Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LI. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\051 (1723), S. 315-320, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1440 [aufgerufen am: ].


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LI. Discours

Zitat/Motto► Sic visum Veneri ; cui placet impares
Formas,atque animos sub juga ahenea
Sævo mittere cum joco.

Hor. L. I. Ode XXXIII. 10.

C’est ainsi que l’a trouvé bon la Déesse Venus, qui se plait à mettre ensemble, sous un joug de fer, des Personnes d’une inêgale beauté & d’une humeur tout opposée, & à les railler ensuite d’une cruelle manière. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► Ceux qui se moquent du Mariage y tombent souvent eux-mêmes, & se rendent malheureux. ◀Metatextualität

Ebene 2► Il est assez ordinaire à ceux qui ont le plus [pris au sérieux] le Mariage d’entrer à la fin [316] dans la Confrerie qu’ils ont tournée en ridicule, & de voir leurs traits piquans retomber sur leurs têtes. Je n’ai presque jamais connu un Ennemi des Femmes, qui, tôt ou tard, n’ait eu sujet de s’en repentir. Le Mariage, qui est une Benediction pour un autre, devient à son égard un véritable suplice. Mr. Congreve, dans sa Comédie intitulé Le vieux Garçon, nous le represente, avec beaucoup d’esprit & d’enjouement, comme un Exemple de cet ordre. En un mot, ceux qui se sont le plus distinguez par leurs railleries du beau Sexe en général en sont souvent amande honorable par le choix d’une des plus indignes Créatures que l’on puisse trouver. L’Hymen se plaît à la vengeance, & il exerce la Loi du talion sur ceux qui se moquent de ses Mysteres.

Metatextualität► Mon Ami Mr. Honeycomb, qui s’égaïoit si bien à draper les Femmes, dans deux de ses Lettres, 1 que j’ai communiquées en dernier lieu au Public, leur eu a fait une ample réparation par le mariage qu’il vient de contracter avec la Fille d’un de ses Fermiers. Nous en eumes la nouvelle à notre Coterie par la derniere Poste, & notre Jurisconsulte du Temple veut à tout prix qu’il ait épousé une jeune Laitiere : Mais, dans la Lettre qu’il m’a écrite là-dessus, il donne â sa démarche le plus beau tour qu’il lui est possible, & il nous insinue une idée plus avantageuse de sa [317] Femme. J’avouë qu’à l’ouverture de sa Lettre, lors que je vis l’épithete de Mon ilustre Ami, au lieu de celle de Mon cher Spectateur ; dont il m’honoroit autrefois, & qu’il s’etoit signé au bas tout du long, je soupçonnai qu il y avoit quelque chose d’extraordinaire. En un mot, le gai, le bruïant, le vain Mr. Honeycomb, qui en avoit conté à tous les bons Partis de la Ville pendant l’espace de plus de trente années consécutives, & qui se vantoit d’avoir reçu des faveurs de quelques Dames qu’il n’avoir jamais vûes, Mr. Honeycomb, dis-je, s’est enfin marié à une simple Campagnarde du plus bas étage.

Sa Lettre nous ofre le Portrait d’un Débauché converti. Le Caractere du sage & de l’honnête Epoux y est mêlé avec celui du Courtisan de la Ville, & il emprunte quelque relief de ces petits tours afectez qui ont souvent rendu la compagnie de mon Ami assez agréable. Voïons ce qu’il dit lui-même pour se justifier. ◀Metatextualität

Metatextualität► Lettre de Mr. Honeycomb sur son Mariage. ◀Metatextualität

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mon ilustre Ami,

« Je ne doute pas que vous ne vous étonniez, avec mes autres Amis, de ce qu’après avoir passé trente années de suite au milieu de la fumée & des galanteries de la Ville, je suis devenu tout-d’un-coup amoureux de la Vie champêtre. Si mon Chien de Receveur ne s’étoit enfui sans régler ses Comptes, je serois enco-[318]re plorigé dans le desordre, & dans les brouillards qui s’élevent de votre Charbon. Mais, depuis mon retour forcé à la Campagne, je m’y plais tant, que j’ai résolu d’y vivre & d’y mourir. J’arpente tous les jours mes terres, & peu s’en faut que je ne remplisse ma Lettre de Zephirs, de Bocages, de Fleurs, de Prairies & de Ruisseaux. La simplicité des mœurs, dont je vous ai entendu parler si souvent, & qui regne ici dans toute sa perfection, me charme au-delà de tout ce qu’on peut concevoir. Pour vous en donner un Exemple, je vous aprendrai, & par votre moïen à toute la Coterie, que je me suis marié avec une Fille d’un de mes Fermiers. Elle est née d’honêtes Gens ; & quoi qu’elle n’ait point de Dor, elle est enrichie d’une grande Vertu. La douceur de son naturel, la simplicité de ses mœurs, la fraicheur de son teint, la tournure aisée de sa taille & sa bonne mine me perçoient d’outre en outre toutes les fois que je la voïois, & faisoient plus d’impression sur moi sous un Habit de Grisette, que la plus belle Femme de la Ville ou de la Cour vêtue de Brocard n’en avoit jamais fait. En un mot, elle est d’une trempe à me donner un bon Héritier ; & si par son moïen je ne puis laisser à mes Enfans ce qu’on apelle injustement les Dons de la Naissance, qui regardent les Titres d’honneur & un Parentage noble, je me flate de leur procurer [319] les Dons les plus réels & les plus estimables de la Naissance, je veux dire des Corps robustes & vigoureux. Pour vos Femmes du grand monde & bien élevées, il seroit inutile de vous dire que je les connois. J’ai eu ma part dans leurs bonnes graces ; mais rompons là-dessus. Je tâcherai de vivre à l’avenir en honête Homme, & de me gouverner en bon Pere de Famille, je m’attirerai sans doutes les railleries de la Ville, & l’on m’apliquera la Chanson, L’ennemi du Mariage enfin s’est marié, mais je suis prêt à les soutenir. J’ai turlupiné les autres en mon tems. Pour vous dire le vrai, je voïois une si grosse foule de jeunes Godelureaux & de petits Maitres devenir à la mode, que mon Poste, dans les ruelles des Dames n’etoit guére plus tenable. Ce n’est pas tout, une certaine roideur atraquoit mes membres, & me privoit de cet air gentil que j’avois eu autrefois. D’ailleurs, je ne vous ferai plus aujourd’hui un mystere de mon âge ; il y a plus de douze ans que j’en avois quarante-huit.

Au reste, puis que ma retraite à la Campagne laissera une place vacante dans la Coterie, je souhaiterois que vous la remplissiez de mon Ami Feu-ardent. Il a un grand fond de vivacité, & il connoit bien la Ville. Pour moi, j’emploierai tous mes éforts à vivre d’une maniere convenable à mon état, en sage & prudent Chef de Famille, en bon Mari, [320] & en tendre Père, si le cas y échet, & à vous témoigner en toute occasion que je suis, »

« Votre très-humble serviteur & fidéle Ami, »

Guillaume Honeycomb. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

O. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Voyez le Disc. XXXIII., & le XXXVIII.