Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "XXIII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.6\023 (1726), S. 148-152, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1505 [aufgerufen am: ].


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XXIII. Discours.

Zitat/Motto► Prosequitur scelus ille suum : labefactaque tandem.
Ictibus innumeris, adductaque funibus Arbor Corruit.

Ovid. Metam L.VIII. 775.

Il poursuit son entreprise criminelle ; de sorte qu’après avoir ébranlé cet Arbre par une infinité de coups de hache, il l’attache avec des cordes & le renverse par terre. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► De la beauté des Arbres & du soin qu’on en doit avoir. ◀Metatextualität

Ebene 2► Ebene 3► Brief/Leserbrief► « Monsieur,

« La vûe des Arbres me fait tant de plaisir, que j’ai bâti une petite Maison de Campagne sur un terrain, qui est presque au milieu d’une grande Fôret. Je fus obligé, en quelque sorte malgré moi, d’abatre quantité d’Arbres, pour avoir des Allées dans mes Jardins ; mais j’eus la précaution de laisser tous les espaces qu’il y avoit entre deux aussi couverts d’Arbres qu’ils l’étoient d’abord. C’est-à dire que vous ne sauriez tourner tant soit peu à droite ou à gauche, que vous ne soiez dans un Bois, où la Nature vous offre une Scéne plus charmante que tout ce que l’Art y auroit pû élever.

Au lieu de Tulipes ou d’Oeuillets, je puis vous faire voir dans mes Jardins des [149] Chênes qui ont plus de quatre cens ans, & un Groupe d’Ormes qui pourroient mettre à couvert de la pluie cinquante Cavaliers.

Ce n’est qu’avec une extrême indignation que je vois, dans mon voisinage, plusieurs jeunes Héritiers prodigues, qui abatent les plus glorieux monumens de l’industrie de leurs Ancêtres, & qui ruinent, dans un jour, ce que des siecles entiers ont produit.

Metatextualität► J’ai été si charmé de votre Discours sur les Plantations que j’ai examiné mes Recueils pour vous rendre quelque compte de la veneration que les Anciens avoient pour les Arbres. ◀Metatextualität Allgemeine Erzählung► Il y a une ancienne Tradition qui dit qu’Abraham planta un Cyprès, un Pin, & un Cédre, & que ces trois Arbres furent incorporez en un seul, qui fut coupé pour servir à la structure du Temple de Salomon.

Isidore, qui vivoit sous le regne de Constance, nous assûre qu’il avoit vû lui-même, dans les plaines de Mamré, ce fameux Chêne, sous lequel on disoit qu’Abraham avoit mis ses Tentes. Il ajoute que le Peuple le regardoit avec une grande veneration, & qu’il le respectoit comme un Arbre sacré. ◀Allgemeine Erzählung

Les Paiens alloient encore plus loin, [150] & ils regardoient comme un sacrilege des plus atroces l’injure faite à certains Arbres qu’ils croioient sous la protection immédiate de quelque Divinité. L’histoire d’Erisicthon, le Bois sacré de Dodone, & celui de Delphes en fournissent de bonnes preuves.

Si nous envisageons de ce côté-là & dans cette vûe la Machine que Virgile emploie, & que plusieurs Critiques ont tant blâmée, à peine la trouverons-nous amenée avec trop de violence.

Lors qu’Enée voulut bâtir des Vaisseaux pour se rendre en Italie, il se vit obligé d’abatre le Bois qu’il y avoit sur le Mont Ida ; mais ce ne fut qu’après en avoir obtenu la permission de Cybele, à laquelle ce Bois étoit consacré. La Déesse qui ne pouvoit que se croire engagée à proteger, d’une façon toute particuliere, les Vaisseaux construits d’un tel Bois, pria Jupiter qu’ils ne fussent point sujets à la puissance des Vents & des flots de la Mer. Jupiter ne voulut pas lui accorder sa demande ; mais il lui promit que tous ceux qui arriveroient heureusement en Italie, seroient transformez en Nymphes marines ; ce qui fut executé au pié de la lettre, à ce que le Poëte nous dit.

[151] L’opinion commune touchant les Nymphes, que les Anciens appelloient Hamadriades, fait plus d’honneur aux Arbres que tout ce que nous avons raporté jusques ici. On croïoit que le sort de ces Nymphes avoit une si étroite liaison avec certains Arbres, sur tout les Chênes, qu’elles vivoient & mouroient avec eux. C’est pour cela même qu’elles temoignoient une reconnoissance extraordinaires <sic> à toutes les Personnes qui conservoient ces Arbres, de la subsistance desquels leur vie dependoit. Apollonius nous raporte, à cette occasion, un Fait remarquable, qui servira de clotuture <sic> à ma Lettre.

Un certain Homme, appellé Rhoecus, touché d’une espece de compassion à la vûe d’un vieux Chêne prêt à tomber, donna ordre à ses Valets de mettre à ses racines un peu de terre fraiche, & de le redresser. L’Hamadriade ou la Nymphe, qui devoit perir sans ressource avec cet Arbre, lui apparut le lendemain, &, après l’avoir remercié de tous ses bons offices, elle ajouta qu’elle étoit disposée à lui accorder tout ce qu’il lui demanderoit. Rhoecus, frapé de sa beauté divine, la suplia qu’il lui fût permis de l’entretenir sur le pié de son Amant. La [152] Nymphe, qui ne parut pas trop choquée de sa requête, lui promit de lui donner un rendez-vous, pourvû qu’il s’abstint, durant quelques jours, des embrassemens de toute autre Femme, & qu’elle auroit soin de lui envoïer une Abeille, pour l’avertir du moment auquel il devoit jouir de ce bonheur. Mais, à ce qu’il semble Rhoecus étoit fort adonné au Jeu, & il se rencontra qu’il jouoit d’un grand malheur lors que l’officieuse Abeille vint bourdonner autour de lui ; de sorte qu’au lieu de répondre à son obligeante invitation, peu s’en falut qu’il ne la tuât pour ses peines. L’Hamadryade fut si outrée de ce mépris & du mauvais traitement fait à sa Messagere, qu’elle priva Rhoecus de l’usage de tous ses Membres. Ce n’est pas, à ce que dit l’Historien, qu’il ne lui restât assez de force pour abatre le Chêne, & donner ainsi le coup de mort à sa belle Maîtresse. » ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1