francia France Francia France Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Netherlands The Hague The Hague 4.29861,52.07667 France 2.0,46.0

LXII. Discours

Quand j’étois à la fleur de mon âge je me divertissoit extraordinairement à la Foire de la Haye, dont j’attendois le retour avec impatience. Je me plaîsois sur-tout à y voir les Personnes de Distinction des deux sexes, assemblées à une certaine heure du matin, pour donner & pour recevoir des présens. Si on ne donnoit pas toujours des choses estimables par leur valeur, du moins troquoit-on de ces jolies bagatel-les dont on peut tirer quelque usage ; & les Dames étant masquées ne se faitoient pas une affaire de provoquer les Cavaliers à cet agréable commerce. Cette coutume fait bien sentir que la Galanterie est de toutes les Nations ; & les François, qui se piquent de surpasser les autres Peuples par rapport aux maniéres galantes, devroient être jaloux de n’être pas les auteurs d’une si agréable coutume.

J’ai voulu, cette année, m’en rafraîchir la mémoire ; mais les choses m’ont paru bien différentes de ce qu’elles étoient autrefois.

Je veux bien me rendre justice, & croire que le changement que l’âge a fait dans mes sentimens, contribue à celui que je trouve dans ce Commerce.

Il est sur que tout ce que nous avons vu étant jeunes, se présente à notre imagination d’une maniére plus agréable ; que ce que nous voyons de plus brillant dans la vieillesse. Le souvenir de nos plaisirs passés, raméne avec lui l’idée de la jeunes où l’on goûtoit ces plaisirs avec vivacité, & c’est ce dernier souvenir qui prête à l’autre la plus grande partie de ses agrémens.

Je m’imagine pourtant que le changement que j’ai cru découvrir dans cette jolie maniére de troquer, n’est pas tout-à-fait imaginaire.

Peu de Gens de Distinction s’en sont mêlés, & je n’ai guéres vu donner que dans le dessein de jetter ce qu’on recevroit, & de faire jetter ce qu’on alloit donner. N’est-ce pas une sottise risible, de remplir ses poches de babioles dont à peine un enfant voudroit se charger, & de venir se hâler deux heures pour prodiguer ces fadaises à toutes sortes de personnes ? Quel bonheur pour certaines gens d’avoir l’imagination déréglée ! ils ne se divertiroient jamais s’ils n’avoient ce défaut de plus.

D’un côté de la Foire on voit des gens ridiculement déguisés, ne s’en pas tenir à donner des bagatelles aux Dames ; ils veulent encore leur rendre le masque utile, en leur donnant des sottises, qui naturellement doivent répandre la honte & la confusion sur leur visage.

Il est vrai que le masque rend service à quelques autres, dérobant à nos yeux leur incapacité de rougir, & qu’il n’y a qu’une simple sotisse à insulter celles-là ; au-lieu qu’il y a de l’insolence à ne pas ménager la pudeur de celles qui en ont. Si ceux que je censure ici sont gens de famille, qu’ils répondent mal à leur naissance ! Et si ce sont des faquins, qu’ils savent bien leur métier !

D’un autre côté, on voit une troupe de Comédiennes, étaler au grand jour des habits & dû fard, qui naturellement ne devroient être éclairés que de la chandelle. Elles sont suivies d’un détachement de la Synagogue, dont les juste-au-corps magnifiquement brodés font paroli aux habits de théâtre, de leurs Maîtresses.

Ici des Femmes, dont l’infamie est encore plus dégoûtante, viennent se mêler effrontément aux honnêtes-gens. Elles ont beau se déguiser, leurs airs canailleux ne leur permettent pas d’en imposer un seul moment.

En-vain vous prétendez, grossiérement rusées, Par l’éclat emprunté d’un habit imposteur,Relever vos grâces usées,Et sous le masque encore excroquer quelque cœur.Si vous vous déguisiez en personnes d’honneur,Que vous seriez bien déguisées.

Ne pourroit-on pas facilement tirer quelques réflexions morales de ce troc de babioles ? & n’est-ce pas une fidéle image de la conduite de presque tous les hommes ? À quoi s’occupe-t-on pendant cinquante ou soixante ans que l’on vit ? à faire un échange de colifichets.

Que font ces Galans imposteurs, Qui tous les jours changeant de Belles,Leur vont débiter des nouvelles,Et les accabler de douceurs ?En échange on leur rend de petites saveurs,Petits coups d’œil, petits souris trompeurs.N’est-ce pas faire un troc de bagatelles ?Que font ces deux Complimenteurs,Qui paroissent être en extase ? La langue à peine a-t-elle assez d’emphasePour exprimer leur zéle, & leurs ardeurs :Un murmure confus leur tient lieu de paroles,Ils donnent encens pour encens,Pour vains discours phrases vuides de sens :N’est-ce pas faire un troc le babioles ?Que fait ce Courtisan flateur,Dans sa folie ambitieuseD’un Prince vicieux infame adulateur ?Pour sa bassesse ingénieuseOn lui donne un espoir trompeur ;Sa lâcheté se paye en promesses frivoles,Ne fait-il pas un troc de babioles ?Que fait ce livide Usurier,Qui sans cesse donne en échangeDu papier pour de l’or, de l’or pour du papier ;Et dans son coffre-fort toujours des sacs arrange,Que pour son propre usage il n’ose manier ?S’il ne se sert jamais de ses chéres pistoles,Qu’est-ce que son commerce ? un troc de babioles,Que fait un malheureux Auteur,Par ses productions nouvelles,Plus brillantes qu’essentielles ?S’il s’acquiert à souhait un inutile honneur,Ne fait-il pas un troc de bagatelles ?Dans ce troc ridicule ainsi l’âge s’écoule,Jusqu’à ce que la mort nous tire de la soule. Alors dissipant son erreur,Notre esprit s’aperçoit que dupé par le cœur,Il a troqué du tems l’utilité réellePour de la bagatelle.

J’étois occupé, dans une rue écartée de la Foire, à faire de pareilles réflexions, quand j’aperçus dans une boutique un jeune homme de mes amis qui s’amusoit à écrire quelque chose. J’aprochai, ne doutant point qu’à la faveur du Commerce il ne voulût glisser quelque Billet-doux. Voici dequoi rire, me dit-il, dès-qu’il m’aperçut ; je fais un Commerce de Madrigaux avec une Inconnue, & voici déjà le quatrième Inpromtu que je lui prépare.

Je le priai de me montrer les Billets de la Belle, & ses Réponses qu’il avoit écrites dans ses tablettes. Le premier Madrigal qu’il avoit reçu, n’est pas de la façon de cette Dame, elle l’avoit seulement apliqué au sujet ; le voici.

I. Madrigal Quand je vous donne Vers on Prose,

Galand Thyrsis, je le sai bien,Je ne vous donne pas grand’chose,Mais je ne vous demande rien.

Reponse

Belle Iris vous me faites rire ;

Si vous ne me demandez rien, Cette affaire vaut-elle bien,Que l’on s’amuse à me l’écrire ?

Voilà qui n’est guéres galant, Monsieur Thyrsis, lui dis-je ; n’avez-vous pas honte de répondre d’une maniére si brusque à cette obligeante Inconnue ? Il y a aparence que son air & ses maniéres ne vous ont pas prévenu en sa faveur. Au contraire, me répondit-il ; elle est toute des mieux faites, & la beauté de ce que le masque ne cache pas, m’a ébloui ; mais vous êtes du vieux tems, & vous ne savez pas qu’il n’y a rien de tel que les maniéres brusques pour réussir auprès des Femmes. Voyez son second Billet.

II. Madrigal Vous n’avez pas l’esprit qu’on diroit bien :

Non, non, Thyrsis, votre air nous en impose :Qui dit qu’il ne demande rien,Veut bien recevoir quelque chose.

Reponse J’en conviens, j’avois tort de ne vous pas entendre :

Mais vous pouviez aussi vous faire mieux comprendre.En donnant le premier on fait apercevoir,Qu’on souhaite de recevoir. Un Fichu, des Rubans, on quelque Tabatiére,Croyez-vous, beau Thyrsis, que ce soit mon affaire ?C’est bien un plus noble desseinQui m’a mis la plume à la main.Je veux de vous ce qu’une Fille fiéreNe sauroit se résoudre à donner la prémiére,Et que plusieurs Amans me demandent en-vain.

Reponse Vous voulez donc mon cœur, la Belle, Le prenez-vous pour une bagatelleQu’on donne sans y regarder ?Démasquez-vous du moins pour me le demander.Quand on en fait maîtresse une Beauté connue,Dont l’esprit & le cœur ont passé la revue,C’est encore bien hasarder. IV. Madrigal A me donner son cœur qui trop longtems balance,

Sans saisir le moment de ma facile humeur,Veut bien livrer son ame à la douleurD’une tardive repentance.Souvenez-vous, Thyrsis, qu’un excès de prudence N’est pas la route du bonheur.

J’avois bien de la peine à m’imaginer, qu’effectivement ce jeune homme eût fait un pareil commerce de Madrigaux, & je prenois tout cela pour une gasconnade concertée. Le Lecteur sera sans doute de mon sentiment. Le moyen de se persuader qu’en pleine Foire, au milieu de tout ce fracas, on puisse faire sur le champ tant de Madrigaux, quelque peu qu’ils puissent valoir.

Je le dis naturellement à mon jeune ami, qui me soutint fort & ferme qu’il n’y avoit pas la moindre fiction dans cette avanture. Les protestations qu’il me fit là-dessus, lui firent perdre le tems de répondre au dernier Billet de la Dame. Il n’a pas un génie fort propre à faire des impromtus ; & dans le tems au’il alloit donner encore la torture à son esprit, pour ne pas démentir la bonne opinion que son Inconnue paroissoit avoir de lui, on le tire par la manche, il se tourne, c’étoit la personne en question. Elle vit bien que sa réponse n’étoit pas encore prête, & lui fit signe de la suivre.

Je fis tous mes efforts pour ne les point perdre de vue, & après avoir traversé quelques rues, en les suivant, je m’aperçus que la Dame se découvrit. Jamais surprise ne fut pareille à celle de notre jeune homme. Il vit, non pas un visage desagréable, au contraire, un visage tout-à-fait mignon ; mais il vit sa propre sœur, qui avoit emprunté les habits & la main d’une Amie qui l’accompagnoit, pour voir si son frére étoit homme à donner dans la bonne fortune. Je suis fâché pour le Lecteur, que cette avanture, dont le commencement promettoit une fin plus romanesque, n’ait pas répondu à son attente, & qu’une Sœur se soit fourrée dans l’endroit où l’on vouloit une Maîtresse : mais ce n’est pas ma faute, ni celle du Cavalier non plus.

LXII. Discours Quand j’étois à la fleur de mon âge je me divertissoit extraordinairement à la Foire de la Haye, dont j’attendois le retour avec impatience. Je me plaîsois sur-tout à y voir les Personnes de Distinction des deux sexes, assemblées à une certaine heure du matin, pour donner & pour recevoir des présens. Si on ne donnoit pas toujours des choses estimables par leur valeur, du moins troquoit-on de ces jolies bagatel-les dont on peut tirer quelque usage ; & les Dames étant masquées ne se faitoient pas une affaire de provoquer les Cavaliers à cet agréable commerce. Cette coutume fait bien sentir que la Galanterie est de toutes les Nations ; & les François, qui se piquent de surpasser les autres Peuples par rapport aux maniéres galantes, devroient être jaloux de n’être pas les auteurs d’une si agréable coutume. J’ai voulu, cette année, m’en rafraîchir la mémoire ; mais les choses m’ont paru bien différentes de ce qu’elles étoient autrefois. Je veux bien me rendre justice, & croire que le changement que l’âge a fait dans mes sentimens, contribue à celui que je trouve dans ce Commerce. Il est sur que tout ce que nous avons vu étant jeunes, se présente à notre imagination d’une maniére plus agréable ; que ce que nous voyons de plus brillant dans la vieillesse. Le souvenir de nos plaisirs passés, raméne avec lui l’idée de la jeunes où l’on goûtoit ces plaisirs avec vivacité, & c’est ce dernier souvenir qui prête à l’autre la plus grande partie de ses agrémens. Je m’imagine pourtant que le changement que j’ai cru découvrir dans cette jolie maniére de troquer, n’est pas tout-à-fait imaginaire. Peu de Gens de Distinction s’en sont mêlés, & je n’ai guéres vu donner que dans le dessein de jetter ce qu’on recevroit, & de faire jetter ce qu’on alloit donner. N’est-ce pas une sottise risible, de remplir ses poches de babioles dont à peine un enfant voudroit se charger, & de venir se hâler deux heures pour prodiguer ces fadaises à toutes sortes de personnes ? Quel bonheur pour certaines gens d’avoir l’imagination déréglée ! ils ne se divertiroient jamais s’ils n’avoient ce défaut de plus. D’un côté de la Foire on voit des gens ridiculement déguisés, ne s’en pas tenir à donner des bagatelles aux Dames ; ils veulent encore leur rendre le masque utile, en leur donnant des sottises, qui naturellement doivent répandre la honte & la confusion sur leur visage. Il est vrai que le masque rend service à quelques autres, dérobant à nos yeux leur incapacité de rougir, & qu’il n’y a qu’une simple sotisse à insulter celles-là ; au-lieu qu’il y a de l’insolence à ne pas ménager la pudeur de celles qui en ont. Si ceux que je censure ici sont gens de famille, qu’ils répondent mal à leur naissance ! Et si ce sont des faquins, qu’ils savent bien leur métier ! D’un autre côté, on voit une troupe de Comédiennes, étaler au grand jour des habits & dû fard, qui naturellement ne devroient être éclairés que de la chandelle. Elles sont suivies d’un détachement de la Synagogue, dont les juste-au-corps magnifiquement brodés font paroli aux habits de théâtre, de leurs Maîtresses. Ici des Femmes, dont l’infamie est encore plus dégoûtante, viennent se mêler effrontément aux honnêtes-gens. Elles ont beau se déguiser, leurs airs canailleux ne leur permettent pas d’en imposer un seul moment. En-vain vous prétendez, grossiérement rusées, Par l’éclat emprunté d’un habit imposteur,Relever vos grâces usées,Et sous le masque encore excroquer quelque cœur.Si vous vous déguisiez en personnes d’honneur,Que vous seriez bien déguisées. Ne pourroit-on pas facilement tirer quelques réflexions morales de ce troc de babioles ? & n’est-ce pas une fidéle image de la conduite de presque tous les hommes ? À quoi s’occupe-t-on pendant cinquante ou soixante ans que l’on vit ? à faire un échange de colifichets. Que font ces Galans imposteurs, Qui tous les jours changeant de Belles,Leur vont débiter des nouvelles,Et les accabler de douceurs ?En échange on leur rend de petites saveurs,Petits coups d’œil, petits souris trompeurs.N’est-ce pas faire un troc de bagatelles ?Que font ces deux Complimenteurs,Qui paroissent être en extase ?La langue à peine a-t-elle assez d’emphasePour exprimer leur zéle, & leurs ardeurs :Un murmure confus leur tient lieu de paroles,Ils donnent encens pour encens,Pour vains discours phrases vuides de sens :N’est-ce pas faire un troc le babioles ?Que fait ce Courtisan flateur,Dans sa folie ambitieuseD’un Prince vicieux infame adulateur ?Pour sa bassesse ingénieuseOn lui donne un espoir trompeur ;Sa lâcheté se paye en promesses frivoles,Ne fait-il pas un troc de babioles ?Que fait ce livide Usurier,Qui sans cesse donne en échangeDu papier pour de l’or, de l’or pour du papier ;Et dans son coffre-fort toujours des sacs arrange,Que pour son propre usage il n’ose manier ?S’il ne se sert jamais de ses chéres pistoles,Qu’est-ce que son commerce ? un troc de babioles,Que fait un malheureux Auteur,Par ses productions nouvelles,Plus brillantes qu’essentielles ?S’il s’acquiert à souhait un inutile honneur,Ne fait-il pas un troc de bagatelles ?Dans ce troc ridicule ainsi l’âge s’écoule,Jusqu’à ce que la mort nous tire de la soule.Alors dissipant son erreur,Notre esprit s’aperçoit que dupé par le cœur,Il a troqué du tems l’utilité réellePour de la bagatelle. J’étois occupé, dans une rue écartée de la Foire, à faire de pareilles réflexions, quand j’aperçus dans une boutique un jeune homme de mes amis qui s’amusoit à écrire quelque chose. J’aprochai, ne doutant point qu’à la faveur du Commerce il ne voulût glisser quelque Billet-doux. Voici dequoi rire, me dit-il, dès-qu’il m’aperçut ; je fais un Commerce de Madrigaux avec une Inconnue, & voici déjà le quatrième Inpromtu que je lui prépare. Je le priai de me montrer les Billets de la Belle, & ses Réponses qu’il avoit écrites dans ses tablettes. Le premier Madrigal qu’il avoit reçu, n’est pas de la façon de cette Dame, elle l’avoit seulement apliqué au sujet ; le voici. I. Madrigal Quand je vous donne Vers on Prose, Galand Thyrsis, je le sai bien,Je ne vous donne pas grand’chose,Mais je ne vous demande rien. Reponse Belle Iris vous me faites rire ; Si vous ne me demandez rien,Cette affaire vaut-elle bien,Que l’on s’amuse à me l’écrire ? Voilà qui n’est guéres galant, Monsieur Thyrsis, lui dis-je ; n’avez-vous pas honte de répondre d’une maniére si brusque à cette obligeante Inconnue ? Il y a aparence que son air & ses maniéres ne vous ont pas prévenu en sa faveur. Au contraire, me répondit-il ; elle est toute des mieux faites, & la beauté de ce que le masque ne cache pas, m’a ébloui ; mais vous êtes du vieux tems, & vous ne savez pas qu’il n’y a rien de tel que les maniéres brusques pour réussir auprès des Femmes. Voyez son second Billet. II. Madrigal Vous n’avez pas l’esprit qu’on diroit bien : Non, non, Thyrsis, votre air nous en impose :Qui dit qu’il ne demande rien,Veut bien recevoir quelque chose. Reponse J’en conviens, j’avois tort de ne vous pas entendre : Mais vous pouviez aussi vous faire mieux comprendre.En donnant le premier on fait apercevoir,Qu’on souhaite de recevoir.Un Fichu, des Rubans, on quelque Tabatiére,Croyez-vous, beau Thyrsis, que ce soit mon affaire ?C’est bien un plus noble desseinQui m’a mis la plume à la main.Je veux de vous ce qu’une Fille fiéreNe sauroit se résoudre à donner la prémiére,Et que plusieurs Amans me demandent en-vain. Reponse Vous voulez donc mon cœur, la Belle, Le prenez-vous pour une bagatelleQu’on donne sans y regarder ?Démasquez-vous du moins pour me le demander.Quand on en fait maîtresse une Beauté connue,Dont l’esprit & le cœur ont passé la revue,C’est encore bien hasarder. IV. Madrigal A me donner son cœur qui trop longtems balance, Sans saisir le moment de ma facile humeur,Veut bien livrer son ame à la douleurD’une tardive repentance.Souvenez-vous, Thyrsis, qu’un excès de prudenceN’est pas la route du bonheur. J’avois bien de la peine à m’imaginer, qu’effectivement ce jeune homme eût fait un pareil commerce de Madrigaux, & je prenois tout cela pour une gasconnade concertée. Le Lecteur sera sans doute de mon sentiment. Le moyen de se persuader qu’en pleine Foire, au milieu de tout ce fracas, on puisse faire sur le champ tant de Madrigaux, quelque peu qu’ils puissent valoir. Je le dis naturellement à mon jeune ami, qui me soutint fort & ferme qu’il n’y avoit pas la moindre fiction dans cette avanture. Les protestations qu’il me fit là-dessus, lui firent perdre le tems de répondre au dernier Billet de la Dame. Il n’a pas un génie fort propre à faire des impromtus ; & dans le tems au’il alloit donner encore la torture à son esprit, pour ne pas démentir la bonne opinion que son Inconnue paroissoit avoir de lui, on le tire par la manche, il se tourne, c’étoit la personne en question. Elle vit bien que sa réponse n’étoit pas encore prête, & lui fit signe de la suivre. Je fis tous mes efforts pour ne les point perdre de vue, & après avoir traversé quelques rues, en les suivant, je m’aperçus que la Dame se découvrit. Jamais surprise ne fut pareille à celle de notre jeune homme. Il vit, non pas un visage desagréable, au contraire, un visage tout-à-fait mignon ; mais il vit sa propre sœur, qui avoit emprunté les habits & la main d’une Amie qui l’accompagnoit, pour voir si son frére étoit homme à donner dans la bonne fortune. Je suis fâché pour le Lecteur, que cette avanture, dont le commencement promettoit une fin plus romanesque, n’ait pas répondu à son attente, & qu’une Sœur se soit fourrée dans l’endroit où l’on vouloit une Maîtresse : mais ce n’est pas ma faute, ni celle du Cavalier non plus.