Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "LV. Discours", in: Le Misantrope, Vol.2\014 (1711-1712), S. 113-121, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1713 [aufgerufen am: ].
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LV. Discours
Ebene 2► Metatextualität► Je voudrois bien réussir une fois en ma vie à faire un Misantrope qui plût à tout le monde : l’affaire est difficile, mais peut-être n’est-elle pas tout-à-fait impossible. Il est naturel que les goûts des hommes, si différens pour la plupart des choses, conviennent du moins dans un seul point : toute la difficulté consiste à le trouver, & cependant je me trompe fort si je ne l’ai pas découvert.
Tout l’Univers est dans l’impatience d’aprendre le résultat des Négociations de Paix, & seroit ravi de savoir si elles se termineront bientôt, ou non. Si je pouvois donc tirer de mon cerveau quelques réflexions sensées sur la durée de cette affaire importante, j’aurois aparemment le plaisir de satisfaire tout le monde. Essayons-le. ◀Metatextualität
Si les deux Partis souhaitent également de tirer les Négociations en longueur, on ne sauroit douter qu’ils n’y réussissent. Quand même la France seule ne voudroit parvenir à la Paix que lentement, il est probable que [114] ménageant les différens intérêts des Alliés avec la dextérité ordinaire, elle pourroit retarder le dénouement de tant d’intrigues embarassantes. Il reste seulement à savoir si c’est le but de la France de faire traîner les affaires. Je le soutiens, & je prétens avoir pour cela des raisons palpables.
Supposé que par les provisions que quelqu’un aporte dans un Pays, on puisse faire une conjecture raisonnable du tems qu’il doit y rester, il est très clair que les Ministres François feront un long séjour en Hollande : tout le monde sait la quantité prodigieuse de toutes sortes de provisions, qu’ils ont eu soin de faire venir à Utrecht, &. . . . . Peste soit du Fat ! dira ici quelque Nouvelliste. A-t-on jamais entendu parler de Réflexions Politiques tirées des provisions nécessaires au ménage ? J’en conviens, le principe de mon raisonnement n’a pas un air noble ; mais au moins ces provisions sont des choses réelles, dont il n’est pas impossible de déduire quelque conséquence raisonable : au-lieu que les chiméres qui sont d’ordinaire les sources des subtiles extravagances d’un Nouvelliste, n’ont aucune réalité, & ne se font admirer que par leur ridicule & leur fausse profondeur. Quoi qu’il en soit, je vois bien que je n’ai pas enfilé le véritable chemin de plaîre universellement. Soutenons plutôt quelque paradoxe.
Les goûts de tous les hommes se réunissent dans l’amour de l’Extraordinaire, rien n’est plus sûr. Faisons voir, par exemple, que les Torys ont plus à cœur les véritables intérêts [115] de leur Patrie que les Whigs. C’est un paradoxe très paradoxe, & l’on ne sauroit mieux faire briller les heureux effets d’une vive imagination, qu’en donnant à cette pensée les couleurs de la vérité. Mais j’y trouve un obstacle invincible, & je ne me sens pas assez de génie pour me tuer de cette affaire à mon honneur.
Il vaudra mieux, ce me semble, faire quelque conte. Il est vrai que j’ai le don de conter parfaitement mal, mais n’importe ; un mauvais conte s’attire plus de Lecteurs, que la plus belle réflexion qu’on puisse faire. Commençons.
Un Fermier-Général a près de Paris une aussi charmante Maison de campagne, qu’un Fermier-Général qui entend son métier peut en avoir en tems de guerre.
Cependant il en jouit très peu : & pendant qu’en Ville il s’efforce à amasser de nouveaux trésors, Madame son Epouse s’occupe à dépenser noblement à la Campagne ceux que la misére publique leur a déjà procurés. Un homme d’esprit l’y vint voir un Jour, & la trouva en conversation avec trois ou quatre autres Dames & un jeune Abbé. C’étoit un de ces Abbés qui ont adopté les maniéres efféminées, dont les Femmes de grand air ne veulent plus, & qui sont plus longtems à mettre leur collet, qu’une Dame raisonnablement coquette n’en emploie à se coëffer. Tandis que ce Galant-homme, négligemment couché dans un canapé, disoit de jolies bagatelles, ou qu’il mordoit ses lévres en étudiant des minauderies dans [116] un miroir de poche, toute la Compagnie s’empressoit à lui servir du caffé, à y mettre la doze de sucre qu’il faut pour un Ecclésiastique, & à lui présenter des confitures.
Zitat/Motto► « Car de tous mêts sucrés, secs, en pâte, ou liquides,
Les estomacs dévots furent toujours avides.
Le premier
massepain pour eux, je crois, se fit,
Et le premier citron à
Rouen fut confit. » ◀Zitat/Motto
Ah ! je vois où il en veut venir, dira ici quelqu’un de nos faux Pénétrans, c’est Monsieur un tel qu’il a en vue. Bon, Monsieur, un tel demeure à la Haye, & l’Auteur parle de Paris. Ne voyez-vous pas, repliquera-t-il, que c’est pour nous dépaïser mieux ? C’est Monsieur un tel, vous dis-je, je sai qu’il a été voir avant-hier Madame une telle à sa Maison de campagne. Mais avant-hier il a fait le plus vilain tems du monde. Diantre ! c’est justement ce tems que ces Messieurs choisissent, crainte des fâcheux. Si parmi ceux qui prétendent me connoître, mais qui ont juré de ne me point découvrir, quelqu’un répond qu’il est sûr de la parfaite vénération que j’ai pour le mérite de Monsieur un tel, & que je lui sai gré de savoir être en même tems excellent Ecclésiastique & fort Galant-homme, cette raison ne fera que blanchir contre notre Lecteur éclairé. Ne connoissez-vous pas Messieurs les Auteurs, repliquera-t-il ? Tout le mé-[117]rite du monde ne sauroit balancer dans leur esprit le plaisir de dire un bon-mot. Il faudra bien qu’à la fin on lui donne gain de cause, & que sur la foi d’un esprit si clairvoyant on se déchaîne contre ma malignité.
Metatextualität► Non, je renonce à ces sortes d’historiettes, qui ne font que mettre en œuvre les beaux talens que le Public a pour la médisance, j’aime mieux faire un Conte de Fée ; ces sortes de contes sont fort en vogue dans notre Siécle ; les gens les plus graves s’y amusent ; tout en les traitant de bagatelles, ils s’y amusent si bien quelquefois, qu’ils ne sauroient les quiter qu’ils n’en ayent parcouru tout un Volume d’un bout à l’autre. ◀Metatextualität
Ebene 3► Allgemeine Erzählung► Conte de fee.
Il y avoit autrefois dans l’Arabie Heureuse certaine Fée fort puissante & fort raisonnable, qualités qui ne sont pas des plus compatibles. Les autres Fées s’amusent à bâtir des Palais tout de cristal de roche ; on y voit des apartemens d’un seul rubis, d’autres d’une seule topase, & d’autres encore d’un seul diamant, en un mot, les autres Fées ressemblent assez bien à certains Auteurs, qui nous donnent du merveilleux, faute d’être assez habiles pour nous donner du naturel. La Fée, dont je veux parler, avoit bien plus d’esprit que cela : comme elle se faisoit un plaisir d’être aimée des hom-[118]mes, elle s’humanisoit dans toutes ses productions.
C’étoit la meilleure pâte de femme dont on ait jamais entendu parler, & pour toute ces raisons on l’apelloit la Fée Humaine. Elle s’étoit divertie à bâtir sur le rivage de la mer une Ville la plus jolie, la plus riante du monde. Le Printems qu’on va chercher d’ordinaire à la Campagne, déployoit tous ses agrémens au milieu de ce charmant séjour. Tous les habitans de ce lieu se sentoient de l’humanité de leur Souveraine. Les Seigneurs s’y plaîsoient à être les bons amis des Grisettes, & souvent les Dames y étoient très familiéres avec leurs Domestiques.
Aussi, à n’en juger que par l’extérieur, on y avoit bien de la peine à distinguer la Roture d’avec la Noblesse. Les Clercs de Procureur y portoient l’épée & la veste de brocard d’or ; & le Chien du Docteur Balouard auroit été bien embarrassé à déchirer, non leurs manteaux de bouracan, mais leurs roquelaures d’écarlate.
Les Soubrettes y étoient aussi pimpante que leurs Maîtresses, & les Bourgeoises s’habilloient des plus belles étoffes de leurs boutiques, ce qui n’étoit pas mal imaginé.
Près de ce lieu délicieux il y avoit un Bôcage, dont la diversité riante laisoit douter s’il étoit l’effet de l’Art qui avoit voulu imiter la Nature, ou de la Nature qui avoit voulu aprocher de l’Art. C’est dans cette agréable solitude que les Amans pas-[119]soient un quart-d’heure inutile, à réver à leurs Maîtresses, ou à forger de bonnes fortunes qu’ils devoient débiter le soir à leurs compagnons : c’étoit-là encore que la Fée Humaine faisoit sa demeure ordinaire.
Un jour s’étant cachée dans un gros chêne, elle vit un jeune Cavalier se promener d’un air rêveur & un peu mélancolique. Il méritoit bien de s’attirer les regards d’une Fée. Le Drolle étoit tout des mieux faits, un beau teint, une grande chévelure ; la taille fine, la jambe faite à peindre, un air de Petit-Maître ; enfin, il étoit tout propre à donner dans la vue.
La Fée Humaine touchée de voir ce beau Cavalier si triste, parut devant lui, & après lui avoir fait une grande révérence, car elle savoit fort bien son monde : Ebene 4► Dialog► Qu’avez-vous, mon beau Monsieur ? lui dit-elle, il semble que vous ayez quelque chagrin, découvrez-le moi. Je suis la Fée Humaine, & vous pouvez vous assurer de mon secours. Hélas ! Madame, répondit le Cavalier, dont il n’étoit pas difficile de gagner la confidence, j’aime une Grisette jolie comme un petit cœur, & je travaille en-vain depuis trois jours à aprivoiser cette petite tigresse ; je ne bouge d’auprès d’elle, & pendant tout ce tems-là je n’ai été que deux fois à l’Opéra & trois fois au Cabaret. Voyez un peu la petite fantasqne <sic>, répliqua la Fée ; la beauté seule de vos cheveux devroit vaincre son indifférence. Bien loin de-là, Madame, elle dit que mes cheveux me donnent un air du [120] vieux tems, & que je devrois prendre perruque pour être à la mode. Mais vous êtes si beau garçon. Il est vrai, mais la petite masque dit qu’un homme bien fait prétend qu’on l‘aime pour les beaux yeux, & ce n’est pas-là son compte. Eh ! mais vous avez une phisionomie si fine, & je jurerois moi que vous avez l’esprit joli. A qui le dites-vous, Madame, c’est moi qui compose toutes les nouvelles maniéres de jurer qui sont en vogue, il n’y a rien qui arrondisse mieux les périodes que tout ce que je sais dans ce genre-là. Mais elle se moque de l’esprit à son avis, ceux qui en ont tant, prétendent qu’une fille qu’ils daignent aimer, doit leur en avoir de l’obligation. Vous saurez de plus, Madame, que je chante comme Touvenelle, & que je danse à ravir ; & cependant j’ai usé sur son cœur plus de vingt grands airs d’Opéra, & plus de cent cabrioles, sans pouvoir l’effleurer seulement.
Ah ! je vois où est l’encloueure, repartit la Fée. Que me donnerez-vous, mon beau Monsieur, si je rens cette Belle souple pour vous comme un gand ? Tenez, Madame, répondit le Cavalier, faites qu’elle m’aime seulement pendant quinze jours, foi de fils d’honnête-homme je vous aimerai une semaine toute entiére, pour vous payer de vos peines. ◀Dialog ◀Ebene 4 Après cette promesse, la Fée Humaine le toucha d’une baguette, & lui dit de se regarder dans un petit ruisseau. Il s’y trouva une grande perruque noire, une peau basanée, & une phisionomie un tant soit peu pendable. Ebene 4► Dialog► Eh si au diable, Madame, s’écria-t-il ! me voilà bâti d’une étrange manié-[121]re, je ressemble à un Juif comme deux goûtes d’eau. Tant mieux, mon fils, répliqua la Fée, votre petite Grisette vous trouvera fort bien comme cela. ◀Dialog ◀Ebene 4 Mais voici encore une piéce tout-à-fait nécessaire pour venir à bout de votre entreprise. Voyez-vous cette bourse, elle a été composée par un Rabbin fort habile Cabaliste, & Mars y fait toujours rentrer au double ce que Vénus en fait sortir. Le Cavalier métamorphosé accepta avidement cette bourse miraculeuse, & sans s’amuser, comme un Bourgeois, à remercier sa Bienfaitrice, il courut vers sa petite Maîtresse. . . . . ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 3 Metatextualität► Mais me voici au bout de mon cahier, & je ne saurois finir mon conte, je crois même que je m’en repentirois fort ; on ne manqueroit pas d’y chercher des allégories, & d’y trouver un portrait fidéle de la Haye, & puis il faut voir comment on déclameroit encore contre la malice du pauvre Misantrope. Je suis bien sot aussi de vouloir plaîre à tout le monde, c’est le vrai moyen de ne plaîre à personne. On a beau faire, il en faut toujours revenir à la Fable de l’Ane & du Meunier. Fabel► Je suis âne, il est vrai c’est le Meunier qui parle,
« Je suis âne, il est vrai, j’en conviens, je l’avoue,
Mais que dorénavant on me blâme, on me loue,
Qu’on
dise quelque chose, ou qu’on ne dise rien,
J’en veux faire à
ma tête : il le fit, & fit bien. ◀Fabel
◀Metatextualität
◀Ebene 2
◀Ebene 1