Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\052 (1723), S. 320-326, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1441 [aufgerufen am: ].


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LII. Discours

Zitat/Motto► Qui mare & terras variisque mundum
Temperat horis :
Unde nil majus generatur ipso ;
Nec viget quicquam simile, aut secundum.

Hor. L. I. Ode XII. 15.

C’est lui qui gouverne la Terre & la Mer ; & qui par le tempérament admirable les quatre Saisons, entretient & conserve le Monde. Il n’engendre rien de plus grand que lui, rien ne vit hors de lui, qui l’égale ou qui en aproche. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Sur l’idée qu’on doit avoir de Dieu. ◀Metatextualität

Ebene 2► Simonide, interrogé par Denys le Tyran sur l’idée qu’on doit avoir de Dieu, le pria de lui accorder un jour entier pour y reflechir. Après que ce jour fut expiré, il lui en demanda deux ; & ensuite, au lieu de lui rendre réponse, il lui demandoit toûjours le double du temps pour y bien penser. Plus cet Homme, aussi bon Poëte que [321] Philosophe méditoit sur la nature de Dieu, plus il se voïoit engagé dans un labyrinthe, où il se perdoit, & dont il ne trouvoit point d’issuë.

Si l’on examine l’idée que les Philosophes avoient de l’Etre suprême, par les lumieres de la Raison, on verra qu’elle se réduit à ceci : Qu’il possede toutes les perfections d’un Etre spirituel ; Mais comme nous n’avons point d’idée de ces perfections, à moins qu’elles ne se découvrent dans nos Ames, nous joignons à chacune le titre d’infini, & ce qui est une Faculté dans l’Esprit de l’Homme devient un Atribut de la Divinité. Notre existence est bornée au tems & au lieu, l’Etre suprême remplit tout de sa presence infinie, & habite dans l’Eternité. Nous jouïssons de quelque pouvoir & d’une legere connoissance ; l’Etre suprême est tout-puissant & connoit toutes choses. En un mot, toutes les perfections de nos Ames réunies ensemble, avec le titre d’infini que nous y joignons par-dessus, forment l’idée que nous avons du souverain Monarque de l’Univers.

Quoi que tout Homme qui réflechit puisse avoir fait cette remarque, je produirai à cette occasion l’Autorité de Mr. Locke, que s’exprime en ces termes : 1 Zitat/Motto► Si nous examinons, dit-il, l’idée que nous avons de cet Etre suprême & incompréhensible, nous trouverons que nous l’aquérons par la même voie, & que les Idées [322] complexes que nous avons de Dieu & des Esprits dégagez de la matiere, sont composées des Idées simples que nous recevons de la Réflexion. Par exemple, après avoir formé, par la considération de ce que nous éprouvons en nous-mêmes, les idées d’existence & de durée, de connoissance, de puissance, de plaisir, de bonheur, & de plusieurs autres qualitez & vertus, qu’il est plus avantageaux d’avoir que de n’avoir pas, lors que nous voulons former de l’Etre suprême l’idée la plus convenable, qu’il nous est possible d’imaginer, nous étendons chacune de ces Idées par le moyen de celle que nous avons de l’Infini, & joignant toutes ces Idées ensemble, nous formons notre Idée complexe du Dieu. ◀Zitat/Motto

Il n’est pas impossible qu’il y ait une grande variété de Perfections spirituelles, outre celles qui se trouvent dans nos Ames ; mais il est impossible que nous aïons l’idée d’aucune sorte de Perfection, à moins qu’il n’y en ait quelque petit raïon & quelque leger femence en nous-mêmes. Il faudroit donc pousser la rémérité jusques à l’excès, si nous décidions que tous les Atributs de l’Etre suprême se bornent à ceux que nos concevons dans son idée. On peut bien assûrer une chose, que, s’il y a quelque sorte de Perfection qui ne soit pas tracée dans nos Ames, elle apartient à la Nature Divine dans tout son étenduë.

Plusieurs grands Philosophes on cru que l’Ame séparée du Corps peut avoir de nouvelles Facultez, qu’elle ne sauroit mettre en usage durant cette Vie ; mais si ces Facul-[323]tez ne répondent point à des Atributs de la Nature Divine qui nous sont inconnus, & qui nous fourniront dans la suite de nouveaux sujets de l’admirer & de le benir, c’est ce que nous ignorons absolument. Nous devons aquiscer à ceci, comme je viens de le dire, que le souverain Maître de l’Univers joüit de toutes les Perections possibles, soit à l’égard de l’espece ou du degré, pour m’exprimer selon notre manière de concevoir les choses. J’ajouterai, qu’après avoir poussé notre Idée de l’Etre infini aussi haut que l’Esprit Humain est capable de s’élever, elle sera toûjours infiniment au-dessous de ce qu’il est en lui-même. Sa grandeur ne connoit point de bornes : La plus exaltée de ses Créatures ne peut la sonder, & il n’y a que lui seul que se puisse comprendre.

Les réflexions de Jesus Fils de Sirach, envisagées sous cette vûe, sont très-justes & bien-sublimes. 2 Ebene 3► Zitat/Motto► Il a fait, dit-il, que tout tend à sa fin par un ordre stable, & sa parole regle toutes choses. Nous mulitplierons les discours, & les paroles nous manqueront ; mais l’abregé de tout ce qui se peut dire est qu’il est l’ame de tout. Que pouvons-nous dire pour relever sa gloire ? Car le Tout-puissant est au-dessus de tous ses ouvrages. Le Seigneur est terrible, il est souverainement grand, & sa puissance est merveilleuse. Portez la gloire du Seigneur le plus haut que vous pouvrez, elle éclatera au-dessus, (& sa [324] magnificence ne peut être assez admirée.) Vous, qui benissez le Seigneur, relevez sa grandeur autant que vous pourrez ; car il est au-dessus de toutes louanges. En relevant sa grandeur, fortisiez-vous de plus en plus : ne vous laissez point dans cet exercice ; car vous ne comprenarez jamais ce qu’il est. Qui le pourra voir & le representer tel qu’il est ? Qui dira sa grandeur selon qu’elle est dès le commencement ? Beaucoup de ses ouvrages nous sont cachez qui sont plus grands que ceux que nous connoissons ; car nous n’en voyons qu’un petit nombre. ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Je n’ai parlé jusques-ici de l’Etre suprême que suivant les lumieres de la Raison & de la Philosopie. Si nous voulons aprofondir toutes les merveilles de sa Miséricorde, il faut avoir recours à la Revélation, qui nous le represente, non seulement comme un Etre environné de gloire & d’une puissance infinie, mais comme plein de bonté & de justice dans ses Dispensations envers le Genre Humain. Ceci est à la portée de tout le monde, & qui qu’on ne sauroit trop méditer là-dessus, je me bornerai au respect & à l’adoration que toutes ses Créatures lui doivent. Pour nous en former une sainte habitude, nous dévrions souvent le rappeler dans nos Esprits, & nous humilier, en sa presence, à la vûe de notre indignité & de ses adorables perfections. Un tel respect gravé dans le cœur est une sorte de Priere continuelle ; & fait partie du service raisonnable que l’Ame doit à celui qui l’a créée.

[325] Cette Habitude étouferoit en nous jusques aux moindres semences d’orgueil & de vaine gloire, qui s’élevent dans l’Esprit de ceux, dont les pensées roulent plûtôt sur les avantages qu’ils ont au-dessus de leurs semblables, que sur la distance infinie qu’il y a entre eux & le souverain Modéle de toute perfection. Elle exciteroit d’ailleurs nos desirs & nos éforts de nous unir à lui par tous les actes que la Religion & la Vertu nous prescrivent. En particulier cet Homage constant que nous rendrions à l’Etre suprême banniroit du milieu de nous la malheureuse coûtume qu’on y a d’emploïer son Nom à tort & à travers, & dans les occasions les plus frivoles.

Metatextualität► Ceci me rappelle un excellent 3 Sermon prononcé aux funérailles d’un Gentilhomme qui faisoit honneur à sa Patrie, & qui a été un des plus actifs, aussi bien qu’un des plus heureux Observateurs des Ouvrages de la Nature qu’il y ait jamais eu dans notre Isle. Voici de quelle maniere le Prédicateur y parle de ce Philosophe Chrétien. ◀Metatextualität Ebene 3► Zitat/Motto► « Je n’ai connu personne de ma vie, dit-il, que eut une si profonde vénération pour le souve-[326]rain Monarque de l’Univers. In ne prononçoit jamais le Nom de Dieu, sans faire une petit pause dans son discours ; & il étoit si exact à cet égard, qu’un de ses bons Amis, qui l’avoit fréquenté plus de vingt années de suite, m’a dit qu’il ne se souvient pas de l’y avoir jamais vû manquer une seule fois. » ◀Zitat/Motto ◀Ebene 3

Tout le monde fait la véneration que les Juifs avoient pour un si grand Nom, si saint & si admirable. Ils ne vouloient pas même soufrir qu’il entrât dans leurs Discours de piété. Que peut-on donc penser de ceux qui emploient en Nom si auguste & si redoutable au milieu de la Colere ou de la Joie, & lors qu’ils sont animez des Passions les plus impertinentes ? Que dira-t-on de ceux qui l’admetent dans les Questions & les Asseverations les plus familieres, dans les Discours & les Ouvrages les plus badins & les plus enjouez ; pour ne rien dire de ceux que le profanent par des Sermens Diaboliques & des Parjures abominables ? Ce seroit insulter la Raison que de vouloir dépeindre l’horreur & l’infamie d’une telle pratique. Il sufit de la nommer, pour en convaincre tous ceux en qui les lumieres de la Nature no sont pas absolument éteintes, & ausquels il reste encore quelque Principe de Religion. ◀Ebene 2

O. ◀Ebene 1

1Voyez son Essai sur l’Entendement Humain, traduit par Mr. Coste, p. 377. §. 93.

2Ecclesiastiques, Chap. XI.III. 15. 36. suivant la traduction de Mr. de Saci.

3Feu Mr. Burnet, Evêque de Salisbury, est l’Auteur de cette arasion funèbre, & le Gentilhomme, qu’elle regard, étoit le fameux Mr. Robert Boyle. Voyez ce que Mr. Ricotier en a dit dans l’Avertissement qu’il a mis à la tête de sa Traduction du Livre du Dr. Clarke, intitulé, De l’existence & des Attributs de Dieu, &c. Impr. à Amsterdam chez J. F. Bernard en 1727. & se trouve chez les Freres Wetstein. Voyez pag. XII-XV. &c.