Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LX. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\060 (1723), S. 377-383, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1452 [aufgerufen am: ].


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LX. Discours

Zitat/Motto► Numquam ita quisquam bene subducta ratione ad vitam fuit,
Quia res, ætas, usus semper aliquid adportes novi,
Aiiquid moneat, ut illa, quæ te scire credas, nescias;
Et, quæ tibi putaris prima, in experundo ut repudies.

Terent. Adelph. Act. V. Sc. II. I.

Jamais personne n’a si bien reglé & supputé tout ce qui regarde la conduite de la vie, que les affaires, l’âge, l’experience ne lui aprennent encore quelque chose de nouveau, & ne lui fassent connoître qu’il ne sait rien de ce qu’il croïoit le mieux savoir, de maniere que dans le pratique on se voit souvent obligé de rejetter le partie qu’on avoit regardé d’abord comme le plus avantageux. ◀Zitat/Motto

Ebene 2► Metatextualität► Dans la lettre suivante, que j’ai reçue du Capitaine Sentry, il y a des sentimens qui marquent, si je me trompe, une égalité d’Ame, un Esprit ferme & raisonnable, aussi bien disposé à soutenir la mauvaise que la bonne fortune. ◀Metatextualität

Metatextualität► Lettre du Capitaine Sentry, sur l’usage qu’il fait de son Bien.

De Coverly-Hall le 25./26. Novbre 1712.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Monsieur,

« Parvenu à l’Héritage de mon très-honoré Oncle le Chevalier de Coverley, j’ai de la peine à soutenir la même figure que cet honnête Homme de la vieille roche faisoit avec son Bien, dont il jouïssoit d’une maniere si agréable. Je ne sourois rechflechir sur son Caractere, s’il m’est permis de le dire, avec tout le respect qui lui est dû & que ses grands bienfaits exigent de moi, sans me rappeler une Verité, qu’il me semble avoir aprise dans votre Coterie, & qui a le cœur, bon, quoi que d’ailleurs d’un assez petit Génie, l’emporte de beaucoup dans la Societé civile sur celui qui possede les plus beaux talens, mais qui est d’une humeur froide & indolente. Hélas ! pourquoi aurois-je honte de reveler les foibles de mon illustre Parent ? Ses petites bizarreries & son insufisance pour la conversation des personnes les plus polies sont mortes avec lui ; mais le souvenir de ses grandes & bonnes qualitez fait honneur à sa mémoire. Que dis-je ? Ce contraste donne du relief à son mérite ; puis qu’il a laissé après lui un telle réputation, qu’il ne seroit pas indigne de l’Homme le plus sage d’emploïer toute sa vie pour en aquérir une pa-[379]reille. Je vous avertirai en passant que plusiers de vos Lecteurs ont mal pris un endroit que se trouve à la fin d’un de vos Discours 1 , où vous raportez ce que le Chevalier de Coverley dit à l’Hôtesse de Spring-Garden. Je sai que vous y avez mis cette circonstance pour donner un Exemple de la simplicité & de l’innocence de ses mœurs, qui lui faisoient croire qu’il étoit aisé de ramener une de ces malheureuses à son devoir, plûtôt que pour insinuer qu’il eut aucun dessein de se rendre criminel avec elle. Mais il y a peu de Lecteurs qui puissent entrer dans la finesse d’un Caractere.

Quoi qu’il en soit, j’ai sur tout en vûe de vos dépeindre ici la situation de mon Esprit, & le plaisir que je me promets dans la joüissance de ma nouvelle Fortune. J’ai gardé tous les Domestiques & autres qui étoient au service de feu mon Oncle, excepté ceux qui avoient besoin d’être congediez, & ausquels j’ai distribué de petits Etablissemens qui se trouvent dans l’enceinte de mon Domaine. Pour ceux dont il m’avoit chargé d’une maniere positive, & dont il avoit dressé lui-même une Liste, je les ai mis chez des Fermiers qui ont renouvellé leur Baux avec moi, qui doivent les entretenir durant toute leur vie, & à qui j’ai accordé, en leur faveur, de si grands avantages, qu’il sera [380] toûjours de leur intêret d’en avoir un soin tout particulier. D’ailleurs, j’ai trouvé en Caisse une bonne Somme, dont je dispose entre mes Vassaux sur le pied d’Intérêt ordinaire, mais j’ai plûtôt égard à leurs nécessitez qu’à la sûreté de mon Capital. D’un autre côté, j’exige de ceux qui m’ont de grandes obligations de cautionner pour leur pauvre Jeunesse, soit Filles ou Garçons, qui méritent d’être aidez pour s’établir dans le monde. Ainsi je me flate de régler si bien mes affaires, que ma genérosité servira plûtôt à augmenter qu’à diminuer mon Revenu. En un mot, je ne prêterai mon argent qu’à des Personne indigentes, sous la Caution de celles qui ne le sont plus par les bienfaits qu’elles on reçu de ma Famille ou de moi-même. De sorte que ceux-ci peuvent se rendre utiles à leurs proches, avec le secours de ma Bourse, qui leur sera toûjours ouverte à ce prix-là. J’ai emploïé déja quatre mille Livres Sterlin de cette maniere, & vous seriez étonné si je vous disois le nombre de personnes qui en profitent. Ce n’est pas tout, à l’égard des Orphelins, que le Chevalier m’a recommendez, & qui n’ont rien au monde, je leur fournis dequoi les mettre en Aprentissage, sous le Caution de leurs Parens ou de leurs Amis, & avec cette Clause, que, s’ils viennent à mourir avant que le terme de leur Engagement soit fini, je ne serai point tenu à le païer. Ce qui oblige les Parens & les Maîtres à [381] prendre un soin extraordinaire de ces jeunes Garçons qui, après être sortis de leur Aprentissage, peuvent donner deux ou années de leur tems à ceux qui ont cautioné & fourni cette Somme pour eux. Voilà qui s’est passé de plus considérable en ce genre depuis que je suis entré en possession de mon Héritage ; mais soïez persuadé que je chercherai toûjours les occasions de me rendre utile à tous mes Voisins & de travailler à l’avancement de leur bonheur, aussi bien que de leur intérêt.

Permetez-moi de vous exposer ici un petit Etablissement que j’ai fait, qui est dû au train de vie que j’ai mené autrefois, & qui me donnera, si je ne me trompe, beaucoup de satisfaction le reste de mes jours, de quelque durée qu’ils puissent être.

Chacun est prévenu en faveur de l’Education qu’il a euë dès sa jeunesse, & je ne sai s’il n’y auroit pas du foible à vouloir y renoncer. Un tel préjugé ressemble à celui qu’on a pour sa Patrie, que l’on préfere à tous les autres Païs du Monde. Après avoir emploïé ma jeunesse dans les armes, j’ai toûjours cru, depuis ce tems-là, que les Officiers qui conservent la Modestie, la bonté du Cœur, la Justice & l’Humanité sont les Hommes les plus dignes & les plus estimables qu’il y ait. Etre exposé, la plûpart du tems, à de cruels dangers, à de pénibles veilles, à [382] de furieuses alarmes, ou à de rudes marches, & en passer le reste dans l’observation exacte des régles de la Vertu & de la Vie civile, est un Métier, ou plûtôt un Héroïsme, qui ne dévroit pas essuïer le mauvaise traitement qu’il reçoit d’ordinaire. Comptez, mon cher Monsieur, que, s’il n’y avoit pas bon nombre d’Officiers de ce mérite, nous n’aurions jamais vû les glorieux Evenemens qui sont arrivez de nos jours. Ce qui Forme le Caractere d’un véritable Soldat est le contre-pied de celui qui paroit en Habit rouge, qui fait grand bruit, qui est insolent, & qui veut l’emporter de haute lute part tout où il se trouve. Mais je voulois vous dire que, pour honorer la Profession des armes, j’ai destiné un certaine Somme à tenir table ouverte pour ces braves Officiers, qui ont bien servie leur Patrie, & qui voudront, de tems en tems, passer toute l’année ou la belle Saison, à Coverley-Hall. Ils y trouveront des Chevaux & des Valets à leur service, avec toutes les commoditez de la vie, & les agrémens que peut fournir une belle Campagne. Si le Colonel Beauregard vouloit me faire cet honneur, il n’y a point d’Homme au monde qui fut mieux venu que lui auprès de moi. Il a une si parfaite connoissance de sa Profession, un si grande franchise, des manieres si honnêtes, & le cœur si bon, que son Exemple pourroit animer ceux qui lui ressemblent à me rendre visite. Quoi qu’il [383] en soit, j’avertirai ici Messieurs les Officiers Militaires qu’ils doivent se tenir pour invitez ou non, suivant que leur Caracter se aproche, ou s’éloigne du sien.

D’un autre côté, quoi que je sois devenu Gentilhomme Campagnard, mes Amis ne doivent pas craindre que je les engage à passer les bornes de la Temperance & de la Sobriété. Non, Monsieur, j’aurai toûjours assez de ces Principes de Vertu & de Bienséance, que nous cultivions dans notre Coterie, pour avoir en horreur tous les plaisirs déreglez : mais je me souviendrai sur tout de ce que notre cher Ciceron dit, que le plaisir de manger consiste dans le desir, & non pas dans le rassasiement. D’ailleurs ceux qui poursuivent la Volupté avec le plus d’ardeur n’y arrivent presque jamais. Enfin je ne saurois m’empêcher de vous témoigner, à vous que êtes un Philosophe, la satisfaction que j’eus hier de lire, dans cet Orateur Romain, qu’un Noble d’Athenes, après avoir soupé chez Platon, lui fit ce beau Compliment le jour ensuite, Les repas que vous donnez à vos Amis ne plaisent pas seulement le jour même, mais encore le lendemain. Je suis, &c. »

Guill. Sentry. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

T. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Voyez Tome IV. pag. 139.