Zitiervorschlag: Anonym (Hrsg.): "LVII. Discours", in: Le Spectateur ou le Socrate moderne, Vol.4\057 (1720), S. 342-347, ediert in: Ertler, Klaus-Dieter / Fischer-Pernkopf, Michaela (Hrsg.): Die "Spectators" im internationalen Kontext. Digitale Edition, Graz 2011- . hdl.handle.net/11471/513.20.1355 [aufgerufen am: ].


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LVII. Discours

Zitat/Motto► Occupet extremum scabies.
Hor. A. P. v. 417.

Malheur à celui qui est un pitoïable Ecrivain. ◀Zitat/Motto

Metatextualität► L’Auteur se propose de donner plus d’étendue à son Plan. ◀Metatextualität

Ebene 2► Selbstportrait► Il est impertinent & déraisonnable de vouloir toûjours entretenir la Compagnie, & de ne soufrir pas que chacun y parle à son tour. Peut-être qu’on m’accusera moi-même de ce défaut, sous ombre que j’entretiens tous les jours la Ville, & que je ne donne pas occasion à tant d’habiles Ecrivains, qui s’en aquiteroient mieux que moi, d’instruire le Public. En effet, j’entendis l’autre jour un Homme qui se plaignoit de mes Speculations à peu-près en ces termes : Dialog► « Pourquoi ne roulent-elles jamais que sur les Sciences & la Morale ? Pourquoi n’y voit-on que des traits d’Esprit, de l’Enjoûment, & autres choses, qui ne peuvent servir qu’aux Gens de Lettres & d’une Education polie ? Je voudrois du moins qu’on y parlât de tout ce qui peut être utile ou nécessaire à tous les Membres de la Societé, & les Arts méchaniques y eussent leur place aussi bien que les liberaux. Des Maximes sur le Négoce, l’Econo-[343]mie, ou l’Epargne serviroient à un plus grand nombre de Personnes, que des Discours sur ce qui a été dit ou fait par un tel Philosophe, un tel Heros, un tel Général ou un tel Poëte. » ◀Dialog ◀Selbstportrait

Je n’eus pas plûtôt entendu raisonner cet Homme sur mes petits Exercices, que je pris une Minute de sa Critique, & que je résolus d’abord de donner plus d’étendue à mon Dessein. Pour en venir à bout, j’avertirai ici toute sorte de Gens, de tout Ordre & de tout Sexe, que, s’ils veulent bien m’envoïer quelques Discours, avec leurs Noms & celui des Lieux où ils demeurent, afin que je puisse être sûr de l’authenticité de ces Ecrits, je ne manquerai pas de les inserer dans mes Feuilles volantes. Il sera de plus grande conséquence pour un Jeune Aprenti de savoir par quels moïens & quelle industrie un tel est devenu 1 Sherif de Londres, que de voir un Homme de sa Profession representé dans une Enseigne avec un Cœur de Lion à chaque main. Il est vrai que les Exploits Romanesques & incroïables frapent tout le monde, & qu’on néglige le chemin batu qui conduit à l’abondance & à la prosperité dans les affaires ordinaires de la Vie. Un jeune Homme pourroit-il mieux emploïer son tems aujourd’hui, qu’à étudier l’histoire de nos Fonds publics, & à dé-[344]couvrir par quels secrets ressorts ils montent & baissent tout d’un coup du soir au matin ? Pour devenir riche, qui est l’Article essentiel de la Vie, pourroit-il avoir un meilleur Guide, qu’un Traité de quelque habile Maître en cet Art logé dans l’Allée de la Bourse ? Il n’y auroit sans doute rien de plus utile, que d’être bien instruit à esperer ou à craindre avec raison ; à se défier lors que les autres chantent victoire, & à pouvoir acheter gaiement lors que les autres s’empressent à vendre. J’invite donc tous ceux qui sont en état de donner quelque Information avantageuse au Public, à venir occuper tour à tour ma Feuille volante : Ils y seront les très-bien venus depuis le célebre & dernier Inventeur des Longitudes jusques à l’humble Apréteur des Cuirs propres à passer les Rasoirs. Si donner les moïens de conduire les Vaisseaux à bon Port, si venir au secours de ceux qui se trouvent batus de la tempête, sans connoitre le parage où ils sont, si leur indiquer les Rochers qu’ils doivent éviter, & la Côte où ils doivent se rendre dans un péril extrême ; si tout cela, dis-je, est un Service des plus signalez, & une Invention qui mérite une Statue ; il faut avoüer en même tems que celui qui a trouvé le moïen d’afiler, ou d’adoucir l’Instrument qui sert à polir notre Visage, à le rendre moins hideux, & à donner ainsi bon air à toute la Personne, est digne de quelque espéce de bonne reception : Si les choses de la der-[345]niere conséquence sont fort aplaudies, celles qui n’importent pas beaucoup, puis qu’elles importent toûjours un peu, ne doivent pas être méprisées. Afin donc qu’aucun Mérite ne demeure enseveli, & qu’aucun Art ne soit négligé, je le repéte de nouveau, j’apelle tous les Artistes, aussi bien que les Philosophes, à mon assistance, pour servir le Public. Il seroit d’une grande utilité, si nous avions une histoire exacte du succès qu’ont eu toutes les bonnes Boutiques qui se trouvent dans l’enceinte de la Ville, & un plan des autres qu’un Fermier, ou qu’un Jardinier a aquises par le soin continuel qu’il a pris d’une Allée de trente piez. Si l’on y joignoit l’histoire de ceux qui paroissent aujourd’hui en bel équipage, & qui doivent leur éclat à l’economie & à l’habilité de leurs Ancêtres dans le Commerce, de telles Relations exciteroient les autres à la poursuite des mêmes biens, & les détourneroient du Luxe & de la débauche.

Pour diversifier ces Avis salutaires, on n’y doit pas oublier la conduite des Femmes : Celle, dont les Vertus domestiques font que tout le monde respecte son Mari, doit recevoir les éloges qu’elle mérite, & celle qui a dissipé tout le fruit des travaux du sien doit être regardée avec indignation. Lors qu’on en seroit venu de cette manière à la Vie domestique, pour exciter les Hommes à veiller au Point essentiel & à ne le perdre jamais de vûe, il ne seroit pas mal [346] à propos de leur faire envisager une Catastrophe, le plus triste & le plus déplorable de tous les Etats, je veux dire une Banqueroute, qui change ; en un clin d’œuil, l’abondance, le crédit, la gaieté & de belles esperances, en pauvreté, en défiance, en chagrin & en misere, & qui réduit un Homme, qui pouvoit, le jour précedent, fournir aux nécessitez des autres, à se voir abandonné, le lendemain, par le meilleur de ses Amis. Quelle justice n’y auroit-il pas à blâmer le Prodigue & le Négligent ; qui s’est attiré cette disgrace, & à plaindre le bon Ménager & l’Industrieux ? Un Ecrit dressé par un Marchand pourroit donner à cette Isle une juste idée du mérite & de l’importance de son Caractere : On verroit bien par-là qu’un Soldat qui monte à la brêche ne hasarde pas davantage pour l’honneur de sa Patrie, qu’un Négociant pour y attirer des richesses. Dans l’un & l’autre de ces deux Cas, les Avanturiers y trouvent leur profit ; mais je n’en connois point, où tous les autres Membres de la Societé aient quelque part au fruit qui peut venir de la réuissite.

Ceux qui lisent l’Histoire se plaignent de ce que la description des Batailles y est presque inintelligible. Ce défaut vient sans doute de l’Ignorance des Historiens, qui ne savent pas de quelle maniere on doit ranger une Armée, faire les évolutions, se battre en retraite, ou venir à la charge, & qui n’entendent point l’Art militaire. Mais [347] il est à craindre que mes nouveaux Correspondans ne tombent dans un autre excès, & qu’ils n’emploient trop de termes de l’Art qui leur sont familiers, & que la plûpart des Lecteurs ignorent : Ainsi je les prie de vouloir bien s’en abstenir & d’user d’un Langage connu de tout le monde. Je me promets d’ailleurs une abondante Moison de ce nouveau Plan, & d’enrichir le Public d’une infinité de nouvelles découvertes dans les choses les plus ordinaires de la Vie. Ce sera le moïen de se former une vive image de l’enchaînure & de la dépendance mutuelle où sont tous les Membres de la Société, de bannir mille Préjugez ridicules, de donner de l’étendue à l’Esprit de ceux qui le bornent à leur unique situation, & à produire, en un mot, de nouvelles Scènes, plus instructives & plus agréables que tout ce qui a paru jusques-ici ; suposé du moins que les Experts dans les Arts, les Professions & les Métiers y veuillent emploïer tout leur genie.

T. ◀Ebene 2 ◀Ebene 1

1Il y en a deux à Londres. C’est un Magistrat, qu’on crée tous les ans, & dont les fonctions répondent à peu près à celles du Prevôt de l’Isle en France.