Zitiervorschlag: Justus Van Effen (Hrsg.): "XV. Discours", in: Le Misantrope, Vol.1\017 (1711-1712), S. 130-139, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1667 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

XV. Discours.

Ebene 2► Metatextualität► Dans une des Capitales des Provinces-Unies, un pauvre mari vient de découvrir l’infidélité de sa femme, d’une maniere si particuliere, qu’elle vaut bien la peine qu’on en fasse part au Public. C’est une Histoire où l’on pourroit mettre bien de la broderie, pour la faire paroître plus nouvelle & plus singuliere ; mais je la trouve d’elle-même assez assaisonnée du sel de la nouveauté, pour la donner au Public, in puris naturalibus. ◀Metatextualität

Allgemeine Erzählung► Un bon Bourgeois d’*** avoit épousé une femme un peu trop jolie pour ses pechez. Si de son côté il l’adoroit, elle avoit pour lui toutes les complaisances qu’un <sic> épouse tendre, & une coquette fieffée, prodiguent d’ordinaire à leur époux par des motifs différens. En un mot, on a rarement vû dans une famille autant de marques d’une par-[131]faite union, & d’une tendresse conjugale du vieux tems. Le bonhomme croyoit son épouse aussi sage que belle ; & cette bonne pâte de femme n’étant pas d’humeur à répondre à la bonne foi de son mari par une sagesse réelle, vouloit dumoins le récompenser de sa confiance, par une sagesse affectée : elle eut la bonté de conduire si prudemment ses intrigues, que Mr. de la Frisure auroit peut-être porté ses cornes en terre, sans s’en appercevoir, si le hazard n’avoit eu l’indiscrétion de lui découvrir son infortune.

Un jour il annonça à son épouse, qu’une nécessité indispensable le contraignoit de faire un petit voyage, & de passer une nuit hors de la maison. La fine piéce en pleura de joye, & eut l’habileté de faire passer ses pleurs pour des larmes de douleur & de tendresse, en les accompagnant de toutes les grimaces nécessaires, pour faire croire à son époux qu’il étoit le plus heureux des maris. Ses tendres emportemens n’étoient guéres moins vifs que ceux d’Anne la Perruquiere, quand elle tâche de retenir auprès d’elle le Perruquier l’amour prêt à lever, dans une Eglise, un Lutrin qui devoit être la baze de mille saintes querelles.

Zitat/Motto► « Ah cruel ! Si dumoins, à ton devoir fidelle,

Tu veillois pour orner quelque tête nouvelle,
L’espoir d’un juste gain consolant ma langueur,
Pourroit de ton absence adoucir la longueur. » ◀Zitat/Motto

[132] Je ne sçai si quelque raison obligea l’époux de notre Lucrece à différer son voyage, ou bien s’il acheva ses affaires plus vîte qu’il n’avoit pensé ; mais je sçai bien qu’il vint au logis au commencement de la nuit, tout enchanté de l’agréable surprise qu’il alloit causer à sa Femme. Après qu’il eût fait trembler la porte sous des coups redoublez, pendant un assez grand espace de tems, on ouvre ; il monte, trouve déjà son épouse couchée, & se couche auprès d’elle. Si elle lui fit des caresses il est aisé d’en juger par ce que j’ai dit de l’habileté de cette Belle ; c’est le seul principe dont on le puisse conclure, à moins de l’avoir vû.

A peine fût-il dans le lit, bien résolu de se refaire de la fatigue de la journée, par un bon somme qu’il fut traversé dans ses bonnes intentions par les soupirs entremêlez de cris du chaste objet de sa tendresse. Il s’allarme, lui demande la raison de ses gémissemens ; & après qu’on lui eût fait attendre la réponse, autant qu’il le falloit pour augmenter son empressement, il apprend que Mademoiselle est tourmentée d’une furieuse colique. Ce fut assez pour que le tendre & crédule mari se jettât hors du lit, s’habillât au plus vîte, & s’en fût dans le voisignage chercher quelque liqueur capable de soulager les prétenduës douleurs de sa fourbe.

Quel fut son étonnement quand mettant la main dans sa poche pour payer sa voisine, [133] il en tira une belle Montre d’or, & une Bourse bien garnie de pistoles. La rencontre étoit agréable à-coup-sûr, & cette trouvaille n’étoit point à mépriser ; mais elle donna lieu à bien des réfléxions inquiétantes, & il ne falloit pas être fort clairvoyant pour saisir le nœud de toute cette intrigue.

Metatextualität► Ce nœud ne vous échape pas non-plus, Lecteur, pour peu que vous soïyez pénétrant ; vous comprenez bien qu’un riche Galant avoit pris la place de l’Epoux ; que dans l’épouvante de l’arrivée du Mari il s’étoit caché sans songer à ses habits, que le bon-homme avoit pris les culottes du Galant pour les siennes, & qu’ainsi sa bonne fortune lui avoit annoncé son malheur. ◀Metatextualität On dit qu’il avala la pillule en homme qui sçait vivre, & que sans dire mot à sa femme il résolut de cacher soigneusement son or & ses cornes. Le Galant qui apparemment s’en étoit allé avec le haut de chausses de l’Epoux, quelque malheureux troc qu’il eût fait, ne s’avisa pas de redemander sa Monstre, ni sa Bourse ; & peut-être n’aurois-je jamais diverti le Public de cette Avanture, si la Voisine avoit été aussi discrette que le Galant & l’Epoux : mais comme elle avoit des raisons moins fortes qu’eux de s’en taire, quoique femme & voisine, elle raconta bonnement, & sans songer à mal, l’histoire de la Montre, & de la surprise du Voisin, à quelque Comméres, qui la com-[134]muniquerent avec un peu moins de bonté d’ame à quelques Amies, qui la communiquerent à tout le monde. Cependant l’Epoux a soutenu si noblement le caractére de Cocu raisonnable, qu’il a intenté un Procès d’injure à la Voisine, qui auroit été contrainte de lui faire réparation d’honneur si elle n’en avoit été cruë sur le serment qu’elle offrit de faire. Le pauvre Diable a donc été condamné aux dépens, & bien lui en a pris d’avoir trouvé dans la poche de l’Auteur de sa disgrace dequoi fournir aux frais des Procédures burlesques, dont le dernier, quelque coupable qu’il soit d’ailleurs, est la cause innocente. ◀Allgemeine Erzählung

Conter toujours, dit La Bruyere, c’est le caractére d’un petit esprit. Tâchons de mettre la vérité de cette maxime dans tout son jour.

Ou ce sont les choses que nous avons aprises d’ailleurs qui sont les sujets de nos contes, ou bien ce sont celles qui nous sont arrivées à nous-mêmes. Si on se fait une habitude de conter toujours ce qu’on a lû ou entendu dire, on voit bien que c’est l’effet d’une petitesse d’esprit, & qu’on court risque de rebattre les oreilles des gens, de ce qu’ils peuvent sçavoir aussi-bien que nous. Si on ne puisoit la matiere de ses contes que dans les choses dont la connoissance est venue à nous par des routes particulieres, & si de cette matiere on ne choisissoit en-[135]core que ce qui est véritablement digne d’attention, il est très-clair qu’on conteroit fort rarement.

Il est encore plus ridicule de fatiguer toujours ceux que nous fréquentons, par le récit de nos propres avantures. Il y a d’abord dans cette coutume un amour-propre choquant & importun, & dès que vous vous mettez une fois dans une compagnie sur votre propre histoire, vos Auditeurs ne font semblant de vous écouter que pour être en droit de se faire le sujet de la conversation à leur tour. Chacun se dispense de prêter attention aux autres, & pourtant il a la ridicule pensée qu’il a lui seul le privilége d’attacher à ses récits l’oreille de toute la Compagnie.

Remarquons encore, que souvent notre amour propre nous fait trouver touchant & particulier, ce qui paroît froid & commun à ceux, qui n’étant pas intéressez dans nos Avantures comme nous, les regardent de tout un autre œil.

Une seconde raison qui doit empêcher un homme de bon sens de conter toujours, c’est qu’il n’y a rien de si difficile que de conter bien. Il ne suffit pas d’avoir de l’esprit & de l’imagination pour faire un conte agréablement, il faut avoir un génie tout particulier pour y réussir.

Un conte roule d’ordinaire sur quelque action ou sur quelque bon mot & pour [136] faire sentir ce que cette action a d’extraordinaire, ou ce que ce bon mot a de fin, il faut raporter justement un certain nombre de circonstances, qui préparent l’esprit à comprendre, à la fin du conte, sans difficulté, & sans confusion, la délicatesse du bon mot, ou le merveilleux de l’action dont il s’agit. A-t-on l’esprit trop vif ? on court risque de négliger quelqu’une de ces circonstances nécessaires, & le meilleur conte pourra devenir froid & insipide. Manque-t-on de feu ? on ira trop tâtonner après ses expressions, on les pésera trop avant que de leur donner l’essor, & la Compagnie fatiguée de cette lenteur ennuyeuse, laissera parler tout seul le fade Historien, qui à la fin de son traité sera forcé de rire ou d’admirer tout seul. C’est bien pis encore si l’on manque de discernement ; dans ce cas quelque vivacité d’esprit, quelque richesse d’imagination qu’on aye, on ne finit point un conte, & plus les routes où l’on s’égare sont riantes, plus on s’égare loin de son sujet. D’où peut venir que ceux dont l’esprit est destitué de solidité, sont toujours si étendus dans leurs narrations, & qu’au contraire ceux qui ont accoutumé leur raison à une rigidité geométrique, répandent trop de sécheresse sur tout ce qu’ils racontent : en voici, ce me semble, la raison. Pour peu que nous prenions garde à notre maniere de penser, nous sentirons que dans notre ima-[137]gination, les idées qui ont quelque liaison ou quelque raport ensemble, s’excitent l’une l’autre, tellement qu’à l’impression qu’un tel mot fera sur notre cerveau, une telle idée naîtra presque toujours. Par exemple, on me parle d’Arcas, compagnon de débauche de Lysidor ; dès que le mot d’Arcas frape mes oreilles & passe de-là à mon cerveau, je ne sçaurois m’empêcher de penser à Lysidor ; & parle-t-on de Lysidor, je songe aussi-tôt à Arcas. Or en faisant quelque récit, un homme d’un esprit exactement solide, ne choisira de ces idées excitées, que celles qui sont absolument nécessaires pour son récit ; en empêchant son imagination de s’égayer un peu, ses contes ne sçauroient avoir cet air aisé & libre, qu’une raison severe, sans le secours de l’imagination, ne leur sçauroit jamais donner. Au contraire un homme sans aucune solidité laisse agir son imagination seule, une idée en fait naître une autre, il n’en rejette aucune, & c’est un grand hazard si par un cercle d’idées, il en revient au sujet de son conte. Veut-il nous parler d’une avanture qui s’est passée sur la fin d’un repas ? Cette idée de repas lui rappelle celle de tous les Conviez, il nous en dira le nom, nous contera leurs principales Avantures, & sans interrompre le cercle de ses idées il en viendra aux mets, de-là au Cuisinier ; heureux s’il songe au dessert, le seul [138] chemin qui peut le ramener à son Histoire.

C’est de cette maniere que bien des gens nous promettent un seul conte, & nous en donnent cinquante ; & qu’après trois heures de babil ils viennent au fait, parceque leur mémoire épuisée ne fournit plus matiere aux écarts de leur esprit.

La maxime de Mr. de la Bruyere est donc pleine de sens ; & il est sûr qu’il y a de la petitesse d’esprit à conter toujours. Il est remarquable encore que tel qui fait bien un conte de vive voix & sur le champ, ne fait rien qui vaille quand il le médite, & quand il le met par écrit ; & que tel autre narre très-mal sur le champ, qui charme quand il a le loisir d’écrire. Je ne connois point d’Auteur de notre tems qui compose mieux une petite Histoire que Me. du Noyer, & Mr. du Fresny. La Dame l’emporte sur le Monsieur par le naturel ; elle ne cherche point les expressions, elles s’offrent d’elles-mêmes & se rangent dans leur lieux ; tout autre mot n’y viendroit pas si bien. Pour lui, il choisit ses termes & les choisit judicieusement ; son stile est plus vif, & plus ferré que celui de la Dame, & il donne du relief à sa matiere par des petites réfléxions concises & fines, que le Sujet même lui fournit, & qu’il ne fourniroit pas à tout autre. A propos de cet Autheur, dans son Mercure du mois de Novembre 1 page 341. [139] il a proposé des Bouts-rimez à remplir. Voici ce qu’on a envoyé au Libraire là-dessus.

Zitat/Motto► « Arcas qui si souvent moissonna des… Lauriers,

Qui remplit les devoirs des plus braves… Guerriers,
De retour au Village anima sa… Musette,
Et passe doucement le tems avec… Lisette.
Jamais il n’envia la gloire des… Cesars,
C’est toujours malgré lui qu’il suit les… Etendarts,
Pour l’épée à regret il quite la… Houlette,
Et laisse avec chagrin sa Bergere… Folette,
Qui croiroit en voyant son… Intrépidité,
Qu’il préféra toujours à l’… Immortalité
De pouvoir en repos écouter les… Ramages,
Dont chez lui les oiseaux animent les… Bocages. » ◀Zitat/Motto ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

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