Non secus ac flumen, neque enim consistere
flumen,
Nec levis hora potest : sed ut unda impellitur
unda,
Urgeturque eadem veniens, urgetque priorem ;
Tempora sic
fugiunt pariter, pariterque sequuntur ;
Et nova sunt semper. Nam
quod fuit ante, relictum est ;
Fitque quod haud fuerat : momentaque
cuncta novantur.
Ovid. Metam. L .XV. 179.
Le Temps s’écoule sans cesse par un mouvement
continuel, ainsi que l’eau d’une Riviere, & l’on ne peut les
arrêter : De même qu’une vague en pousse une autre, & qu’elles
se suivent toûjours ; ainsi le Tems s’envole avec rapidité ; ce qui
en est passé n’est plus, il devient ce qu’il n’étoit pas & il se
renouvelle à tous momens.
La Philosophie, ou plutôt le Sens commun, partage l’Eternité en deux,
celle qui est passée & celle qui est à venir, qu’on nomme, en
termes de l’Ecole, Æternitas à parte ante, &
Æternitas à parte post. Mais ces termes scientifiques n’en
donnent pas une autre idée que celle que je viens d’exprimer en
François. Chacune de ces Eternitez est bornée à un bout, c’est-à
dire, pour me servir d’autres mots, que la premiere a une fin, &
que l’autre a un commencement.
Nous examinerons ici celle qui est passée, & nous reserverons
pour une autre fois celle qui est à venir. La nature de cette
premiere Eternité est inconcevable à l’Esprit Humain : La Raison
nous démontre qu’elle a été ; mais elle ne sauroit s’en former
aucune idée, qui ne soit rempli d’ab-
Si nous creusons bien cette matiere, nous verrons que toutes nos
difficultez là-dessus ne viennent que de cette seule raison ; c’est
que nous ne saurions avoir d’autre idée d’aucune sorte de Durée, que
celle par laquelle nous existons nous-mêmes, avec tous les autres
Etres créez, je veux dire une durée successive, formée du passé, du
present & de l’avenir. Il n’y a rien qui existe de cette
maniere, dont toutes les parties de leurs existence <sic>
n’aient été une fois actuellement presentes, & qui par
conséquent ne puisse être mesuré par
Il sera difficile à ceux de mes Lecteurs qui ne sont pas accoûtumez à reflechir sur cette idée, de me suivre dans une Speculation si abstraite ; mais je m’y suis d’autant plus étendu, qu’elle me paroit une Preuve démonstrative de l’existence & de l’Eternité d’un Dieu. Quoi qu’il y ait plusieurs autres Preuves de cette grande Vérité, je ne croi pas que nous en devions negliger aucune de celles que la lumiere de la Raison nous decouvre, sur tout lors qu’il s’en trouve quelqu’une, que des Auteurs célebres pour leur penetration & la force du Raisonnement ont faite valoir, & qui paroit convaincante à ceux qui se donnent la peine de l’examiner.
Après avoir consideré l’Eternité passée suivant la meillleure idée, que nous puissions nous en former, je produirai ici les divers Articles que la lumiere de la Raison nous dicte là-dessus, & qu’on peut regarder comme le Symbole d’un Philosophe sur ce grand point.
i. Il est certain qu’aucun Etre n’a pû se
faire lui-même ; puis qu’il faudroit alors, qu’il eût agi avant
qu’il existât, ce qui implique contradiction.
ii. Il s’en suit de-là qu’il doit y avoir
iii. Tout ce qui existe à la maniere des
Etres créez, ou suivant les notions que nous avons de l’Existence,
ne sauroit avoir été de toute Eternité.
iv. Il faut donc que cet Etre éternel soit
le grand Auteur de la Nature, l’Ancien des
jours, qui se trouvant à une distance infinie de tous les
Etres créez à l’egard de ses perfections, existe d’une toute autre
maniere qu’eux, & dont ils ne sauroient avoir aucune idée.
Je sai que plusieurs Scholastiques, qui voudroient paroître ne rien
ignorer, pretendent expliquer la maniere dont Dieu existe, lors
qu’ils nous disent qu’il renferme une Durée infinie à chaque
moment ; que l’Eternité est en lui un Point fixe, Punctum stans ; ou, ce qui est aussi raisonnable, un instant infini ; qu’à l’égard de son
existence, il n’y a rien qui soit passé ou à venir. C’est à quoi
l’ingenieux Mr.
Rien ne se trouve là passé, rien à venir,
Un present
éternel s’y fait toûjours sentir.
Pour moi, je regarde ces Propositions comme des mots auxquels on
n’attache aucune idée ; & il me semble qu’il vaudroit est le même qu’il
étoit hier, qu’il est aujourd’hui & qu’il sera éternellement ; qu’il est l’Alpha
& l’Omega, le commencement & la fin ; que mille ans sont devant lui comme un jour, & un
jour comme mille ans. Toutes ces expressions & autres
semblables nous enseignent que son Existence, à l’égard du Tems ou
de la Durée, est très differente de celle de ses Créatures, &
par consequent qu’il est impossible de nous en former aucune idée
qui approche de ce qu’il est.
Dans la permiere revelation qu’il fit de Je suis celui qui suis ;
& lors que Je suis l’avoit
envoié. De sorte que le Créateur de l’Univers semble exclure par-là
toute autre chose d’une existence réelle, & qu’il se distingue
de ses Créatures, comme le seul Etre qui existe réellement & de
fait. L’ancienne idée des Platoniciens, qui
la tiroient de leur speculations sur l’Eternité, s’accorde très-bien
avec cette Revelation divine. Il n’y a rien, disoient-ils dont
l’existence est formée du passé, du present & de l’avenir, qui
existe réellement. Une pareille Existence successive & qui
s’évanouït est plutôt une ombre d’Existence, ou quelque chose qui en
approche, que l’Existence elle-même. Celui-là seul existe proprement
dont l’Existence est toûjours presente ; c’est-à-dire, en d’autres
termes, qui existe de la maniere la plus parfaite, & de laquelle
nous n’avons aucune idée.
Discours par une reflexion très-utile.
Avec tout cela nous avons quelque sujet de nous consoler, puisque,
dans toute l’Eternité, nous serons occupez à un Ouvrage, que nous ne
saurions jamais finir.