Annua, quæ disterre nefas, celebrare
faventes
Nobiscum, & jam nuc sociorum assuescite mensis.
Virg. Æneid. VIII. 172.
Puis donc que vous êtes venus ici comme nos
Amis, célebrez avec nous cette Fête annuelle, qu’on ne doit jamais
négliger, & contentez-vous de la chere que vous font vos
Associez.
Entre plusieurs observations qui contribuérent à m’épanouïr la rate,
j’en fis quelques-unes sur les Païsans, qui, de tous les environs,
s’étoient rendus en foule à notre Village, pour y célèbrer une Fête
qu’on y chomme toutes les années. A la vûe de leur air vigoureux, de
la joie & de l’alégresse qu’ils faisoient paroître, j’admirai
les heureux effets de leur Ignorance, & de la simplicité de leur
Education, qui rendent tous leurs amusemens agréables &
banissent de leur cœur tout principe d’Ambition ou d’Envie ; au lieu
que ceux qui possedent les biens & les honneurs de ce Monde, qui
sont élevez dans la pompe & dans l’éclat, & qui ont tous les
avantages d’une belle Education, ne sauroient goûter ces innocens
plaisirs. En un mot, leur mine riante proclamoit à haute voix leur
bonheur, & me fit souvent écrier : O trois & quatre fois heureux sont les
Mortels, qui ont la Vertu pour Guide, qui ne sont enviez de
personne & qui méritent d’être admirez de tous les
Philosophes !
ne se laisser point abatre par les
revers de la Fortune, puisque la prosperité & l’Adversité se
suivent de près, & que l’une aide à soutenir
l’autre.
Je n’eus pas plutôt satisfait ma curiosité à cet égard, que retiré
dans mon Cabinet j’examinai le but de ces Fêtes si communes en
divers endroits de l’Angleterre, pour quelles
raisons & par qui elles avoient été instituées. Quelques-uns,
sans pousser leur recherche plus loin, croient, à ce qu’il me parut,
qu’elles sont un abrégé de ces Fêtes que nos Ancêtres observoient
tous les Dimanches à l’issue de l’Eglise, lorsqu’après le dernier
Sermon, ils se divertissoient à chanter & à danser, au bruit de
quelque Instrument de Musique ; mais que sensibles, à cause de leur
fréquent retour, au préjudice qu’en souffroit la Religion, aux excès
& aux débauches qui s’y commettoient, ils les avoient réduites à
une seule Fête annuelle.
D’autres soutiennent, avec beaucoup un Peuple de cou roide, fort adonnez aux
plaisirs & à la joie, plus attachez à nos anciennes Coûtumes
& au Libertinage qu’à nos Loix civiles, pour s’accommoder à
notre humeur, soufrirent la continuation des Fêtes, à cela près
qu’au lieu qu’elles étoient d’abord consacrées aux Dieux du
Paganisme, elles le sont aujourd’hui aux Saints & aux Martyrs.
C’est-à-dire qu’elles font de véritables Monumens de notre humeur
dépravée & opiniâtre, & qu’elles peuvent servir à nous
convaincre, quelque haute idée que nous aïons de nous, que ce que
les Historiens ont écrit de notre ancienne barbarie n’est pas
faux.
Il n’y a que trop de mes Compatriotes qui n’ont pas la curiosité
qu’ils devroient avoir d’aprofondir la source de pareils Usages,
& qui les croient indignes de leur recherche ; mais si c’est un
défaut d’ignorer certaines choses, quoi qu’obscures &
embrouillées, ils m’avoueront, que c’en est un bien plus grand
d’ignorer celles qui sont aisées & qui sautent aux yeux de tout
le monde. D’ailleurs seroit-ce une réponse au Dieu inconnu.
Spectateur.
Je vous prie, Monsieur, regardez un peu
cette jeune Fille au teint vif avec son Galant ; voïez la belle
mode ; l’Homme marche sur le pavé sec contre la muraille,
pendant que la pauvre Demoiselle se crote dans la bouë pour se tenir à son côté.
Il faloit ensuite que j’observasse toutes les Dames & la
situation de leurs Eventails qui couvroient le côté gauche de leurs
Visages, pour les garantir du Soleil, qui leur donnoit à plomb sur
le côté droit. Une autre me tiroit par la manche, afin que je prisse
garde à une Coifure, qui penchoit trop d’un côté, ou qui paroissoit
trop reculée. Aussitôt après, on venoit à critiquer les queuës des
Habits, & j’étois obligé d’en dire mon sentiment. De sorte, mon
cher Monsieur, que je fus tourmenté comme un miserable tout le reste
de la journée, afin que vous puissiez mieux juger de la nature de
mon suplice, il est bon de vous avertir, en peu de mots, que je suis
presque septuagenaire, d’une humeur fort reservée & pensive,
& que je ne manque pas de severité pour être un digne Spectateur, si mes autres talens
repondoient à ceux-là. Je suis, &c.
Sur une Fête à la
Campagne.