Juv. Sat. II. 83.
Vous passerez insensiblement à d’autres plus
grands desordres.
Lambin ne se rend jamais à l’heure qu’il a
fixée lui-même pour aller dîner chez un de ses Amis ; mais, quelque
peu de mérite qu’il ait d’ailleurs, il afecte cette inexactitude par
un principe de vanité. Il n’ignore pas qu’il feroit une assez triste
figure en Compagnie, s’il n’y causoit, dès son entrée, ce petit
embarras ; & c’est aussi pour cela qu’il soin d’arriver
précisément lors qu’on vient de se mettre
Il y a d’autres Personnes, que tout le monde seroit bien aise de
voir, & qui tombent dans ce défaut. Il est inconcevable qu’un
Homme puisse être en repos, lors qu’il sait qu’une troupe de ses
Amis qui le chérissent l’atend avec impatience, qu’ils ne veulent ni
manger, ni entamer la conversation, jusqu’à ce qu’il soit arrivé. Un
de ces Prometteurs vous avertira quelquefois si tard, qu’il ne peut
se trouver au rendez-vous, que toute la Compagnie a du chagrin de
l’avoir atendu, & d’avoir négligé leurs affaires pour l’amour de
lui. Il perd aussi leur estime, & l’on ne compte plus sur la
parole ; de sotte qu’il vient Phocion, à l’ouïe d’un Orateur
verbeux, qui berçoit le Peuple par de magnifiques promesses remplies
de vent, dit, Il me semble que je fixe les jeux sur un Cyprès,
qui a toute la pompe & la beauté possible à l’égard de ses
branches, de ses feuilles & de sa hauteur ; mais helas ! il
ne porte aucun fruit.
Quoi qu’on ne doive rien atendre de ces Prometteurs, leur hardiesse
est si grande, qu’après vous avoir manqué cent fois de parole, ils
vous font toujours de nouvelles promesses. J’ai déjà censuré le
frivole Menteur, le Glorieux, le Chimerique, & je les ai traitez
comme des Personnes, dont le but est de s’attirer des éloges par
vanité, sans aucun mauvais dessein ; mais les étour-
Je suis d’autant plus irrité contre ce défaut, que j’ai eu le malheur
d’y être moi-même fort sujet. Le Chevalier Freeport, & tous mes autres Amis, qui sont scrupuleux
à tenir leur parole dans les moindres petites choses, par un
principe de Vertu, me l’ont souvent reproché. Spectateur que je suis, &
Admirateur du beau Sexe qui a du mérite, j’eus la sotise d’oublier
le jour du Rendez-vous, & de n’y paroitre que le lendemain. Je
souhaiterois que tout Négligent, qui est coupable de ce crime, fût
exposé à une aussi grande perte que celle qui m’est arrivée à cet
égard ; puisque tous les Membres, qui formoient cette illustre
Assemblée, ne se reverront plus selon toutes les apparences ; du
moins ils sont dispersez en divers endroits du Monde, & je reste
ici avec le chagrin d’avoir mérité qu’ils me taxent par tout d’un
insigne Rêveur.
Je me souviens d’un manque de bonne foi assez ordinaire, quoi que ce
ne soit pas à l’égard des Rendez-vous, qui exposa un Homme à un
traitement bien difficile à digérer. Guill. De
Couvreur & Jaq. Definau occupoient une même Chambre dans
le Temple interieur, qui est un de nos
Colleges en Droit. Un soir qu’ils étoient ensemble à la Comédie, ils
épierent une jeune Demoiselle dans une des Loges, qui Definau, qui avoit le talent
d’écrire des Billets doux ; emploïa cette voie en secret pour
réussir auprès de la Belle, pendant que son Ami suivit la route
ordinaire & qu’il voulut gagner la Maîtresse par sa Femme de
Chambre, & la vertu des présens. La jeune Dame les encouragea
tous deux ; elle recevoit De Couvreur le
mieux du monde, & répondoit avec soin aux Lettres de Mr. Definau, qui elle donnoit même des
Rendez-vous en des Lieux tiers. Le premier vint à soupçonner ce
Commerce Epistolaire, & il s’aperçut que son Ami ouvroit toutes
les Lettres qui leur étoient adressées, pour bâtir là-dessus ses
Rendez-vous. Après bien des inquietudes & des soucis cuisans, il
resolut de rompre ce manège d’une maniere qui ne pût jamais
l’exposer à un Eclaircissement dangereux. Pour cet effet, il écrivit
une Lettre d’un caractère déguisé, & il l’adressa à Mr. De Couvreur logé dans le Temple. Mr. Definau ne manqua pas de l’ouvrir à son
ordinaire ; mais il fut bien surpris de voir son Nom à la tête &
d’y lire ce qui suit.
Definau,
« Vous n’avez eu jusques-ici qu’une satisfaction
très-legere, & vous n’y êtes arrivé que par un crime fort
odieux. Il vous en coûte un Ami fidèle, pour obtenir une Maîtresse
inconstante. Je suis
Que peut-on dire de plus fort, pour vous convaincre que vous vous êtes rendu coupable du plus indigne procedé qu’il y ait au monde, si ce n’est qu’il vous expose à ce mauvais traitement, & qu’il est impossible que vous ne sentiez vous-même la justice d’un tel reproche de la part de votre Ami ofensé ? »
Rodolphe de Couvreur.
T.