Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XXVI. Discours", in: Le Misantrope, Vol.1\027 (1711-1712), S. 221-230, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1679 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XII. Discours. <sic>

Ebene 2► Un Fat, selon la définition de Mr. de la Bruyere, Zitat/Motto► est celui que les Sots croyent homme de mérite, & qui, s’il pouvoit craindre de mal parler, sortiroit de son caractére. ◀Zitat/Motto Ce mot dans sa premiere origine a signifié toute autre chose ; & puisque 1 Maître François est si fort en vogue, voyons comment le définit Maître François. Zitat/Motto► Fat est un vocable de Languedoc, & signifie non salé sans sel, insipide, fade ; par metaphore signifie fol, niais, dépourvu de sens, [222] éventé de cerveau. ◀Zitat/Motto On peut voir par ces différentes idées qu’en différens tems on a attachées à ce même mot, que le Fat de Rabelais est aussi distingué du Fat de la Bruyere, que celui du dernier est différent du Niais, auquel fort souvent il est directement opposé. En effet, le caractére du Niais est d’être embarassé de sa personne, & de marquer dans toutes ses actions une lâche timidité ; au-lieu que la présomption ridicule qui fait l’essence du Fat, se répand sur son extérieur, & lui donne un air libre & assuré. Il suit de là, que la Fatuité n’est pas incompatible avec l’esprit, & qu’elle n’a son principe que dans une vanité mal entenduë, qui nous fait tomber dans le ridicule, faute de nous faire croire que nous y puissons tomber comme les autres. Mais y a-t-il de la différence entre un Petit-Maître & un Fat ? Il y en a sans doute ; & si tout Petit-Maître est Fat, il est pourtant sûr que tout Fat n’est pas Petit-Maître. Le caractére du dernier aproche davantage de celui d’Impertinent dont la Bruyere fait cette description-ci : Zitat/Motto► L’Impertinent est un Fat outré ; le Fat lasse, ennuye, dégoûte, rebute ; l’Impertinent rebute, aigrit, irrite, offense, il commence par où l’autre finit. ◀Zitat/Motto Tout ce qui manque encore à un Impertinent pour devenir Petit Maître, c’est que le premier peut tomber dans son caractére par un défaut d’éducation, ou par une brutalité de tempéra-[223]ment, au lieu que le dernier est impertinent par étude & par affectation ; il se croiroit ridicule s’il ne s’éforçoit à l’être. Je vous donnerai peut-être une autre fois une division exacte de toutes les especes dans lesquelles on peut ranger les Petits-Maîtres ; pour à présent, j’ai envie de suplier l’Académie Françoise d’enrichir la Langue de deux mots, desquels je ne croi pas qu’on puisse se passer.

Requeste.

Plaise aux Arbitres du Langage

Dont les voix en fixent l’usage,
Faire quelque réfléxion,
Sur ce qu’avec soumission,
A leur illustre Corps ma Muse supliante
Trouve bon que je représente.
Nous voyons que depuis long-tems,
Du Fat l’importun caractere,
Devient aux Dames ordinaire.
Autant qu’il l’est à leurs Amans.
Cependant ce qui m’embarasse,
C’est qu’au terme de Fat, qui n’est que masculin,
Vous n’avez pas encor voulu faire la grace,
De lui donner un feminin.
Ce n’est pas tout ; depuis quelques années,
Dans l’air modeste trop bornées,
Quelque Dames ont affecté,
D’un jeune Officier éventé,
[224] Les airs extravagans, les brutales manieres,
Que d’un mot adouci l’on nomme cavaliere.
C’est pour ces Esprits forts un objet de mépris,
Que la pudeur sage & timide,
Dont la nature avoit fait une bride
A leurs désirs trop étourdis.
Renonçant à la tendresse
Pour leur réputation,
Elles traitent de foiblesse,
La peur du qu’en dira-t-on.
Voyez Philis ; dans sa verte jeunesse,
Ne comptant pour rien ses appas,
Elle affecte des airs soldats ;
De prendre du tabac fait rage,
Et tout en barbouillant son linge & son visage,
Conte d’un ton de Fierabras,
Qu’elle a passé la nuit à boire,
Et qu’au champ de Bacchus remportant le victoire,
Elle a fait demander quartier
A tel Comte, à tel Chevalier.
Qui pis est la Belle se pique,
De fumer comme un Marinier :
Et de crainte de la colique,
Du plus fort Persico vuide un flacon entier.
A jurer avec grace elle est Originale :
Et sans se débrailler (puisqu’en vain on étale L’air d’un Petit-Maître parfait)
Il n’est point de jeune Cadet
Qui mieux que Philis se débraille.
[225] Peu s’en faut qu’elle ne ferraille ;
On dit même qu’elle le fait.
Puisque de ces Philis nombreuse est la cohorte,
O vous des mots nouveaux qui réglez le destin,
Ne sçauriez-vous emprunter du Latin,
Un mot qui désignât d’une maniere forte
Un Petit-Maître feminin ?
Vous voyez bien que le langage,
Ne peut pas d’un tel mot se passer davantage,
Obscénité, tout comme Urbanité,
Par vos faveurs s’est glissé dans l’usage,
Avec moins de nécessité.

Metatextualität► Si au-lieu de finir mon Placet par demander un feminin pour Petit-Maître, je l’avois fini par en demander un pour le terme de Fat, j’aurois peut-être passé l’Article suivant par une transition plus naturelle. Mais à propos, ou non, voici une Lettre du Poete sans fard, qu’il a écrite à Madame du Noyer, en lui envoyant une Epigramme contre le Misantrope, laquelle on peut avoir vuë dans une des dernieres Quintessences. ◀Metatextualität

Metatextualität► Lettre du Poëte sans fard à Me. du Noyer, imprimée exactement sur l’Original. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Madame,

Quand même le Misantrope, en vous mettant en Parallele avec le Sr. Dufreny, ne vous eut pas [226] traitée injustement, & qu’en vous accordant les graces du stile, il ne nous eût point ôté le mérite de bien penser ; je ne doute point que vous n’eussiez accordé un peu de place dans votre Quintessence pour faire connoître au Public l’extravagance d’un pareil Auteur. Voici comme il parle au Roi de Prusse, à l’occasion de la mort du Prince de Frize ; c’est dans sa IIe feuille tout à la fin.

« Et vous, grand Roi, pardonnez si je donne à ce Héros des titres que vous lui disputiez, peut-être avec justice. Il n’est plus, vous le pleurez, voilà les excuses de ma hardiesse. Jamais je ne l’ai loué pendant sa vie, de-peur de gâter le plus beau naturel du monde, par des louanges d’autant plus dangereuses qu’elles étoient véritables. Je ne lui donne qu’après sa mort l’hommage que je dois à son mérite. Fasse le Ciel que je ne rende que tard les mêmes devoirs à vos vertus, ou plûtôt, fasse le Ciel que je ne louë jamais le seul Roi digne des louanges d’un Misantrope. »

Voila Madame une échantillon des sottises de ce Censeur ridicule, qui se charge de l’Oraison Funébre des Rois, & qui ne veut point louer les Princes de-peur de gâter leur beau naturel. Je ne dis rien de l’équivoque insolente du peut-être de la premiere période.

Quel fondement y a-t’il à faire sur un Ecrivain si peu sensé, & dont les Vers sont encore plus médiocres que sa Prose ? Il se mêle cepen- [227] dant de juger du mérite des Poetes, & croit avoir raillé finement le Poete sans fard, en le faisant traiter de Traducteur de Boileau par un Allemand ; mais ce nouveau Misantrope doit craindre les traits d’un satirique disciple d’un homme, qui sçait si bien relever le ridicule des mauvais Auteurs. En attendant voici une Epigramme que je vous prie d’insérer dans votre Quintessence.

Zitat/Motto► Enfant bâtard de Calliope,

Faux-plaisant, fade Misantrope ;
Tu prétends te railler du Poëte sans fard,
Qui regardant Boileau comme un Maître en son art,
Tâche de le suivre à la piste :
Mais aprens, pauvre esprit, Auteur bas & venal,
Qu’il vaut mieux être bon Copiste,
Que d’être, comme toi, mauvais Original. ◀Zitat/Motto ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

J’ai vû avec plaisir, le peu de peine qu’a eu Madame du Noyer à pénétrer dans le sophisme par où le Poëte sans fard commence sa Lettre ; elle a aussi peu conclu, qu’accorder à quelqu’un les graces du stile c’étoit lui ôter le mérite de bien penser, que je conclus moi, que notre Poëte pense bien parce-qu’à mon avis il écrit mal. Toute la colere de cet Illustre vient de ce que j’ai introduit dans un de mes Misantropes un Allemand qui lui donnoit des Eloges. Il s’imagine apparamment que je n’ai fait que les prêter à un Allemand imaginaire ; mais il se [228] trompe, je n’ai fait que copier mot-à-mot les louanges véritables que lui a données un Allemand réel. Ces sortes de louanges ne plaisent point à nous autres Auteurs François, & en cela il n’est pas impossible que nous ne soyïons un peu ridicules ; mais quoiqu’il en soit, je n’ai point trempé dans cette affaire-là :

Zitat/Motto► Non ce n’est pas à vous que ma plume se jouë

Mon cher Gacon, vivons en paix,
Si plus d’un Allemand vou louë,
Soyez sûr que je n’en puis mais. ◀Zitat/Motto

Si cette satisfaction ne vous contente pas encore, je m’offre moi-même à servir votre vengeance, & à mettre dans le Misantrope toutes les Epigrammes que vous voudrez lancer contre moi. Ne croyez pas que c’est mon propre intérêt que j’ai en vuë en vous faisant cette offre ; car si vos Ouvrages mêlez aux miens peuvent me procurer l’avantage d’être lû dans la Ville que vous honorez de votre séjour, considérez, s’il vous plaît, que d’un autre côté ils me feront courir le risque d’être moins lû partout ailleurs. Aureste vous seriez bien de mes amis si vous sçaviez les efforts que je fais pour défendre votre Epigramme contre les Critiques dont quelques gens prétendent l’accabler. On dit, par exemple, qu’en m’appellant Enfant bâtard d’une Muse, vous donnez un terrible, [229] souflet à la réputation de ces Déesses qui ont toujours passé pour fort honnêtes-filles.

Zitat/Motto► Mais je montre fort bien qu’un tel Censeur abuse ;

Et je lui soutiens qu’une Muse,
Qui s’est prostituée au Poëte sans fard,
Peut avoir un Enfant bâtard. ◀Zitat/Motto

Un autre dit, que je ne prétens pas me railler de vous ; mais que je le fais véritablement, & que ce prétens n’a d’autre mérite dans le Vers où il se trouve, que celui d’y aporter ses deux syllables <sic>. Un troisiéme encore, a cru me faire bien du plaisir en faisant cette Epigramme-ci contre la cinquiéme ligne de la vôtre.

Zitat/Motto► C’est bien envain, pauvre Copiste,

Vous qui rimez à petits frais,
Que vous suivez toujours Despréaux à la piste,
Vous ne l’atraperez jamais. ◀Zitat/Motto

Celui-ci trouve un esprit pauvre comme le mien, préférable à un esprit riche des trésors d’autrui, dont il a l’Art de faire des pauvretez. Celui-là soutient, qu’en vous donnant la qualité de bon Copiste, vous suposez ce qui est en question ; & prétend sottement qu’un homme qui ne parle que par impromptus, s’amuse à raisonner juste. Mais c’est en vain qu’on se déchaîne contre ce pauvre Ouvrage ; je n’en démords point, je m’obstine [230] à le trouver bon ; & quand les raisons me manquent, je me prévaux du Droit des Poëtes, je chante pouille à ceux dont les raisonnemens m’embarassent, & je les traite tous d’ames basses & venales. Il est vrai que je ne donne ces beaux titres qu’à ceux que je connois, & qu’on trouve qu’en me les apliquant à moi, sans me connoître, vous courez risque de faire mépriser votre cœur à ceux-là même qui sont capables d’estimer votre esprit. Mais bagatelle que tout cela ; la fiction & le mensonge ont tant de raport ensemble, que de franchir le pas de l’un à l’autre, ne doit passer tout-au-plus que pour une licence poëtique. Tout ce que je trouve à redire à votre Epigramme, c’est que la pointe en est un peu émoussée à force de servir : mais vous n’êtes pas encore en train, & pourvu qu’on patiente jusqu’à ce que vous en ayïez fait une centaine, je suis sûr qu’on en trouvera quelques-unes dans le nombre qui ne seront pas mauvaises. Adieu, Monsieur. Si le Misantrope doit succomber un jour sous les traits d’un Satirique si bien instruit dans l’art de relever le ridicule des mauvais Autheurs, il se consolera de sa défaite.

Ӕnea magni dextrâ cadet. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1