Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "X. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.6\010 (1726), S. 61-73, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1483 [aufgerufen am: ].


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X. Discours

Zitat/Motto► ——————— Castigata remordent.

Juv. Sat. II. 35.

Plus elles souffrent de leur mauvaise conduite, plus elles y retombent. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► La Lettre que j'ai publiée sur la Coterie des Veuves m'en a attiré plusieurs autres, & une en particulier de Madame la Présidente, dont je vais regaler ici mes Lecteurs. ◀Metatextualität

Metatextualität► Apologie d’une Veuve qui avoit eu six Maris. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur le Satirique,

Satire► « Vous vous êtes bien épanouï la rate, à ce que vous croyez, à nous draper nous autres Veuves, sur ce que nous pensons à nous consoler si vîte après la mort de nos chers époux, & que nous en voulons même tâter de plusieurs ; mais vous ne faites aucune attention aux foibles des Maris que nous avons enterrez, ni au peu de chagrin que leur perte devoit naturellement nous causer. Pour moi, qu’il vous plaît d'appeller Mad. la Présidente, un de mes Oncles, qui étoit mon Tuteur, me donna, à l’âge de quatorze ans, ou plutôt me vendit, comme je le découvris dans la suite, à un Homme qui m'accepta avec le tiers de ma [62] Dot. Cet Estasier me traita d'abord en petite Enfant, & s'imagina qu'il pouvoit m'élever à sa maniere : S'il baisoit ma Femme de Chambre en ma présence, il me croyoit assez ignorante, pour n'y trouver pas le moindre mal. Lors qu'il revenoit au Logis à cinq heures du matin saoûl comme une Grive, je ne devois rien dire, c'étoit l'usage de tous les Hommes qui aiment la Societé. L’argent m’étoit inconnu ; & qu’est-ce que j’en aurois fait, moi pauvre Innocente ? Je ne sçavois pas le dépenser. D’ailleurs il prit dans la Maison une de ses Cousines, qui étoit fort jolie, sous prétexte qu’elle auroit soin du Ménage & de gouverner mes Domestiques, dont j’étois moi-même incapable ; & pendant qu’elle avoit à sa discretion tout l’argent qu’elle vouloit, ce qui étoit bien juste, eu égard à la peine qu’elle se donnoit pour me rendre service ; je ne devois pas être assez médisante pour blâmer la familiarité qu’il y avoit entre deux personnes si proches. J’avois trop peu de courage pour disputer ; mais je n’étois pas si novice pour m’en laisser imposer de la sorte. Je fus sensible à son mépris de la maniere que je le devois, & autant que la plûpart des pauvres Femmes obéïssantes & aveuglées le sont en [63] tel cas, jusqu’à ce qu’il plût au Ciel de me délivrer de mon Tyran, qui me laissa maîtresse absoluë de mon Bien & d’un gros Doüaire.

Jeune & riche, je ne pouvois manquer de Soupirans : il y en eut même plusieurs qui tâcherent de s’insinuer dans mes bonnes graces pendant la derniere maladie de mon Epoux. Mr. Constantin, averti par une de ses Cousines, mon Amie intime, qui sçavoit jusques à un sol tout le Bien que je possedois, fut un des premiers qui m’en conta. C’est un Homme fort agréable, & que tout le monde estimeroit, si l’on ne s’appercevoit qu’il est impossible de le surmonter à cet égard, & qu’il est uniquement occupé de sa chere personne. Il ne doutoit pas qu’il ne vint à bout de m’épouser dans cinq ou six mois, & il m’attaqua d’abord d’un air si dégagé, que mon orgueil en souffrit de ne pas le renvoyer sur le champ ; mais, par un principe de malice, j’écoutai sa premiere Declaration avec tant de simplicité & de surprise ; j’en rougis si joliment, qu’il en eut le cœur penetré, & qu’il me regarda comme la plus innocente Créature qu’il y eut au Monde. Lors qu’un homme se fait cette idée d’une Femme, il a plus [64] d’amitié pour elle qu’il ne s’imagine. Charmée de me venger de lui, sur ce qu’il n’en vouloit qu’à mon Bien, & persuadée qu’il étoit en mon pouvoir de lui causer de l’inquiétude, je résolus d’achever ma conquête, & j’entretins divers autres Soupirans. Mon air simple & naïf avoit fait une si grande impression sur son cerveau, qu’il attribuoit les poursuites de mes Amans à la force inévitable de mes charmes, & qu’à la vûe du rouge qui me montoit quelquefois au visage, ou de certains petits coups d’œil que je lui donnois, il se croyoit le seul Favori : Lors même que je le traitois comme un Chien pour me divertir, il s’imaginoit que la crainte & la prudence y avoient plus de part que toute autre chose.

Ce n’est pas tout, lors que j’épousai le Chevalier D’Amuson âgé de soixante ans, il eut pitié de la violence que je me faisois pour complaire à mes proches. Vous sçavez, Monsieur, le Cas de Madame Neflier, & vous ne voudriez pas sans doute que je me fusse desesperée pour la mort d’un tel Epoux. Je versai assez de larmes de me voir Veuve une semaine après mon Mariage : Aussi, dès que le Chevalier fut mis dans son tombeau, je crus pouvoir compter qu’il [65] étoit mort depuis deux années, & je me mariai, au bout de trois semaines, avec son Heritier Mr. De Robustel. J’avois eu à la verité quelque pensée d’admettre Mr. Constantin, mais sur ce que je vis qu’il pouvoit attendre, & qu’il croyoit même indécent de me demander avant que l’année de mon veuvage fut expirée, je le reservai in petto pour mon quatriéme, & je me fixai à mon Campagnard. Le croiriez-vous, Monsieur ? Quoi que ce jeune Ecuyer n’eut alors que vingt-cinq ans, qu’il eut environ six pieds de taille, & qu’il fut le plus vigoureux Chasseur au Renard de tout le Pays, j’ai souhaité plus de mille fois d’avoir encore mon vieux Chevalier D’Amuson. Ce jeune Homme suivoit ses Chiens toute la journée, & le soir de retour au Logis il les avoit toute la nuit à sa table ; cependant je leur ai l’obligation de l’avoir conduit à une Chasse, où il se cassa le col.

Mr. Constantin ne manqua pas de renouveller au plutôt ses visites, & je croi de bonne foi que je l’aurois épousé alors, si je n’avois tiré quelque vanité sans qu’il me fût possible de m’en défendre, de me voir recherchée par un jeune Officier aux Gardes, qui avoit débauché deux ou trois de mes Amies. Mr. Constantin [66] , averti de cette intrigue, me fit une si rude leçon sur la conduite des Femmes, que dès ce jour-là même, dans la seule vûë de lui faire dépit, j’épousai mon jeune Etourdi. Une demie heure après cette démarche, je reçus une Lettre fort soumise de Mr. Constantin, qui me demandoit pardon de m’avoir choquée, & qui attribuoit sa Mercuriale à la violence de son amour : Je triomphai à la lecture de tous ses regrets, & pleine de vanité je ne pus m’empêcher de les faire voir à mon nouvel Epoux, avec qui je m’en divertis de bon cœur. Mais, helas ! ma joye ne fut pas de longue durée ; mon jeune Mari, quoi qu’endetté jusqu’aux oreilles, s’avisa d’abord de prendre un beau Carrosse doré atellé à six Chevaux superbement enharnachez. Je m’étois mariée si vîte, que je n’avois pas eu la prudence de me reserver la possession de mon bien ; tout mon Argent monnoyé fut perdu dans deux soirées chez le premier Portier de la Cour, où l’on tient Brelan, & je rencontrai dans la ruë Jeanneton Finemouche, ornée de mon Carcan de Diamans, qui m’avoit été volée je ne sçai de quelle maniere. Toute ma Vaisselle d’argent disparoissoit piece après piece, & jaurois été [67] bientôt reduite à me servir de celle d’Etain, si mon jeune Evaporé ne se fût batu en Duel avec un Joueur, qui lui avoit filouté cinq cens Livres Sterling, & qui lui donna satisfaction, de même qu’à moi, en le perçant d’un coup d’épée à travers le corps.

Mr. Constantin, toujours amoureux de moi, revint à la charge, & afin que je ne craignisse pas qu’il en usât mal à mon égard, il me pria de me reserver l’entiere possession de tout mon Bien. Mes Parens me felicitoient déja de sa fidelité à toute épreuve, lors que, malgré la diminution de mes charmes, je ne pûs resister au plaisir que je prenois à de montrer à toutes les jeunes Coquetes de la Ville, qu’il étoit en mon pouvoir de donner de l’inquietude à un Homme de bon sens. Cela joint à quelque esperance secrete, dont je me flatois, que mon Amant se pendroit, à la gloire qui en rejailliroit sur moi, & à l’envie que j’exciterois par là, fit que je me déterminai à devenir la troisiéme Femme de Mylord Ratley. Elevé à ce nouveau degré d’honneur & à une plus haute fortune, je crus vivre dans tous les plaisirs du grand & du beau monde ; mais que je me trouvai loin de mon compte ! Mylord n’étoit ni prodi-[68]gue, ni de méchante humeur, ni débauché ; cependant je souffris plus avec lui que je n’avois souffert avec aucun de mes autres Epoux. Il étoit rateleux, & il falloit que je l’entendisse plaindre les jours entiers de ses maux imaginaires : Il n’y avoit pas moyen de rencontrer son goût ; ce qu’il aimoit lors qu’il faisoit beau temps, le rendoit malade s’il venoit à pleuvoir ; il n’avoit proprement aucune indisposition, mais il les craignoit toutes, & il vivoit dans des allarmes continuelles à cet égard. Enfin mon bon Genie me dicta de lui faire connoître le Docteur Gruau, & depuis ce moment il fut assez tranquile, parce que le bon Docteur lui fournit des noms, des raisons & des remedes pour toutes ses fantaisies musquées : Durant les grandes chaleurs, il vivoit de Juleps, & il se faisoit tirer du sang pour se garantir de la Fiévre ; lors que le Ciel se couvroit de nuages, il craignoit d’ordinaire de tomber en Consomption ; en un mot, pour abreger le recit de mon triste sort pendant cet intervalle, il ruina une santé vigoureuse à force de la vouloir rétablir, & il prit quantité de Remedes, jusqu’à ce qu’il en vint à l’Emetique, ce grand & merveilleux Remede, qui nous guérit [69] l’un & l’autre de toutes nos inquiétudes.

Après sa mort, je ne m’attendois plus à revoir Mr. Constantin ; Je sçavois qu’il m’avoit entierement abandonnée, qu’il l’avoit declaré à tous ses Amis, & qu’il s’étoit même diverti à me turlupiner sur mon dernier choix, dont il affectoit de parler avec beaucoup d’indifference. Je ne pensai donc plus à lui, sçachant d’ailleurs qu’il venoit de s’engager avec une jolie Demoiselle fort riche ; j’en eus quelque dépit, mais non pas assez pour me faire negliger l’avis de ma Cousine Bonsouhait, qui vint me voir le même jour qu’on transporta Mylord en grande cerémonie à la Campagne : Elle me dit, en Femme experimentée, qu’il n’y avoit rien qui bannit plutôt de l’esprit un Amant infidele, ou un bon Mari, que le choix d’un autre, & là-dessus elle me proposa un de ses Parens : Le Monde, ajouta-t-elle, vous est assez connu, pour sçavoir que l’Argent est le motif le plus solide qui porte à se marier ; le Gentihomme que je vous offre est fort riche, & il a une cruelle Toux, qui vous en délivrera bientôt. J’appris dans la suite qu’elle avoit donné la même idée de moi à ce Monsieur ; mais elle me gagna si bien, que je hâtai le Mariage, de peur qu’il ne mourût avant la conclu-[70]sion ; il le pressa de son côté, prévenu de la même crainte à mon égard ; de sorte que je l’épousai au bout de quinze jours, resolue de tenir l’affaire secrette deux ou trois semaines de plus.

Ce fut alors que Mr. Constantin me rendit visite ; il m’assûra qu’il n’auroit pas manqué de s’acquitter plutôt de ce devoir, s’il n’avoit craint de m’embarrasser dans les premiers jours de mon affliction ; qu’à l’ouïe de ma derniere perte, qui me laissoit en pleine liberté de choisir un nouvel Epoux, il avoit rompu un Mariage très avantageux pour lui, quoi que sur le point de se conclurre, & qu’il étoit cent fois plus amoureux de moi, qu’il ne l’avoit jamais été. Je sentis à cette occasion un plaisir inexprimable, &, après m’être un peu composée, je lui dis, d’un air fort grave, que son engagement m’avoit causé un tel dépit, que je m’étois mariée avec un Homme, auquel je n’aurois pensé de ma vie si je n’avois perdu toute esperance de l’obtenir lui-même. A l’ouïe de cette Nouvelle, le bon Mr. Constantin faillit à tomber de son haut, &, lors qu’il se retira, je vis bien à son air qu’il s’en attribuoit toute la faute, & qu’il maudissoit ses Amis de l’avoir engagé dans une si funeste démar-[71]che : Il me parut du moins qu’il étoit aussi touché de mon infortune que de la sienne, & qu’il ne doutoit pas que je ne fusse passionnément amoureuse de lui. A dire le vrai, mon nouvel Epoux me donnoit sujet de me repentir de ne l’avoir pas attendu ; il m’avoit prise pour mon argent, & je découvris bientôt qu’il l’aimoit à la folie ; il n’y avoit rien qu’il ne mît en œuvre pour en acquerir, & rien qu’il ne souffrît pour le conserver ; la moindre dépense le tenoit éveillé des nuits entieres, & il ne payoit jamais un Compte qu’avec de grands soupirs & qu’après des longueurs infinies ; vous auriez dit qu’on lui arrachoit un de ses membres. Je n’entendois que de reproches continuels sur mes foles dépenses, quelque médiocres qu’elles fussent. Je m’apperçus aisément qu’il m’auroit presque reduite à mourir de faim, s’il n’avoit craint la perte de mes Doüaires ; & qu’il souffroit de mortelles angoisses entre le chagrin qu’il avoit de me voir manger de si bon apétit, & la crainte où il étoit de ruiner ma santé s’il m’épargnoit trop les vivres. Je ne doutois plus qu’il ne me causât la mort, si je ne contribuois à la sienne ; ce qui m’étoit permis par la Loi qui veut qu’on défende [72] sa propre vie, & dont il m’étoit facile de vénir à bout. Je n’eus qu’à porter ma dépense aussi loin qu’il me fut possible, &, avant qu’il prévit le coup, je parus devant lui avec un Colier de Diamans qui valoit deux mille Pieces. Il ne dit mot à cette vûë, mais il se retira dans sa chambre, où il prit, à ce que l’on croit, une si bonne dose d’Opium, qu’il se tranquillisa pour toujours. Je me conduisis si bien dans cette occasion, que j’ai cru jusqu’à présent, qu’il étoit mort d’Apoplexie.

Mr. Constantin, resolu cette fois de n’arriver pas trop tard, me rendit visite au bout de deux jours. A l’heure que je vous écris, le terme de mon Deuil est presque passé, & avec tout cela je suis incertaine si je l’épouserai ou non. Si j’en viens à un septiéme, ce ne sera pas pour l’impertinente raison que vous alleguez ; mais plutôt par un principe d’Equité naturelle, qui semble exiger qu’on ait égard à une si longue perseverance, quoi que je n’en ferai peut-être rien au bout du compte. Je ne croi pas que toute l’injuste malice du Genre Humain puisse jamais soutenir que j’aurois dû conserver plus long-temps la memoire de mes Epoux défunts, ou témoigner plus de regret [73] pour la perte d’un insolent, d’un Homme inutile, d’un négligent, d’un débauché, d’un rateleux & d’un avare : Le premier m’insultoit, le second ne me servoit de rien, le troisiéme me dégoûtoit, le quatriéme alloit à me ruiner, le cinquiéme me tourmentoit, & le sixiéme me faisoit presque mourir de faim. Si les autres Dames, dont vous parlez, donnoient ainsi en détail le Portrait de leurs Epoux, vous verriez qu’elles ont eu aussi peu sujet que moi de perdre leur temps à pleurer & à gemir. » ◀Satire ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3 ◀Ebene 2 ◀Ebene 1