Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "I. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.5\001 (1723), S. 1-7, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1390 [aufgerufen am: ].


Ebene 1►

I. Discours

Zitat/Motto► Est natura Hominum novitatis avida.
Plin.
Les Hommes sont naturellement avides de la nouveauté.
◀Zitat/Motto

Metatextualität► Sur les Nouvellistes & les Politiques de Caffez publics. ◀Metatextualität

Ebene 2► Allgemeine Erzählung► Mes Compatriotes n’ont aucun penchant qui excite plus mon admiration que leur soif ardente pour les Nouvelles. Il y a cinq ou six hommes d’Esprit qui vivent fort à leur aise du revenu qu’ils tirent de la curiosité du Public. Ils reçoivent tous les mêmes Avis du dehors, & souvent énoncez dans les mêmes termes ; mais la maniere dont ils les assaisonnent est si différente, qu’il n’y a pas un seul Citoïen, zélé pour les intérêts de l’Etat, qui puisse abandonner tranquilement le Caffé, s’il n’a parcouru chacune de leurs Feüilles volantes. Ces différens Aprêts de Nouvelles sont si agréables au goût de mes Compatriotes, [2] qu’ils ne les avalent pas seulement avec plaisir lors qu’elles sont toutes chaudes, mais lors qu’elles viennent à leur être servies toutes froides par ces profonds Politiques, qui honorent le Public de leurs Remarques & de leurs Observations sur chaque Article qui nous est envoïé des Païs étrangers. Le Texte nous est donné par une classe d’Ecrivains & le Commentaire par une autre.

Mais quoi que la même chose nous soit racontée dans toutes ces Feuilles volantes, &, si l’occasion le requiert, dans plusieurs Articles de la même Gazette ; quoi qu’au défaut des Lettres qui nous viennent des Païs étrangers, on nous repete la même Nouvelle de Paris, de Bruxelles, de la Haie, & de toutes les grandes Villes de l’Europe ; malgré le nombre infini de Notes, d’Explications, de Reflexions & de diverses Leçons qu’on y ajoute, le tems nous paroit long & ennuïeux jusques à l’arrivée d’une autre Male : Nous attendons avec impatience un détail plus exact, de voir quelle sera la premiere démarche des Cours intéressées, ou quelles seront les suites de celle qu’on a déja faite. Un Vent d’Ouest tient toute la Ville en suspens & met la Conversation à bout.

Cette grande Curiosité doit son origine à nos dernieres Guerres, &, si elle étoit bien dirigée, elle pourroit être fort utile à celui qui en est animé. D’où vient qu’un Homme, qui prend plaisir à la lecture de tout ce qu’il y a de nouveau, ne s’apliqueroit pas à [3] celle de l’Histoire, des Voïages, & de tels autres Livres, où il trouveroit sans cesse dequoi repaître sa curiosité, avec plus de satisfaction & d’avantage qu’il n’en peut recueillir de toutes les Gazettes journalieres ? Un honête Artisan, qui languit tout un Eté après une Bataille, & qui se voit peut-être à la fin éloigné de son compte, en peut voir ici une demi-douzaine dans un jour. Il peut lire tout ce qui s’est passé dans une Campagne, en moins de tems qu’il n’en met à parcourir les Nouvelles d’une seule Poste. Les Batailles, les Conquêtes & les Révolutions s’y trouvent entassées les unes sur les autres. La curiosité du Lecteur y est excitée & satisfaite à tout moment ; ses passions y sont mises en jeu, & il voit presque d’un coup d’œuil le succès ou le revers du Parti auquel il s’intéresse, sans rouler dans l’incertitude, & sans dépendre de la Mer & des Vents. En un mot, l’Esprit n’aspire pas ici en vain après la connoissance, & il n’est pas tourmenté de cette cruelle soif, qui est le partage de nos fameux Nouvellistes, & de nos grands Politiques des Caffez publics.

Tous les évenemens raportez dans l’Histoire, & qu’un Homme ignoroit, sont des Nouvelles pour lui ; & je ne ne <sic> voi pas pour quelle raison un Chapellier de Cheapside s’intéresseroit plus aujourd’hui aux démèlez des Cantons Suisses, qu’il ne s’intéressoit autrefois à ceux de la Ligue. Du moins, je croi que tout le monde m’avouera, qu’il importe plus à un Anglois de savoir l’His-[4]toire de ses Ancêtres, que celle de ses Contemporains, qui vivent sur les bords du Danube, ou du Boristhene. A l’égard de ceux qui ne sont pas de cet avis, je les renvoie à la Lettre suivante d’un Homme à Projets, qui auroit envie de tirer quelque avantage de cette merveilleuse curiosité qu’il voit dans ses Compatriotes.

Ebene 3► Brief/Leserbrief► Mr. le Spectateur,

«Vous avez remarqué sans doute que ceux qui fréquentent les Caffez publics, & qui se plaisent à lire les Nouvelles ; aiment d’aprendre toute sorte de Faits, de quelque nature qu’ils soient, pourvû qu’ils n’en aient jamais entendu parler. Une Victoire, ou une Défaite, leur est également agréable. Que le Pape ferme, ou qu’il ouvre la bouche d’un Cardinal, ils y trouvent aussi-bien leur compte. Ils sont charmez d’apprendre que la Cour de France est allée à Marli, & qu’elle est retournée à Versailles. Ils lisent les Avertissemens qu’on met au bas des Gazettes, avec la même curiosité que les principaux Articles ; & ils ne goûtent pas moins de plaisir à être informez qu’un cheval pie, qui passoit dans le voisinage d’Islington, s’est égaré, que d’aprendre qu’il y a eu une rude escarmouche entre deux Corps de Cavalerie. En un mot, ils chérissent tout ce qui s’apelle Nouvelles, quel qu’en puisse être le sujet ; ou, pour mieux dire, ils ont un apétit dévo-[5]rant, mais sans aucun goût. Puis donc, Monsieur, que la grande source des Nouvelles, qui vient de la Guerre, est sur le point de tarir, & que nos Curieux ont contracté une soif si ardente pour tout ce qui leur paroit nouveau, j’ai examiné leur cas & le mien, & j’ai formé un Projet qui peut tourner à notre avantage commun. Je voudrois publier tous les jours une Feuille volante, où j’insererios tout ce qui se passe de plus considérable dans chaque petite Ville, Bourg, Village, ou Hameau, qui sont à dix milles à la ronde, ou dans l’étendue du Penny-Post. Je borne là mes Correspondances pour deux raisons ; l’une est que le port des Lettres ne coûtera que peu de chose ; & l’autre que je pourrai les recevoir tous les jours. Ainsi mes Lecteurs auront des Nouvelles toutes fraiches, & quantité d’illustres Citoïens, qui ne peuvent aujourd’hui dormir à leur aise, faute de savoir comment va le monde, pourront à l’avenir se coucher tranquilement, puis que ma Feüille paroitra tous les soirs à neuf heures précises. J’ai fait déja de bonne liaisons dans tous ces endroits, & j’en ai reçu des Nouvelles bien sûres.

Par mes derniers Avis de Knights-bridge, le 3. de ce Mois, on y avoit arrêté un Cheval, qui passoit dans les terres d’autrui, & qui n’etoit pas relâché, lorsque les Lettres en sont parties.

Nous aprenons de Pankridge, qu’on [6] y avoit célebré une douzaine de Mariages dans la principale Eglise du Lieu ; mais on nous renvoie aux Lettres suivantes pour nous dire les Noms des Personnes intéressées.

On écrit de Brompton, que la Veuve Nielle avoit reçu plusieurs visites de Jean Serein ; ce qui fournit matiere à bien des speculations dans ces Quartiers là.

Par une Barque de Pêcheur, qui a touché en dernier lieu à Hammersmith, on y a reçu des Avis de Putney, qu’un certain Homme très connu dans cet endroit-là risque de n’être pas choisi pour un des Anciens de l’Eglise ; mais, comme cette Nouvelle est venue par eau, nous devons en attendre la confirmation avant que d’y ajouter foi.

Les Lettres de Paddington ne disent presque rien, si ce n’est que Guillaume Siflar, le Châtreur de Cochons, y avoit passé le 5. de ce Mois.

On écrit de Fulham que tout y continue sur le même pié. Au départ des Lettres, le bruit y couroit qu’on venoit de percer un Baril d’excellente Biere à Parson’s Green ; mais cette Nouvelle demande confirmation.

Voilà, Monsieur, un Echantillon des Nouvelles, dont j’ai dessein d’entretenir la Ville, & je ne doute pas que mises dans l’ordre, qu’on observe dans les Gazettes, elles ne soient fort agréables à ces Lec-[7]teurs zélez pour l’intérêt du Public, qui prennent plus à cœur les affaires des autres que celles qui les regardent eux-mêmes. Je compte qu’une Feüille volante ainsi tournée, qui nous instruira de ce qui se passe chez nous, ou aux environs de cette Métropole, nous sera plus utile que celles qui ne contiennent que des Avis de Zug ou de Bender, & qu’elle nous dédommagera de cette rareté de Nouvelles, que nous avons sujet de craindre en tems de Paix. Si mon Projet a le bonheur de vous plaire, je vous en communiquerai bien-tôt un ou deux autres ; & cependant je suis, avec tout le respect qui vous est dû, &c. ◀Brief/Leserbrief ◀Ebene 3

C. ◀Allgemeine Erzählung ◀Ebene 2 ◀Ebene 1