LXXIII. Discours Anonym Moralische Wochenschriften Michaela Fischer Editor Martin Stocker Editor Katharina Tez Editor Institut für Romanistik, Universität Graz 09.01.2014 info:fedora/o:mws.2343 Anonym: Le Spectateur français ou le Socrate moderne. Tome IV. Amsterdam: Frères Wetstein 1720, 438-444, Le Spectateur ou le Socrate moderne 4 073 1720 Frankreich Ebene 1 Ebene 2 Ebene 3 Ebene 4 Ebene 5 Ebene 6 Allgemeine Erzählung Selbstportrait Fremdportrait Dialog Allegorisches Erzählen Traumerzählung Fabelerzählung Satirisches Erzählen Exemplarisches Erzählen Utopische Erzählung Metatextualität Zitat/Motto Leserbrief Graz, Austria French Sitten und Bräuche Costumi Manners and Customs Costumbres Mœurs et coutumes France 2.0,46.0

LXXIII. Discours

Fœdicus hoc aliquid quandoque audebis.Juv. Sat. II. 83.

Vous passerez insensiblement à d’autres plus grands desordres.

Divers Caractères de Gens, qui manquent aux Rendez-vous qu’ils donnent.

On doit éviter, avec beaucoup de soin, les premiers pas qui tendent vers le Mal ; puis qu’on s’y engage insensiblement dès qu’on a rompu une fois la glace, & qu’on n’a pas en horreur jusques à la moindre indignité. Il y a une certaine mauvaise foi à laquelle on s’accoutume, & pour laquelle on devroit avoir plus d’aversion qu’on n’en temoigne d’ordinare ; c’est lors qu’on néglige de tenir sa parole en des occasions indiférentes & de peu de conséquence, telles que sont des parties de plaisir, & des Rendez-vous entre des Personnes du même goût, qui se recherchent les unes les autres. On peut atribuer cette legereté à bien des causes. Lambin ne se rend jamais à l’heure qu’il a fixée lui-même pour aller dîner chez un de ses Amis ; mais, quelque peu de mérite qu’il ait d’ailleurs, il afecte cette inexactitude par un principe de vanité. Il n’ignore pas qu’il feroit une assez triste figure en Compagnie, s’il n’y causoit, dès son entrée, ce petit embarras ; & c’est aussi pour cela qu’il soin d’arriver précisément lors qu’on vient de se mettre à table. Il s’assied, après avoir dérange tout le monde, & il demande en grace qu’on bannisse la Cérémonie ; il se qualifie ensuite du plus ridicule Corps de l’Univers, en ce qu’il a manqué de parole, à plusieurs de ses Amis qui l’avoient retenu pour ce jour-là. Il a même la sotise de nommer dix Endroits, où l’on fait meilleure chere que dans la Maison où il se trouve, ou qu’il a tous négligez en votre faveur. La derniere fois que le hasard me fit dîner avec lui, il ne parla que de l’embonpoint qu’il auroit aquis, s’il eût accepté toutes les invitations qu’il avoit reçues. Mais on me blâmeroit à mon tour, si j’insistois plus long-tems sur le Caractère d’un Sot, qui fait plaisir à tous ceux qu’il néglige, & avec lequel on n’observe les régles de la civilité que par les égards dûs à sa Naissance ou à & sa Fortune.

Il y a d’autres Personnes, que tout le monde seroit bien aise de voir, & qui tombent dans ce défaut. Il est inconcevable qu’un Homme puisse être en repos, lors qu’il sait qu’une troupe de ses Amis qui le chérissent l’atend avec impatience, qu’ils ne veulent ni manger, ni entamer la conversation, jusqu’à ce qu’il soit arrivé. Un de ces Prometteurs vous avertira quelquefois si tard, qu’il ne peut se trouver au rendez-vous, que toute la Compagnie a du chagrin de l’avoir atendu, & d’avoir négligé leurs affaires pour l’amour de lui. Il perd aussi leur estime, & l’on ne compte plus sur la parole ; de sotte qu’il vient souvent au milieu d’un Repas, où il est méprisé de tous les Convives, & maudit de tous les Domestiques, dont il retarde le Dîner, après avoir fait prolonger celui de leur Maître. Est-il possible que ces Ravaudeurs n’aient jamais observé que le tems, que des Amis passent à s’attendre les uns les autres à l’heure du Repas, est le plus incommode & le plus ennuïeux de toute la Journée ? S’ils réflechissoient un peu, ils sentiroient d’abord le crime qu’il y a d’interrompre ainsi les agrémens de la Vie & de la Societé. La récidive en ce cas fait brèche en quelque manière à la bonté du cœur, de même que l’habitude qu’on a contractée de jurer devient une espèce de Parjure, puis qu’on affirme avec ferment qu’on ne jure jamais. Phocion, à l’ouïe d’un Orateur verbeux, qui berçoit le Peuple par de magnifiques promesses remplies de vent, dit, Il me semble que je fixe les jeux sur un Cyprès, qui a toute la pompe & la beauté possible à l’égard de ses branches, de ses feuilles & de sa hauteur ; mais helas ! il ne porte aucun fruit.

Quoi qu’on ne doive rien atendre de ces Prometteurs, leur hardiesse est si grande, qu’après vous avoir manqué cent fois de parole, ils vous font toujours de nouvelles promesses. J’ai déjà censuré le frivole Menteur, le Glorieux, le Chimerique, & je les ai traitez comme des Personnes, dont le but est de s’attirer des éloges par vanité, sans aucun mauvais dessein ; mais les étour-dis Prometteurs n’en échaperont pas à si bon marché. Si un Homme prenoit la resolution de ne païer que des Sommes au-dessus de cent Pistoles, & qu’il contractât plusieurs Dettes de cinq & de dix, peut-on s’imaginer qu’il conserveroit long-tems son crédit ? Celui qui donne des Rendez-vous, auxquels il ne se met pas en peine de se trouver, est à peu près dans le même cas.

Je suis d’autant plus irrité contre ce défaut, que j’ai eu le malheur d’y être moi-même fort sujet. Le Chevalier Freeport, & tous mes autres Amis, qui sont scrupuleux à tenir leur parole dans les moindres petites choses, par un principe de Vertu, me l’ont souvent reproché. Je m’en fais honte à moi-même, sur tout pour avoir manqué l’occasion de voir une des plus agréables Compagnies de Dames & de Messieurs qu’il y ait jamais eu, lorsque tout Spectateur que je suis, & Admirateur du beau Sexe qui a du mérite, j’eus la sotise d’oublier le jour du Rendez-vous, & de n’y paroitre que le lendemain. Je souhaiterois que tout Négligent, qui est coupable de ce crime, fût exposé à une aussi grande perte que celle qui m’est arrivée à cet égard ; puisque tous les Membres, qui formoient cette illustre Assemblée, ne se reverront plus selon toutes les apparences ; du moins ils sont dispersez en divers endroits du Monde, & je reste ici avec le chagrin d’avoir mérité qu’ils me taxent par tout d’un insigne Rêveur.

Ce qui peut servir quelquefois d’excuse à ce défaut, est lors que les Personnes d’une conversation agréable n’osent pas refuser à ceux qui les recherchent, de peur qu’on ne les traite de vains & de prétieux ; mais ils trouveront que la crainte de ce reproche les engagera insensiblement à certaines démarches pueriles, & à promettre à tous ceux qui les voudront, sans pouvoir leur tenir parole. C’est ce qui entraîne ces bons humains à païer d’une ingratitude apparente la bienveillance qu’on leur témoigne. Les premiers pas qui font brèche à la Candeur vont beaucoup plus loin qu’on ne se l’imagine. Celui qui n’est pas scrupuleux à manquer de parole en de petites choses, ne sentira jamais de si cruels remors pour de grandes fautes, que celui qui regarde avec horreur tout ce qui va le moins du monde contre la Justice & la Vérité. Si l’on veut conserver sa Candeur, on ne doit jamais s’habituer à ce que l’on desaprouve soi-même.

Je me souviens d’un manque de bonne foi assez ordinaire, quoi que ce ne soit pas à l’égard des Rendez-vous, qui exposa un Homme à un traitement bien difficile à digérer. Il y a vingt-cinq ans que Mrs. <sic> Guill. De Couvreur & Jaq. Definau occupoient une même Chambre dans le Temple interieur, qui est un de nos Colleges en Droit. Un soir qu’ils étoient ensemble à la Comédie, ils épierent une jeune Demoiselle dans une des Loges, qui leur plut beaucoup, & qui les toucha plus qu’ils ne croïoient d’abord. Definau, qui avoit le talent d’écrire des Billets doux ; emploïa cette voie en secret pour réussir auprès de la Belle, pendant que son Ami suivit la route ordinaire & qu’il voulut gagner la Maîtresse par sa Femme de Chambre, & la vertu des présens. La jeune Dame les encouragea tous deux ; elle recevoit De Couvreur le mieux du monde, & répondoit avec soin aux Lettres de Mr. Definau, qui elle donnoit même des Rendez-vous en des Lieux tiers. Le premier vint à soupçonner ce Commerce Epistolaire, & il s’aperçut que son Ami ouvroit toutes les Lettres qui leur étoient adressées, pour bâtir là-dessus ses Rendez-vous. Après bien des inquietudes & des soucis cuisans, il resolut de rompre ce manège d’une maniere qui ne pût jamais l’exposer à un Eclaircissement dangereux. Pour cet effet, il écrivit une Lettre d’un caractère déguisé, & il l’adressa à Mr. De Couvreur logé dans le Temple. Mr. Definau ne manqua pas de l’ouvrir à son ordinaire ; mais il fut bien surpris de voir son Nom à la tête & d’y lire ce qui suit.

Mr. Definau,

« Vous n’avez eu jusques-ici qu’une satisfaction très-legere, & vous n’y êtes arrivé que par un crime fort odieux. Il vous en coûte un Ami fidèle, pour obtenir une Maîtresse inconstante. Je suis charmé que cet Expédient me soit venu dans l’esprit pour vous ouvrir mon cœur, & vous dire que vous êtes un mal-honête Homme, sans que vous puissiez vous choquer de l’afront, à moins que vous ne le méritiez. Je sai, Monsieur, que, tout criminel que vous êtes, vous avez encore assez d’honeur pour vous vanger de celui qui oseroit vous le dire en public. C’est à cause de cela même qu’après avoir reçu tant de botes secretes de votre part ; je me vange ainsi de vous en toute sûreté. Je vous taxe de mal-honête Homme, & il faut que vous le suportiez, ou que vous reconnoissiez votre injustice ; Je triomphe de ce que vous ne pouvez m’ateindre, & je ne croi pas qu’il soit deshonorable d’attaquer ainsi à couvert celui qui s’est tenu en embuscade pour me blesser.

Que peut-on dire de plus fort, pour vous convaincre que vous vous êtes rendu coupable du plus indigne procedé qu’il y ait au monde, si ce n’est qu’il vous expose à ce mauvais traitement, & qu’il est impossible que vous ne sentiez vous-même la justice d’un tel reproche de la part de votre Ami ofensé ? »

Rodolphe de Couvreur.

T.

LXXIII. Discours Fœdicus hoc aliquid quandoque audebis.Juv. Sat. II. 83. Vous passerez insensiblement à d’autres plus grands desordres. Divers Caractères de Gens, qui manquent aux Rendez-vous qu’ils donnent. On doit éviter, avec beaucoup de soin, les premiers pas qui tendent vers le Mal ; puis qu’on s’y engage insensiblement dès qu’on a rompu une fois la glace, & qu’on n’a pas en horreur jusques à la moindre indignité. Il y a une certaine mauvaise foi à laquelle on s’accoutume, & pour laquelle on devroit avoir plus d’aversion qu’on n’en temoigne d’ordinare ; c’est lors qu’on néglige de tenir sa parole en des occasions indiférentes & de peu de conséquence, telles que sont des parties de plaisir, & des Rendez-vous entre des Personnes du même goût, qui se recherchent les unes les autres. On peut atribuer cette legereté à bien des causes. Lambin ne se rend jamais à l’heure qu’il a fixée lui-même pour aller dîner chez un de ses Amis ; mais, quelque peu de mérite qu’il ait d’ailleurs, il afecte cette inexactitude par un principe de vanité. Il n’ignore pas qu’il feroit une assez triste figure en Compagnie, s’il n’y causoit, dès son entrée, ce petit embarras ; & c’est aussi pour cela qu’il soin d’arriver précisément lors qu’on vient de se mettre à table. Il s’assied, après avoir dérange tout le monde, & il demande en grace qu’on bannisse la Cérémonie ; il se qualifie ensuite du plus ridicule Corps de l’Univers, en ce qu’il a manqué de parole, à plusieurs de ses Amis qui l’avoient retenu pour ce jour-là. Il a même la sotise de nommer dix Endroits, où l’on fait meilleure chere que dans la Maison où il se trouve, ou qu’il a tous négligez en votre faveur. La derniere fois que le hasard me fit dîner avec lui, il ne parla que de l’embonpoint qu’il auroit aquis, s’il eût accepté toutes les invitations qu’il avoit reçues. Mais on me blâmeroit à mon tour, si j’insistois plus long-tems sur le Caractère d’un Sot, qui fait plaisir à tous ceux qu’il néglige, & avec lequel on n’observe les régles de la civilité que par les égards dûs à sa Naissance ou à & sa Fortune. Il y a d’autres Personnes, que tout le monde seroit bien aise de voir, & qui tombent dans ce défaut. Il est inconcevable qu’un Homme puisse être en repos, lors qu’il sait qu’une troupe de ses Amis qui le chérissent l’atend avec impatience, qu’ils ne veulent ni manger, ni entamer la conversation, jusqu’à ce qu’il soit arrivé. Un de ces Prometteurs vous avertira quelquefois si tard, qu’il ne peut se trouver au rendez-vous, que toute la Compagnie a du chagrin de l’avoir atendu, & d’avoir négligé leurs affaires pour l’amour de lui. Il perd aussi leur estime, & l’on ne compte plus sur la parole ; de sotte qu’il vient souvent au milieu d’un Repas, où il est méprisé de tous les Convives, & maudit de tous les Domestiques, dont il retarde le Dîner, après avoir fait prolonger celui de leur Maître. Est-il possible que ces Ravaudeurs n’aient jamais observé que le tems, que des Amis passent à s’attendre les uns les autres à l’heure du Repas, est le plus incommode & le plus ennuïeux de toute la Journée ? S’ils réflechissoient un peu, ils sentiroient d’abord le crime qu’il y a d’interrompre ainsi les agrémens de la Vie & de la Societé. La récidive en ce cas fait brèche en quelque manière à la bonté du cœur, de même que l’habitude qu’on a contractée de jurer devient une espèce de Parjure, puis qu’on affirme avec ferment qu’on ne jure jamais. Phocion, à l’ouïe d’un Orateur verbeux, qui berçoit le Peuple par de magnifiques promesses remplies de vent, dit, Il me semble que je fixe les jeux sur un Cyprès, qui a toute la pompe & la beauté possible à l’égard de ses branches, de ses feuilles & de sa hauteur ; mais helas ! il ne porte aucun fruit. Quoi qu’on ne doive rien atendre de ces Prometteurs, leur hardiesse est si grande, qu’après vous avoir manqué cent fois de parole, ils vous font toujours de nouvelles promesses. J’ai déjà censuré le frivole Menteur, le Glorieux, le Chimerique, & je les ai traitez comme des Personnes, dont le but est de s’attirer des éloges par vanité, sans aucun mauvais dessein ; mais les étour-dis Prometteurs n’en échaperont pas à si bon marché. Si un Homme prenoit la resolution de ne païer que des Sommes au-dessus de cent Pistoles, & qu’il contractât plusieurs Dettes de cinq & de dix, peut-on s’imaginer qu’il conserveroit long-tems son crédit ? Celui qui donne des Rendez-vous, auxquels il ne se met pas en peine de se trouver, est à peu près dans le même cas. Je suis d’autant plus irrité contre ce défaut, que j’ai eu le malheur d’y être moi-même fort sujet. Le Chevalier Freeport, & tous mes autres Amis, qui sont scrupuleux à tenir leur parole dans les moindres petites choses, par un principe de Vertu, me l’ont souvent reproché. Je m’en fais honte à moi-même, sur tout pour avoir manqué l’occasion de voir une des plus agréables Compagnies de Dames & de Messieurs qu’il y ait jamais eu, lorsque tout Spectateur que je suis, & Admirateur du beau Sexe qui a du mérite, j’eus la sotise d’oublier le jour du Rendez-vous, & de n’y paroitre que le lendemain. Je souhaiterois que tout Négligent, qui est coupable de ce crime, fût exposé à une aussi grande perte que celle qui m’est arrivée à cet égard ; puisque tous les Membres, qui formoient cette illustre Assemblée, ne se reverront plus selon toutes les apparences ; du moins ils sont dispersez en divers endroits du Monde, & je reste ici avec le chagrin d’avoir mérité qu’ils me taxent par tout d’un insigne Rêveur. Ce qui peut servir quelquefois d’excuse à ce défaut, est lors que les Personnes d’une conversation agréable n’osent pas refuser à ceux qui les recherchent, de peur qu’on ne les traite de vains & de prétieux ; mais ils trouveront que la crainte de ce reproche les engagera insensiblement à certaines démarches pueriles, & à promettre à tous ceux qui les voudront, sans pouvoir leur tenir parole. C’est ce qui entraîne ces bons humains à païer d’une ingratitude apparente la bienveillance qu’on leur témoigne. Les premiers pas qui font brèche à la Candeur vont beaucoup plus loin qu’on ne se l’imagine. Celui qui n’est pas scrupuleux à manquer de parole en de petites choses, ne sentira jamais de si cruels remors pour de grandes fautes, que celui qui regarde avec horreur tout ce qui va le moins du monde contre la Justice & la Vérité. Si l’on veut conserver sa Candeur, on ne doit jamais s’habituer à ce que l’on desaprouve soi-même. Je me souviens d’un manque de bonne foi assez ordinaire, quoi que ce ne soit pas à l’égard des Rendez-vous, qui exposa un Homme à un traitement bien difficile à digérer. Il y a vingt-cinq ans que Mrs. <sic> Guill. De Couvreur & Jaq. Definau occupoient une même Chambre dans le Temple interieur, qui est un de nos Colleges en Droit. Un soir qu’ils étoient ensemble à la Comédie, ils épierent une jeune Demoiselle dans une des Loges, qui leur plut beaucoup, & qui les toucha plus qu’ils ne croïoient d’abord. Definau, qui avoit le talent d’écrire des Billets doux ; emploïa cette voie en secret pour réussir auprès de la Belle, pendant que son Ami suivit la route ordinaire & qu’il voulut gagner la Maîtresse par sa Femme de Chambre, & la vertu des présens. La jeune Dame les encouragea tous deux ; elle recevoit De Couvreur le mieux du monde, & répondoit avec soin aux Lettres de Mr. Definau, qui elle donnoit même des Rendez-vous en des Lieux tiers. Le premier vint à soupçonner ce Commerce Epistolaire, & il s’aperçut que son Ami ouvroit toutes les Lettres qui leur étoient adressées, pour bâtir là-dessus ses Rendez-vous. Après bien des inquietudes & des soucis cuisans, il resolut de rompre ce manège d’une maniere qui ne pût jamais l’exposer à un Eclaircissement dangereux. Pour cet effet, il écrivit une Lettre d’un caractère déguisé, & il l’adressa à Mr. De Couvreur logé dans le Temple. Mr. Definau ne manqua pas de l’ouvrir à son ordinaire ; mais il fut bien surpris de voir son Nom à la tête & d’y lire ce qui suit. Mr. Definau, « Vous n’avez eu jusques-ici qu’une satisfaction très-legere, & vous n’y êtes arrivé que par un crime fort odieux. Il vous en coûte un Ami fidèle, pour obtenir une Maîtresse inconstante. Je suis charmé que cet Expédient me soit venu dans l’esprit pour vous ouvrir mon cœur, & vous dire que vous êtes un mal-honête Homme, sans que vous puissiez vous choquer de l’afront, à moins que vous ne le méritiez. Je sai, Monsieur, que, tout criminel que vous êtes, vous avez encore assez d’honeur pour vous vanger de celui qui oseroit vous le dire en public. C’est à cause de cela même qu’après avoir reçu tant de botes secretes de votre part ; je me vange ainsi de vous en toute sûreté. Je vous taxe de mal-honête Homme, & il faut que vous le suportiez, ou que vous reconnoissiez votre injustice ; Je triomphe de ce que vous ne pouvez m’ateindre, & je ne croi pas qu’il soit deshonorable d’attaquer ainsi à couvert celui qui s’est tenu en embuscade pour me blesser. Que peut-on dire de plus fort, pour vous convaincre que vous vous êtes rendu coupable du plus indigne procedé qu’il y ait au monde, si ce n’est qu’il vous expose à ce mauvais traitement, & qu’il est impossible que vous ne sentiez vous-même la justice d’un tel reproche de la part de votre Ami ofensé ? » Rodolphe de Couvreur. T.