LIX. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Katharina Jechsmayr Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 04.11.2014 o:mws.2927 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome VI. Paris: François-Guillaume l’Hermitte 1726, 363-367, Le Spectateur ou le Socrate moderne 6 059 1726 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Theater Literatur Kunst Teatro Letteratura Arte Theatre Literature Arts Teatro Literatura Arte Théâtre Littérature Art Greece 22.0,39.0 France 2.0,46.0

LIX. Discours

Explebo numerum, reddarque tenebris.

Virg. Æneid. VI. 545.

J’acheverai le nombre projetté, & je retournerai ensuite dans les ténébres.

Sur la Symétrie mal entendue dans les Ouvrages d’esprit.

L’Amour de l’ordre & de la symétrie, qui est naturel à l’Esprit de l’Homme, l’entraîne quelquefois dans des fantaisies fort grotesques. Ce noble Principe, dit un Auteur François, aime à s’amuser aux plus grandes bagatelles. Vous pouvez voir ajoute-t-il, un profond Philosophe se promener une heure de suite dans sa Chambre, &, à chaque pas qu’il fait, s’appuïer à dessein tantôt sur une planche, tantôt sur une autre. Il n’est aucun de mes Lecteurs, qui ne se puisse rappeler, sans mon secours, divers Exemples de cette nature. Il me semble que Mr Gregoire Leti s’étoit préscrit la Loi de publier au-tant de volumes qu’il avoit des années, & qu’il l’observa ponctuellement jusqu’à l’année de sa mort. Peut-être fut-ce une pareille vûe, qui determina Homere à diviser son Poëme en autant de Livres qu’il y a des Lettres dans l’Alphabet Grec. C’est ainsi qu’Herodote a reglé le nombre de ses Livres sur celui des Muses ; ce qui a fait souhaiter à bien des Savans qu’il y eût eu plus de neuf de ces illustres Sœurs.

Divers Poëtes Epiques ont suivi scrupuleusement Virgile à l’égard du nombre de ses Livres, & l’on croit même que Milton n’a changé le nombre de ses dix Livres en douze que pour cette raison-là Cowley nous dit de bonne foi que, s’il eût achevé sa Davideïde, il auroit imité cet Exemple. Cependant j’ose croire que tout le monde tombera d’accord avec moi, qu’une perfection de cette nature n’est point fondée en Raison ; & qu’avec le respect dû à ces grand Noms, on peut la regarder comme quelque chose de bizare.

J’allégue tous ces grand Exemples pour justifier mon Libraire qui a exigé de moi ce huitiéme Volume, parce qu’à son goût le nombre de sept est fort singulier. D’un autre côté, il y eut de puissantes raisons avancées pour soutenir l’honneur de ce dernier Nombre : Par exemple on lui dit que c’étoit celui des Sages de la Gréce, & que la plus belle des Constellations célestes est composée de sept Etoiles. Il ne les desavouoit pas ; mais il revenoit toujours à la charge que ce Nombre lui déplaisoit. Il insinua d’ailleurs que, s’il avoit quelques Pièces pour entammer le Volume, il trouveroit assez d’Amis prêts à le continuer. De sorte qu’après avoir obtenu sa demande, & mis, pour ainsi dire, son Vaisseau à flot, il en a donné, de temps en temps, la conduite à ceux qu’il a cru capables de le bien gouverner.

Peut-être qu’à la fin de ce Volume, à laquelle on doit s’attendre au premier jour, C’est pourtant ce que l’on n’y trouve pas.on mettra les Noms des Auteurs de chaque Pièce.

Il ne seroit pas difficile de continuer plus long temps cet Ouvrage à la faveur des grandes contributions qui viennent de differentes mains inconnues.

Pour donner à la Ville une haute opinion de mes Correspondans, je ne sâche pas qu’il y ait de meilleur moïen que celui de publier la Lettre suivante, avec la Piéce en Vers qui l’accompagne, dont le sujet me paroit tout neuf, & l’expression fort énergique.

Lettres sur les Dames d’un Esprit poëtique, & qui devroient s’occuper à faire des Grotes.

Mr. le Spectateur

De Dublin le 30. Novembre V. S. 1714.

« Il n’y a guère plus d’un Mois C’est dans le XXXVII. Disc.que vous avez recommandé aux Dames qui lisent vos Discours la bonne & ancienne Coûtume de leurs Grand-Meres, qui emploïent une bonne partie de leur tems aux Ouvrages à l’Aiguille : Je suis absolument de votre avis, & je crois qu’il ne leur seroit pas moins avantageux, qu’à leur Posterité & à la reputation de plusieurs de leurs honêtes Voisins, si elles donnoient à cet innocent Exercice la plûpart de ces heures qu’elles perdent autour d’une Table à Thé. Avec tout cela je souhaiterois que vous prissiez la peine de considerer le Cas des Dames qui ont l’Esprit tourné à la Poësie, & qui, malgré leur disposition à recevoir tous vos avis, ne sauroient quiter la Plume & le papier aussi facilement que vous pourriez le croire. Permettez, s’il vous plait, qu’après s’être fatiguées à leur Tapisserie, elles s’amusent, du moins de tems en tems, à quelque autre Exercice capable d’occuper leur Imagination. Il y a un Ouvrage fort singulier de cette nature, auquel plusieurs de nos Dames dans ce Roïaume viennent de s’attacher avec beaucoup d’ardeur, & qui semble quadrer le mieux du monde au Génie Poëtique ; je veux parler de l’Art de faire des Grotes. Je connois une Dame qui en a élevé une très-superbe, & où il n’y a pas une seule petite Coquille, que sa main n’y ait placé. Je vous envoie une Pièce en Vers adressée à la belle Architecte, mais que je ne voudrois pas lui ofrir, à moins que je ne sâche si le Spectateur Anglois approuvera cet Amusement pour les Dames. Je les soumets l’un & l’autre à votre censure & je suis &c. A. B.

A Mlle. Brunette sur la Grote de sa façon.

Qui ne voit votre main, Brunette, en cet Ouvrage,Et qu’elle autre que vos s’en fût tracé l’Image ?Chaque petit Caillou, chaque Coquille ici,Montre de vos dix doigts l’adresse en raccourci :L’ordre & la proportion qu’eu tout vous leur prêtez,Relevent à l’envi leurs premieres beautez :La forme, le poli, la couleur, l’agrément,Sont dûs à la Nature, à vous l’arrangement.Le célèbre Amphion, dont tout le monde admireLes effets surprenans de sa charmante Lyre,N’auroit, avec ses sons les plus harmonieux,Jamais pû les ranger, ni les disposer mieux.La Nuée du soir n’est pas plus ondoïante,Et l’Arc-en-Ciel n’a point de couleur plus riante. Quelle part, la Nature a produit un Morceau,Si noble & regulier que ce riche Monceau ?Elle offre des couleurs qui plaisent à la vûe,Mais il semble qu’elle est du reste dépourvûe.S’il est vrai que ses traits échapent à nos yeux,Et que, pour les bien voir, il faut venir des Cieux.Quoiqu’il en soit, charmé d’un si rare spectacle,Mon cœur est plein de feu, je me crois un Oracle ;Ma Mine m’étourdit, & veut ajouter foiAux Fables des Anciens, aux Nymphes, malgré moi :Croire ce qu’on en chante, & que votre GenieLeur a bati ce Temple avec tant d’industrie :Perdue en ses transports, elle veut décourvrir,Comment, par quels degrez, vous l’avez pû finir ;Elle veut dans ses Vers en tracer l’assemblage,Et de chaque beauté peindre la vive image ;Suivre par tout les traits de votre habile main,Et par tout admirer son art presque divin.Oh ! que n’ai-je un talent égal à mon envie !Ou que n’ai-je plutôt votre rare Genie !Que ne puis-je ranger, tout aussi bien que vous,Un Coquillage brut, & d’informes Caillous !Mes termes bien choisis, & postez à leur place,Auroient, de même qu’eux, du brillant, de la grace ;Mes Nombres animez d’un feu si pur, si beau,Charmeroient les Esprits, comme votre Berceau.J’éléverois alors ma voix foible & tremblante ;Ma Rime ne seroit ni fausse, ni rempante,Et l’Echo de la Grote approuveroit mes Vers,Faits pour vous célébrer dans tout cet Univers.

LIX. Discours Explebo numerum, reddarque tenebris. Virg. Æneid. VI. 545. J’acheverai le nombre projetté, & je retournerai ensuite dans les ténébres. Sur la Symétrie mal entendue dans les Ouvrages d’esprit. L’Amour de l’ordre & de la symétrie, qui est naturel à l’Esprit de l’Homme, l’entraîne quelquefois dans des fantaisies fort grotesques. Ce noble Principe, dit un Auteur François, aime à s’amuser aux plus grandes bagatelles. Vous pouvez voir ajoute-t-il, un profond Philosophe se promener une heure de suite dans sa Chambre, &, à chaque pas qu’il fait, s’appuïer à dessein tantôt sur une planche, tantôt sur une autre. Il n’est aucun de mes Lecteurs, qui ne se puisse rappeler, sans mon secours, divers Exemples de cette nature. Il me semble que Mr Gregoire Leti s’étoit préscrit la Loi de publier au-tant de volumes qu’il avoit des années, & qu’il l’observa ponctuellement jusqu’à l’année de sa mort. Peut-être fut-ce une pareille vûe, qui determina Homere à diviser son Poëme en autant de Livres qu’il y a des Lettres dans l’Alphabet Grec. C’est ainsi qu’Herodote a reglé le nombre de ses Livres sur celui des Muses ; ce qui a fait souhaiter à bien des Savans qu’il y eût eu plus de neuf de ces illustres Sœurs. Divers Poëtes Epiques ont suivi scrupuleusement Virgile à l’égard du nombre de ses Livres, & l’on croit même que Milton n’a changé le nombre de ses dix Livres en douze que pour cette raison-là Cowley nous dit de bonne foi que, s’il eût achevé sa Davideïde, il auroit imité cet Exemple. Cependant j’ose croire que tout le monde tombera d’accord avec moi, qu’une perfection de cette nature n’est point fondée en Raison ; & qu’avec le respect dû à ces grand Noms, on peut la regarder comme quelque chose de bizare. J’allégue tous ces grand Exemples pour justifier mon Libraire qui a exigé de moi ce huitiéme Volume, parce qu’à son goût le nombre de sept est fort singulier. D’un autre côté, il y eut de puissantes raisons avancées pour soutenir l’honneur de ce dernier Nombre : Par exemple on lui dit que c’étoit celui des Sages de la Gréce, & que la plus belle des Constellations célestes est composée de sept Etoiles. Il ne les desavouoit pas ; mais il revenoit toujours à la charge que ce Nombre lui déplaisoit. Il insinua d’ailleurs que, s’il avoit quelques Pièces pour entammer le Volume, il trouveroit assez d’Amis prêts à le continuer. De sorte qu’après avoir obtenu sa demande, & mis, pour ainsi dire, son Vaisseau à flot, il en a donné, de temps en temps, la conduite à ceux qu’il a cru capables de le bien gouverner. Peut-être qu’à la fin de ce Volume, à laquelle on doit s’attendre au premier jour, C’est pourtant ce que l’on n’y trouve pas.on mettra les Noms des Auteurs de chaque Pièce. Il ne seroit pas difficile de continuer plus long temps cet Ouvrage à la faveur des grandes contributions qui viennent de differentes mains inconnues. Pour donner à la Ville une haute opinion de mes Correspondans, je ne sâche pas qu’il y ait de meilleur moïen que celui de publier la Lettre suivante, avec la Piéce en Vers qui l’accompagne, dont le sujet me paroit tout neuf, & l’expression fort énergique. Lettres sur les Dames d’un Esprit poëtique, & qui devroient s’occuper à faire des Grotes. Mr. le Spectateur De Dublin le 30. Novembre V. S. 1714. « Il n’y a guère plus d’un Mois C’est dans le XXXVII. Disc.que vous avez recommandé aux Dames qui lisent vos Discours la bonne & ancienne Coûtume de leurs Grand-Meres, qui emploïent une bonne partie de leur tems aux Ouvrages à l’Aiguille : Je suis absolument de votre avis, & je crois qu’il ne leur seroit pas moins avantageux, qu’à leur Posterité & à la reputation de plusieurs de leurs honêtes Voisins, si elles donnoient à cet innocent Exercice la plûpart de ces heures qu’elles perdent autour d’une Table à Thé. Avec tout cela je souhaiterois que vous prissiez la peine de considerer le Cas des Dames qui ont l’Esprit tourné à la Poësie, & qui, malgré leur disposition à recevoir tous vos avis, ne sauroient quiter la Plume & le papier aussi facilement que vous pourriez le croire. Permettez, s’il vous plait, qu’après s’être fatiguées à leur Tapisserie, elles s’amusent, du moins de tems en tems, à quelque autre Exercice capable d’occuper leur Imagination. Il y a un Ouvrage fort singulier de cette nature, auquel plusieurs de nos Dames dans ce Roïaume viennent de s’attacher avec beaucoup d’ardeur, & qui semble quadrer le mieux du monde au Génie Poëtique ; je veux parler de l’Art de faire des Grotes. Je connois une Dame qui en a élevé une très-superbe, & où il n’y a pas une seule petite Coquille, que sa main n’y ait placé. Je vous envoie une Pièce en Vers adressée à la belle Architecte, mais que je ne voudrois pas lui ofrir, à moins que je ne sâche si le Spectateur Anglois approuvera cet Amusement pour les Dames. Je les soumets l’un & l’autre à votre censure & je suis &c. A. B. A Mlle. Brunette sur la Grote de sa façon. Qui ne voit votre main, Brunette, en cet Ouvrage,Et qu’elle autre que vos s’en fût tracé l’Image ?Chaque petit Caillou, chaque Coquille ici,Montre de vos dix doigts l’adresse en raccourci :L’ordre & la proportion qu’eu tout vous leur prêtez,Relevent à l’envi leurs premieres beautez :La forme, le poli, la couleur, l’agrément,Sont dûs à la Nature, à vous l’arrangement.Le célèbre Amphion, dont tout le monde admireLes effets surprenans de sa charmante Lyre,N’auroit, avec ses sons les plus harmonieux,Jamais pû les ranger, ni les disposer mieux.La Nuée du soir n’est pas plus ondoïante,Et l’Arc-en-Ciel n’a point de couleur plus riante.Quelle part, la Nature a produit un Morceau,Si noble & regulier que ce riche Monceau ?Elle offre des couleurs qui plaisent à la vûe,Mais il semble qu’elle est du reste dépourvûe.S’il est vrai que ses traits échapent à nos yeux,Et que, pour les bien voir, il faut venir des Cieux.Quoiqu’il en soit, charmé d’un si rare spectacle,Mon cœur est plein de feu, je me crois un Oracle ;Ma Mine m’étourdit, & veut ajouter foiAux Fables des Anciens, aux Nymphes, malgré moi :Croire ce qu’on en chante, & que votre GenieLeur a bati ce Temple avec tant d’industrie :Perdue en ses transports, elle veut décourvrir,Comment, par quels degrez, vous l’avez pû finir ;Elle veut dans ses Vers en tracer l’assemblage,Et de chaque beauté peindre la vive image ;Suivre par tout les traits de votre habile main,Et par tout admirer son art presque divin.Oh ! que n’ai-je un talent égal à mon envie !Ou que n’ai-je plutôt votre rare Genie !Que ne puis-je ranger, tout aussi bien que vous,Un Coquillage brut, & d’informes Caillous !Mes termes bien choisis, & postez à leur place,Auroient, de même qu’eux, du brillant, de la grace ;Mes Nombres animez d’un feu si pur, si beau,Charmeroient les Esprits, comme votre Berceau.J’éléverois alors ma voix foible & tremblante ;Ma Rime ne seroit ni fausse, ni rempante,Et l’Echo de la Grote approuveroit mes Vers,Faits pour vous célébrer dans tout cet Univers.