Sur la puissance de Dieu
& ce qui doit faire le Bonheur des Hommes dans une autre Vie.
L’Essai, que je vais donner ici
vient de l’ingenieux Auteur qui m’a écrit la Lettre, qu’on a déja
vûe, sur la force, de la Nouveauté. Ses idées
sont prises de la maniere de penser des Platoniciens, mais propres à nous élever l’Esprit, & à
nous inspirer de nobles sentimens de notre grandeur future ; c’est
pour cela, que j’ai cru qu’elles méritoient d’être communiquées au
Public.
« Si l’Univers est l’ouvrage
d’un Etre intelligent, cet Etre ne sauroit avoir eu un
égard immédiat à lui-même dans cette production. Il n’avoit pas
besoin de faire une épreuve de sa toute-puissance, pour savoir de
quoi il étoit capable. Le monde renfermé dans ses idées éternelles,
étoit aussi beau qu’il l’est, depuis qu’il existe hors de lui ;
&, dans le vaste abyme de son essence, il y a des Scènes
infiniment plus brillantes qu’il n’en paroîtra jamais à la vûë ;
puisqu’il est impossible que l’Auteur de la Nature borne son pouvoir
à produire un Système de Créatures si parfait, qu’il ne sauroit
aller plus loin. Entre le Fini & l’Infini il y a un intervalle
qui ne se peut mesurer, & un vuide que tous les siècles ne
sauroient remplir ; c’est pourquoi le plus excellent de tous les
Ouvrages de Dieu est autant au-dessous de l’étenduë de son Pouvoir
que le plus imparfait, & peut être surpassé par une autre de ses
productions avec la même facilité.
Quelques-uns s’imaginent là-dessus une chose qui n’est pas
impossible, je veux dire, que l’Espace infini nourrit toûjours dans
son sein de nouvelles Créatures, en sorte que les dernieres sont
élevées à un plus haut dégré de perfection que les précédentes.
Mais, com-me ceci ne regarde pas tout-à-fait mon but,
je remarquerai seulement qu’il prouve d’une maniere invincible, que
les Mondes tracez dans les Idées Divines forment un spectacle
beaucoup plus étendu, plus varié & plus agréable, que ne le peut
être aucun Monde qui subsiste déja. D’ailleurs, puisqu’il n’y a
nulle apparence, que Dieu voulût créer un monde composé de simple
Matiere inanimé, quelque varieté qu’il y mit ; ou pour servir
d’Habitation à des Créatures du même rang que les Bêtes brutes ; il
faut avouër qu’il a destiné ses Créatures raisonnables, eu égard sur
tout aux Faculteuz dont il les a douées, à contempler ses Ouvrages,
à le posseder lui-même, & à les rendre heureuses par-là. II ne
sauroit trouver plus de plaisir dans la revûe de la Création, que
dans celle de ses propres Idées ; mais nous pouvons compter qu’il se
plaît à voir la satisfaction qu’en reçoivent des Etres qui en sont
capables, & pour l’amour desquels il a construit cette vaste
Fabrique de l’Univers.
Ne peut-on pas tirer de-là quelque chose de plus qu’une simple
conjecture pour notre Immortalité? L’homme, en qualité d’un Etre mis
ici-bas à l’é-preuve, & destiné à joüir d’un
Bonheur éternel dans une autre Vie, est un Exemple fort remarquable
de la Sagesse Divine ; mais, à le regarder sans aucun rapport à cet
heureux avenir, c’est le composé le plus énigmatique & le plus
étrange qu’il y ait dans toute la Création. Il a des Facultez qui
peuvent embrasser une plus grande étendue de Connoissances, qu’il
n’en possedera jamais, & une Curiosité insatiable pour fonder
les secrets de la Nature & de la Providence. Avec tout cela, ses
Organes sont plutôt ajustez à servir aux besoins de son Corps,
qu’aux operations de son Entendement ; &, du petit coin de ce
Globe, où il est enchaîné, il ne peut former que des conjectures
vagues sur ces Mondes innombrables de lumiere qui l’environnent,
& qui ne lui paroissent, quoi que d’une grandeur prodigieuse en
eux-mêmes, que comme autant de lumignons. Enfin, lors qu’après de
longs & pénibles travaux, il a fait quelque peu de chemin sur la
Montagne escarpée de la Vérité, & qu’il regarde avec compassion
la Multitude qui rampe au bas, le pié vient à lui manquer tout d’un
coup, & il est renversé dans le tombeau.
Plein de ces idées, je suis obligé de croire, pour
rendre justice au Créateur de l’Univers, qu’il doit y avoir une
autre Vie, où l’Homme sera mieux situé pour la Contemplation, ou
plutôt aura le pouvoir de se transporter d’Objet en Objet, ou d’un
Monde à l’autre, où il jouïra de nouveaux Sens, & de tous les
moïens requis pour faire les plus promtes & les plus étonnantes
découvertes. Quel ne sera pas l’essor d’un Génie tel que celui du
Chevalier Newton, qui est si élevé au-dessus des
ténèbres qui enveloppent l’Esprit Humain, qu’on le croiroit d’une
autre Espèce ! La vaste Machine de cet Univers n’a rien de caché
pour lui ; il semble connoitre toutes les loix générales de ses
mouvemens, & pendant qu’avec les transports d’un Philosophe, il
admire les merveilles de la Création, il peut tout à-la fois rendre
un hommage plus saint & plus raisonnable à son Créateur. Mais
hélas ! les vûes d’un heureux Génie sont au bout du compte si
bornées ! qu’elles le trouvent au-dessous de celles d’un Ange, ou
d’une Ame qui vient d’être délivrée du poids de son Corps !
Pour moi, je suis bien aise que mon Ame s’atende à jouïr de sa future
grandeur ; je me plais à penser que moi, qui ne
connois qu’une très-petite partie des Ouvrages de la Création, &
qui me traine, à pas lents & pénibles, d’un côté & d’autre,
sur la surface de ce Globe, je m’élancerai bientôt dans les airs
avec la legereté de l’Imagination, je découvrirai tous les ressorts
cachez de la Nature, j’irai d’un pas égal avec les Corps célestes
dans la rapidité de leur cours, j’observerai la longue chaîne des
Evenemens dans le Monde naturel & dans le moral, je visiterai
tous les Apartemens de l’Univers, pour savoir ce qui s’y passe &
quels en sont les Habitans ; je concevrai l’ordre & je mesurerai
les grandeurs & les distances de ces Globes, qui nous paroissent
disposez sans aucun dessein regulier & tous placez dans le même
Cercle, je remarquerai la dépendance qu’il y a entre les Parties de
chaques Systêmes (sic), & entre les diferens Systêmes les uns à
l’égard des autres, d’où résulte l’harmonie de l’Univers, si tant
est que nos Esprits soient assez vastes pour en pouvoir embrasser la
théorie. Il y a bien des progrès de cette nature que l’on peut faire
dans l’Eternité. Quoiqu’il en soit, je trouve qu’il m’est utile de
cherir cette généreuse ambition, puisqu’outre la joie qu’elle répand
dans mon Ame, elle m’engage à ne rien oublier pour
donner de l’etendue à mes Facultez, & à les exercer d’une
maniere conforme au rang que j’occupe ici-bas parmi les Etres
raisonnables & à l’esperance que j’ai d’être élevé un jour à un
grade plus éminent.
L’autre fin & la derniere, pour laquelle l’Homme a été créé, est
la jouïssance de Dieu ; ce qui fait le comble de son Bonheur, audelà
duquel il ne peut rien desirer. Les idées que nous avons de l’Etre
suprême sont peu distinctes ; il semble qu’il n’a pas voulu se
découvrir, ni se cacher tout-à-fait, pour tenir ses Créatures en
suspens, & les engager à reflechir. Cela même donne occasion au
Libertin de nier son existence, pendant que la plûpart des autres se
bornent à le confesser de bouche, qu’ils le nient dans le fond du
cœur, qu’ils lui préferent les moindres plaisirs & les plus
grandes bagatelles du Monde, & qu’ils tournent en ridicule
l’Homme de bien, qui en a fait son choix. Mais, ne viendra-t-il pas
un jour, auquel les prétendus Esprits forts, qui se piquent tant de
raisonner juste, verront leurs Systêmes impies renversez, &
embrasseront les Veritez qu’ils combatent aujourd’hui ? Ne
viendra--t-il pas un tems, auquel les Hommes
seduits par le Vice reconnoitront la folie de leurs vaines
recherches, & que le petit nombre de Sages, après avoir suivi
leur Divin Guide, méprisé les plaisirs sensuels avec toutes les
caresses trompeuses du Monde, & aspiré à leur Demeure céleste,
jouiront enfin de la vision de Dieu ? Ici-bas l’Esprit s’élève de
tems en tems vers son Créateur, & il en reçoit quelques foibles
traits de sa présence ; mais lors qu’il croit de la mieux posseder,
elle lui échape, & il retombe dans son premier état. Il y a sans
doute une meilleure voie pour converser avec les Etres célestes.
Est-ce que les Esprits ne peuvent avoir entre eux une correspondance
mutuelle, s’ils ne sont unis à un Corps, ou que par son
intervention ? Faut-il que des Etres superieurs dépendent des
inferieurs pour jouïr de leur privilége essentiel, en qualité de
Créatures sociables, c’est-à-dire pour s’entretenir ensemble, &
se connoître les uns les autres ? Qu’auroient-ils fait, si la
Matiere n’eut jamais été créée ? Sans doute ils n’auroient pas vécu
dans une éternelle solitude. Puisque les substances spirituelles
sont d’un rang plus nobles que les corporelles, il est certain que
leur communication doit être aussi plus promte
& plus intime. Nous l’appellons d’ailleurs Vision
intellectuelle, parce qu’elle a quelque analogie avec le sens de la
Vûe, qui nous sert à connoitre ce Monde visible. C’est de quelque
maniere aprochante, dont Dieu peut se rendre l’Objet de la Vision
immédiate des Bienheureux ; & comme il le peut, il n’est pas
hors d’apparence qu’il le veut aussi, & qu’il aura toûjours
égard à la foiblesse de nos Esprits bornez. Ses Ouvrages n’ont
qu’une legere empreinte de ses perfections ; la connoissance qu’ils
nous en donnent, n’est, pour ainsi dire, que de la seconde main :
Pour en avoir une juste idée, il faut que nous le voïons tel qu’il
est. Mais en quoi consiste cette vûe ? C’est quelque chose qui n’est
jamais montée dans l’Esprit de l’Homme ; quoi qu’il nous soit aisé
de concevoir que ce sera une source éternelle de transports
inexprimables. Toute la gloire des Créatures s’évanouïra en sa
présence. Peut-être que j’aurai le bonheur de comparer le Monde
visible avec son divin Modèle, ou d’observer le Plan original de ces
vastes & nobles Desseins qui se sont executez durant une longue
suite de siécles. Emploié donc ainsi à rechercher les Ou-vrages de mon Créateur, & à l’admirer lui-même, au milieu de
l’immense étenduë de la Matiere, où mon Corps se trouvera englouti,
& de l’infinie grandeur des Perfections Divines, dont mon Esprit
sera absorbé, avec quel respect & quels actes d’adoration ne
serai-je pas abatu aux piez de sa Majesté souveraine ! »