LXXIV. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Martin Stocker Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 09.01.2014 info:fedora/o:mws.2344 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome IV. Amsterdam: Frères Wetstein 1720, 445-450, Le Spectateur ou le Socrate moderne 4 074 1720 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Frauenbild Immagine di Donne Image of Women Imagen de Mujeres Image de la femme France 2.0,46.0

LXXIV. Discours

tibi scriptus, Matrona, Libellus.Mart. Lib. III. Epig. LXVIII.

C’est à vous, Madame, que mon petit Livre s’adresse.

Le Caractère de la jeune Philopatre.

Occupé à reflechir sur mes travaux pour le Public, j’ai observé qu’une partie du beau Sexe, dont je me suis déclaré l’Ami & le L’Autre fait sans doute allusion à un autre Ouvrage, qu’on lui attribue, & qui a paru sous le titre de Tuteur, ou de Curateur, en Anglais the Guardian.Tuteur, y est quelquefois traitée un peu severement, c’est-à-dire que j’ai décrit quelques uns de leurs mauvais Caractères, sans avoir presque donné jusques-ici aucun Eloge direct de celle qui sont bonnes. Là-dessus, il m’est venu dans l’esprit plusieurs Dames de ma connoissance, dont les Caractères mériteroient d’être transmis à la Posterité par des écrits d’une plus longue durée que les miens. Mais je ne croi pas que cette raison me doive empêcher de les placer dans mon Journal pour tout le tems qu’il subsistera. J’en choisirai quelques uns, soit de jeunes Filles, de Femmes mariées, eu de Veuves, qui peuvent servir de Modèles à tout le Sexe : Celle qui menera la bande de ce petit nombre d’illustres Héroïnes sera l’aimable Mot Grec, qui veut dire celle qui aime son Pere.Philopatre.

Avant que de toucher à son Caractère en particulier, il est bon d’avertir qu’elle est l’unique Enfant d’un Père décrépit, dont la vie est atachée à la sienne. Cet honête homme lui a toûjours marqué, dès le berceau, toute la tendresse possible, & il a vû croître ses bonnes qualitez avec la prévention d’un Pere qui la crut bientôt au-dessus de tous les autres Enfans de son âge, quoi qu’il n’ait jamais crû qu’elle eut ateint au plus haut dégré de perfection, dont elle est capable. Une si grande tendresse a fort contribué à son bonheur ; puis qu’elle lit, danse, chante, joue de l’Epinette & du Luth avec la derniere exactitude, & qu’elle emploie tous ces talens à divertir le bon Vieillard, lors qu’il est assis dans son Fauteuil & que la Goute lui donne quelque relâche. Philopatre est dans sa vingt-troisiéme année ; mais les poursuites d’une infinité d’Amans, la vigueur de son âge, la sensibilité qu’elle a pour tout ce qui est noble, généreux & poli, avec un Bien considerable, n’ont pû la détacher jusques-ici des soins qu’elle prend de son bon Homme de Pere. Il est certain qu’il n’y a pas d’afection si pure, ni si angelique que celle d’un Pere pour une Fille, soit qu’il l’envisage par raport, ou sans aucun égard, au Sexe dont elle est. Le desir se mêle dans l’amitié que nous avons pour nos Femmes, & l’Ambition entre dans celle que nous avons pour nos Fils ; mais, dans celle que nous avons pour nos Filles, il y a quelque chose qu’on ne sauroit exprimer. La vie de cette jeune Demoiselle est renfermée dans son Domestique ; elle est d’ailleurs si promte à s’aquiter de tous les devoirs d’une bonne Amie & d’une fidèle Compagne, que son Pere la trouve par tout & qu’elle est toujours présente à son Esprit. D’un autre côté, son Sexe est si exposé naturellement au danger, soit à l’égard de là Fortune ou de l’Innocence, que c’est peut-être un nouveau motif de la tendresse paternelle. Il n’y a que des Pères qui puissent avoir une juste idée de ces plaisirs & de cette sensation ; mais la grande familiarité que j’ai avec celui de Philopatre fait qu’il m est échapé quelques uns des termes dont il le sert, lors qu’il parle de la tendresse qu’il a pour sa Fille.

Il est vrai que cette jeune Demoiselle, tout accomplie qu’elle est, avec toute sa beauté, son esprit & sa bonne mine, emploie tout son tems à choïer son Pere. Quel plaisir n’ai je pas eu quelquefois de la voir à genoux pour aider ce bon Vieillard à mettre ses pantoufles ! Les services qu’elle lui rend sont toute sa joie, son unique occupation & sa gloire. Lors qu’une Amie de sa défunte Mere la pria un jour de vouloir permettre que son Fils la recherchât en mariage, elle répondit qu’elle lui étoit fort redevable d’une offre si avanta-geuse ; mais que, durant 1a vie de son Pere, elle ne soufriroit jamais que son Cœur eut aucune atache qui pût la détourner du soin qu’elle prenoit de lui rendre le reste de ses jours aussi doux & aussi heureux qu’il étoit possible dans l’état où il se trouvoit. Là-dessus cette Dame s’avisa de lui rapeller, avec un petit souris, la fleur de l’âge qui s’envole ; a quoi Philopatre, de cet air franc qui accompagne toûjours la Vertu, repliqua en ces termes : J’avoue, Madame, qu’on peut trouver beaucoup de plaisir dans la societé d’une honête Homme, que l’on aime tendrement, mais convaincue que mes soins adoucissent les peines d’un Homme de bien, dont la vie semble dépendre de mon assiduité auprès de lui, je goûte une si grande satisfaction à m’aquiter de ce devoir, que je la préfere à tous ce que les Passions les plus légitimes ont de plus vif & de plus agréable. Je ne sai pas d’ailleurs si la Femme d’aucun Homme auroit la liberté, ni si moi-même, devenue telle, serois disposée, (ce que je craindrois encore plus) à être aussi officieuse que je la suis aujourd’hui auprès de mon Pere. Cet heureux Vieillard a sa déclaration qu’elle ne se mariera jamais pendant sa vie, & le plaisir de voir que cet engagement ne lui cause pas la moindre inquiétude. Si l’on vouloit peindre la Tendresse filiale dans toute sa beauté, on ne sauroit s’en former une idée plus vive qu’à examiner Philopatre occupée à servir son Pere aux heures de son lever, de ses repas & de son coucher.

Lors que la plûpart des jeunes Dames s’amusent à consulter leurs Miroirs, & à s’orner pour aller au Bal, à des Assemblées, ou à la Comédie ; qu’une Demoiselle qui pourroit être une des principales dans tous ces Endroits, soit à l’égard de sa Personne, de l’Esprit, du Bien, ou de la Conversation, méprise tous ces Divertissemens, pour adoucir les mauvais quarts d’heure d’un Pere décrépit, c’est une résignation véritablement héroïque. Philopatre s’aquite du devoir d’une Garde avec toute la bonne grace d’une Fiancée ; & quoi que le bon Homme soit quelquefois trop mal pour recevoir la Compagnie, elle est toûjours mise d’une maniere si décente, qu’elle est en état de s’y produire.

Disposée à lui sacrifier sa jeunesse, elle ne compte pour rien les hardes qu’elle gâte à le servir. Le soin qu’elle prend de se mettre lui répond de la sincerité de son cœur, & il n’y a personne qui afecte moins qu’elle de se trop négliger. Ce qui augmenta la satisfaction du bon vieillard est de voir que Philopatre, dont le mérite & le Bien ne peuvent que lui attirer des Lettres amoureuses, l’entretient du récit de ses conquêtes & joue des Airs gais sur le Clavecin, pour lui insinuer qu’elle renonce, en sa faveur, à tous ses Amans, quoi qu’on la croiroit alors uniquement formée pour la Galanterie.

Ceux qui se regardent comme les Modèles de la bonne Education & de la Politesse seront étonnez d’aprendre que ce bon vieillard, toutes les fois que les maux lui donnent quelque relâche & qu’il peut soufrir la Compagnie, a chez lui des Assemblées régulieres de Gens du mérite le plus distingué ; que la Conversation n’y roule jamais sur les défauts des absens ; qu’on y voit regner une bienveillance mutuelle entre les Hommes & les Femmes sans aucune passion ; & que l’on y traite les sujets les plus relevez de la Morale avec la même facilité qu’on y raisonne de toute autre chose : Ce qui n’est dû qu’au genie de Philopatre aussi industrieuse à calmer les douleurs de son Pere & à lui rendre la vie aisée, que capable de faire honeur à son Nom.

T.

LXXIV. Discours tibi scriptus, Matrona, Libellus.Mart. Lib. III. Epig. LXVIII. C’est à vous, Madame, que mon petit Livre s’adresse. Le Caractère de la jeune Philopatre. Occupé à reflechir sur mes travaux pour le Public, j’ai observé qu’une partie du beau Sexe, dont je me suis déclaré l’Ami & le L’Autre fait sans doute allusion à un autre Ouvrage, qu’on lui attribue, & qui a paru sous le titre de Tuteur, ou de Curateur, en Anglais the Guardian.Tuteur, y est quelquefois traitée un peu severement, c’est-à-dire que j’ai décrit quelques uns de leurs mauvais Caractères, sans avoir presque donné jusques-ici aucun Eloge direct de celle qui sont bonnes. Là-dessus, il m’est venu dans l’esprit plusieurs Dames de ma connoissance, dont les Caractères mériteroient d’être transmis à la Posterité par des écrits d’une plus longue durée que les miens. Mais je ne croi pas que cette raison me doive empêcher de les placer dans mon Journal pour tout le tems qu’il subsistera. J’en choisirai quelques uns, soit de jeunes Filles, de Femmes mariées, eu de Veuves, qui peuvent servir de Modèles à tout le Sexe : Celle qui menera la bande de ce petit nombre d’illustres Héroïnes sera l’aimable Mot Grec, qui veut dire celle qui aime son Pere.Philopatre. Avant que de toucher à son Caractère en particulier, il est bon d’avertir qu’elle est l’unique Enfant d’un Père décrépit, dont la vie est atachée à la sienne. Cet honête homme lui a toûjours marqué, dès le berceau, toute la tendresse possible, & il a vû croître ses bonnes qualitez avec la prévention d’un Pere qui la crut bientôt au-dessus de tous les autres Enfans de son âge, quoi qu’il n’ait jamais crû qu’elle eut ateint au plus haut dégré de perfection, dont elle est capable. Une si grande tendresse a fort contribué à son bonheur ; puis qu’elle lit, danse, chante, joue de l’Epinette & du Luth avec la derniere exactitude, & qu’elle emploie tous ces talens à divertir le bon Vieillard, lors qu’il est assis dans son Fauteuil & que la Goute lui donne quelque relâche. Philopatre est dans sa vingt-troisiéme année ; mais les poursuites d’une infinité d’Amans, la vigueur de son âge, la sensibilité qu’elle a pour tout ce qui est noble, généreux & poli, avec un Bien considerable, n’ont pû la détacher jusques-ici des soins qu’elle prend de son bon Homme de Pere. Il est certain qu’il n’y a pas d’afection si pure, ni si angelique que celle d’un Pere pour une Fille, soit qu’il l’envisage par raport, ou sans aucun égard, au Sexe dont elle est. Le desir se mêle dans l’amitié que nous avons pour nos Femmes, & l’Ambition entre dans celle que nous avons pour nos Fils ; mais, dans celle que nous avons pour nos Filles, il y a quelque chose qu’on ne sauroit exprimer. La vie de cette jeune Demoiselle est renfermée dans son Domestique ; elle est d’ailleurs si promte à s’aquiter de tous les devoirs d’une bonne Amie & d’une fidèle Compagne, que son Pere la trouve par tout & qu’elle est toujours présente à son Esprit. D’un autre côté, son Sexe est si exposé naturellement au danger, soit à l’égard de là Fortune ou de l’Innocence, que c’est peut-être un nouveau motif de la tendresse paternelle. Il n’y a que des Pères qui puissent avoir une juste idée de ces plaisirs & de cette sensation ; mais la grande familiarité que j’ai avec celui de Philopatre fait qu’il m est échapé quelques uns des termes dont il le sert, lors qu’il parle de la tendresse qu’il a pour sa Fille. Il est vrai que cette jeune Demoiselle, tout accomplie qu’elle est, avec toute sa beauté, son esprit & sa bonne mine, emploie tout son tems à choïer son Pere. Quel plaisir n’ai je pas eu quelquefois de la voir à genoux pour aider ce bon Vieillard à mettre ses pantoufles ! Les services qu’elle lui rend sont toute sa joie, son unique occupation & sa gloire. Lors qu’une Amie de sa défunte Mere la pria un jour de vouloir permettre que son Fils la recherchât en mariage, elle répondit qu’elle lui étoit fort redevable d’une offre si avanta-geuse ; mais que, durant 1a vie de son Pere, elle ne soufriroit jamais que son Cœur eut aucune atache qui pût la détourner du soin qu’elle prenoit de lui rendre le reste de ses jours aussi doux & aussi heureux qu’il étoit possible dans l’état où il se trouvoit. Là-dessus cette Dame s’avisa de lui rapeller, avec un petit souris, la fleur de l’âge qui s’envole ; a quoi Philopatre, de cet air franc qui accompagne toûjours la Vertu, repliqua en ces termes : J’avoue, Madame, qu’on peut trouver beaucoup de plaisir dans la societé d’une honête Homme, que l’on aime tendrement, mais convaincue que mes soins adoucissent les peines d’un Homme de bien, dont la vie semble dépendre de mon assiduité auprès de lui, je goûte une si grande satisfaction à m’aquiter de ce devoir, que je la préfere à tous ce que les Passions les plus légitimes ont de plus vif & de plus agréable. Je ne sai pas d’ailleurs si la Femme d’aucun Homme auroit la liberté, ni si moi-même, devenue telle, serois disposée, (ce que je craindrois encore plus) à être aussi officieuse que je la suis aujourd’hui auprès de mon Pere. Cet heureux Vieillard a sa déclaration qu’elle ne se mariera jamais pendant sa vie, & le plaisir de voir que cet engagement ne lui cause pas la moindre inquiétude. Si l’on vouloit peindre la Tendresse filiale dans toute sa beauté, on ne sauroit s’en former une idée plus vive qu’à examiner Philopatre occupée à servir son Pere aux heures de son lever, de ses repas & de son coucher. Lors que la plûpart des jeunes Dames s’amusent à consulter leurs Miroirs, & à s’orner pour aller au Bal, à des Assemblées, ou à la Comédie ; qu’une Demoiselle qui pourroit être une des principales dans tous ces Endroits, soit à l’égard de sa Personne, de l’Esprit, du Bien, ou de la Conversation, méprise tous ces Divertissemens, pour adoucir les mauvais quarts d’heure d’un Pere décrépit, c’est une résignation véritablement héroïque. Philopatre s’aquite du devoir d’une Garde avec toute la bonne grace d’une Fiancée ; & quoi que le bon Homme soit quelquefois trop mal pour recevoir la Compagnie, elle est toûjours mise d’une maniere si décente, qu’elle est en état de s’y produire. Disposée à lui sacrifier sa jeunesse, elle ne compte pour rien les hardes qu’elle gâte à le servir. Le soin qu’elle prend de se mettre lui répond de la sincerité de son cœur, & il n’y a personne qui afecte moins qu’elle de se trop négliger. Ce qui augmenta la satisfaction du bon vieillard est de voir que Philopatre, dont le mérite & le Bien ne peuvent que lui attirer des Lettres amoureuses, l’entretient du récit de ses conquêtes & joue des Airs gais sur le Clavecin, pour lui insinuer qu’elle renonce, en sa faveur, à tous ses Amans, quoi qu’on la croiroit alors uniquement formée pour la Galanterie. Ceux qui se regardent comme les Modèles de la bonne Education & de la Politesse seront étonnez d’aprendre que ce bon vieillard, toutes les fois que les maux lui donnent quelque relâche & qu’il peut soufrir la Compagnie, a chez lui des Assemblées régulieres de Gens du mérite le plus distingué ; que la Conversation n’y roule jamais sur les défauts des absens ; qu’on y voit regner une bienveillance mutuelle entre les Hommes & les Femmes sans aucune passion ; & que l’on y traite les sujets les plus relevez de la Morale avec la même facilité qu’on y raisonne de toute autre chose : Ce qui n’est dû qu’au genie de Philopatre aussi industrieuse à calmer les douleurs de son Pere & à lui rendre la vie aisée, que capable de faire honeur à son Nom. T.