XXIV. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Susanna Falle Editor Michaela Fischer Editor Michael Hammer Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 15.10.2014 o:mws.2800 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome VI. Paris: François-Guillaume l’Hermitte 1726, 153-161, Le Spectateur ou le Socrate moderne 6 024 1726 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Religion Religione Religion Religión Religion Philosophie Filosofia Philosophy Filosofía Philosophie Religion Religione Religion Religión Religion France 2.0,46.0

XXIV. Ce Discours est de la même main que les précedents sur l’Infini.Discours.

Ipsa quoque assiduo labuntur tempora motuNon secus ac flumen, neque enim consistere flumen,Nec levis hora potest : sed ut unda impellitur unda,Urgeturque eadem veniens, urgetque priorem ;Tempora sic fugiunt pariter, pariterque sequuntur ;Et nova sunt semper. Nam quod fuit ante, relictum est ;Fitque quod haud fuerat : momentaque cuncta novantur.

Ovid. Metam. L .XV. 179.

Le Temps s’écoule sans cesse par un mouvement continuel, ainsi que l’eau d’une Riviere, & l’on ne peut les arrêter : De même qu’une vague en pousse une autre, & qu’elles se suivent toûjours ; ainsi le Tems s’envole avec rapidité ; ce qui en est passé n’est plus, il devient ce qu’il n’étoit pas & il se renouvelle à tous momens.

Sur l’Eternité à l’égard du tems passé.

Nous envisageons l’Espace infini comme une Etendue sans circonference, & l’Eternité, ou la Durée infinie, comme une Ligne qui n’a ni commencement ni fin. Dans nos Speculations sur l’Espace infini, nous regardons le Lieu où nous existons comme un Centre à l’égard de toute l’Etendue qui nous environne. Dans nos Speculations sur l’Eternité, nous regardons le Tems qui nous est présent comme le Milieu qui divise toute la Ligne en deux parties égales. De-là vient que divers Auteurs spirituels comparent le Tems présent à un Isthme, ou à un Coû de terre, qui s’éleve au milieu d’un vaste Océan, qui n’a point de bornes & qui l’envelope des deux côtez.

La Philosophie, ou plutôt le Sens commun, partage l’Eternité en deux, celle qui est passée & celle qui est à venir, qu’on nomme, en termes de l’Ecole, Æternitas à parte ante, & Æternitas à parte post. Mais ces termes scientifiques n’en donnent pas une autre idée que celle que je viens d’exprimer en François. Chacune de ces Eternitez est bornée à un bout, c’est-à dire, pour me servir d’autres mots, que la premiere a une fin, & que l’autre a un commencement.

Nous examinerons ici celle qui est passée, & nous reserverons pour une autre fois celle qui est à venir. La nature de cette premiere Eternité est inconcevable à l’Esprit Humain : La Raison nous démontre qu’elle a été ; mais elle ne sauroit s’en former aucune idée, qui ne soit rempli d’ab-surditez & de contradictions. Il nous est impossible d’avoir aucune autre notion d’une durée qui a passé, si ce n’est qu’elle a été toute presente une fois ; mais tout ce qui a été une fois present est à une certaine distance de nous ; & tout ce qui est à une certaine distance de nous, quelque éloigné qu’il soit, ne peut jamais être l’Eternité. La notion même d’une Durée qui a passé emporte qu’elle a été presente une fois ; puis que l’idée de celle-ci renferme actuellement l’idée de l’autre. C’est donc là une profondeur impenetrable à l’Esprit Humain. Nous sommes assurez qu’il y a eu une Eternité ; mais nous nous contredisons nous-mêmes, d’abord que nous voulons nous en former quelque idée.

Si nous creusons bien cette matiere, nous verrons que toutes nos difficultez là-dessus ne viennent que de cette seule raison ; c’est que nous ne saurions avoir d’autre idée d’aucune sorte de Durée, que celle par laquelle nous existons nous-mêmes, avec tous les autres Etres créez, je veux dire une durée successive, formée du passé, du present & de l’avenir. Il n’y a rien qui existe de cette maniere, dont toutes les parties de leurs existence <sic> n’aient été une fois actuellement presentes, & qui par conséquent ne puisse être mesuré par un certain nombre d’années. Nous pouvons monter aussi haut qu’il nous plait, & nous former une idée de cette Eternité qui est à venir, en ajoutant des millions d’années à d’autres millions, sans que nous puissions jamais arriver à une source de la Durée, ou à quelque commencement de l’Eternité. Mais nous sommes assûrez d’ailleurs que tout ce qui a été une fois present est à la portée des Nombres, quoi qu’il n’y ait peut-être pas moïen d’en joindre assez les uns avec les autres pour venir à bout de ce calcul. On pourroit aussi bien dire qu’une chose peut-être actuellement presente dans quelque endroit de l’Espace infini, sans être à une certaine distance de nous ; qu’avancer qu’une portion de la Durée infinie a été une fois actuellement presente, & qu’elle n’est pas non plus à une distance determinée de nous. La distance dans les deux cas peut être indefinie & incapable de toute mesure à l’égard de nos Facultez ; mais notre Raison nous dit qu’elle ne sauroit l’être en elle-même. C’est donc ici la difficulté que l’entendement Humain n’a pas la force de vaincre. Nous sommes persuadez qu’il y doit avoir quelque chose qui existe de toute Eternité, & cependant il nous est impossible de concevoir, suivant l’idée que nous avons de l’Existence, qu’aucune chose qui existe puisse être de toute Eternité.

Il sera difficile à ceux de mes Lecteurs qui ne sont pas accoûtumez à reflechir sur cette idée, de me suivre dans une Speculation si abstraite ; mais je m’y suis d’autant plus étendu, qu’elle me paroit une Preuve démonstrative de l’existence & de l’Eternité d’un Dieu. Quoi qu’il y ait plusieurs autres Preuves de cette grande Vérité, je ne croi pas que nous en devions negliger aucune de celles que la lumiere de la Raison nous decouvre, sur tout lors qu’il s’en trouve quelqu’une, que des Auteurs célebres pour leur penetration & la force du Raisonnement ont faite valoir, & qui paroit convaincante à ceux qui se donnent la peine de l’examiner.

Après avoir consideré l’Eternité passée suivant la meillleure idée, que nous puissions nous en former, je produirai ici les divers Articles que la lumiere de la Raison nous dicte là-dessus, & qu’on peut regarder comme le Symbole d’un Philosophe sur ce grand point.

i. Il est certain qu’aucun Etre n’a pû se faire lui-même ; puis qu’il faudroit alors, qu’il eût agi avant qu’il existât, ce qui implique contradiction.

ii. Il s’en suit de-là qu’il doit y avoir eu quelque Etre de toute Eternité.

iii. Tout ce qui existe à la maniere des Etres créez, ou suivant les notions que nous avons de l’Existence, ne sauroit avoir été de toute Eternité.

iv. Il faut donc que cet Etre éternel soit le grand Auteur de la Nature, l’Ancien des jours, qui se trouvant à une distance infinie de tous les Etres créez à l’egard de ses perfections, existe d’une toute autre maniere qu’eux, & dont ils ne sauroient avoir aucune idée.

Je sai que plusieurs Scholastiques, qui voudroient paroître ne rien ignorer, pretendent expliquer la maniere dont Dieu existe, lors qu’ils nous disent qu’il renferme une Durée infinie à chaque moment ; que l’Eternité est en lui un Point fixe, Punctum stans ; ou, ce qui est aussi raisonnable, un instant infini ; qu’à l’égard de son existence, il n’y a rien qui soit passé ou à venir. C’est à quoi l’ingenieux Mr. Cowley fait allusion dans sa description du Ciel, lors qu’il y dit,

Rien ne se trouve là passé, rien à venir,Un present éternel s’y fait toûjours sentir.

Pour moi, je regarde ces Propositions comme des mots auxquels on n’attache aucune idée ; & il me semble qu’il vaudroit mieux avouër son ignorance, que d’inventer des Dogmes qui ne signifient rien, ou plutôt qui se contredisent. Nous ne saurions avoir trop de retenue dans nos recherches, lors que nous meditons sur celui qui est environné de tant de gloire & de perfection, qui est la source & l’origine de tous les Etres. Reconnoissons donc avec la plus profonde humilité, que, comme il faut necessairement qu’il y ait eu quelque Etre de toute Eternité, il faut aussi que cet Etre existe d’une maniere qui nous est incompréhensible, puis qu’aucun Etre ne sauroit avoir existé de toute éternité suivant l’idée que nous avons de l’Existence. La Revelation confirme ce que la Raison nous dicte là-dessus, lors qu’elle temoigne que Dieu est le même qu’il étoit hier, qu’il est aujourd’hui & qu’il sera éternellement ; qu’il est l’Alpha & l’Omega, le commencement & la fin ; que mille ans sont devant lui comme un jour, & un jour comme mille ans. Toutes ces expressions & autres semblables nous enseignent que son Existence, à l’égard du Tems ou de la Durée, est très differente de celle de ses Créatures, & par consequent qu’il est impossible de nous en former aucune idée qui approche de ce qu’il est.

Dans la permiere revelation qu’il fit de son Etre, il se nomma lui-même, Je suis celui qui suis ; & lors que Moise voulut savoir le nom qu’il lui donneroit dans son Message auprès de Pharaon, il lui ordonna de dire que Je suis l’avoit envoié. De sorte que le Créateur de l’Univers semble exclure par-là toute autre chose d’une existence réelle, & qu’il se distingue de ses Créatures, comme le seul Etre qui existe réellement & de fait. L’ancienne idée des Platoniciens, qui la tiroient de leur speculations sur l’Eternité, s’accorde très-bien avec cette Revelation divine. Il n’y a rien, disoient-ils dont l’existence est formée du passé, du present & de l’avenir, qui existe réellement. Une pareille Existence successive & qui s’évanouït est plutôt une ombre d’Existence, ou quelque chose qui en approche, que l’Existence elle-même. Celui-là seul existe proprement dont l’Existence est toûjours presente ; c’est-à-dire, en d’autres termes, qui existe de la maniere la plus parfaite, & de laquelle nous n’avons aucune idée.

Je finirai ce Discours par une reflexion très-utile. Pouvons-nous jamais nous humilier assez profondement devant notre Créateur, dont la Bonté & la Sagesse inéfables ont trouvé le moïen de donner l’existence à des Natures bornées, & à des Etres, en qui l’existence n’est pas nécessaire ? Pouvons-nous jamais lui en temoigner assez de gratitude, sur tout lors que nous considerons qu’il jouissoit lui-même d’un bonheur parfait de toute éternité ? Où est l’Homme qui puisse reflechir sur ce qu’il est sorti du Néant, qu’il a été fait une Créature raisonnable & heureuse, en un mot, sur ce qu’il a été rendu participant de l’existence & d’une espece d’Eternité, sans être accablé sous le poids de l’admiration, & se repandre en louanges & en actions de graces. Il faut avouër que c’est une pensée trop vaste pour l’Esprit Humain, & qu’elle est plus propre à nous entretenir dans le secret de la Devotion, ou le silence de l’Ame, qu’à être exprimée par nos paroles. Le souverain Monarque de l’Univers ne nous a pas donné des Facultez capables de louër & de magnifier une Bonté si transcendante

Avec tout cela nous avons quelque sujet de nous consoler, puisque, dans toute l’Eternité, nous serons occupez à un Ouvrage, que nous ne saurions jamais finir.

XXIV. Ce Discours est de la même main que les précedents sur l’Infini.Discours. Ipsa quoque assiduo labuntur tempora motuNon secus ac flumen, neque enim consistere flumen,Nec levis hora potest : sed ut unda impellitur unda,Urgeturque eadem veniens, urgetque priorem ;Tempora sic fugiunt pariter, pariterque sequuntur ;Et nova sunt semper. Nam quod fuit ante, relictum est ;Fitque quod haud fuerat : momentaque cuncta novantur. Ovid. Metam. L .XV. 179. Le Temps s’écoule sans cesse par un mouvement continuel, ainsi que l’eau d’une Riviere, & l’on ne peut les arrêter : De même qu’une vague en pousse une autre, & qu’elles se suivent toûjours ; ainsi le Tems s’envole avec rapidité ; ce qui en est passé n’est plus, il devient ce qu’il n’étoit pas & il se renouvelle à tous momens. Sur l’Eternité à l’égard du tems passé. Nous envisageons l’Espace infini comme une Etendue sans circonference, & l’Eternité, ou la Durée infinie, comme une Ligne qui n’a ni commencement ni fin. Dans nos Speculations sur l’Espace infini, nous regardons le Lieu où nous existons comme un Centre à l’égard de toute l’Etendue qui nous environne. Dans nos Speculations sur l’Eternité, nous regardons le Tems qui nous est présent comme le Milieu qui divise toute la Ligne en deux parties égales. De-là vient que divers Auteurs spirituels comparent le Tems présent à un Isthme, ou à un Coû de terre, qui s’éleve au milieu d’un vaste Océan, qui n’a point de bornes & qui l’envelope des deux côtez. La Philosophie, ou plutôt le Sens commun, partage l’Eternité en deux, celle qui est passée & celle qui est à venir, qu’on nomme, en termes de l’Ecole, Æternitas à parte ante, & Æternitas à parte post. Mais ces termes scientifiques n’en donnent pas une autre idée que celle que je viens d’exprimer en François. Chacune de ces Eternitez est bornée à un bout, c’est-à dire, pour me servir d’autres mots, que la premiere a une fin, & que l’autre a un commencement. Nous examinerons ici celle qui est passée, & nous reserverons pour une autre fois celle qui est à venir. La nature de cette premiere Eternité est inconcevable à l’Esprit Humain : La Raison nous démontre qu’elle a été ; mais elle ne sauroit s’en former aucune idée, qui ne soit rempli d’ab-surditez & de contradictions. Il nous est impossible d’avoir aucune autre notion d’une durée qui a passé, si ce n’est qu’elle a été toute presente une fois ; mais tout ce qui a été une fois present est à une certaine distance de nous ; & tout ce qui est à une certaine distance de nous, quelque éloigné qu’il soit, ne peut jamais être l’Eternité. La notion même d’une Durée qui a passé emporte qu’elle a été presente une fois ; puis que l’idée de celle-ci renferme actuellement l’idée de l’autre. C’est donc là une profondeur impenetrable à l’Esprit Humain. Nous sommes assurez qu’il y a eu une Eternité ; mais nous nous contredisons nous-mêmes, d’abord que nous voulons nous en former quelque idée. Si nous creusons bien cette matiere, nous verrons que toutes nos difficultez là-dessus ne viennent que de cette seule raison ; c’est que nous ne saurions avoir d’autre idée d’aucune sorte de Durée, que celle par laquelle nous existons nous-mêmes, avec tous les autres Etres créez, je veux dire une durée successive, formée du passé, du present & de l’avenir. Il n’y a rien qui existe de cette maniere, dont toutes les parties de leurs existence <sic> n’aient été une fois actuellement presentes, & qui par conséquent ne puisse être mesuré par un certain nombre d’années. Nous pouvons monter aussi haut qu’il nous plait, & nous former une idée de cette Eternité qui est à venir, en ajoutant des millions d’années à d’autres millions, sans que nous puissions jamais arriver à une source de la Durée, ou à quelque commencement de l’Eternité. Mais nous sommes assûrez d’ailleurs que tout ce qui a été une fois present est à la portée des Nombres, quoi qu’il n’y ait peut-être pas moïen d’en joindre assez les uns avec les autres pour venir à bout de ce calcul. On pourroit aussi bien dire qu’une chose peut-être actuellement presente dans quelque endroit de l’Espace infini, sans être à une certaine distance de nous ; qu’avancer qu’une portion de la Durée infinie a été une fois actuellement presente, & qu’elle n’est pas non plus à une distance determinée de nous. La distance dans les deux cas peut être indefinie & incapable de toute mesure à l’égard de nos Facultez ; mais notre Raison nous dit qu’elle ne sauroit l’être en elle-même. C’est donc ici la difficulté que l’entendement Humain n’a pas la force de vaincre. Nous sommes persuadez qu’il y doit avoir quelque chose qui existe de toute Eternité, & cependant il nous est impossible de concevoir, suivant l’idée que nous avons de l’Existence, qu’aucune chose qui existe puisse être de toute Eternité. Il sera difficile à ceux de mes Lecteurs qui ne sont pas accoûtumez à reflechir sur cette idée, de me suivre dans une Speculation si abstraite ; mais je m’y suis d’autant plus étendu, qu’elle me paroit une Preuve démonstrative de l’existence & de l’Eternité d’un Dieu. Quoi qu’il y ait plusieurs autres Preuves de cette grande Vérité, je ne croi pas que nous en devions negliger aucune de celles que la lumiere de la Raison nous decouvre, sur tout lors qu’il s’en trouve quelqu’une, que des Auteurs célebres pour leur penetration & la force du Raisonnement ont faite valoir, & qui paroit convaincante à ceux qui se donnent la peine de l’examiner. Après avoir consideré l’Eternité passée suivant la meillleure idée, que nous puissions nous en former, je produirai ici les divers Articles que la lumiere de la Raison nous dicte là-dessus, & qu’on peut regarder comme le Symbole d’un Philosophe sur ce grand point. i. Il est certain qu’aucun Etre n’a pû se faire lui-même ; puis qu’il faudroit alors, qu’il eût agi avant qu’il existât, ce qui implique contradiction. ii. Il s’en suit de-là qu’il doit y avoir eu quelque Etre de toute Eternité. iii. Tout ce qui existe à la maniere des Etres créez, ou suivant les notions que nous avons de l’Existence, ne sauroit avoir été de toute Eternité. iv. Il faut donc que cet Etre éternel soit le grand Auteur de la Nature, l’Ancien des jours, qui se trouvant à une distance infinie de tous les Etres créez à l’egard de ses perfections, existe d’une toute autre maniere qu’eux, & dont ils ne sauroient avoir aucune idée. Je sai que plusieurs Scholastiques, qui voudroient paroître ne rien ignorer, pretendent expliquer la maniere dont Dieu existe, lors qu’ils nous disent qu’il renferme une Durée infinie à chaque moment ; que l’Eternité est en lui un Point fixe, Punctum stans ; ou, ce qui est aussi raisonnable, un instant infini ; qu’à l’égard de son existence, il n’y a rien qui soit passé ou à venir. C’est à quoi l’ingenieux Mr. Cowley fait allusion dans sa description du Ciel, lors qu’il y dit, Rien ne se trouve là passé, rien à venir,Un present éternel s’y fait toûjours sentir. Pour moi, je regarde ces Propositions comme des mots auxquels on n’attache aucune idée ; & il me semble qu’il vaudroit mieux avouër son ignorance, que d’inventer des Dogmes qui ne signifient rien, ou plutôt qui se contredisent. Nous ne saurions avoir trop de retenue dans nos recherches, lors que nous meditons sur celui qui est environné de tant de gloire & de perfection, qui est la source & l’origine de tous les Etres. Reconnoissons donc avec la plus profonde humilité, que, comme il faut necessairement qu’il y ait eu quelque Etre de toute Eternité, il faut aussi que cet Etre existe d’une maniere qui nous est incompréhensible, puis qu’aucun Etre ne sauroit avoir existé de toute éternité suivant l’idée que nous avons de l’Existence. La Revelation confirme ce que la Raison nous dicte là-dessus, lors qu’elle temoigne que Dieu est le même qu’il étoit hier, qu’il est aujourd’hui & qu’il sera éternellement ; qu’il est l’Alpha & l’Omega, le commencement & la fin ; que mille ans sont devant lui comme un jour, & un jour comme mille ans. Toutes ces expressions & autres semblables nous enseignent que son Existence, à l’égard du Tems ou de la Durée, est très differente de celle de ses Créatures, & par consequent qu’il est impossible de nous en former aucune idée qui approche de ce qu’il est. Dans la permiere revelation qu’il fit de son Etre, il se nomma lui-même, Je suis celui qui suis ; & lors que Moise voulut savoir le nom qu’il lui donneroit dans son Message auprès de Pharaon, il lui ordonna de dire que Je suis l’avoit envoié. De sorte que le Créateur de l’Univers semble exclure par-là toute autre chose d’une existence réelle, & qu’il se distingue de ses Créatures, comme le seul Etre qui existe réellement & de fait. L’ancienne idée des Platoniciens, qui la tiroient de leur speculations sur l’Eternité, s’accorde très-bien avec cette Revelation divine. Il n’y a rien, disoient-ils dont l’existence est formée du passé, du present & de l’avenir, qui existe réellement. Une pareille Existence successive & qui s’évanouït est plutôt une ombre d’Existence, ou quelque chose qui en approche, que l’Existence elle-même. Celui-là seul existe proprement dont l’Existence est toûjours presente ; c’est-à-dire, en d’autres termes, qui existe de la maniere la plus parfaite, & de laquelle nous n’avons aucune idée. Je finirai ce Discours par une reflexion très-utile. Pouvons-nous jamais nous humilier assez profondement devant notre Créateur, dont la Bonté & la Sagesse inéfables ont trouvé le moïen de donner l’existence à des Natures bornées, & à des Etres, en qui l’existence n’est pas nécessaire ? Pouvons-nous jamais lui en temoigner assez de gratitude, sur tout lors que nous considerons qu’il jouissoit lui-même d’un bonheur parfait de toute éternité ? Où est l’Homme qui puisse reflechir sur ce qu’il est sorti du Néant, qu’il a été fait une Créature raisonnable & heureuse, en un mot, sur ce qu’il a été rendu participant de l’existence & d’une espece d’Eternité, sans être accablé sous le poids de l’admiration, & se repandre en louanges & en actions de graces. Il faut avouër que c’est une pensée trop vaste pour l’Esprit Humain, & qu’elle est plus propre à nous entretenir dans le secret de la Devotion, ou le silence de l’Ame, qu’à être exprimée par nos paroles. Le souverain Monarque de l’Univers ne nous a pas donné des Facultez capables de louër & de magnifier une Bonté si transcendante Avec tout cela nous avons quelque sujet de nous consoler, puisque, dans toute l’Eternité, nous serons occupez à un Ouvrage, que nous ne saurions jamais finir.